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La Transfiguration

Prédication prononcée le 21 avril 2013, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

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La fête des tentes ou des cabanes

Lors de la transfiguration, les disciples montent sur un montagne avec le Christ et ils le découvrent autrement. Selon l’habitude biblique, le lumineux et le vêtement blanc, ce sont les attributs des anges, des porte-parole de Dieu, et cela est confirmé par la voix venant du ciel : « Ecoutez le ». Les disciples voient donc Jésus non plus simplement un compagnon, mais comme le messager de Dieu, comme son fils, celui qui incarne sa parole. Ce qui est changé, ce n’est pas Jésus, mais son apparence, la manière avec laquelle ils le voient, et il est vrai qu’il y a certainement un travail à faire pour passer du Jésus historique à celui de la foi. Ce qu’a fait, dit, ou été Jésus, sa manière d’être comme être humain n’ont pas beaucoup d’intérêt, ce qui compte, c’est de voir la parole séminale dont il est le porteur. Et pour cela, il y a une chose à faire, accepter de monter avec lui sur la montagne, c’est-à-dire à la rencontre de Dieu.

Mais pour comprendre plus en profondeur ce qui se passe dans ce récit, et ce qu’il peut signifier, on peut partir du fait qu’il s’agit évidemment d’une allusion à une grande fête juive qui est la fête des tentes, (ou des huttes, ou des cabanes), appelée par les juifs : « fête de Souccot ». Une souccah, c’est un abri, une tente, en effet, ou une cabane, et la fête est là pour célébrer le premier campement du peuple juif au sortir d’Egypte. Cette fête est très importante dans le judaïsme, elle fait partie des trois grandes fêtes de pélerinage à Jérusalem avec Pâques et Pentecôte, toutes trois ayant rapport à la sortie d’Egypte. Ce qui est curieux, c’est que le christianisme a récupéré les fêtes de Pâques et de Pentecôte en les réinterprétant, mais a totalement abandonné celle de Souccot, alors qu’elle est d’un grand intérêt.

Souccot célèbre donc le début de l’Exode, le premier campement du peuple libéré d’Egypte et qui se lance dans une aventure hasardeuse d’un cheminement dans le désert, mais avec la certitude d’être guidés par Dieu, et sous sa main protectrice. Pendant cette fête, les fidèles juifs doivent construire une cabane et y passer un certain temps, la particularité de la construction étant qu’à travers le toit on puisse voir le ciel. L’idée c’est en fait de faire une cabane qui ne protège de rien pour montrer que nos calculs humains, nos assurances matérielles sont en fait inefficaces et que nous devons nous en remettre à la grâce de Dieu, et compter sur sa providence seule pour nous conserver et nous guider. La fête de Souccot, c’est donc la fête de la confiance en Dieu en particulier devant une vie qui s’ouvre devant nous toute pleine d’incertitudes et de dangers.

Juste après leur sortie d’Egypte, le peuple sera au pied du Sinaï, là la loi leur sera donnée par Moïse, lui-même étant alors transfiguré nous dit le livre de l’Exode (ch. 34). Nous avons donc là dans notre texte tous les éléments de Soukkot.

La Transfiguration : Une Nouvelle Lecture de la Loi et des Prophètes

L’épisode de la Transfiguration s’inscrit dans une continuité avec la fête juive de Soukkot, tout en introduisant une transformation radicale de son sens. On y retrouve plusieurs éléments caractéristiques de cette célébration : la montagne, les cabanes (ou tentes), la figure de Moïse, et un moment de révélation divine. Toutefois, un déplacement s’opère, une nouvelle conception des choses émerge, donnant une portée inédite à ces symboles.

Au début, tout semble cohérent avec l’Ancien Testament. Jésus se trouve sur une montagne, il est entouré de Moïse et d’Élie, figures emblématiques de la Loi et des Prophètes. Cette scène fait écho à la fête de Soukkot, qui rappelle non seulement l’Exode et les tentes des Hébreux dans le désert, mais aussi le don de la Torah. Dans la tradition juive, cependant, on considérait que l’esprit prophétique s’était éteint et que Dieu ne parlait plus.

Or, dans cette scène évangélique, un nouveau protagoniste prend place : Jésus. Il ne se contente pas d’écouter Moïse et Élie ; il dialogue avec eux, à égalité. Progressivement, un basculement s’opère : Moïse et Élie disparaissent, laissant Jésus seul. Il ne se juxtapose pas à eux, il les dépasse et les remplace.

