Il vaut mieux qu'un homme meurt!
Prédication au temple de l'Étoile à Paris
par le pasteur Louis Pernot
Jean 11:47-53
L'affirmation de Caïphe: il est avantageux pour vous qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas peut sembler l'archétype de la phrase scandaleuse, surtout quand on pense que c'est par un tel raisonnement que notre Seigneur Jésus-Christ a été mis à mort.
Et pourtant, nous passons notre temps à invoquer des raisons semblables pour le gouvernement de notre existence. Sans cesse nous répétons que l'intérêt général passe au dessus des convenances particulières. Nous prônons la démocratie en pensant que la voix du plus grand nombre est celle qui est la plus proche de la vérité, ou tout au moins de ce qui est le meilleur. Nous mettons les voleurs et les assassins en prison, parce qu'il est préférable qu'eux souffrent plutôt que tout le peuple du risque de leurs mésactions ; et pendant la dernière guerre, la plupart de nos concitoyens préféraient tuer un allemand plutôt que de laisser progresser le Nazisme... il vaut mieux qu'un homme meurt et que la nation entière ne périsse pas!
Nous sommes donc en plein dans l'ambiguïté du choix entre l'individu et le groupe, qui a tort? Ceux qui privilégient l'individu, ou ceux qui privilégient le groupe?
Jean ne nous donne pas de réponse simple, il nous apparaît conscient de cette ambiguïté, comme du fait que l'affirmation-même de Caïphe n'était pas entièrement fausse et pouvait contenir une part de vérité. Il s'amuse même à nous montrer que tout son discours est à double sens, et qu'il est, d'une certaine manière, vrai. C'est pour cela qu'après nous avoir fait prendre en horreur l'affirmation de Caïphe, il nous dit que celui-ci ne l'affirmait pas de lui-même, mais qu'il prophétisait, et donc qu'il disait quelque chose de fondamentalement vrai dans un autre sens.
Et il est vrai que Dieu aussi a pensé qu'il était préférable que Jésus meurt, si cela pouvait donner le salut à toute l'humanité, si cela pouvait aider les hommes à comprendre la valeur et la profondeur de son enseignement. Et le Christ aussi a pensé que sa mort individuelle n'était pas grand chose à côté de sa mission qu'il avait à remplir pour annoncer l'Evangile à toute l'humanité. Si le Christ n'avait pas pensé comme Caïphe en ce qui le concernait, il aurait renié son Evangile et son enseignement en pensant que le plus important était qu'il demeure-lui en vie dans son corps. Il aurait suffi de sa part d'un seul mot pour qu'on ne le mette pas à mort, ç'aurait été pour lui seul bien préférable... Mais il a pensé que l'ensemble des enfants de Dieu méritait bien qu'il se sacrifie pour prouver que ce qu'il disait était vrai.
Comment alors comprendre l'affirmation de Caïphe, à la fois scandaleuse et détenant une vérité profonde? Comment peut-elle être à la fois vraie et fausse?
Tout dépend de la façon avec laquelle on l'affirme, et en particulier de la valeur que l'on accorde dans les deux cas à l'individu.
Si l'affirmation est monstrueuse dans la bouche de Caïphe, c'est parce qu'il nie complètement la valeur unique et infinie de l'individu, et qu'il fait du plus grand nombre un critère primordial. Il est prêt à sacrifier le Christ, parce qu'il pense que l'individu n'est rien devant le groupe. Il veut donc retirer le Christ, faire comme s'il n'avait pas existé, comme s'il ne comptait pas.
Si au contraire, Dieu est prêt à sacrifier son fils pour le peuple, ce n'est pas par manque d'égard pour son fils, mais justement parce qu'il pense qu'à lui seul, il a une valeur telle que sa mort peut avoir un sens et une efficacité pour le peuple tout entier. Pour Dieu, la mort du Christ ne signifie pas qu'il supprime simplement un gêneur, comme veut le faire Caïphe, mais il pense que cette mort a une valeur infinie qui peut avoir une importance pour tout le peuple. Il accepte donc la mort du Christ parce qu'il pense que la mort d'un individu n'est pas rien, n'est pas une chose négligeable mais au contraire quelque chose d'infiniment importante. L'affirmation peut donc être bonne pour celui qui donne une importance ultime à l'individu et mauvaise pour celui qui la fait par mépris de l'individu. Et nous retrouvons là l'importance ultime donnée à l'individu par rapport au groupe.
Cela n'est pas nouveau dans la Bible.
