De la mémoire à la foi
« Faire mémoire »,
c’est ce que nous faisons en chantant la Cévenole,
c’est également ce qu’exprime de nombreux passages bibliques, particulièrement le chapitre 11 de l’épître aux Hébreux. Mais bien au delà de la mémoire, voire du folklore, ces textes nous entraînent sur un itinéraire où le sens de la foi se dévoile, cette foi qui met en marche.
"Salut montagnes bien aimées, pays sacré de nos aïeuls... ». Les paroles de « la Cévenole » clôturent chaque année l’Assemblée du désert, rassemblement qui réunit plusieurs milliers de protestants, le premier dimanche de septembre au Mas Soubeyran, hameau des Cévennes où vécu le camisard Pierre Laporte dit Rolland. Ce cantique constitue un témoignage rendu à la fidélité des protestants du passé. Quoique pour la plupart ils aient été d’humble condition, ils sont demeurés fidèles à la Parole de Dieu qu’ils dé- couvraient dans la lecture de la Bible. Ils nous ont légué un précieux héritage à transmettre à notre tour, comme nous y invite le refrain : « Esprit qui les fit vivre, anime leurs enfants, pour qu’ils sachent les suivre... ». La Cévenole s’inscrit dans le genre littéraire de la rétrospective historique, déjà bien établi dans le judaïsme biblique et post biblique.
Dans la Bible, les patriarches, Moïse et les pro- phètes sont des « héros » de la foi. Pourtant, évo- quer leur souvenir ne saurait suffire. On risque l’enfermement. Le travail de mémoire n’a d’intérêt que lorsqu’il sert la vie. Car, le thème central, que ce soit de la Cévenole, où des nombreux passages de la Bible, ce n’est pas la mémoire, le souvenir, mais c’est la foi. L’ouverture du chapitre 11 de la lettre aux Hébreux la met en perspective : « Or la foi, c’est la réalité de ce qu’on espère, l’attestation de choses qu’on ne voit pas. C’est par elle que les anciens ont reçu un bon témoignage » (Hébreux 11, 1-2). La foi est indissociable de l’espérance ; elle ouvre un avenir. Ce chapitre est un texte monu- mental, par son ampleur, son style, son contenu et son souffle, et il demeure une des références de la Bible. À partir d’une succession de personnages de l’Ancien Testament, nos ancêtres dans la foi, il nous invite à réfléchir : quelle est la nature de cette foi ? Il offre également à ses lecteurs courage et persévérance. C’est le sens de ces courts récits qui nous rappellent comment ces protagonistes ont vécu leur foi, quelles épreuves ils ont surmon- tées, quelles convictions les animaient et comment ils ont eu le souci de leur descendance, c’est-à- dire de nous également. Ils avaient la capacité et l’exigence de voir plus loin que le petit monde qu'ils avaient devant les yeux. Ils étaient capables d'affronter des obstacles, d'espérer contre toute espérance, de résister. Ils puisaient leur force dans la foi, ils savaient s'engager, combattre et rester fidèls. Et, la foi qui les habite, est à l'opposé d'une foi qui serait "opium du peuple". La foi n'est pas là pour nous endormir, nous contenir, pour étouffer toute velléité de révolte et suggérer aux plus faibles de renoncer à vivre leur vie.
La foi c’est la capacité d’entreprendre :
Que ce soit les « héros » bibliques, ou ce peuple des Cévennes, ils nous montrent, au contraire le che- min. Ils prennent leur vie en main, transformant l’impossible, l’improbable, l’insupportable en pers- pectives prometteuses. Noé construit une arche, Abraham et Sara vieillards acceptent la promesse de l’enfant, Moïse conduit son peuple vers la libé- ration, Rahab la prostituée accueille et sauve les étrangers redoutés, Gédéon le simple paysan entreprend une guerre de libération. Pour eux, la foi c’est le contraire de la résignation; elle décuple même leur force, leur discernement et leur cou- rage, parce que :
La foi, c’est la capacité d’espérer,
sans faire abstraction de la réalité, tout en contemplant un horizon plus large que notre perception humaine ne le permet !
La foi, c’est la capacité de prendre un risque,
avec joie et confiance, un risque fécond d’avenir. Car nous ne sommes pas seuls, et notre foi s’ap- puie sur la Parole de Dieu, la parole qui nous ren- contre dans notre humanité. Nous ne sommes pas seuls, car Dieu est avec nous, et il a lui-même pris un risque immense par amour pour nous. Le risque d’avoir assumé notre vie et notre mort en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, venant à notre ren- contre, nous ouvrant le chemin.
La foi c’est le courage d’être, le courage de vivre : c’est ce que proclame tout l’Evangile : « Ne crains pas ; crois seulement ! » (Luc 8, 50).
Florence Blondon