La guérison d'un enfant démoniaque et de son père
Prédication prononcée le 20 avril 2003, Pâques, au temple de l'Étoile à Paris
par le pasteur Louis Pernot
Marc 9:14-29
Certains veulent voir dans ce récit, la guérison d'une maladie physique, sans doute l'épilepsie, mais cette approche n'a que peu d'intérêt. Ce que nous attendons aujourd'hui du Christ dans notre vie est bien plus qu'une guérison purement médicale. Si donc ce texte nous intéresse, ce n'est pas pour une guérison physique concernant un enfant que nous ne connaissons pas d'il y a deux mille ans dans un pays lointain, mais parce que ce texte parle de nous. Cet enfant, c'est nous. Bien sûr, aujourd'hui nous parlons peu de « démons », mais c'est une façon de parler de tout le mal qui peut être en nous, dans notre vie, et qui nous fait souffrir, rend notre vie impossible, et dont le Christ peut nous libérer.
1. En regardant les choses du côté de l'enfant :
On peut, en effet, voir les choses du côté de l'enfant, nous identifier à lui, et voir comment le Christ parvient à nous guérir de notre mal, au point que cela semble être une véritable résurrection.
L'enfant souffrait nous dit-on, il était possédé d'un esprit muet. Aujourd'hui, nous dirions qu'il y avait du mal dans son existence, un mal qui l'empêchait d'avoir la parole dans sa propre vie. Il se trouvait dans l'incapacité d'être lui-même debout comme sujet, et comme dirigeant lui-même sa vie.
La guérison est, là, en fait, une véritable libération. Libération par rapport à des choses qui prenaient possession de lui pour le faire souffrir. Or, tous nous avons des démons, nous sommes happés par le travail, la famille, les devoirs, les soucis, notre santé. Toutes ces préoccupations, si elles prennent trop de place, peuvent prendre « possession » de nous au point que nous avons l'impression de perdre notre liberté. Le problème est bien lorsque nous ne sommes plus sujet de notre vie, lorsque ce sont les événements qui décident pour nous, lorsque nous sommes ballottés, lorsque nous n'avons plus l'impression de décider de notre vie, nous sommes alors possédés, comme obligés d'obéir, de continuer sans pouvoir rien dire.
Comment le Christ guérit-il cela ? D'abord en chassant le mal qui est dans l'enfant. Il sépare le malade du mal en disant : sors de cet enfant. En un sens, on pourrait dire qu'il ne réduit pas le mal à néant, il ne le fait pas disparaître, le mal est toujours là, mais il fait une distinction entre le mal et le malade afin que le malade ne s'identifie pas à sa maladie. Il est essentiel ainsi d'essayer que la personne se considère elle-même, indépendamment de tout ce qui est extérieur à elle.
Or, c'est un travers dans lequel nous tombons tous plus ou moins. Nous avons tous tendance à attacher notre vie à des choses extérieures, à croire que ce qui donne sens à notre vie, c'est notre travail, notre vie de famille, notre activité, que nos réussites, ou nos échecs sont ce qui nous définissent. Nous sommes alors possédés, nous ne nous appartenons plus. L'erreur, c'est de croire que ce sont ces réalités qui nous donneraient notre identité. C'est alors qu'elles deviennent des démons, lorsque nous voulons bien nous laisser définir, posséder par des éléments extérieurs et conjoncturels. Nous pensons trop souvent que le seul moyen d'être quelqu'un c'est de réussir dans différents domaines, or il est très dangereux de dire je suis riche... malade, docteur ou avocat... parce que c'est faire passer ce qui est de l'ordre de l'avoir dans l'Etre. MOI, je ne suis... ni riche ni pauvre, mais je suis quelqu'un qui a peut-être de la richesse. Je ne suis pas « un malade », je suis quelqu'un qui a une maladie, mais cette maladie n'est pas mon être. Je ne suis pas un chômeur, parce que mon être ne dépend pas du fait que j'aie ou non du travail... Or, c'est là un travers très fréquent, mais le problème, c'est l'aliénation, cela rend muet au point que nous n'avons plus droit à la parole, ballottés, passifs, nous risquons de n'être plus sujet. Et si tout à coup cela nous fait souffrir, il est alors très difficile d'en sortir, d'autant que nous avons voulu y croire pendant longtemps.
