Cœur ou intelligence pour aimer Dieu ?
2 commandements liés
Dans le sommaire de la Loi, Jésus prononce ces deux commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » (Marc 12 :18-34) C’est la base absolue de notre religion chrétienne. Pourtant, ces deux commandements n’est pas une invention de Jésus : ils se trouvent dans l’Ancien Testament. L’originalité de Jésus consiste d’abord d’avoir choisi pour centre ces deux versets qui se trouvent au milieu de milliers d’autres dans l’Ancient Testament, et puis dans le fait qu'il les relie ensemble comme ne formant qu'un seul: quand dit : « Voici le second commandement qui lui est semblable » (Matt. 22 :39), cela n’est pas dans l’Ancien testament où ces deux commandements se trouvent très loin l’un de l’autre, l’un dans le Deutéronome (6 :5) et l’autre dans le Lévitique (19 :18).
Le premier enseignement de cela, c'est que pour Jésus, l'amour de Dieu est indissociable de l'amour du prochain. Il y a une incarnation de la foi. Il y a l'idée que la foi en Dieu ne peut pas être dissociée du mode de vie que l'on a, de la façon avec laquelle nous interagissons avec notre entourage. La foi n’est pas un sentiment éthéré, mais (ou mais aussi) une manière de vivre.
Comment aimer Dieu ?
Mais revenons au premier commandement d’aimer Dieu, il y a là une curiosité puisque dans le Deutéronome, il y a trois points : coeur, âme et force, alors que dans l’évangile il y a en plus l’intelligence (ou la pensée selon certaines traductions). J’ai pensé que Jésus avait ajouté l’intelligence (dianoia) ce qui me plaisait plutôt : ajouter l'idée d'intelligence dans la foi est très fort et essentiel. Cela va contre tous les discours enseignant que la foi s’opposerait à la raison, répétant la formule de Tertullien : « credo quia absurdum », « je crois parce que c'est absurde », comme si la foi était précisément d’adhérer à ce qui était contraire à la raison. Je suis évidemment très opposé à cette idée et heureux que Jésus le soit aussi puisqu'il dit bien qu'il faut aimer Dieu avec sa dianoia, c'est-à-dire sa réflexion, sa raison et son intelligence.
Mais la question est un peu plus compliquée et Jésus n’a en fait rien ajouté, parce que quand on regarde les traductions grecques anciennes de ce commandement dans le Deutéronome, on voit que les traducteurs ont hésité pour traduire le mot hébreu « LeB ». Dans certaines on trouve « cœur » ce qui est le sens premier, et dans d’autres « intelligence ». La raison en est que le « cœur » dans la Bible n'est pas l'organe de l'affectivité, de la tendresse et de l'émotion comme pour nous aujourd’hui. Le « cœur » dans la Bible, c'est le centre décisionnel de notre existence, la source et l'origine même de de nos actes, de nos convictions, de nos pensées et de nos engagements. C'est pourquoi ce mot est évidemment très difficile à traduire, dans les traductions antiques, ils avaient déjà perçu le danger de traduire LeB par « cardia » ce qui risquait d'être contre-sens et donc qu'ils ont mis « dianoia » qui était plus juste. Quant à l’évangile, il a choisi de mettre les deux : « cardia » et « dianoia ». C'est pourquoi nous avons quatre termes au lieu de trois, c'est juste qu'il y a un mot qui a été divisé en deux.
Aimer Dieu de toute fa force
Mais revenons aux autres termes, qui disent avec la raison les autres manières d’aimer Dieu. D’abord la force. Cela donne une première idée, que l'amour de Dieu n'est pas de l'ordre, de la faiblesse, mais de l'engagement. La foi n’est pas passivité, mais une démarche active. Il y a une dynamique de la foi, et aimer Dieu, c’est s’engager à l'aimer. Aimer Dieu c'est un tour de force, c'est un combat, une énergie, une démarche volontaire.
