Les tentations du Christ
Prédication prononcée le 5 octobre 2003, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Luc 4:1-13
En lisant ce texte, on pourrait se demander si Dieu mettrait des embûches dans l'existence du Christ pour voir s'il est bien digne d'être le Messie. Mais non, en regardant quelles sont ces tentations l'on remarque que ce récit ne parle pas des choses terribles qui frappent malheureusement la vie humaine, comme la maladie, les catastrophes... Ailleurs Jésus se bat contre ce genre de choses, ici il se bat contre des tentations intérieures, il se bat contre la part de lui-même qui est encore rebelle à Dieu. Contre cette voix qui en lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, fais ce prodige... Si tu es Fils de Dieu, fais n'importe quoi, et Dieu viendra à ton secours... »
Le propre de l'être humain est qu'il ne naît pas complètement achevé, il naît comme un être appelé à devenir pleinement humain. Cette croissance ne va pas de soi, elle est effectivement un combat contre toutes les idolâtries, les égoïsmes et les paresses qui sont en nous. Pour devenir le Christ, comme Dieu l'appelle à l'être, il faudra que Jésus surmonte et dépasse un certain nombre de tentations, comme nous le voyons là.
Bien sûr, ces tentations ne se sont pas forcément concentrées à un instant donné, mais les rédacteurs ont en quelque sorte condensé là toute une démarche de l'existence du Christ, ont été réunis là d'une façon synthétique, en trois exemples, le type même des tentations les plus graves qu'il a dû éviter. Ces tentations ne sont d'ailleurs pas propres au Christ, tout croyant est soumis de la même manière à ces risques de dérive. Et nous tous, nous sommes aussi sans cesse menacés de chuter et de nous égarer ainsi loin de notre vocation.
Avec ce texte, nous pouvons suivre Jésus dans ce processus de croissance de l'être. Nous pouvons voir comment entrer dans ce combat décisif contre cette part de nous-mêmes qui est encore rebelle à Dieu, et comment sortir victorieux de cette épreuve.
La première chose que l'on peut noter, c'est que ces tentations arrivent à Jésus après un jeune de 40 jours. Il n'est pas certain qu'il faille penser que ce jeune ait été en soi quelque chose de négatif ou d'éprouvant. Au contraire, cette retraite lui a permis d'affronter clairement les choix de sa vie, et ça c'est excellent. Il faut bien, en effet, un jour ou l'autre, se poser les questions essentielles de son existence, faire le point, prendre sa vie à bras le corps. C'est le sens du jeûne. Par principe nous n'avons pas de pratiques religieuses imposées, chacun étant libre de déterminer pour lui-même ce qui est bon pour sa propre progression spirituelle. Mais ce texte peut nous rappeler qu'il est bon quand même que chacun se trouve des temps de retraite où il puisse mener ce combat intérieur qui le grandit en le rapprochant de Dieu. S'il a été nécessaire à Jésus lui-même de se retirer dans le désert et de jeûner 40 jours, nous avons certainement aussi besoin de prendre des temps de recueillement, et de choisir une pratique propre à faciliter notre épanouissement et notre croissance spirituelle. Peut-être sera-ce 40 minutes de solitude pour lire la Bible et prier. Peut-être sera-ce seulement 4 minutes par jour pour les plus rapides d'entre nous ? Mais si nous ne prenons pas la peine de nous affronter aux questions de notre existence, ce sera notre absence de choix qui déterminera à notre place le cours de notre vie, et d'une certaine manière nous cesserions alors d'être les sujets de notre existence.
Jésus se trouve ainsi en face de choix essentiels, concernant sa vie. On peut Lire à partir du point de vue de cette première question : « Qui ou quoi voulons-nous servir ? ». Voulons-nous concevoir notre vie comme étant au service de notre ventre, c'est-à-dire de nos propres désirs terrestres, humains ou animaux ? Voulons-nous nous prosterner devant le Diable pour avoir le pouvoir ?, c'est-à-dire être prêt à tout pour avoir plus de pouvoir, d'importance dans la société, d'argent et possessions ?... Voulons-nous ne servir rien du tout... en se laissant aller, et en pensant que c'est à Dieu de tout faire... ou voulons-nous servir Dieu ? C'est là une question fondamentale. Et servir Dieu, c'est se mettre au service de l'amour, de la paix, de la justice, de la lumière et de la vie dans ce monde. On pourrait même d'ailleurs résumer ces trois tentations en une seule : Voulons-nous servir Dieu, c'est-à-dire un idéal, ou voulons-nous concevoir toute chose, Dieu, le monde et les autres comme devant être à notre service ?
