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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Prédication prononcée 7 mars 2004 sur les antennes de France Culture (Présence Protestante)

par le Pasteur Louis Pernot

Savoir comment prier est quelque chose plus compliqué qu'il n'y paraît. C'est vrai d'abord pour tous ceux qui ont du mal à prier. Pour ceux-là, il faut expliquer de quoi il s'agit et comment l'on fait. Et pour ceux qui prient naturellement, il est certainement important aussi de bien réfléchir. En effet, la spontanéité n'est pas toujours gage de vérité ou de qualité, et l'idolâtrie, comme la superstition sont des dérives qui nous menacent tous.

Ceux qui sont chrétiens ont de la chance, en effet, le Christ lui-même a donné un enseignement tout à fait explicite sur la prière que l'on trouve dans l'Evangile de Matthieu au chapitre 6: (v5-13)

Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense.

Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

Voici donc comment vous devez prier:

Notre père, celui du Ciel

Que sanctifié soit ton nom,

Qu'arrive ton règne

Que soit faite ta volonté

Comme au Ciel, ainsi soit la Terre.

Donne-nous aujourd'hui notre pain de demain,

Remets nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent,

Ne nous laisse pas entrer dans la tentation,

Et même délivre nous du malfaisant.

Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!

De l'enseignement de Jésus que l'on vient d'entendre, on peut apprendre plusieurs choses essentielles.

La première, et la plus simple, est ce que dit Jésus de ne pas prier sur les places pour être vu etc... La prière, ce n'est pas quelque chose que l'on ferait « pour faire bien », mais quelque chose qui est de l'ordre de l'intime, et qui apporte à celui qui prie parce qu'il se met dans une relation personnelle avec Dieu.

Ensuite, Jésus condamne la prière des païens qui pensent qu'à force de réclamer à Dieu ils finiront par être exaucés. Car,dit-il, « Dieu sait très bien de quoi vous avez besoin avant même que vous le lui demandiez ». Cela nous prend certainement plus de front dans notre propre pratique. En effet, pour beaucoup de gens, la prière c'est avant tout de la demande. D'ailleurs, dans le langage courant, une prière, c'est une réclamation, comme l'on dirait : « prière de s'essuyer les pieds avant d'entrer... » Et pour beaucoup de chrétiens, prier, c'est demander, demander et demander à Dieu en pensant que finalement Dieu fera ce qu'on lui demande. Mais si l'on veut bien entendre cet enseignement de Jésus sans chercher à en tordre ou à en masquer le sens, il faut bien penser que finalement ce genre de prière de demande, ou de réclamation, c'est fondamentalement un type de prière païen. Bien sûr, il peut y avoir une place pour une certaine demande dans la prière, mais pas pour demander n'importe quoi. Dieu n'est pas avant tout un distributeur de chances, de bonnes choses, ou de cadeaux. Cadeaux qu'il ne donnerait qu'à ceux qui auraient fait preuve d'assez de foi et de persévérance dans la prière. Il est vrai que le Notre Père nuancera cela, en montrant qu'on peut demander certaines choses à Dieu, mais justement pas n'importe quoi. L'exemple du Notre Père est précisément donné par Jésus pour montrer ce que l'on peut demander et comment il convient de demander.