La première action du Christ donc, c'est de chasser le démon, d'essayer de faire comprendre à l'individu qui il est, lui, tout seul, tout nu, indépendamment de ce symptôme qui l'accable ou de ces choses extérieures qui ont pris possession de lui. C'est essentiel, bien sûr, mais c'est aussi très difficile. Parce que cette opération de purification nous renvoie à vide, elle nous fait perdre nos repères, et il est angoissant de se trouver soi-même, sans artifice, sans béquille.
Au début, la réaction est violente. Il est vrai que, même si nous savons que nous sommes dans l'erreur, nous aimons finalement notre péché, nous croyons que c'est cela qui va donner un sens à notre vie, et il est difficile d'envisager sa vie sans ses « possessions » (travail, richesse, vie de famille, santé etc...). Ensuite, doucement le Christ prend la main de l'enfant pour le relever, après l'avoir dépouillé de tous ses artifices.
Ce qui est remarquable, c'est qu'il ne remplace pas une possession par une autre, une obsession par une autre, une dépendance par une autre, la foi que donne le Christ est une foi qui rend autonome, qui relève, rend la liberté, et nous rend à nous-mêmes et aux nôtres. Ce n'est pas une foi sectaire qui ferait de celui qui s'y adonne une sorte de clone, vivant dans l'obsession de Dieu, ce n'est pas une foi béquille prenant la place de notre mal, c'est une relevée telle que celui qui en a bénéficié peut même vivre sans s'appuyer à tout instant sur le Christ.
Là est un aspect de cette relevée, de cette libération par rapport à ce qui nous écrase, de cette résurrection que le Christ nous offre. C'est la dimension la plus passive, pourrions-nous dire, parce que l'enfant en bénéficie et c'est le Christ qui opère. Or, il peut y avoir aussi une démarche personnelle, le désir, la volonté de s'en sortir, et c'est ce qu'illustre l'attitude du père dans cette histoire.
2. En regardant les choses du côté du père :
On voit là, la démarche volontaire pouvant nous permettre de nous libérer, de nous laisser être ressuscités par le Christ.
Le père a une demande : ressusciter son enfant. Ce que peut représenter son enfant n'est pas très compliqué. On pourrait dire que c'est son âme, comme dans le Psaume 131 (v2) : Mon âme est en moi comme un enfant. On pourrait dire aussi, et c'est en fin de compte la même chose, qu'il s'agit de la fécondité de sa vie, ce qui peut le dépasser, venir de lui et aller au-delà de lui-même, et le projeter donner l'éternité. Il est certain que dans la Bible, les enfants représentent cela, et pas seulement les enfants dans la chair que nous pouvons ou non mettre au monde. Ainsi dit-on en particulier que nous sommes « enfants d'Abraham », quand bien même nous n'avons aucun sang juif... Et ainsi, encore, les moines récitent-ils toutes les semaines dans les psaumes que la bénédiction de Dieu est d'avoir de nombreux enfants (Ps 128), alors que vivant célibataires ils ne peuvent procréer physiquement... Ce que découvre donc notre homme, dans ce que l'on décrit comme la maladie de son fils, c'est que sa vie devient stérile et ne mène plus à rien. Il veut réagir et faire quelque chose, ce qui est bien. Mais ensuite, dans sa façon de gérer sa démarche, il y a un mélange de bien et de mal.
D'abord il demande de l'aide, il comprend que ne peut pas tout gérer tout seul, qu'il a besoin d'aide, ça c'est bien et même essentiel.