Ensuite, la force, c’est la force physique, vitale, voire celle du combat. Aimer Dieu, ce n’est pas rester dans son lit à prier ou dans son canapé à attendre que la foi vienne, mais s’engager pour lui, agir pour lui, concrètement, dans le monde. On retrouve là l'idée de l'amour du prochain sur lequel Jésus a insisté en ajoutant le second commandement qui en fait est déjà présent dans le premier. Et la mention de la force avec laquelle nous devons aimer Dieu est la dernière mentionnée, comme pour dire qu’en fin de compte c’est le but, c’est ce à quoi doit aboutir en fin de compte le fait d’aimer Dieu.
Mais il y a encore une particularité dans le texte hébreu du Deutéronome. Le mot utilisé là pour désigner la « force » n’est pas le mot normal qui est « Oz », mais « MeOD », qui n’est jamais traduit par « force » nulle part ailleurs, ce sont, une fois encore, les traducteurs antiques de la Septante qui ont eu l’idée ici précisément de mettre « dynamis », c’est à dire « force ». Normalement, « MeOD », signifie « beaucoup », et désigne l'abondance et aussi la richesse, le bien. Il y a donc l'idée d'aimer Dieu avec tout ce que nous avons en abondance, ce qui fait notre force. Alors quelle est votre force ? Si c’est la prière et aimez Dieu de toute votre piété. Si c'est l'action sociale aimez Dieu de tout votre engagement social. Votre force est-elle la parole, prêchez et témoignez. Engagez-vous donc à aimer Dieu par la parole, l’amour du prochain, la prière, l'engagement, le partage, la vie sociale, par votre argent même, ou tout ce qui fait votre force, votre richesse et que vous vouliez bien que vous mettez au service de Dieu. Aimer Dieu, c'est mettre à son service tout son bien, tout ce qui fait notre puissance originale.
Aimer Dieu de toute son âme
Et enfin il faut aimer Dieu de toute son âme, là il n'y a pas de doute, pas d'hésitation, ni dans les différentes versions, ni dans les traductions, c'est toujours « NePheS » - « Psyché ». L'âme dans la Bible, c'est la source de vie, le souffle vital. L'âme, c'est cet air que je reçois et qui me fait vivre. Et il y a là quelque chose de particulier, c’est que l'âme n'est pas notre fait, elle est reçue, donnée par Dieu. L'âme, c'est l’esprit, donné par Dieu pour que je vive. Et il y a ainsi cette autre dimension dans l’amour de Dieu qui est ce que je ressens trouvant en lui une source de vie, de paix, une source de bien-être, de consolation, d'amour, de joie. Sans Dieu, je mourrais parce que j'ai tellement de douceur dans cette présence de Dieu. Et quand je suis malmené par les tempêtes de la vie, quand je suis incompris, jugé, rejeté, je trouve toujours en Dieu celui qui me reçoit, qui m'accueille, qui me comprend et qui apaise les battements de mon cœur et qui régule ma respiration, il me protège Il y a en Dieu cette foi au sens affectif, comme nous l'entendons aujourd'hui en français courant de l'amour de Dieu. C’est ce lien vital du croyant qui est branché sur Dieu, comme un appareil électrique branché sur du courant, je suis branché sur Dieu et là je suis inébranlable. C’est le sentiment religieux que tout le monde ne connaît pas, mais qui est si bienfaisant et merveilleux pour ceux qui savent le ressentir.
Ordre des trois ?
Et donc, voici les trois dimensions de la relation à Dieu. L'engagement, je vous l'ai dit, bien sûr, l'amour du prochain. Et puis, ces deux autres qui sont l'amour intellectuel, la raison, les valeurs, et l'amour spirituel ou affectif, sensible.
Évidemment, personne n'est parfait et aucun de nous n'est capable de dire qu'il a en perfection ces trois dimensions de l'amour en Dieu. Nous sommes meilleurs dans un domaine ou meilleurs dans un autre, voire très bons dans deux domaines et pratiquement totalement incapables dans le troisième. On fait ce qu'on peut et il n'y a pas de jugement, mais il est bon de garder ce triple amour comme un idéal vers lequel nous sommes appelés à tendre pour progresser toujours.