Mais à propos de ces prières de demandes, que penser de ceux qui par un bel élan de compassion prient, ou font des réunions de prière pour demander des choses à Dieu, comme la paix ici ou là dans le monde par exemple. Une certaine conception de la prière d'intercession qui voudrait nous faire croire qu'il faudrait demander des choses à Dieu, avec le plus de ferveur possible, en étant les plus nombreux possible, n'est-elle pas critiquable ? Pense-t-on vraiment que c'est en fonction du nombre de ceux qui prient, ou de la ferveur de leur demande que Dieu finalement offrirait enfin la paix à des peuplades souffrantes, ou de la nourriture à celles qui meurent de faim ? Alors Dieu comptabiliserait le nombre de chrétiens qui prient et refuserait de faire quoi que ce soit si le nombre de demandes était insuffisant ? Ou encore, pouvez-vous croire que si votre enfant est malade, Dieu peut le guérir, mais qu'il attend que vous le lui ayez demandé avec suffisamment d'insistance et de foi pour le faire ? Dieu pourrait-il rester impassible et laisser mourir votre enfant en prétextant que vous n'avez pas prié assez souvent ou assez bien de le guérir ? Je là suis d'accord avec le Christ, ce serait du paganisme, et je ne peux concevoir un tel Dieu. Si Dieu pouvait guérir mon enfant, il le guérirait, parce qu'il l'aime, et parce qu'il m'aime. Dieu ne peut que vouloir et faire le bien, et refuser de faire un bien, c'est faire du mal, ce que je ne peux attribuer à Dieu. Ce genre de demandes matérielles, sont des demandes païennes, qui fonctionnent comme dans les religions primitives avec les sorciers : on fait des danses de la pluie pour les cultures, on fait des sacrifices à Dieu pour obtenir ce dont on a besoin, soit la fécondité de son épouse, ou la santé de ses enfants, ou encore une bonne récolte. Et il faudrait marchander avec Dieu, savoir demander comme il le faut pour que Dieu soit content et que finalement il nous donne ce qu'il aurait toujours pu nous donner, mais qu'il nous refusait. Non, ce n'est pas ma religion. De toute manière, Dieu sait très bien de quoi nous avons besoin avant même que nous le lui demandions, et ce n'est même pas la peine de le lui demander. Si Dieu nous aime, il ne va pas nous refuser la vie, le bonheur, ou la santé de nos enfants, quand nous en avons besoin... Oui, je l'avoue, et je comprends que l'on ne puisse ne pas être d'accord avec moi, mais pour toutes ces raisons, je suis fondamentalement opposé à toute prière de demande matérielle.

C'est vrai néanmoins que l'on pourrait objecter qu'il y a dans Luc 11 un passage sur la prière qui semble dire le contraire, en incitant à réclamer et réclamer sans cesse, et qui conclue en disant : si vous qui êtes mauvais vous savez donner des choses bonnes à vos enfants, combien à plus forte raison, Dieu donnera-t-il pas.... Et quoi au fait, qu'est-ce que le Père céleste pourra nous donner si nous savons le lui demander ? C'est là la question, et précisément, le texte de Luc, donne la réponse : ce n'est pas n'importe quoi que le Christ nous promet par la prière... mais c'est, dit-il ... « le saint Esprit à qui le lui demande ». Et donc, il ne s'agit pas d'un exaucement matériel, mais bien de donner le Saint Esprit, parce que Dieu est esprit, et ne peut que se donner lui-même à ceux qui le cherchent. Nous avons encore la même chose dans l'épître aux Philipiens, (Ch 7) quand Paul dit : « faites connaître à Dieu toutes vos demandes, avec des supplications... » et alors quelle est la conclusion ? Ce n'est pas... « et Dieu vous donnera tout ce que vous avez réclamé », mais bien : « Et Dieu gardera vos cœurs et vos pensées en Christ Jésus ». Une fois encore, s'il peut y avoir de la demande dans la prière, ce ne peut être que dans le domaine des choses spirituelles.

Alors qu'est-ce Dieu peut nous donner ? Non pas n'importe quoi, mais ce qui est conforme à sa nature de donner, c'est-à-dire « les dons de l'Esprit », et les dons de l'esprit, ce n'est pas le compte en banque, ni le beau temps pour le week-end, pas même la santé physique, ou une longue vie. Et heureusement d'ailleurs parce que sinon Jésus aurait été privé de bien des dons de Dieu, n'ayant eu ni une longue vie, ni de l'argent, ni des possessions, ni la gloire, ni même des enfants, puisqu'il a été privé de descendance... Ce que Dieu nous donne, ce sont les « dons de l'esprit », et ces dons, Paul nous les a listés : en Galates 5 :22, c'est la justice, la paix, la joie, l'inspiration, la consolation, la force intérieure, l'espérance et avant tout l'amour. Oui, c'est cela seulement que nous devons attendre de Dieu.

