Yakin et Boaz les deux colonnes du temple
par Louis Pernot (septembre 04)
Dans le récit de la construction du temple de Jérusalem par Salomon (2 Chr. 3:17, 1 Rois 7:21). Il nous est dit que celui-ci fit construire deux colonnes devant le temple, celle de droite s'appelait Yakin, et celle de gauche Boaz. Il semble, en fait, que ces deux colonnes ne portaient pas de plafond, elles étaient comme des obélisques dressés dans le ciel. Elles restent pour nous aujourd'hui une sorte d'interrogation quant à leur utilité, ou à leur fonction.
Mais il faut se souvenir que le Temple est dans la Bible le symbole de notre relation à Dieu. Que dans cette même Bible, la Terre représente le matériel, et le Ciel le spirituel. Ces colonnes devant le Temple sont donc comme les éléments essentiels à envisager avant même de penser à notre propre relation à Dieu.Faisant une sorte de lien entre le Ciel et la Terre, elles nous montrent comment nous devons bien situer notre relation à Dieu,
Les colonnes, en effet, ont un premier rôle, c'est de faire relier la Terre au Ciel. Cela est indispensable dans nos vies. Il faut qu'il y ait dans notre vie quelque chose qui s'élève vers le spirituel, que nous ayons un lien entre le spirituel et le matériel, c'est là qu'est la source de la vie.
Par ailleurs, ces colonnes ont aussi un autre rôle qui peut sembler un peu paradoxal, c'est de maintenir le spirituel à distance, comme si l'on ne voulait pas que le Ciel s'écrase sur la Terre. C'est là aussi quelque chose d'essentiel.
Il y a plusieurs manières de tomber dans le piège de l'oubli de cette distance.
L'une serait le découragement, et l'abandon de tout idéal, de tout désir d'élévation, de toute foi en quelque sorte. Alors notre vie perdrait une dimension et s'écraserait dans le matérialisme le plus absurde et le plus désespérant.
L'autre serait de se croire dans un accès facile et direct au Ciel. C'est la tendance de certaines nouvelles spiritualités qui veulent tout mélanger : On croit trouver Dieu dans le printemps de la nature ou dans le chant des oiseaux, on considère que chaque geste d'amour est une prière, ou un sourire une louange à Dieu. Cela n'est pas totalement faux en soi, mais il serait dangereux d'en rester là. Parce que justement, si Dieu peut être un principe actif dans nos vies, c'est qu'il ne s'y réduit pas, c'est parce que Dieu reste pour nous un tout-autre, une dimension fondamentalement hétérogène à notre vie, une hauteur inatteignable qu'il peut agir dans notre vie et la transformer.
Il est essentiel de maintenir une distance entre le Ciel et la Terre, de maintenir une tension entre Dieu, qui est l'infini, et le monde qui est fini, entre le créateur et la créature. C'est la tension entre ces deux pôles qui est féconde. Et c'est là que se joue la difficulté et l'immense richesse de la vie humaine, entre Dieu et le monde.
Pour nous, chrétiens, l'écart entre notre idéal et la réalité que nous vivons est toujours un grand écart, plus que pour n'importe quel idéal humain, parce que l'idéal que nous propose le Christ est infiniment élevé : il faut aimer même ses ennemis, pardonner toujours, servir, et enfin être parfait comme notre Père céleste est parfait . C'est en soi impossible. Mais cet écart n'est pas pour nous écarteler ou condamner, heureusement, et ce à cause d'un point essentiel : la Grâce. La prédication du Christ serait irrecevable sans la notion de Grâce. L'annonce de la Grâce nous assure que quoi qu'il arrive, Dieu nous aime et nous reçoit. Nous n'avons donc rien à prouver, il n'y a pas d'enjeu personnel de réussite, il n'y a pas de sanction, ou de jugement pour savoir si nous serions assez près ou non du but. Juste une paix, une tranquillité, un bonheur d'être aimé et accepté, ce qui peut rendre le chrétien libre, joyeux, et disponible pour faire son possible pour s'approcher tant qu'il le peut de son idéal. C'est dans la Grâce acceptée que ce grand écart peut devenir défi passionnant et nous donner une incroyable richesse.
Par ailleurs, nous savons que la première colonne s'appelait Yakin, ce qui veut dire Il a établi (Dieu nous enracine solidement) et la seconde : Boaz, ce qui signifie : la force.
Certainement il faut les deux pour avoir une relation solide et féconde à Dieu, et ainsi pouvoir remplir le service que l'être humain est chargé de rendre au monde. Il faut d'abord être solidement fondé pour que le pied de la colonne ne glisse pas, et il faut ensuite que la colonne ait une force interne suffisante pour ne pas plier.
Dieu peut nous donner ces deux qualités.
La première est obtenue par le Christ qui est la fondation. Il est le rocher solide sur lequel Dieu nous propose de nous enraciner fermement, c'est le roc de l'Évangile.
La seconde qualité, la force, nous vient aussi de Dieu dans la mesure où nous le voulons bien. C'est Dieu qui peut donner de la force, de la constance, à nos vies, en nous donnant une " âme " en quelque sorte et dans les deux sens du terme.
C'est bien ainsi avec une base solide et avec force et constance que nous sommes appelés à nous illuminer dans le champ de force qui existe entre Dieu et le monde.
Que Dieu nous affermisse et nous garde.
Louis Pernot