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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La communion des saints...

Prédication du pasteur Alain Houziaux au temple de l'Etoile à Paris le 18 novembre 2001

Le plus tardif des articles du Credo... même s'il remonte à Abraham !

De tous les articles du symbole des apôtres, c'est celui qui pose le plus de problème aux protestants.

La première réaction des protestants, c'est de dire que, surtout, il ne faut pas confondre les "saints" de cet article avec les "Saints" du calendrier qui ont été canonisés et dont les catholiques sollicitent l'intercession au cours de la messe. Les saints, disent-ils, ce sont en fait tous les chrétiens (ou, si on a l'esprit large, tous les juifs et les chrétiens) qui sont tous "saints par l'appel de Dieu" (cf Rom 1,7 ; Rom 12,13, etc...). Pour les protestants, cet article du Credo serait seulement une explicitation de l'article précédent "je crois à la sainte église catholique" (c'est-à-dire universelle) qui impliquerait, par voie de conséquence, une certaine communion des chrétiens entre eux parce qu'ils forment une grande famille.

Eh bien, malheureusement, ce n'est pas cela. Dans le texte du Credo, les "saints" en question, ce sont bien les martyrs de l'église primitive qui ont été glorifiés, ce sont ceux qui, par fidélité à leur foi, ont été conduits au sacrifice de leur vie (c'était l'époque des persécutions).

En effet, cet article du Credo est apparu au cinquième siècle de notre ère (c'est lui le plus tardif de tous les articles du Credo), à une époque où Saint Augustin et quelques autres théologiens de la même époque ont commencé à dire que les chrétiens, bien loin de devoir prier pour les saints (les martyrs glorifiés) comme ils l'avaient fait jusqu'alors, pouvaient se recommander à l'intercession des saints, parce qu'ils pouvaient bénéficier de la prière que ces saints pouvaient adresser à Dieu à leur sujet.

Et bien sûr, nous, les protestants, nous sommes bien embarrassés. En effet, nous avons du mal à admettre qu'il y ait des hommes ou des femmes qui soient plus saints que les autres hommes. Luther disait que nous sommes tous de la même manière pécheurs et justifiés par la seule grâce de Dieu. Et quant au fait que les saints qui sont au ciel puissent prier pour nous, cela nous paraît presque une forme de superstition puisque Jésus-Christ est le seul intercesseur (Heb 7,25)..

Pourtant, je voudrais défendre cet article du Credo en montrant que la vérité qu'il exprime est fondamentale. En effet, même si nous avons du mal à admettre l'intercession des Saints, nous pouvons être au bénéfice des saints, c'est-à-dire de ceux qui ont une certaine forme de sainteté. Et j'ajouterai même que nous pouvons être sauvés et pardonnés grâce à eux.

Le texte biblique qui nous paraît exprimer de la façon la plus claire ce point, c'est la prière d'Abraham pour Sodome (Genèse 18, 20-33).

Nous connaissons cette prière. Les hommes de Sodome sont des pécheurs. Et Abraham croit que si on peut trouver dans la ville dix justes au moins, toute de la ville sera sauvée car Dieu renoncera à exterminer la ville parce qu'il ne voudra pas "faire périr le juste (c'est-à-dire le saint) avec le pécheur". Ainsi les justes sont les garants du salut des pécheurs. A la limite, ils sont même une sorte de "rançon" pour le salut des pécheurs.

A sa manière, Abraham croit à la "communion des saints", c'est-à-dire au fait que les pécheurs peuvent "communier" à la sainteté des saints, c'est-à-dire bénéficier de leur sainteté et être sauvés grâce à leur sainteté.

La contagion du bien.

Notons d'ailleurs que l'expression latine "communio sanctorum" est plus claire et plus ample que l'expression française "communion des saints". Les "saints", ce ne sont pas seulement les personnes saintes, mais aussi les choses saintes (le pain et le vin de la Cène par exemple). "Sanctorum" est non seulement un masculin pluriel (qui désigne les saints) mais aussi, et peut-être même d'abord, un neutre qui désigne les "choses saintes". L'expression "communio sanctorum" désigne le fait de communier, c'est-à-dire d'avoir part et d'être au bénéfice de la sainteté des saints et des choses saintes.