Et comment Dieu les donne-t-il ? Et pour cela aussi serait-il inutile de demander, puisque Dieu sait très bien que nous avons besoin de tous ces dons spirituels ? Et bien non, précisément, parce que la prière, ne consiste pas à essayer de modifier Dieu, mais plutôt à s'ouvrir à Dieu, parce que prier et demander, c'est se mettre en position de recevoir, c'est dire à Dieu : « vois-tu Seigneur, j'ai besoin de ta paix » et nous la recevons de lui, puisque Dieu est une source de paix qui est sans arrêt offerte et disponible pour nous. Dieu est une puissance rayonnante de justice, de joie, de paix de force, de pardon et de vie, et tout cela est projeté vers nous. Mais pour recevoir ces choses là, il faut encore que nous ouvrions les bras pour recevoir tous ces dons, si nous tournons le dos en pensant à autre choses, alors ces dons vont glisser sur nous sans que nous ne puissions rien retenir. La prière, c'est se tourner vers Dieu et lui dire : « Seigneur, je meurs de soif » et ouvrir la bouche, alors il remplit notre bouche de son eau vive. La prière, c'est se mettre en disposition de recevoir, ouvrir son cœur, se tourner vers ces dons et se mettre en disposition mentale, spirituelle telle, que nous puissions effectivement les recevoir. La prière est donc plus quelque chose qui agit sur nous que sur Dieu lui-même. La prière n'agit pas sur Dieu, mais sur notre relation avec Dieu. La prière, c'est ce que décrit le Christ dans ce même enseignement : lorsque tu prie, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton père qui est là dans le secret... c'est cela la prière avant tout, un moment d'intimité avec Dieu, un moment de communion, de rapprochement avec Dieu où l'on est là dans le dialogue avec lui.

C'est cela que va approfondir l'exemple de prière du Notre Père donné par le Christ. Le premier mot (en grec) en est : « Père » c'est là le premier des enseignements de cette belle prière : Dieu est pour nous un Père parfait un père idéal, il est celui qui nous écoute, nous comprend, compatit et nous donne tous ses dons, et plutôt que de réclamer, la prière c'est plutôt de tout partager avec Dieu et tout lui dire.

Et c'est peut-être là que nous pouvons trouver le sens de la prière d'intercession : nous pouvons même dire à Dieu dans la prière nos besoins et nos désirs matériels. Même si je ne suis pas très persuadé que cela serve à quelque chose de prier Dieu pour les peuplades qui meurent de faim dans le monde, parce que ce n'est pas Dieu qui va leur envoyer des sacs de riz, néanmoins, nous pouvons partager avec Dieu nos préoccupations les plus fortes, et nous pouvons dire dans la prière : « tu vois Seigneur, il y a là des guerres et des gens qui meurent de faim ou de violence, et bien Seigneur, cela me rend malade et je veux te dire combien j'aimerais que cela cesse, et combien je suis bouleversé par cette situation ». Ou encore dire à Dieu, « tu vois, il y a là mon enfant qui est malade, et tu sais combien j'aimerais qu'il guérisse ». On peut partager cela avec Dieu, parce que je crois qu'il n 'y a rien que l'on ne puisse dire à Dieu ou partager avec lui, et même si nous sommes en proie à un désir matériel, ou à un désir qui est faux, nous pouvons le partager avec Dieu dans la prière, précisément parce que la prière peut, d'une certaine manière purifier ce désir, ou le réorienter, ou le remettre à sa juste place, pour nous montrer qu'il était peut être faux, ou nous inciter à agir d'une manière ou d'une autre.

La prière,c'est vraiment nous exposer nous-mêmes et exposer toute notre vie, tout ce que l'on a fait, tout ce que l'on aimerais faire, tout ce que l'on souhaiterait, même avoir ou ne pas avoir, tout ce que l'on craint ou redoute, ou même ce que l'on déteste ou hait, dans le monde, en soi ou chez les autres. C'est porter tout cela à Dieu et l'exposer au regard, au rayonnement, au souffle créateur et purificateur de Dieu. C'est pourquoi il faut accepter de se laisser transformer par la prière, parce que la prière ne transforme pas Dieu, mais celui qui prie. Ce que je n'aime pas dans la demande monolithique « Seigneur, guéris mon enfant », c'est que je suis-là, moi, en refusant de changer ma position : « voilà ce que je veux Seigneur, il faut que tu obéisses, c'est à toi de faire ce que je veux, c'est aux événements de s'accorder à ce que je désire et de changer ». Alors que de dire simplement « Seigneur, mon enfant est malade, et tu sais combien j'en souffre », c'est donner la possibilité même que ma propre demande, ma propre relation aux événements, ou à mon enfant puissent être modifiés et recrées par la présence et la puissance de Dieu. C'est là une chose essentielle, la prière comme une communion avec Dieu, comme quelque chose de fondamentalement individuel et personnel à l'image de Jésus lui-même qui est sans cesse montré se retirer seul dans la Montagne pour prier Dieu seul à seul.

