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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La guérison de l'aveugle de Jéricho

Prédication prononcée le 19 octobre 2003, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Marc 10:46-52

Par ce récit miraculeux, nous avons un acte de guérison parmi tant d'autres dans l'Evangile. Certains lisent ces récits comme des preuves de la puissance divine du Christ, d'autres, pensent qu'il y a là l'acte d'un guérisseur comme il y en a toujours eu partout dans le monde.

Dans tous les cas, la vraie question est de savoir en quoi moi, lecteur du XXIe siècle je puis être concerné par ce récit.

Comme pour tous les miracles du Christ, je dois penser que ce texte parle de moi, aujourd'hui et maintenant. Il ne s'agit donc pas d'attendre d'être atteint d'une cécité médicale pour essayer d'y trouver comment le Christ pourrait me guérir, mais de comprendre que moi, comme vous, nous sommes tous aveugles d'une certaine manière, et que le Christ peut nous permettre d'y voir plus clair. Il est vrai que nous ne voyons pas toujours très bien qui nous sommes, qui est Dieu, où nous allons...

Oui, le Christ est celui qui peut nous ouvrir les yeux sur ce qui est essentiel, de façon à ce que nous puissions retrouver dans notre vie une visée qui nous permet de choisir nous-mêmes notre route avec liberté et intelligence.

Nous avons là en fait rien d'autre qu'une illustration de ce que Jésus dit autrement dans l'Evangile de Jean (8:12) : Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera plus dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Quand le Christ dit qu'il est la lumière, nous ne le prenons évidemment pas au pied de la lettre en abandonnant notre abonnement EdF, il en est de même ici à propos de l'aveuglement, il s'agit d'une image.

Il est vrai que nous tous, nous essayons d'avancer sur notre propre route en évitant les obstacles, les écueils, et en espérant arriver quelque part. Nous voudrions que notre route ne soit pas une errance sans but. L'aveugle, ici, représente celui qui justement n'a pas de visée dans sa vie, il avance sans savoir où il va, sans but sans foi, en ne regardant pas plus loin que le bout de ses bras... Le problème d'une telle démarche sans foi, c'est que comme lui, on se cogne à tous les pièges de l'existence, on tombe dans les trous, et finalement on se perd en ne sachant plus où l'on est, alors on cède au découragement en cessant d'avancer, on s'assied sur le bord du chemin, et comme un mendiant on n'attend plus rien de soi-même mais tout des autres.

Le Christ va lui rendre son autonomie, le remettre debout, le remettre en route. Ce qui est extraordinaire, c'est que justement il lui donne cette liberté sans aucune condition. Il aurait pu d'abord, s'il avait été un chef de secte lui dire : « ne crains rien, donne-moi la main, suis-moi aveuglément et je te mènerai où il faut ». Mais non, le Christ n'est pas là pour ça. Il aurait pu lui demander avant de le guérir : « Que vas-tu faire, quand tu seras guéri, feras-tu bon usage de cette liberté, qui vas-tu suivre alors ?» Non encore, l'homme lui demande, et le Christ le libère sans condition, c'est l'une des plus belles images de la grâce libérante qui soit.

Mais la question demeure, comment le Christ peut-il effectivement nous donner cette lumière et nous rendre la vue ? C'est là que les différents récits de guérisons apportent chacun quelque chose de différent. Ici, nous avons un cas particulier que l'on peut déchiffrer assez facilement.

D'abord, le lieu. L'épisode nous est dit se dérouler aux portes de Jéricho. Or, dans l'Exode, Jéricho est la première ville qui a fait obstacle aux Hébreux pour entrer dans la Terre Promise. De ce mauvais souvenir, Jéricho a gardé cette connotation d'éloignement de Dieu, comme Jérusalem, à l'inverse représente le lieu de la présence de Dieu. Bartimée est à Jéricho sur le bord du chemin qui va vers Jérusalem, il est dans l'opposition à Dieu et le refus de son projet. Ce n'est pas pour dire qu'il se prétende « athée » comme certains de nos jours, mais plutôt qu'il n'a aucune foi, pas de but, pas d'idéal dans sa vie, et c'est cela qui l'a mis par terre...

Et cela est confirmé par le fait que ce mendiant aveugle nous est dit s'appeler Bar-Timée, ce qui signifie littéralement, « fils de l'impureté », c'est-à-dire de l'opposition à Dieu. Là est le problème spécifique de Bartimée.