D'un bout à l'autre, la Bible nous enseigne que le nombre n'est jamais un critère de valeur. La quantité n'est pas une qualité. On pourrait même aller plus loin et dire qu'en fin de compte, croire en Dieu, c'est croire en la qualité plutôt qu'en la quantité. Croire en Dieu, en effet, ce n'est pas forcément croire en un personnage plus ou moins mythique, mais d'une certaine manière avoir une prise de position anti-matérialiste.
Le matérialisme enseigne qu'il n'y a dans le monde que des choses, des objets. A l'opposé, croire en Dieu ou dans l'esprit, c'est croire qu'il y a dans le monde quelque chose de très important qui est invisible, croire en Dieu, c'est croire, comme le dit Saint Exupéry, que l'essentiel est invisible pour les yeux. Pour le matérialisme ce qui compte, c'est le nombre, c'est la quantité matérielle, pour celui qui croit en Dieu, ce qui compte, c'est avant tout la qualité, la valeur.
Cette suprématie de la qualité sur la quantité, nous la retrouvons dans tout l'enseignement biblique. D'abord, on peut la voir dans le fait que de vouloir dénombrer le peuple, dans l'ancien Testament est considéré comme une insulte à Dieu. Cela est particulièrement clair quand David ordonne un recensement en IISam.24 (ou en IChron.21) et qu'il dit ensuite à Dieu: j'ai commis un grand péché en faisant cela! Maintenant, Eternel, daigne pardonner la faute de ton serviteur, car j'ai agi tout-à-fait en insensé... (IISam.24:10). La punition sera un peste terrible qui décimera le peuple. Punition qui réduira précisément la taille du peuple, pour montrer que l'on ne doit pas compter sur le nombre.
Or, la raison de cette interdiction du recensement du peuple est simple: il est faux et dangereux de penser que la valeur d'un peuple puisse être en rapport avec son nombre.
En fait, l'interdiction de dénombrer le peuple n'est explicite nulle part dans la Bible, elle provient d'une idée générale et constante que ce qui compte, pour Dieu, ce n'est pas la taille du peuple, mais sa qualité, mieux valant un peuple peu nombreux et fidèle qu'un peuple nombreux qui fait n'importe quoi. On le voit par exemple dans le Psaume 33:16: Ce n'est pas au nombre de ses soldats que le roi doit la victoire. ou dans le grand passage de Juges 7 qui montre que le dénombrement est une atteinte à la confiance de Dieu, Dieu, dans ce texte, réduisant l'armée jusqu'à un nombre ridicule et lui donne la victoire pour lui montrer que le nombre ne sert de rien.
Cela nous semble juste, mais pas très original, et pourtant, sans cesse, nous tombons dans le piège qui consiste à croire que le nombre est important. Les exemples seraient innombrables. Ainsi, nous nous préoccupons de savoir s'il y a du monde au culte, soit en disant sur le mode du regret: "il y avait plus de monde autrefois", soit de la jalousie en comparant avec d'autres Eglises charismatiques ou autres, en disant: "ah, eux au moins ils ont du monde". On se réjouit qu'à l'Etoile, il y ait, plus de monde au culte, et s'il nous faisons une réunion le soir où il y ait peu de monde, tous se désolent, et le vivent comme un échec.
Mais quoi, notre but est-il qu'il y ait du monde? Dans ce cas, ouvrons un bar à vin, ou une discothèque à la place du temple, et il y aura du monde. Le but premier de l'Eglise, n'est pas qu'elle attire le plus de monde, mais qu'elle dise l'Evangile. Nous ne pouvons pas juger de la vérité religieuse d'un groupe, ni de la qualité de la foi de ses fidèles par leur nombre. N'oublions pas tous les disciples qui s'éloignent du Christ après son discours sur le pain de vie dans Jean, et Jésus qui se retrouve seul avec ses douze, n'oublions pas que le Christ était tout seul sur la croix, et que tout ce que savait dire la foule, les plus nombreux, c'était: crucifie-le, crucifie-le.
Il ne faut pas confondre majorité et vérité.
La démocratie est sans doute le meilleur moyen pour un pays de se gouverner puisqu'elle consiste à considérer les humains comme des adultes responsables. Que l'on dise que c'est aux gens et aux peuples de prendre leurs responsabilités d'accord, mais qu'on en fasse pas une question de vérité. Un individu peut très bien avoir raison seul face à 100 autres, la voix de la majorité n'est pas la plus proche de la vérité. Qu'on prenne pour exemple l'Allemagne Nazie, fruit de la démocratie, ou plus près de nous cette aberration d'un président de la république élu pour 7 ans par la démocratie, et que la même démocratie voudrait voir partir avant la fin de son mandat! Forcément, l'une des deux décisions est fausse, puisqu'elles sont contradictoires.