On peut enfin voir comment hiérarchiser ces différentes formes d’amour. La force est toujours en dernier : l'amour du prochain qui est en lien avec l’action et la force est toujours en bout le ligne, c’est finalement ce à quoi il faut tendre. Restent ces deux amours de Dieu par l’intelligence ou par l’âme.
L'amour de Dieu, par l'intelligence, par la parole est ce qui oriente nos choix, la réflexion, les valeurs ; et l’amour affectif, la relation riche et féconde, la foi vécue avec ce Dieu de tendresse. Celui évoqué en premier est l’amour intellectuel. Celui de l’âme vient ensuite.
Cela correspond à ce que l’on trouve dans le Cantique des cantiques où ces deux formes d’amour sont aussi évoquées. Il est dit au début du livre en parlant à Dieu : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». Donc il lui demande sa Parole, puis « ton amour vaut mieux que le vin ». Le vin dans la tradition juive représente la Torah, la Loi, la parole de Dieu entant qu’elle est source d’esprit et de vie. Le Cantique des cantiques affirme donc que l'amour de Dieu vaut mieux que le vin : la foi intellectuelle est certes très bonne et il demande au début à Dieu de lui parler par sa bouche, mais affirme ensuite que cela ne vaut pas tant que l'amour de Dieu. Cependant, le texte est ici ambigu, on pourrait entendre le texte autrement et lire non pas « ton amour est bon plus que le vin » mais « ton amour est bon, à partir du vin ». Et c'est donc à partir de cette parole, de cette intelligence que je peux découvrir que Dieu m’aime. Il y a la parole d'abord et l'amour ensuite, par la parole de découvre l’amour de Dieu.
Un peu plus loin dans ce même livre, il est dit « Ta main gauche soutient ma tête et ta main droite m’embrasse » (Cant 2:6). Nous avons là les des deux mains de Dieu, l'une qui soutient ma tête, c'est-à-dire mon intelligence, ma pensée, ma réflexion, ma raison, et l'autre qui m'embrasse, qui m’enlace tendrement et qui soutient ma vie, par l’amour qu’il nous donne. Il n'a pas échappé aux commentaires que Dieu ait ces deux mains, la gauche et la droite, se complètent, mais que la meilleure (la droite) est quand même celle de l’amour ! On a la même chose dans le le tableau de Rembrandt, représentant le père accueillant son fils prodigue et qui est montré avec une main plus grosse que l’autre, l’une virile, de force, et l’autre féminine, de tendresse. La droite, c’est la tendresse. C’est la meilleure ! Et donc c'est bien la relation à Dieu qui est essentielle, qui est primordiale. Mais on remarque aussi dans le texte que la main de la tête est citée en premier, « Ta main gauche soutient ma tête et ta main droite m’embrasse ». Il y a donc un ordre, non pas d'importance cette fois, mais chronologique, qui fait que c'est quand même la main de la tête qui est première. L'autre, elle est sans doute meilleure, toute douce parce qu'elle apporte tant, mais elle ne serait pas sans la parole et l’intelligence.
On a le même chose dans cette présentation, dans le tarot de Marseille, cette lame représentant l’amour et on voit un personnage entouré de deux amours : l’un qui lui touche l’épaule, et l’autre le ventre. Là encore le personnage qui a sa main proche de la tête est celui de gauche, et celui qui va vers les entrailles est celui de droite. Quant au petit ange, ce qu’il pointe avec sa flèche est l’amour du cœur.
Et pour le personnage qui soutient l’intelligence, son autre main pointe vers le sol, et celui qui touche le cœur, son autre main indique le ventre, c’est-à -dire la fécondité et l’éternité. On peut en déduire que l’intelligence est bonne, mais qu’elle passera, la théologie passera, et la réflexion intellectuelle est purement terrestre. Mais ce qui demeurent éternellement, c’es l’amour, c’est cela qui est fécond et durable. Ainsi que le dit Paul dans sa célèbre lettre aux Corinthiens (1 Cor 13) tout passera, les langues, la connaissance, les prophétie... choses humaines et toujours imparfaits, mais ce qui demeurent éternellement, c’est la foi, l’espérance et l’amour, et la plus grande, c’est l’amour.