Pour comprendre comment il va retrouver la lumière dans sa vie, on peut partir d'un détail curieux du texte. Celui-ci, en effet annonce : l'aveugle jeta son manteau, et se levant d'un bond alla vers Jésus.

L'aveugle jette son manteau. Ce détail est curieux, car il semble sans importance. Or, rien dans l'Evangile n'est sans importance. C'est donc précisément parce que ce détail est d'une insignifiance remarquable qu'il faut se demander ce que l'évangéliste veut nous dire par là.

On pourrait dire d'abord que le manteau était sa seule richesse matérielle. Il doit donc se détacher de ses attachements terrestres pour aller vers Jésus. On pourrait dire aussi que son manteau représente sa protection extérieure, et que pour suivre le Christ, il faut abandonner ses repliements frileux, ses dérisoires assurances terrestres pour faire confiance à Dieu seul, et se risquer à la suite dans l'action à la suite du Christ...

Mais plus que tout cela, le manteau dans la Bible, c'est avant tout l'apparence que l'on veut donner aux autres, c'est le paraître., c'est un « pour-être-vu-des-autres ». Voilà qui est curieux, quelqu'un qui ne voit pas, et qui a un « pour-être-vu ». Peut-être que précisément le mal de l'aveugle était sa préoccupation d'être vu par les autres. Il ne trouvera alors la vue que lorsqu'il abandonnera son manteau, c'est-à-dire sa préoccupation maladive de paraître, et de donner une bonne image de lui. Alors, se moquant de l'opinion des autres, il se lèvera d'un bond, tel qu'il est, pour suivre le Christ.

Nous avons une chose similaire en Matthieu 24:18 quand Jésus dit: Que celui qui est dans les champs ne s'en retoune pas pour prendre son manteau... Nous devons travailler dans la vigne du Seigneur sans nous préoccuper du regard des autres...

Ou encore en Luc 22:36: Que celui qui n'a pas d'épée vende son manteau pour en acheter une... oui, ce que nous avons de mieux à faire, c'est d'aller combattre (spirituellement bien sûr) contre le mal, de lutter pour le Christ en se fichant de l'image que nous donnons. Les disciples disent alors : Voici nous avons deux épées. Le Christ répond, c'est suffisant, c'est vrai, l'épée double est la Parole de Dieu avec laquelle nous pouvons tout surmonter et être toujours plus que vainqueurs.

Oui, voici ce qu'il découvrira, c'est que pour recouvrer la vue, pour retrouver la liberté, il lui faut chercher à agir plus qu'à être vu, à être plus qu'à paraître, ne pas se regarder soi-même, mais plutôt vers les autres, vers le but. Ce qui compte, c'est non pas l'apparence, mais la qualité profonde de l'Etre. On pourrait même dire que symboliquement, l'aveugle ne voyait rien parce que c'était son manteau qui l'empêchait de voir. Son aveuglement qui est aussi celui qui nous guette était simplement son égoïsme sous forme de narcissisme.

Le Christ, avant sa passion, renoncera au paraître, il nous est présenté dans l'Evangile de Jean dans l'épisode du Lavement des pieds comme ôtant son vêtement, et se faisant esclave. Là est l'extraordinaire du Christ, même dévêtu et humilié, il garde sa grandeur et son autorité. Cela sera poussé à son comble lors de la passion : même avec un manteau ridicule de pourpre, il reste notre roi, et même nu sur la croix, il garde toute sa grandeur et son autorité. Qui parmi les grands des hommes que nous côtoyons pourrait garder sa splendeur s'il se trouvait nu ou en caleçon à nos yeux ?

Certains choisissent de miser dans le visible et l'apparence, ils sont aveugles, parce que il ne voient pas l'essentiel qui est invisible pour les yeux. Et miser sur le visible, c'est aussi miser sur le passager, car, ainsi que le dit Paul (2 Cor 4:18) : nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles; car les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles.

Bartimée, certainement, comprend cela et c'est à ce moment qu'il est en mesure de « se lever ». Or,cette expression est très forte dans l'Évangile. C'est ce même verbe que l'on traduit ailleurs par « ressusciter ». Notre homme donc, à partir de ce moment, commence à renaître, il rencontre le Christ, et il pourra bientôt le voir et l'entendre. Il pourra même voir les autres gens sur sa route, et il verra où il va.

