Le péché originel (Genèse 2 et 3)
(Propositions pour une foi contemporaine)
Ce que l’on appelle « péché originel » est le péché premier commis par Adam et Eve dans le jardin d’Eden en mangeant le fruit de l’arbre défendu appelé « arbre de la connaissance du bien et du mal ». Cela se trouve tout au début de la Genèse et le texte nous dit qu’en conséquence de cela, Adam et Eve sont chassés du paradis, qu’ils sont condamnés par Dieu, l’homme à travailler à la sueur de front et la femme à enfanter dans la douleur.
Ce texte comporte d’innombrables interprétations possibles, mais parmi celles là il s’en trouve que la tradition chrétienne a véhiculés vis à vis desquelles on peut avoir quelque recul. En particulier, certains théologiens anciens ont vu là la faute historique de nos premiers ancêtres dont la culpabilité se serait transmise de génération en génération. Ainsi ces théologiens disaient qu’avant même d’avoir fait le bien ou le mal, le bébé qui naissait était déjà coupable de cette faute originelle qu’il n’avait pas commise. Il a même été dit ainsi que le baptême des bébés était pour les laver de la culpabilité du péché originel, afin qu’ils n’aient à rendre compte que de leurs propres péchés. Heureusement, de nombreux théologiens, et surtout de nos jours, se sont opposés à ce genre d’interprétation : il n’y a pas de culpabilité héréditaire, nous sommes responsables de nos actes seulement sans avoir à payer pour une faute primitive éloignée. Du coup le baptême des bébés n’est plus vu comme le fait de laver culpabilité héréditaire de la faute originelle, mais de dire la grâce et l’amour inconditionnel de Dieu pour l’homme, cela étant donné en particulier à ce petit enfant qui n’a encore fait ni bien ni mal.
S’il fallait récupérer cette idée de quelque chose d’héréditaire, on pourrait dire qu’il s’agit d’une imperfection fondamentale, chaque homme naît imparfait, et tout ce qui appartient à ce monde a une imperfection rappelant que rien ni personne sur cette terre n’est divin. Mais le baptême n’y change rien, et le lien avec le texte de la Genèse est bien distendu.
D’autres veulent voir dans le texte de la Genèse une illustration de ce que l’on sait de l’histoire de l’humanité : avant d’être un homo sapiens, l’homme encore comme un animal n’avait pas de conscience morale, ignorant le bien et le mal et même le fait qu’il puisse mourir. Dieu, d’une certaine manière tend à retarder le moment où l’homme accédera à cette conscience réfléchie, car en effet à ce moment, il sera en danger de mort (les animaux ne s’exterminent pas et ne se suicident pas...) Mais finalement, c’est plutôt une bonne chose que l’homme accède à cette connaissance, même si ce faisant il perd son innocence originelle et accède à la possibilité du péché. On peut toujours être impressionné de ce que les vieux textes bibliques finalement puissent s’accorder si bien à ce que nous découvrons de l’histoire du monde et de l’humanité, mais cette interprétation n’est pas très féconde théologiquement, elle ne nous dit pas grand chose sur notre propre existence dans notre rapport au monde et à Dieu.
Une façon contemporaine et théologique d’interpréter ce texte est de voir Adam et Eve non pas comme des ancêtres éventuels, mais comme des modèles de l’humain que nous sommes tous. Ainsi, le péché originel n’est pas une faute historique passée dont nous subirions les conséquences, mais la faute la plus essentielle et primordiale qui nous menace tous et dans laquelle nous risquons sans cesse de tomber. Adam et Eve n’ont bien sûr jamais existé, ce sont des archétypes de l’humanité, nous sommes tous à la fois Adam et Eve, et nous risquons sans cesse de refaire ce « péché originel » et de répéter leur histoire, ce geste qui nous prive de la plénitude de la présence de Dieu et du bonheur symbolisé par le paradis, le « jardin de délices ».