Pierre, dans son enthousiasme, propose de dresser trois tentes pour Moïse, Élie et Jésus, comme pour figer cette rencontre dans la tradition juive. Mais ce n’est pas ainsi que l’événement doit être compris. Jésus n’est pas une figure supplémentaire aux côtés de la Loi et des Prophètes ; il les accomplit et les dépasse. Il est le nouveau Moïse, transfiguré comme lui sur la montagne.

Un autre signe de rupture apparaît : Dieu parle à nouveau. Mais cette fois, il ne s’adresse plus à Moïse ; il désigne Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ». Il n’y a plus de tables de pierre, plus de Loi gravée dans la matière, mais une parole vivante en Jésus. Il n’y a plus un code à suivre, mais une relation personnelle à établir, une présence à écouter.

Même les prophètes trouvent leur accomplissement en lui. La lumière qui émane du Christ rappelle celle du Buisson Ardent, ce feu qui ne se consume pas et dans lequel Dieu s’était manifesté à Moïse. Désormais, cette lumière n’est plus extérieure : elle est en Jésus, qui devient la présence même de Dieu au milieu des hommes.

Cet événement appelle à une démarche spirituelle : pour comprendre cette révélation, il faut, comme les disciples, monter sur la montagne et prier avec le Christ. C’est dans cette ascension, dans ce retrait du monde, que l’on peut saisir le véritable sens de la Transfiguration : Jésus est la Nouvelle Alliance, la Parole vivante qui accomplit et dépasse l’ancienne, invitant chacun à entrer dans une relation directe avec Dieu.

Soukkot et la Transfiguration : Une Invitation à la Confiance

La fête de Soukkot célèbre la libération de l’exil et de l’esclavage. Elle rappelle aux croyants que le salut passe par une confiance totale en Dieu, même dans la précarité. Vivre sous des cabanes fragiles, sortir de chez soi pour s’en remettre à Lui seul : telle est l’expérience du peuple hébreu au désert. Soukkot invite ainsi à un voyage, à un Exode, qui n’est pas seulement physique mais aussi spirituel.

Ce thème du voyage se retrouve dans l’épisode de la Transfiguration. Jésus s’entretient avec Moïse et Élie, et l’évangile utilise ici un mot clé : « Exôdos » (Luc 9,31), souvent mal traduit par « départ ». Or, ce terme évoque directement l’Exode biblique. Jésus sait qu’il doit avancer vers Jérusalem, où l’attendent trahison, souffrance, passion et mort. Il accepte cette épreuve, non par fatalisme, mais dans une confiance absolue en Dieu. Car le dessein divin ne s’arrête pas à la croix : il vise la résurrection, une sortie victorieuse de la mort, tout comme Israël est sorti d’Égypte lors de la première Pâque.

Soukkot est avant tout une fête de la confiance en Dieu, et cette confiance, qui soutient le Christ, vaut aussi pour nous. Pierre, témoin de la scène, propose d’ériger trois tentes pour Jésus, Moïse et Élie. Il perçoit que quelque chose de grand est en train de se jouer, que ce moment marque le commencement d’un voyage où Dieu va intervenir pour sauver. Mais il pense encore que cela ne concerne que Jésus et quelques élus.

Or, Jésus refuse cette vision restreinte du salut. Au lieu de trois tentes individuelles, une nuée survient et enveloppe tout le monde. Cette nuée, symbole de la présence divine, rappelle celle qui guidait le peuple au désert. Elle signifie que la grâce de Dieu n’est pas réservée à une élite : elle est offerte à tous. Il ne s’agit pas d’avoir chacun sa propre cabane de protection, mais de reconnaître que Dieu dresse lui-même une demeure commune, une habitation pour tous ceux qui s’approchent du Christ.

La disparition de Moïse et Élie souligne un message essentiel : même si nous ne sommes pas parfaitement obéissants ou fidèles, même si nous ne sommes pas des figures exemplaires de la foi, la présence de Dieu demeure. Elle ne dépend pas de notre mérite, mais de notre attachement au Christ.

En lui se trouve la véritable force, l’aide inespérée qui nous soutient dans nos épreuves. Ce secours extraordinaire, cette lumière qui éclaire notre marche, ne peuvent être pleinement connus qu’en s’approchant du Christ. Car si Dieu l’a sauvé de la mort, c’est aussi pour nous entraîner avec lui, nous offrant la même espérance : la résurrection, la vie éternelle et la certitude de sa présence à nos côtés.