Cette histoire est extrêmement encourageante pour nous. Nous voyons en effet un homme qui va trouver la vraie lumière et la vraie vie à la suite du Christ... or au départ, qu'était-il ? Un misérable fils de l'impureté dans l'éloignement de Dieu et mendiant, à côté de la route. Nous pouvons ainsi savoir que pour nous aussi qui sommes imparfaits, le salut, l'aide, le secours, la guérison intérieure du Christ sont possibles. Le Christ est là près de nous, même quand nous ne savons pas le voir. Bartimée était imparfait, et aveugle sur bien des points, pourtant, sa vie va être transformée par le Christ. Sans doute a-t-il eu une bonne démarche. Or cette démarche nous la voyons assez bien expliquée dans le texte.

¬ En premier lieu, il entend vaguement parler du Christ, il ne l'a jamais vu (bien sûr), il ne l'a pas rencontré, mais sur ce qu'il en entend dire l'envie lui prend de chercher de l'aide auprès de ce Jésus de Nazareth. C'est peut-être déjà cela, la foi. Avoir la foi ce n'est pas forcément être bouleversé par la présence de Dieu, mais au moins compter sur le Christ pour éclairer sa vie. Comme Bartimée, nous pouvons avoir entendu parler de Dieu par d'autres et nous ne l'avoir pas vu, comme lui au début nous n'avons peut-être jamais eu l'expérience de la présence de Dieu près de nous. Mais nous pouvons quand même appeler le Christ dans notre nuit.

Bartimée crie "Fils de David, Jésus aie pitié de moi!" Plusieurs le reprenaient, pour le faire taire; mais il criait beaucoup plus fort; "Fils de David, aie pitié de moi!" Jésus s'arrêta, et dit: "Appelez-le". Ils appelèrent l'aveugle, en lui disant: "Prends courage, lève-toi, il t'appelle." Bartimée a du mal à appeler Jésus. Ça ne marche pas tout de suite. Il y a des gens qui se moquent de lui, Bartimée persévère malgré ces témoignages contradictoires, malgré la bien mauvaise image que montrent les disciples du Christ. Cette démarche n'aboutit pas tout de suite, mais elle produit quelques fruits sensibles quand il trouve la force de jeter son manteau, de se lever d'un bon, d'aller vers Jésus. Alors seulement il pourra rencontrer et entendre lui-même la parole que Dieu lui adresse. Jésus, prenant la parole, lui dit: Que veux-tu que je te fasse? Rabbouni, lui répondit l'aveugle, que je recouvre la vue.

La relation au Christ a progressé : au début du récit, l'homme attendait juste quelque chose du Christ, mais en lui étant un peu étranger, maintenant on pourrait dire qu'il l'a vraiment rencontré. C'est alors que sa vie va être transformée. Certes, la théologie de Bartimée n'est pas parfaite, il appelle jésus « Rabbi », c'est-à-dire « maître », « enseignant ». Or Jésus est bien plus qu'en professeur de théologie ou de morale. Mais une fois de plus, l'erreur humaine ne sera pas un obstacle à l'action du Christ, Jésus lui dit : Va, ta foi t'a sauvé. Aussitôt il recouvra la vue, et suivit Jésus dans le chemin.

Certes, Bartimée recouvrera la vue, mais bien plus, il sera debout, et en marche, sur le chemin, c'est en fait la vie et la vie heureuse qu'il aura trouvée grâce au Christ.

Amen.

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Marc 10:46-52

46Ils arrivèrent à Jéricho. Et lorsque Jésus en sortit avec ses disciples et une assez grande foule, un mendiant aveugle, Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin. 47Il entendit que c’était Jésus de Nazareth et se mit à crier : Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! 48Plusieurs lui faisaient des reproches pour le faire taire ; mais il criait d’autant plus : Fils de David, aie pitié de moi ! 49Jésus s’arrêta et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l’aveugle en lui disant : Prends courage, lève-toi, il t’appelle. 50L’aveugle jeta son manteau, se leva d’un bond et vint vers Jésus. 51Jésus prit la parole et lui dit : Que veux-tu que je te fasse ? Rabbouni, lui dit l’aveugle, que je recouvre la vue. 52Et Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé. Aussitôt il recouvra la vue et se mit à suivre Jésus sur le chemin.

Marc 10:46-52