De même que, lors de la Sainte Cène, nous recevons la communion du pain et du vin, de même, nous sommes au bénéfice de la communion des saints (c'est-à-dire de la nourriture et de la protection que constituent pour nous les saints).

En fait, il vaudrait peut-être mieux traduire "la communion aux saints" (un peu comme on dit "communier au pain et au vin"), mais on peut également traduire "la communion des saints" (un peu comme on dit "recevoir la communion du pain et du vin"). De toute manière "la communion des saints" signifie d'abord "la communion à partir des saints" comme on dit "se nourrir de pain" (c'est-à-dire "à partir de pain").

En fait cette idée de "communion des saints" nous est tout à fait familière, si nous la comprenons dans le sens que nous venons d'indiquer.

L'humanité dans son ensemble forme un seul "corps" et, de même que la perversité d'un seul membre du corps (un élève d'une classe par exemple) peut gagner l'ensemble du corps (la classe dans son ensemble), de même la sainteté d'un seul membre du corps peut gagner l'ensemble de ce corps. Comme il y a une contagion du mal, il y a une contagion du bien.

Ainsi, si une bourgade de campagne bénéficie d'un bon médecin, ou d'un bon instituteur ou d'un bon prêtre, cela bénéfice à l'ensemble du village. De même, l'ensemble de l'humanité a été incontestablement au bénéfice de la sainteté d'un Gandhi ou d'un St-François d'Assise par exemple, à cause de l'influence qu'ils ont eue.

Saint-Paul dirait que nous sommes "greffés" sur la sainteté des saints (Romains 11,17). La sève qui est en eux se communique à l'ensemble du corps de l'humanité. Jésus dirait que leur sel sale la nourriture qui alimente et revigore l'ensemble de l'humanité (Mathieu 5,13).

Israël, Jésus-Christ et l'Eglise.

En fait, on peut dire que le déroulement de l'histoire de l'humanité, telle que le présente la Bible, est une application de "la communion des saints". Je voudrais vous le montrer.

Au commencement, tout commence mal. Dieu veut faire alliance avec l'humanité dans son ensemble. Il veut faire alliance avec Adam, c'est-à-dire avec l'homme en général. Mais Adam désobéit, et sa descendance tombe en décadence. Et c'est pourquoi, Dieu tente ensuite de faire alliance avec seulement une partie (un "membre", ou ici un "rameau") du corps de l'humanité, celle qui descend de Noé. Nouvel échec. Puis avec seulement une partie de la descendance de Noé, à savoir avec Abraham et sa descendance. Nouvel échec. Puis avec une partie de la descendance d'Abraham, la descendance de Jacob. Ce sera le peuple d'Israël.

Israël est le peule saint. Et cela signifie, c'est le premier sens du mot "saint", que ce peuple est "mis à part", non pas pour qu'il soit seul sauvé par Dieu, mais pour que l'humanité toute entière puisse être sauvée à cause de ce petit peuple de "saints" ou de "justes". C'est l'application de l'idée qui soutend la prière d'Abraham.

Ainsi, le salut de l'ensemble de l'humanité dépend de la fidélité et de la sainteté du peuple d'Israël. Et c'est ce qui explique cette obsession du peuple d'Israël pour rester pur et pour ne pas être contaminé par l'impureté des nations (c'est-à-dire des païens). Paradoxalement, les nations païennes ne peuvent "communier" à la sainteté d'Israël ( c'est-à-dire bénéficier de cette sainteté) que si le peuple d'Israël est coupé de ces nations.

Ainsi, en fait, si les Juifs tiennent à ce point à être justes, c'est pour que Dieu, à cause de cette sainteté de quelques justes, accepte de sauver l'ensemble de l'humanité.

Et le peuple d'Israël trouvait d'ailleurs que cette élection à être saint pour les autres était non seulement un honneur mais aussi une forme de martyre et de sacrifice. Esaïe 53 exprime bien ce lien entre l'élection, le martyre et la mission d'être le salut des "nations" (c'est-à-dire des non-Juifs).