Alors quel est-il ce péché ? Le serpent le dit bien, c’est de vouloir se prendre pour Dieu, donc de se mettre au centre de tout. Quand Eve mange du fruit, elle le conseille à Adam en disant qu’elle le trouve bon au goût et bien agréable. Autrement dit, elle déclare universellement bon ce qui lui semble bon, ce qui lui plaît à elle C’est ça le péché originel : se prendre soi-même pour centre de tout et déclarer universellement bien ce qu’on trouve agréable pour soi. Le péché, ce n’est donc pas de savoir faire la différence entre le bien et le mal, le discernement est au contraire une qualité essentielle louée dans toute la Bible, mais on pourrait plutôt dire qu’il s’agit de l’arbre de « décider soi-même le bien et le mal ». Or voilà, ce qui me plaît n’est pas forcément bien pour tout le monde, ou ne fait pas forcément de bien aux autres, et n’est pas nécessairement le bien universel. Tout juger par rapport à soi, c’est se mettre au centre du monde, c’est le péché de l’égocentrisme le plus absolu, c’est finalement bien se prendre pour Dieu. Car en effet, ce à quoi nous invite la Bible, c’est de rappeler que nous ne sommes pas seuls, mais qu’il y a des autres autour de nous, et que le bien, ce n’est pas ce qui nous plaît, mais ce qui fait du bien aux autres, et que je ne suis pas l’absolu, mais qu’il y a un Dieu qui est universel, absolu, et infiniment plus important que moi.
L’Evangile a dit que l’essentiel, c’est d’aimer Dieu de tout notre cœur et notre prochain comme soi-même. L’opposé de ça, c’est le péché originel et d’oublier à la fois Dieu et les autres. Ce péché est à la base, à la racine de tout péché, finalement, il n’y a pas vraiment d’autre péché que celui-ci, c’est pourquoi on l’appelle « originel ».Cela permet en particulier de bien comprendre les « punitions » de Dieu qui s’en suivent. Comme on peut répugner à penser que Dieu « punisse », ou qu’il soit fâché d’une sorte de jalousie que l’homme prétende se passer de lui, on peut plutôt entendre cela comme des conséquences du mal fait par l’homme. Et c’est bien cela. Quant quelqu’un fait une œuvre, par exemple en particulier s’il rend un service à quelqu’un. S’il regarde l’œuvre accomplie, ou le service rendu, il peut être heureux et se dire qu’il n’a pas perdu son temps. Mais s’il ne regarde que par rapport à lui, il ne verra que la fatigue et la sueur que tout cela lui a occasionné. De même, la femme qui accouche si elle ne pense qu’à elle, si elle se met elle-même au centre de toutes ses préoccupations, elle dira, ce qui est vrai, que l’accouchement est, paraît-il, une des pires douleurs que l’humain puisse endurer. Mais si, se décentrant, elle pense non pas à elle, mais à l’enfant qu’elle met au monde, alors elle pourra dire que c’est là le plus beau jour de sa vie.
Ainsi la Bible a raison, ce n’est pas que Dieu punisse, mais elle avertit que l’égoïsme fondamental, le fait de ne penser ni aux autres, ni au monde, ni à l’universel ni à Dieu est source de peine, de souffrance et d’isolement.
Ensuite, Adam et Eve se font des pagnes de figuier pour cacher leur nudité. Dans la Bible, la nudité, c’est l’imperfection. Et là encore la Bible est juste. Si on prétend se mettre au centre de tout, alors notre imperfection devient insupportable. La première chose qui nous rappelle que nous ne sommes pas Dieu, que nous ne pouvons être le critère universel du bien et du mal dans le monde, là encore le texte le dit bien, c’est que nous sommes mortels. La mort n’est un problème que pour les gens qui se croient plus importants qu’ils ne sont, pour les autres, il n’est question que de transmission, et la mort n’est que laisser la place à d’autres, ce qui est bien. Adam et Eve prétendant être ultimement importants voient donc leur imperfection leur sauter au visage, ils ont honte, et veulent la cacher eux mêmes. Dieu dit que le chemin de la vie, ce n’est pas de se cacher à soi-même son imperfection pour tenter de continuer de la même manière à nier Dieu, mais à accepter son imperfection, et que ce soit un autre, Dieu qui la cache. C’est ce que fait Dieu qui leur confectionne des pagnes de cuir. Ainsi nous sommes imparfaits, mais nous décentrant sur Dieu, nous sommes libérés de la culpabilité de l’être. Dieu lui, qui est le critère absolu et universel nous considère comme bons pour le service et donc nous pouvons continuer d’avancer dans la vie sans crainte... et en prenant toujours garde d’éviter ce péché originel qui n’est jamais derrière nous, mais toujours comme une tentation fondamentale.
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