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Le bonheur des uns fait le bonheur des autres

 

Le bonheur des uns fait le bonheur des autres

 

De tous temps et en tous lieux l’être humain désire être heureux. Alors que notre condition est marquée du sceau de la finitude, que nous devons affronter les difficultés et les aléas de l’existence, la quête du bonheur est une constante. Qu’en est-il du bonheur évangélique ? Les Béatitudes (Mat. 5, 3-12) sont comme une promesse, un souffle qui nous invitent à changer notre regard.

Dans l’Antiquité, être heureux était le privilège des dieux. Cela signifiait qu’ils n’avaient pas à affronter les soucis bassement humains. C’est ce que désigne l’expression « makarios » qui ouvre les Béatitudes, traduit dans la plupart des Bibles par « heureux ». « Béatitudes » vient du latin « beati » béni, mot par lequel débute chacune des paroles de Jésus dans la traduction latine. La traduction pour cette série de paroles a une importance essentielle. « Makarios » est la transcription de l’hébreu « acherei ». Or, ce terme, est polysémique. Il a au moins deux sens, le sens de bonheur mais également celui de mouvement de marche, ce qui a conduit André Chouraqui à traduire par « en marche ». Mais que cela soit « heureux » ou bien « en marche » cela est toujours trop réducteur. Quel que soit le choix, le sens est corrompu. Voici donc quelques propositions qui sont à tisser en ensemble.

« Heureux »

Le poème qui ouvre le sermon sur la montagne est pour le moins paradoxal ! Pour Jésus, sont heureux ceux qui sont à l’opposé du bonheur des dieux : les pauvres, ceux qui pleurent, les affamés…Ce paradoxe a conduit, dès le début du christianisme, à comprendre le bonheur comme une quête spirituelle. Il ne s’agit pas de courir après un bonheur à hauteur d’homme, mais d’un chemin qui nous conduit vers Dieu. D’ailleurs cela sera dit de manière explicite par Jésus dans ce même discours : « cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et toutes choses (matérielles) vous seront données en plus » (Mat. 6, 33). Certes, il serait vain de chercher un épanouissement total ici-bas par nous-mêmes. Dans cette quête nous découvrons que le bonheur nous est donné, offert. Nous découvrons également que pour qu’il y ait bonheur il faut inscrire le manque dans nos existences. Ici la promesse s’adresse à eux : pauvres, affligés, affamés. C’est à partir de ce que nous n’avons pas, de ce que nous ne sommes pas que nous pouvons découvrir le bonheur. C’est à partir de nos failles que nous découvrons le don de Dieu.

« En marche » 

Et cette découverte nous met en route, en marche, le bonheur n’est jamais béat, statique, il est promesse qui nous met en marche. Pour entrer dans le monde de la promesse, il faut être assoiffé de bénédiction. Le bonheur n’est total qu’une fois reçu et partagé. Mon bonheur n’est complet que lorsque je le transmets, lorsqu’il circule. Alors que la quête première est spirituelle, le bonheur promis par Jésus est indissociable des contingences de notre monde et particulièrement du souci de l’autre. Il y a au cœur des Béatitudes une dimension éthique. D’ailleurs elles introduisent le sermon sur la montagne, où Jésus, tel un nouveau Moïse, va interpréter la Loi.

L’éthique proposée va bien au-delà du conventionnel, nous sommes appelés à vivre du don et le partager, ainsi mon bonheur ne prend rien à l’autre, au contraire, il dépend du bonheur des autres. Mais cela va encore plus loin : si l’éthique raisonnable est nécessaire, indispensable, elle n’est jamais suffisante. Ce que Jésus propose n’est pas une loi en plus, mais bien de nous inscrire dans la logique de Dieu, celle du don, et de l’abondance. Don de Dieu, et abandon en sa personne qui vivra cette logique jusqu’à la croix Autrement dit les Béatitudes, en ouvrant le discours de Jésus sur la loi, nous inscrivent dans la promesse, posant l’amour et la foi en premier. Elles illuminent le discours qui va suivre.

Heureux, en marche, comment traduire sans trahir ? Parfois il faut oser s’éloigner du ou des sens premiers pour être juste. En proposant « vivants », Elian Cuvillier, donne une nouvelle saveur au poème.

« Vivants »

Car cette quête du bonheur n’est-ce pas ce qui fait que nous sommes vivants? « Vivants », car nous sommes aimés et appelés à aimer. Vivants, pas au sens strictement biologique, mais vivants physiquement, psychiquement et spirituellement, vivants de cette 2z naissance, que Jésus promet à Nicodème : « Si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. » (Jean 3, 5-6). Ce souffle qui nous rend l’humain, vivants à partir de la poussière (Gn. 2,7). Vivants de ce souffle qui habite notre poème et souffle que Dieu nous donne. Le souffle de l’Esprit de Dieu. C’est par ce souffle que Dieu ouvre nos cœurs  à l’amour, à la confiance à l’espérance. C’est par ce souffle que nous apprenons que nous ne sommes pas abandonnés par Dieu. C’est ce souffle que nous entendons dans les Béatitudes : ces déclarations d’un bonheur si surprenant, si inédit et qui renversent toutes nos perspectives habituelles.  

« Vivants ceux qui pleurent car Dieu les consolera » !

La promesse de Dieu retenti à nouveau à nos oreilles et à nos cœurs. Car nous sommes portés, souvent sans même le savoir, par un amour et une force qui nous surpassent. Un amour et une force qui nous rendent vivants, heureux et en marche pour accueillir la vie avec ses difficultés et ses joies.

Florence Blondon