Et c'est pourquoi, lassé de cette obligation de sainteté, le peuple d'Israël en est venu à l'idée que seul un "reste d'Israël" (c'est-à-dire une petite partie d'Israël) pouvait suffire pour assurer sa mission. Puis, certains courants du judaïsme, peut-être le courant des esséniens de Qumran (c'est possible mais ce n'est pas certain) et en tout cas le courant des premiers chrétiens en est venu à penser que la fidélité, et aussi le martyre, d'un seul (Jésus-Christ) pouvait suffire à assurer le salut de l'ensemble de l'humanité pécheresse. Et c'est ainsi que Saint-Paul et, à sa suite, l'Eglise chrétienne ont proclamé que, à cause de la sainteté de Jésus (qui l'avait conduit au martyre), l'humanité toute entière était sauvée (ou peut-être seulement l'ensemble de ceux qui croyaient en lui).

Ainsi l'Eglise chrétienne a elle aussi, tout comme Israël, une mission "de salut public" (et universel). Cette mission, c'est de faire en sorte que tous puissent "communier aux saints", c'est-à-dire être au bénéfice des "choses saintes" (l'amour et le pardon par exemple) incarnées par Jésus-Christ et enseignées par sa prédication. Mais elle n'a pas compris sa mission de la même manière qu'Israël avait compris la sienne. Israël devait se mettre à part des nations (des non-juifs) pour qu'elles soient au bénéfice de sa sainteté. Au contraire, l'Eglise a considéré qu'elle devait se mélanger aux pécheurs et aux impurs. Elle a compris que sa vocation était d'inséminer et d'incarner le sel, le levain et la sève du Christ dans la "pâte" et dans le "corps" de l'humanité pécheresse et impie afin qu'il puisse s'en nourrir et qu'il soit ainsi sanctifié (c'est-à-dire rendu saint).

Nous avons donc deux images différentes pour caractériser ce qu'est la "communion des saints".

  • Celle caractérisant la mission d'Israël. Israël est saint à la place des nations. Et il obéit à Dieu "pars pro toto" (en tant que "partie" qui vaut pour le tout), c'est-à-dire en lieu et place du monde. Israël est le "vicaire" de l'humanité, c'est-à-dire le remplaçant, le lieu-tenant, le "tenant lieu" de l'ensemble de l'humanité. Et le monde entier bénéficie ainsi de la sainteté du seul peuple saint, Israël.
  • Celle caractérisant la mission de l'Eglise. L'Eglise a pour mission d'être le sel de la terre (Mathieu 5,13). Elle doit "greffer" l'ensemble des peuples païens sur le "cep" du Christ (Rom 11,17 ; Jean 15,1-5).

Ainsi dans une optique chrétienne, la communion des saints, c'est la communion de l'immensité du peuple de tous ceux qui ont été sanctifiés, c'est-à-dire influencés par Jésus-Christ et le témoignage de l'Eglise. Ainsi ils ont pu communier au pain et au vin de la sainteté de Jésus-Christ.

Donnons une image. Dans une optique juive, la communion des saints, c'est la boîte à sel du petit peuple d'Israël dans laquelle le sel de la sainteté se trouve concentré. Et dans une optique chrétienne, c'est la soupe (c'est-à-dire l'humanité entière) dans laquelle le sel a été dissout. Dans le Judaïsme, la communion des saints, c'est la communion de ceux qui sont "sanctifiants". Et dans le Christianisme, c'est la communion de ceux qui sont "sanctifiés".

 

La systole et la diastole.

Mais donnons maintenant une autre image de la communion des saints qui, elle, est tout à la fois juive et chrétienne. C'est celle du coeur qui permet l'irrigation et la sanctification de l'ensemble du corps.

D'une part le coeur, par un mouvement centrifuge de systole, irrigue d'un sang neuf l'ensemble du corps, et ceci rappelle que la sainteté des saints est communiquée à l'ensemble de l'humanité. Et ce sang neuf, c'est par exemple celui du peuple d'Israël qui, lors de ses exils successifs, se disperse (c'est ce que l'on appelle la diaspora) dans toutes les nations païennes du bassin méditerranéen, ce qui rappelle qu'Israël est "la lumière des nations" (Esaïe 42,6) et le garant de leur salut. Et ce sang neuf, c'est aussi celui des apôtres et des missionnaires de la première Eglise chrétienne qui se dispersent au loin pour apporter aux nations païennes un sang neuf, celui de la prédication du Christ.