Et pourtant, et c'est là une autre leçon de la prière du Notre Père, avec le deuxième mot du texte grec : « notre ». Ce « notre » en lui-même pose question. En effet, cette prière est entièrement au « nous ». Ce n'est pas « pardonne-moi », « donne moi mon pain quotidien », mais « pardonne-nous », « donne-nous notre pain quotidien... ». Certains disent que c'est normal que cette prière soit au « nous », puisque c'est une prière communautaire, mais si l'on pense comme je le fais qu'il faut comprendre le Notre Père dans la suite logique de l'enseignement qui le précède dans Matthieu, alors non, il n'y a pas là de prière communautaire : « quand tu prie... entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton père qui est là dans le secret... » et quand tu es là tout seul avec Dieu, tu diras ainsi... « notre Père », et donc chaque chrétien dit tout seul et en lui-même « notre Père... ».

C'est là quelque chose de très fort qui nous est enseigné : prier, c'est, non seulement essayer d'apprendre à être en communion avec Dieu, mais c'est aussi apprendre à se sentir solidaire des autres. C'est apprendre à faire grandir son amour pour les autres, c'est une façon de rompre son propre égoïsme. Evidemment, prier ne peut pas être de demander à Dieu une sorte de favoritisme : « Seigneur, je t'en prie, protège mon enfant qui est sur la route afin qu'il n'ait pas d'accident », sous entendu :« les autres, ils peuvent crever, ça ne me dérange pas, il y a 8000 morts par an, tant pis... mais pas le mien ». La prière ne peut pas être cela. Si vraiment j'ai de l'amour pour mon prochain, je ne peux pas dire à Dieu : « protège mon enfant et laisse mourir l'autre ». Ce n'est pas possible. C'est là un grand enseignement de la prière du Notre Père, dans le simple fait qu'elle soit au « nous ». Prier ne peut pas être de demander une faveur à Dieu, parce que l'amour de Dieu ne peut se vivre que dans l'amour du prochain et dans l'abandon de son propre égoïsme. On ne peut pas prier pour soi tout seul, mais il faut que la prière soit toujours une force pour aller vers les autres, pour accomplir le plan de Dieu. Soit l'on prie pour soi, mais alors pour agir dans le monde, soit l'on prie pour tout le monde, mais on ne peut pas s'enfermer tout seul dans son égoïsme en prétendant prier Dieu, ce genre de prière ne serait pas chrétienne.

Et pourtant, c'est vrai, le Christ priait aussi parfois au « je », et moi-même également, bien sûr, mais non pas comme une réclamation, mais plutôt comme une façon de se tourner vers Dieu.

Prier, ce n'est pas demander à Dieu d'agir à notre place, ou pour nous, mais c'est chercher un partenariat, une communion avec Dieu, c'est de s'unir à Dieu pour bénéficier, c'est vrai de sa force, de sa présence, de son pardon, de sa libération, de son dynamisme de vie, de paix, de joie et d'amour, pour que nous sachions être en relation harmonieuse avec lui et aussi avec nos prochains. Prier, c'est s'unir à Dieu pour que nous puissions vivre et agir avec lui dans le monde et avec les autres de la meilleure manière possible. Prier, c'est simplement se laisser transformer par Dieu, qu'importe les mots, qui n'ont finalement que peu d'importance, tant que nous ne demandons pas à Dieu ce qui n'est pas dans sa nature de donner. C'est simplement être en contact en communion avec Dieu, Prier c'est juste recevoir de Dieu et se sentir envoyé en mission. Et si vous savez cela, vous êtes heureux... pourvu que vous le mettiez en pratique...

Amen