Puis il demande aux disciples et cela ne fonctionnera pas. Sans doute que l'erreur du père, erreur qu'ont suivie les disciples, c'est de croire qu'ils auraient pu eux-même guérir. Or, le rôle des disciples n'est pas de guérir eux-mêmes, mais d'amener au Christ qui est lui la source de la guérison. Ainsi, l'Eglise, les pasteurs, les prêtres ne doivent pas croire que c'est eux qui ont le moindre pouvoir, ce n'est pas l'Eglise qui peut nous libérer, c'est Dieu lui-même, ou le Christ. L'Eglise n'est là que pour nous mettre dans une bonne démarche vis-à-vis du Christ. Les disciples auraient pu, mais ils ont été incapables, là, parce qu'il ont voulu prendre la place de Dieu.
Ensuite il s'adresse au Christ, et c'est déjà mieux... Mais sa demande au Christ est mauvaise. Il demande une action au Christ, il croit que Dieu pourrait le libérer de l'extérieur, sans que lui ne fasse rien. Si tu peux, fais quelque chose...
Le problème, c'est qu'il ne se remet pas en cause lui-même, sa prière est une prière idolâtrique, or une prière qui ne nous remet pas en cause est une prière stérile.
Alors Jésus dit à cet homme que le problème, son problème, c'est lui-même : Si tu avais vraiment la foi, si tu étais sincèrement uni à Dieu, si tu avais de l'Esprit en toi, même gros comme un grain de moutarde : alors ta vie serait fortifiée, féconde, pleine de sens. L'homme comprend que ce n'est pas pour les fruits de sa vie qu'il faut prier Dieu, ce n'est pas sur ses actes qu'il faut espérer attendre des progrès sans changement intérieur. C'est sur nous-mêmes qu'il faut prier Dieu pour recevoir l'Esprit qui rendra notre vie féconde.
L'homme change sa prière : Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité. Il ne prie plus pour son fils, mais il demande de grandir dans la foi. En fait, c'était l'homme lui-même qui était possédé par un esprit muet, et cela déteignait sur toute sa vie, la rendant malade et muette, sans aucun sens, ni avenir. Nous ne devons pas attendre de Dieu qu'il change extérieurement notre vie, mais qu'il nous transforme de l'intérieur. Nous pouvons lui demander de nous guérir de nos esprits muets, qu'il chasse nos préoccupations stériles, ces choses qui viennent habiter dans l'homme mais qui n'ont pas de fécondité ni de sens.
Or, précisément, le Christ à la demande : si tu peux... répond: si tu peux... tout est possible à celui qui croit ... Il renvoie donc le demandeur à lui-même. Le pouvoir n'est pas dans une action extérieure de Dieu, mais dans les mains-mêmes de l'intéressé, dans la foi, c'est-à-dire avec l'aide de Dieu
Christ d'ailleurs donnera la clé de la résurrection : à ses disciples qui lui demandent pourquoi ils n'ont pas parvenu à chasser le démon, il dit: Cette espèce de démon ne peut sortir que par la prière... Or qui prie dans cette histoire ? Pas le Christ, mais seulement le Père, dans ce beau cri : Je crois Seigneur, viens au secours de mon incrédulité. Il faut donc penser que nous avons là une indication précieuse sur ce qu'est vraiment la prière. Auparavant, le père a exigé, ordonné, commandé, tant au Christ qu'à ses disciples. Ce n'est pas ça la vraie prière, c'est inefficace et inutile. La prière qui sauve, c'est celle qui remettre en cause celui qui la dit. C'est entrer dans une démarche qui consiste à s'appuyer sur le peu de foi que l'on a et demander à Dieu son aide pour sa propre croissance. C'est cette démarche qui sauvera l'homme et lui rendra la fécondité de sa vie.