Mais d'autre part, le coeur, par un mouvement centripète de diastole, a aussi pour fonction de recueillir le sang vieilli et sali qui lui vient de l'ensemble du corps de l'humanité, et ce d'abord pour que ce sang, bien qu'il soit du mauvais sang, puisse être sanctifié par le fait même qu'il alimente le coeur. De la même manière, les "richesses injustes" qu'évoque Luc16,9 sont sanctifiées par le fait qu'elles permettent de "se faire des amis". Ces richesses injustes ("ce sang impur" !) sont sanctifiées, justifiées et sauvées, par le fait qu'elles alimentent le coeur. Et ces richesses injustes, ce sont par exemple les pièces d'orfèvrerie que les Hébreux ont dérobées aux Egyptiens et qu'ils ont emportées dans leurs bagages (Ex 3,22 ; 12,36), lors de leur sortie d'Egypte, pour qu'elles puissent être placées dans le Temple de Jérusalem et enrichir son trésor. Et ce sont aussi, dans le rêve que fait Esaïe (Esaie 60), les trésors que transporteront les nations païennes lorsqu'elles convergeront vers Jérusalem pour lui rendre la gloire qui lui est due. Et c'est aussi l'or, l'encens et la myrrhe qu'apportent avec eux les mages (c'est-à-dire les prêtres païens des mèdes, des perses et des chaldéens) lorsqu'ils viennent honorer l'Enfant de Bethléem (Mat II, 1-12). Et c'est aussi l'argent qui a été collecté parmi les Eglises pagano-chrétiennes du bassin méditerranéen et qui doit permettre, une fois qu'il aura été regroupé à Jérusalem, de soutenir l'Eglise-mère de cette ville (cf II Cor 8 et 9).

Et avec tout ce sang vicié, Israël, Jésus-Christ et l'Eglise fait du sang neuf qui est propulsé jusqu'aux confins du monde.

Ainsi le monde entier, c'est-à-dire le monde profane et païen "communie aux saints" non seulement parce qu'il est "la soupe" qui est salée par le sel des saints, mais aussi parce qu'il constitue les "marais salants" d'où est extrait ce sel. En effet, rappelons-le, le peuple saint d'Israël a été constitué à partir de tribus païennes et idolâtres. Rappelons-le aussi, Jésus-Christ lui-même est né du sang de femmes païennes, prostituées et adultères (Rahab, Ruth, Bethsabée, cf Mat 1). Et l'Eglise, une, sainte et apostolique a été formée en grande partie à partir de païens. Ainsi le sang impur est sanctifié par l'usage qui en est fait.

Ainsi la "communion des saints", c'est à la fois la communion à partir des saints et aussi la communion en faveur des saints.

Au fond la plus belle image de ce mouvement de diastole centripète et de systole centrifuge, c'est celle de la collecte des offrandes et de la Sainte-Cène qui se succèdent lors de l'office dominical.

Lors de la collecte de nos deniers, nos "richesses injustes", sous forme d'"espèces" gagnées de manière plus ou moins égoïste, convergent vers la Table sainte au pied de laquelle elles sont déposées. Ainsi nous venons vers Christ et vers la Table sainte avec le sang sali de nos fautes et de notre misère. Puis, après avoir communié aux "espèces" du corps et du sang du Christ, nous quittons la Table sainte en portant en nous la force renouvelée de la foi, de l'espérance et de l'amour. Il y a une forme de "transsubstantiation" des "espèces".

Le Royaume.

La dernière image que nous pouvons donner de la communion des saints, c'est celle du Royaume qui nous est promis et qui doit récapituler en lui, en son unité, la moisson de l'ensemble de l'histoire de l'humanité et même du monde. Le Royaume est un "coeur" qui aspire (ou aimante), regroupe et sanctifie le sang de l'ensemble de l'humanité.

Le Royaume ne sera que "communion", et c'est pour cela que je ne suis pas sûr que l'on retrouvera dans ce Royaume l'individualité de chacun d'entre nous.

L'Amour de Dieu sera tout en tous, et chacun sera immergé dans une forme de Plénitude trans-personnelle et supra-personnelle unique et totale que Paul appelle le Plérôme (Rom 11,12 ; Gal 1,10). Il y aura alors, en vérité, un seul corps, une seule âme et un seul esprit qui seront celui du Christ qui sera tout en tous (cf Col 1,20).

Amen.

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