Partir avec le Christ : Un Exode de Confiance

S’engager à suivre le Christ, c’est accepter de partir avec lui dans un véritable Exôdos, une sortie, un passage, une transformation. Son chemin vers Jérusalem semblait être le pire, marqué par la souffrance, la trahison et la mort. Pourtant, il se terminera bien, non par l’évitement de l’épreuve, mais par sa transfiguration, sa victoire sur la mort.

C’est pourquoi Jésus demande à ses disciples de ne pas parler de ce qu’ils ont vu sur la montagne. Ils n’étaient pas encore prêts à comprendre. Sans la croix et la résurrection, cette révélation aurait semblé absurde, incompréhensible. Car Dieu ne supprime pas le mal du monde, il le dépasse, il le transforme en bien. Telle est la dynamique de l’espérance chrétienne : non pas nier la souffrance, mais lui donner un sens, la traverser avec confiance.

Cette même confiance est offerte à chacun de nous. La Transfiguration n’est pas une expérience réservée à Moïse, Élie et Jésus ; elle est destinée à tous. La Providence qui a soutenu le Christ nous est également donnée. Nous aussi, nous sommes appelés à sortir du mal, à avancer, à entrer dans une nouvelle création.

Marcher Vers l’Inconnu, avec Foi

Suivre le Christ ne signifie pas rejeter le passé, mais s’appuyer sur lui pour aller de l’avant. Comme Jésus n’a pas rejeté Moïse et Élie mais a dialogué avec eux avant de les laisser s’effacer, nous ne devons pas nier ce qui a été, mais le dépasser pour avancer.

Il est dangereux de rester figé dans l’attente ou dans la nostalgie. L’Exode d’Israël en est le modèle : le peuple devait être prêt à partir à tout moment. À Soukkot, on commémore cette capacité à voyager léger, à ne pas s’attarder. Car la route est longue. Quarante ans dans le désert, c’est toute une vie. Aucun des premiers voyageurs n’est entré dans la Terre Promise, mais cela n’avait pas d’importance : l’essentiel était d’être en route, de marcher, de se rapprocher de Dieu.

C’est aussi ce que signifie la foi : croire que Dieu nous guide, être prêt à le suivre. Il n’impose rien, il n’oblige pas. Il appelle simplement, et nous laisse libres de répondre. Veiller et prier, c’est être disponible pour ce départ, même sans savoir exactement où il nous mènera. L’important n’est pas d’avoir un itinéraire précis, mais d’avoir confiance et d’avancer.

Voir Notre Histoire à la Lumière du Christ

La Transfiguration ne change pas la nature des choses, mais leur apparence. Dieu n’efface pas les événements, mais il transforme notre regard sur eux. Ce qui semblait insupportable peut devenir lumineux ; ce qui paraissait un chemin de ténèbres peut être un chemin de gloire.

Le Christ est cette lumière qui éclaire toute chose. À sa lumière, nous pouvons relire notre propre histoire, non plus comme une succession d’épreuves, mais comme un chemin de transformation. Il ne supprime pas les difficultés, mais il nous apprend à les traverser différemment.

C’est ainsi que notre voyage devient autre chose qu’une source d’angoisse. Il devient un chemin de confiance. Dieu pourvoira à tout. Où que nous allions, il sera là. Ce chemin, même s’il est semé d’embûches, peut être un chemin de lumière, de joie, de vie. Il peut être bordé de lait et de miel.

N’ayez pas peur de partir. N’ayez pas peur de l’avenir. Dieu est avec vous, il vous couvre de sa nuée, il vous inonde de sa lumière.

Mais il faut se lever, il faut marcher. La seule chose terrible serait de rester immobile, paralysé par la peur.

La vie est devant. Relevez-vous, et en route ! Le Christ vous guidera vers des verts pâturages et vers des eaux paisibles.


Luc 9:28-36

Huit jours environ s'écoulèrent après qu'il eut dit ces paroles, puis Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur. Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie, qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ qui allait s'accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais ils se tinrent éveillés et virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui. Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. Il ne savait ce qu'il disait. Comme il parlait ainsi, une nuée vint les envelopper, et les disciples furent saisis de crainte, tandis qu'ils entraient dans la nuée. Et de la nuée sortit une voix, qui dit : Celui-ci est mon Fils élu : écoutez-le. Quand la voix se fit entendre, Jésus se trouva seul. Les disciples gardèrent le silence et ne racontèrent à personne, en ces jours-là, rien de ce qu'ils avaient vu.

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