Rendez à César ce qui est à César... et à Dieu ce qui est à Dieu
par Alain Houziaux (septembre 04)
Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu
(Marc 12 :13-17)
Il faut d'abord rappeler dans quel contexte Jésus fait cette réponse. Il répond à la question des Pharisiens et des Hérodiens "est-il permis de payer l'impôt à César ?". Autrement dit le chrétien doit-il se soumettre à la loi de l'Etat ? On peut interpréter la parole de Jésus de trois manières différentes.
Première interprétation :
Jésus apprécie positivement le rôle de l'Etat et il conseille aux Pharisiens et aux Hérodiens de payer l'impôt et de se soumettre aux lois civiles.
Ainsi Jésus reconnaîtrait que l'Etat est une bonne chose. Par la collecte de l'impôt, l'Etat organise une redistribution des richesses. Et il institue la notion de service public. Ainsi l'Etat instaure un analogue laïque et profane de la charité chrétienne.
C'est cette conception de l'Etat que l'on retrouverait chez Paul (Romains 13). Le rôle de l'Etat est d'établir des lois et de les faire appliquer. Ces lois sont laïques, mais en fait elles doivent être considérées comme une traduction laïque des lois religieuses. Grâce à l'Etat, tous, croyants ou non, appliquent la loi de Dieu. Les lois civiles suscitent une forme de régulation des passions individualistes; elles rendent obligatoire une certaine forme de vertus "chrétiennes".
C'est cette conception de l'Etat qui se retrouve dans la "doctrine des deux règnes" de Luther. Celle-ci est souvent mal comprise. Luther ne considère pas l'Etat comme séparé de l'Eglise et indépendant par rapport à l'Eglise. Il considère que l'Etat est une traduction laïque des exigences religieuses. Il a donc une fonction tout à fait légitime, même vis-à-vis de l'Eglise.
Deuxième interprétation :
Jésus demande à ceux qui l'interrogent "qu'avez-vous dans vos poches ?" Le fait est là, ils ont dans leurs poches de la monnaie à l'effigie de César. Et Jésus leur dit en substance : " puisque vous avez dans vos poches de la monnaie de César, puisque vous faites du commerce, puisque vous participez au "règne du monde et de César", soyez cohérents avec vous-mêmes. Et soumettez-vous au règne du monde auquel vous participez. Vous êtes bien obligés de le reconnaître,vous ne vivez pas selon les seuls principes de la foi (refus des richesses,amour de la pauvreté et du partage). Vous faites des affaires. Donc, puisque c'est comme ça, payez l'impôt sur les sociétés, sur le commerce et sur les revenus.
En fait, la parole de Jésus serait une forme de concession. Il dit qu'il vaudrait mieux que nous ne participions qu'au règne de la grâce gratuite de Dieu. Mais puisque nous participons au monde de César, soumettons-nous à ses lois et à ses règles.
De la même manière, saint Paul dit également sous forme de concession : il vaudrait mieux que vous restiez chastes, mais puisque, de fait, vous brûlez, eh bien, il vaut mieux que vous vous mariiez. De la même manière saint Paul dit encore: il vaudrait mieux que vous n'ayez pas de conflits entre vous et que toutes les difficultés se règlent selon les lois de l'amour. Mais puisque, de fait, vous avez des conflits, eh bien, réglez-les devant les tribunaux.
Selon cette deuxième interprétation, l'existence du règne de César, à côté du monde de Dieu, est une sorte de concession faite à la chair, à la faiblesse des hommes et à leur incapacité à vivre leur foi.
Troisième interprétation :
"Rendez à César ce qui est à César" peut aussi signifier : "restituez à César tout ce que vous lui devez et ce afin de ne plus rien lui devoir. Ainsi vous serez libres vis-à-vis de lui et libérés de son pouvoir". L'Etat ne doit avoir aucune emprise sur vous car l'Etat est l'oeuvre de Satan, de l'anti-Christ.
Dans cette optique, les chrétiens devraient chercher à désorganiser le bon fonctionnement de l'Etat, celui-ci étant un pouvoir opposé à celui de Dieu. Cette tradition d'anarchisme libertaire et spirituel a été féconde en particulier dans le judaïsme des dix-neuvième et vingtième siècles (Bouber, Bloch, Benjamin et Bernard Lazare). C'est en fonction de cette vision que certains juifs refusaient la création de l'Etat d'Israël.
Alain Houziaux