Le nombre de personnes qui assistent à un concert n'a aucun intérêt, ce qui compte, c'est la beauté de la musique. La tailles de l'assistance à une conférence ne veut rien dire, l'essentiel, c'est la valeur de ce qui est dit. La somme d'argent ou de richesse que possède un individu ne vaut rien, ce qui compte, c'est sa valeur personnelle.
Nous retrouvons là, bien sûr ce célèbre individualiste protestant, qui est d'ailleurs surtout évangélique, ce ne sont pas les protestants qui l'ont inventé. Cela signifie que chaque individu a une valeur infinie. Cela est en particulier illustré par la célèbre parabole de la brebis perdue, le berger qui laisse ses 99 brebis pour aller chercher celle qui est perdue, et qui se réjouit plus pour celle qu'il retrouve que pour toutes celles qui étaient restées au bercail. Cela ne veut pas dire non plus qu'il faille forcément sacrifier le groupe pour un individu, on peut penser que les 99 brebis restantes n'étaient pas à l'abandon, mais bien à l'abris dans leur bergerie, mais cette parabole nous montre que le critère de quantité n'est pas recevable, ce qu'il faut, c'est privilégier ce qui est juste et créateur. L'individu ne vaut pas plus que le groupe, mais les raisons d'agir dans un sens ou dans un autre ne se multiplient pas par le nombre de gens concernés.
Le nombre n'est jamais un critère de valeur. Il en est même parfois l'opposé ou l'ennemi, il n'y a qu'a pour s'en rendre compte s'intéresser au cas de la télévision, la préoccupation de l'audimat par les directeurs de chaînes est en général une catastrophe pour la qualité des émissions, l'audimat étant le plus souvent inversement proportionnel à la valeur de ce qui est diffusé. Ou bien, pour ce qui est de la musique, écoutez le numéro un du Top 55, le disque le plus acheté de la semaine! Quelle comparaison peut-on faire avec une cantate de Bach ou une sonate de Mozart!... C'est ainsi dans tous les domaines, les livres les plus intéressants ne sont pas ceux qui ont le plus grand tirage, les musiques les plus belles, ne sont pas celles que l'on entend sur les radios, les peintures les plus merveilleuses ne se voient pas sur les affiches publicitaires.
Le Christianisme, c'est la suprématie de la qualité sur la quantité, et cela est vrai dans tous les domaines, nous prendrons un dernier exemple: le nombre des années que nous vivons. Pour notre existence, la préoccupation païenne, c'est de chercher à vivre le plus longtemps possible, et de se réjouir que quelqu'un ait pu vivre 90 ou 100 ans, comme si cela était une grâce. Or, quel exemple nous est-il donné avec le Christ? quelqu'un qui meurt à 33 ans, et on le présente comme l'exemple même de la vie réussie. Nous devons bien méditer cela, pour nous rappeler qu'il vaut mieux une vie courte et réussie qu'une vie longue et nulle, cela doit nous rappeler que la longueur ou la brièveté de notre existence est un critère dénudé de tout intérêt. La seule chose qui compte, c'est la qualité ou la valeur de notre existence.
Heureux celui qui ne mise pas sur la quantité mais sur la qualité dans son existence, car cette qualité, c'est la richesse des vrais trésors de Dieu plus précieux que tout l'or d'Ophir, c'est le nombre d'une foule de ceux qui sont dans l'amour de Dieu dans la multitude des sauvés, et sa vie dure bien plus que quelques dizaines d'années, mais il hérite de l'incorruptibilité, et de la vie éternelle.
Amen.
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Jean 11:47-53
47Alors les principaux sacrificateurs et les Pharisiens assemblèrent le sanhédrin et dirent : Qu’allons-nous faire ? Car cet homme fait beaucoup de miracles. 48Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront (nous) enlever et notre Lieu (saint) et notre nation. 49L’un d’eux, Caïphe, qui était souverain sacrificateur cette année-là, leur dit : Vous n’y entendez rien ; 50vous ne vous rendez pas compte qu’il est avantageux pour vous qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas. 51Or, il ne dit pas cela de lui-même mais, étant souverain sacrificateur cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. 52Et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un seul (corps) les enfants de Dieu dispersés.
53Dès ce jour, ils résolurent de le faire mourir.