N'ayez pas peur
par Louis Pernot (septembre 2015)
N’ayez pas peur.
Notre civilisation vit sous le régime de la peur, et personne n’y échappe. Tous ont peur : les vieux de la mort, les un peu moins de la déchéance de la vieillesse, ceux qui travaillent ont peur du chômage, et les jeunes, de ne pas en trouver, ce qui s’ajoute à l’angoisse de trouver le bon conjoint, de réussir ses études, les enfants ont peur de redoubler, les tout petits que leurs parents les abandonnent, et tous en chœur nous tombons dans ces peurs que les médias cultivent bien soigneusement : le réchauffement climatique, la surpopulation, la pollution, la crise économique, Daesh et les islamistes à nos portes.
La réponse de notre Bible à cela, c’est : « n’ayez pas peur ». Jésus le dit un nombre considérable de fois. Et la tradition chrétienne prétend que cela se trouve 365 fois dans toute la Bible : une fois pour chaque jour de l’année. Inlassablement, la Bible nous dit : « n’ayez pas peur ».
Et pourquoi d’ailleurs n’aurions nous pas peur ? En quoi la foi peut-elle nous aider à vaincre cette peur ?
Il y a deux grandes catégories de réponses à cette question.
Le première est centrée sur l’idée que toutes ces peurs sont d’ordre matérielles alors que le monde matériel n’est de toute façon qu’une ombre qui passe, de la poussière qui retourne à la poussière. L’Évangile nous incite à investir dans le domaine du spirituel qui est celui du sens, de l’amour, du partage, de la grâce. Or quelque soit la situation matérielle, il est toujours possible d’avoir en ce sens une vie belle, harmonieuse, pleine de richesse, de profondeur et de bonheur. « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps dit Jésus, et qui ensuite ne peuvent rien faire d’autre, craignez plutôt ceux qui peuvent tuer votre âme. » (Matt. 10 :28). Cette solution s’apparente aux pensées de l’Inde, qui ont elles-mêmes une certaine parenté avec l’Évangile de Jean mettant en garde contre le « monde » (matériel) dangereux et néfaste vaincu par le Christ qui nous mène dans le Royaume (spirituel) de Dieu. La différence, c’est qu’en Inde, on accède à cette libération du matériel par sa propre progression spirituelle, alors que dans l’Évangile, cette libération nous est offerte par grâce.
La deuxième catégorie de réponses repose sur la confiance dans l’action concrète de Dieu : les choses semblent pouvoir aller mal, mais la providence divine veille, et Dieu fera ce qu’il faut pour nous sauver du pire. Il faut pour cela croire en un Dieu pouvant agir matériellement et rapidement dans le monde, ce que ne croient pas tous les chrétiens. Et c’est en contradiction avec notre propre expérience. Nous voyons des personnes extrêmement croyantes et priant beaucoup avoir des malchances matérielles insupportables, contracter des maladies effroyables, être confrontées à des épreuves terribles, et les croyants n’échappent pas plus que d’autres à l’Alzheimer. Que fait Dieu réellement alors ? Et Jésus, « le fils », n’a été épargné par peu de choses de ce que nous redoutons, vivant dans un pays en guerre, en situation d’occupation violente, pauvre, rejeté, torturé, abandonné, seul et mis à mort. Où était Dieu ? Pourquoi n’a-t-il rien fait ?
Tout cela fait que certains ne croient plus en Dieu. Ce serait trop radical, on peut rejeter l’idée que la foi serait l’attente d’interventions concrètes dans le cours matériel du monde sans pour autant rejeter toute idée de Dieu, ni même que Dieu puisse apporter infiniment à chacun d’entre nous. Le monde matériel a son propre cours, il offre des joies, et est parfois cruel, peu importe, « le Royaume de Dieu, ce n’est pas le boire et le manger, mais la justice et la paix ». Dieu est une puissance spirituelle infinie, il peut transformer nos cœurs, il est une source immense de paix, de confiance, d’espérance, d’amour, de force. Et la foi c’est cela, non pas attendre des miracles éventuels et incertains, mais savoir qu’en Dieu, quelle que soit la situation matérielle nous aurons toujours assez, parce qu’il est la fenêtre ouverte sur un autre monde qui n’est que lumière et paix.
Cependant, rejeter brutalement l’éventualité des interventions de Dieu dans notre histoire matérielle est peut-être aussi un peu trop radical.
Quand on regarde l’histoire même de notre pays, on est émerveillé. Certes la dernière guerre mondiale, par exemple, a fait beaucoup de morts, mais ce ne sont pas la haine et le racisme qui ont gagné. Et dans le détail de l’histoire, ont voit que tout cela s’est fait par des successions de hasards incroyables. Or quand la chance va un peu trop souvent dans le bon sens, on peut se poser des questions. Dieu n’a-t-il pas finalement donné un certain « coup de pouce » ? Et ne peut-on penser que finalement, sans intervenir trop brutalement, Dieu peut infléchir les choses pour éviter qu’en fin de compte le mal triomphe.
Et si chacun veut bien se pencher sur sa propre histoire, ne voit-il pas des successions de hasards, de chances extraordinaires. Sont-ce vraiment des hasards ? Les chances de notre vie, ce sur quoi nous nous sommes construits, sont souvent des choses totalement imprévisibles, non programmées, des vrais « chances » semblant comme sans cause. Sont-ce des sortes de miracles qui on fait ce que chacun de nous est ?
Donc nous sommes bien responsables de nos vies, appelés à agir, à lutter, mais tout en faisant confiance, Dieu notre père ne permettra pas que notre histoire mène au chaos. Matériellement... on peut le croire plus ou moins, mais spirituellement évidemment et totalement. « Ne crains point, petit troupeau; car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume » (Luc 12:32)
Louis Pernot