Ces trois interrogations qui nous sont posées comme elles l'ont été à Jésus peuvent se décliner dans bien des domaines : Par exemple, celui de l'écologie, est-ce que le monde et la nature sont là juste comme un bien de consommation ? est-ce qu'ils sont là juste pour que nous les dominions, est-ce que nous pouvons tout faire en pensant que la nature elle-même réparera et compensera toutes nos erreurs et nos manquements ? L'Evangile est formel, tant que nous répondons oui à l'une ou à l'autre de ces questions, nous manquons à notre vocation.
On peut aussi se poser ces questions dans le domaine de nos relations inter-humaines. Là aussi, si nous voulons arriver à des relations équilibrées et heureuses avec nos proches, il faut absolument éviter ces trois obstacles graves : celui de ne voir l'autre que par rapport à la satisfaction qu'il nous procure, de voir l'autre comme un objet de domination, et enfin de penser que l'on peut faire n'importe quoi, et que c'est à l'autre de faire le chemin et de tout réparer.
Mais peut-être qu'en fait, le message central est quand même la question de la juste relation à Dieu. En effet, le Christ est montré comme étant dans le désert, puis sur une haute montagne, puis sur le temple de Jérusalem, or, tous ces lieux sont, dans la Bible, connus pour être des lieux symboliques de la présence de Dieu. Bien entendu, personne ne pense que Jésus a été transporté de façon magique (par le Diable ou par l'Esprit) successivement dans le désert, sur une montagne si haute que l'on peut voir de son sommet la terre entière, et encore moins qu'il ait été transporté sur le toit du Temple de Jérusalem... Ce n'est pas ce que nous dit ce texte. Ces trois images du désert, de la haute montagne et du Temple insistent toutes les trois sur le fait que Jésus vit cet épisode et ces questionnements dans ce qui concerne précisément sa foi, sa propre relation à Dieu.
Jésus entre alors en combat contre ce qui en lui-même est encore orgueilleux et idolâtre. Il doit dépasser des conceptions archaïques et stériles de Dieu pour que sa foi soit vivante efficace, réaliste et positive.
Le fait est qu'il ne suffit pas de croire en Dieu pour que tout soit bon et bien. Il y a des tentations même dans la foi, et il existe des modes de relation à Dieu qui sont pervers. Certaines conceptions de Dieu sont des impasses. Nous avons donc là une sorte de leçon de théologie de base. Au commencement de l'Evangile, les évangélistes mettent les choses au clair. Avant d'aller plus loin, et de découvrir vraiment l'Evangile, il faut purifier sa foi d'un certain nombre de tentations bien humaines concertant ce que nous pourrions attendre de Dieu.
La première tentation à éviter à tout prix, c'est de penser que Dieu serait là pour satisfaire nos désirs ou même nos besoins matériels. Si tu es fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu'elle devienne du pain... Il est effectivement bien tentant de croire que si nous sommes enfant de Dieu alors nous pouvons lui demander des choses matérielles, surtout si elles sont vitales, comme là la nourriture... Mais justement, Dieu n'est pas là pour ça. L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ce que Dieu peut nous donner, ce n'est pas n'importe quoi, mais sa parole. C'est de ça que nous avons fondamentalement besoin, d'une parole d'amour, de pardon, d'espérance, de grâce et de paix. C'est cela et cela seulement que nous devons attendre de Dieu, et qui doit être l'objet de nos prières et de nos demandes. Tout le reste ne nous est que soufflé par le Diable pour nous éloigner de l'essentiel .
La deuxième tentation, c'est de faire des concessions dans notre foi. De ne pas servir que Dieu, mais de se mettre aussi au service d'autres choses, plus ou moins mauvaises dans le but de mieux réussir matériellement. Pourquoi en effet, ne nous mettrions nous pas, parfois, un peu au service de l'intérêt, du pouvoir, de l'argent, de la réussite... Mais la réponse de Jésus est nette et sans appel, tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul... Oui, il faut savoir ce que l'on veut, et ce que l'on privilégie dans sa vie, il faut savoir en quoi l'on croit, et refuser toute concession. La foi ne se partage pas, on ne peut pas être à moitié croyant, à moitié honnête, à moitié fidèle... Jésus dira de même : (Matthieu 6:24) Nul ne peut servir deux maîtres, car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre; ou il s'attachera à l'un, et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.