L'homme va donc comprendre cela, au lieu de prier pour des choses extérieures à lui, pour des effets, il en vient à prier pour lui-même et pour que sa relation à Dieu progresse. C'est lorsque l'être est sain en lui-même qu'il peut espérer avoir une vie féconde qui mène quelque part. Il ne faut pas mettre les choses dans le désordre. Sa vie devient fertile parce qu'il cherche à grandir dans le Christ et ne pas rester tel qu'il est.
Et Jésus parle, il menace l'esprit muet, et le chasse : Esprit muet et sourd, je te l'ordonne, sors de cet enfant, et n'y rentre plus. Et il sortit, en poussant des cris... L'enfant devint comme mort... Mais Jésus, l'ayant pris par la main, le fit lever. Et il se tint debout.
On voit bien là les deux étapes dans cette action de Jésus pour guérir le problème : il chasse d'abord l'esprit muet, l'enfant est alors comme mort, puis il relève l'enfant.
La première chose que fait le Christ c'est ainsi de faire de la place dans notre vie, il chasse ce qui est muet, ce qui n'a pas de sens ni de fertilité. Et une fois ce ménage fait, cet homme se rend compte alors qu'il n'y avait, au fond, pas grand chose d'autre dans sa vie que cet esprit muet. Sa vie lui apparaît comme elle était en réalité, une vie ayant une apparence de vie, mais était « comme morte ». L'enfant purifié par le Christ de son esprit muet peut être ensuite en attente d'un Esprit nouveau qui parle et qui donne la vie. Se tourner vers le Christ et prier, c'est aussi cela : faire de la place en soi et dans sa vie pour que l'Esprit de Dieu puisse lui-même venir nous remettre debout et nous donner la vie.
La foi est ainsi à l'articulation de ce salut. Elle n'est pas un billet gratuit pour le paradis, ni un bon pour une aide de Dieu. Mais la foi, c'est une démarche qui laisse de la place à Dieu pour qu'il puisse agir dans notre vie. Il nous prend par la main et il nous relève, comme il a relevé la femme adultère, comme il a relevé Lazare et la fille de Jaïrus.
Que chaque jour de notre vie, notre Seigneur nous prenne par la main, nous relève, et nous donne l'Esprit.
Amen.
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Marc 9:14-29
14Lorsqu’ils furent arrivés près des disciples, ils virent autour d’eux une grande foule, et des scribes qui discutaient avec eux. 15Dès que la foule vit Jésus, elle fut très surprise, et l’on accourait pour le saluer. 16Il leur demanda : Sur quoi discutez-vous avec eux ? 17Et un homme de la foule lui répondit : Maître, j’ai amené auprès de toi mon fils, en qui se trouve un esprit muet. 18En quelque lieu qu’il le saisisse, il le jette par terre ; l’enfant écume, grince des dents, et devient tout raide. J’ai prié tes disciples de chasser l’esprit, et ils n’en ont pas été capables. 19Jésus leur répondit : Race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi. On le lui amena. 20Et aussitôt que l’enfant vit Jésus, l’esprit le fit entrer en convulsions ; il tomba par terre et se roulait en écumant. 21Jésus demanda au père : Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? Depuis son enfance, répondit-il ; 22et souvent l’esprit l’a jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion de nous. 23Jésus lui dit : Si tu peux… tout est possible à celui qui croit. 24Aussitôt le père de l’enfant s’écria : Je crois ! viens au secours de mon incrédulité ! 25Jésus, voyant accourir la foule, menaça l’esprit impur et lui dit : Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus. 26Et il sortit en poussant des cris, avec une violente convulsion. L’enfant devint comme mort, de sorte que plusieurs le disaient mort. 27Mais Jésus le saisit par la main et le fit lever. Et il se tint debout.
28Quand Jésus fut rentré dans la maison, ses disciples l’interrogèrent en privé : Pourquoi n’avons-nous pu chasser cet esprit ? 29Il leur dit : Cette espèce (de démon) ne peut sortir que par la prière.