La dernière tentation est encore plus perverse que les autres, parce que cette fois, le Diable cite lui-même l'Ecriture. Il appuie sa suggestion diabolique par un verset de la Bible. Cela montre l'usage mauvais que l'on peut faire de l'Ecriture. En citant un verset hors du contexte global de l'Ecriture on peut dire n'importe quoi. L'Ecriture n'est pas une réserve de maximes à appliquer telles quelles sans réfléchir, mais une parole vivante qui est là pour nous nourrir et nous faire réfléchir. C'est donc en quelque sorte une façon de montrer que le fondamentalisme peut être proprement démoniaque et tout à fait opposé à la volonté de Dieu. Par ailleurs, il est vrai, encore aujourd'hui, que bien des gens qui veulent faire un usage autoritaire de l'Ecriture arrivent à une conception d'un Dieu tout-puissant dont on peut attendre des prodiges extraordinaires. Et là aussi le Christ s'oppose à cela : il ne faut pas attendre tout et n'importe quoi de Dieu, nous sommes responsables de nous-mêmes et du monde, et notre foi ne doit pas nous dispenser d'agir et de nous sentir responsables dans ce monde. Il est facile de dire que Dieu pourrait arrêter les guerres, guérir toutes les maladies etc... mais cela c'est de la responsabilité de l'homme. Il faut, là encore, ne pas tout mélanger, savoir ce qui dépend de nous, et ce que nous pouvons attendre de Dieu. Que ce serait-il passé si le Christ s'était effectivement jeté du sommet du toit du Temple ? Personnellement, je crois qu'il se serait tout simplement écrasé par terre, et que sa destinée de Messie se serait arrêtée là...
Finalement, on pourrait presque résumer tout cela en disant que tout est de près ou de loin une question de service. De savoir qui nous voulons servir, soit Dieu, ou autre chose dans ce monde, et par rapport à Dieu, d'éviter de considérer Dieu comme étant à notre service, mais plutôt nous comme étant ses serviteurs.
Si souvent nous demandons des choses à Dieu, nous l'appelons à nous servir, à faire ceci, et encore cela... Même si c'est n'est pas toujours pour nous-mêmes que nous demandons des choses : Dieu n'est pas notre serviteur. Nous n'avons pas à nous considérer comme au dessus de Dieu au point de lui donner des ordres, mais au contraire nous mettre à son service pour servir nos frères et soeurs, selon l'appel que Dieu nous adresse, conformément à nos aspirations et à ce que nous sommes. Seulement pour connaître sa volonté, pour apprendre à la désirer et à l'aimer, pour recevoir de lui la force de nous mettre humblement au service de cette vocation qu'il nous adresse... Pour être capable de tout cela, Jésus a eu besoin de ces 40 jours dans le désert, temps de jeûne et de méditation de la Parole de Dieu qui lui permettront de se constituer par un combat victorieux.
Puis le texte de Matthieu nous dit qu'après ce triple combat de Jésus, des anges vinrent pour le servir. Sa victoire sur lui-même l'amène à renoncer à se faire servir par Dieu pour devenir serviteur de Dieu en étant notre serviteur à tous. Et paradoxalement ce qu'il a renoncé à demander va lui être donné, les anges de Dieu viennent le servir. Il ne faut évidemment pas imaginer que des créatures ailées (et zélées) venaient lui servir le thé ou lui cirer ses sandales... le mot ange, qui a la même origine que le mot évangile, veut dire le messager, le porteur de la parole de Dieu. Ainsi, ce qui aidait le Christ à croître et à ne pas succomber dans l'épreuve, c'était la parole de Dieu, ce que nous trouvons dans la Bible et dans la prière.
Notre Père, ne nous laisse pas succomber dans la tentation !
Amen.
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Luc 4:1-13
1Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et fut conduit par l’Esprit dans le désert, 2où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là et, quand ils furent achevés, il eut faim. 3Alors le diable lui dit : Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre de devenir du pain. 4Et Jésus lui répondit : Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement.
5Le diable l’emmena plus haut, lui montra en un instant tous les royaumes du monde 6et lui dit : Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été remise, et je la donne à qui je veux. 7Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. 8Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et, à lui seul, tu rendras un culte.
9Le diable le conduisit encore à Jérusalem, le plaça sur le haut du temple et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; car il est écrit :
10Il donnera pour toi des ordres à ses anges
Afin qu’ils te gardent ;
11Et :
Ils te porteront sur les mains,
De peur que ton pied ne heurte une pierre.
12Jésus lui répondit : Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu.
13Après avoir achevé de le tenter, le diable s’éloigna de lui jusqu’à une autre occasion.