L'érotisme de la foi
par Louis Pernot (juin 09)
On dit qu’il faut aimer Dieu, qu’entre lui et nous, c’est une question d’« amour ». Mais jusqu’où peut-on aller dans le sens de ce mot ? Faut-il « faire l’amour avec Dieu » ? Oui je le crois.
La Bible met en parallèle en maints endroits la relation entre Dieu et l’humain avec la relation conjugale de l’homme et de la femme. Ainsi le chant d’amour du Cantique des Cantiques a-t-il une bonne place dans la Bible. A l’opposé, l’humain qui délaisse Dieu, qui se préoccupe d’autre chose que de l’essentiel, est présenté comme adultère, et prostitué. C’est là le sujet du livre du prophète Osée. Dans le Nouveau Testament, le bien-aimé c’est le Christ, et les promises, les « vierges », ce sont nous les croyants. Ainsi se lit la parabole des vierges sages et des vierges folles, et tous les passages qui parlent du Christ comme étant « l’époux ». Paul encore dira en II Corinthiens 11:2 « je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter à Christ comme une vierge pure ».
Que nous apprend cette analogie sur notre relation à Dieu ?
La relation entre Dieu et l’homme est et doit être avant tout une relation d’amour, comme la relation d’un couple idéal : avec tendresse, attention, fidélité, relation équilibrée ou aucun ne cherche à dominer l’autre, ni à le commander, ni à l’esclavagiser. Pour fonctionner, un couple doit être une alliance, et pas une relation où l’un devrait être rien pour que l’autre soit tout.
Si on y réfléchit bien, présenter la relation entre Dieu et l’homme comme une relation de couple, c’est une affirmation théologique stupéfiante, et qui va même à l’encontre de ce que l’on a trop souvent voulu enseigner dans les catéchismes d’un Dieu tout puissant culpabilisant l’homme lui demandant de n’être rien pour que Dieu soit tout. Un couple ne peut pas être ça. Un couple, c’est l’union de deux personnes dont chacune respecte l’autre, une relation dans laquelle aucun ne doit détruire ou écraser l’autre, une relation d’union qui respecte la différence des deux, dans la fidélité, mais sans fusion ni confusion. Sinon ça ne peut pas marcher, ni conduire à l’épanouissement d’aucun des deux.
Dans un couple idéal, ce qui circule, c’est une relation d’accueil, de respect, de considération, de disponibilité de compréhension, de pardon (de part et d’autre...), relation qui accepte que l’autre ne soit pas absolument comme on voudrait. Ce dernier point aussi est important, il est vrai pour Dieu vis-à-vis de nous, mais aussi pour nous vis-à-vis de Dieu : on aimerait qu’il soit plus fort, qu’il fasse des miracles, qu’il soit tout-puissant et supprime le mal... mais une foi adulte peut aimer de tout son cœur Dieu, même s’il ne correspond pas tout à fait à nos phantasmes enfantins. La foi adulte suppose un amour fort et aussi une certaine rationalisation, une relativisation, et peut être une certaine objectivité afin de pouvoir dire comme Paul : « je sais en qui j’ai cru ».
Mais peut-on prolonger l’image, et jusqu’où ?
Très loin je crois, et il est vrai que l’amour conjugal n’est pas juste une organisation, un contrat de confiance et de cohabitation, ni même une relation rationnelle et équilibrée, c’est plus que ça.
D’abord, cela suppose de partager une intimité, de « vivre sous le même toit » comme dit la loi. Cela, c’est l’un des idéals de la foi. Le psalmiste dira ainsi : « Il y a une chose que je désire, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur » (Ps 27) et c’est vrai, c’est là une image de l’intimité que l’on peut désirer vivre avec Dieu : vivre en présence de l’autre tout le temps... Ca n’est pas évident pour tout le monde, pour arriver à cela, il faut tout un travail d’approche, d’apprivoisement, il faut « faire la cour » à Dieu, essayer de s’en approcher, le fréquenter assidûment, et même si au départ cela semble un peu artificiel, cela peut aboutir progressivement à une véritable intimité.
Ensuite, un couple, c’est fait pour faire des enfants. Il n’est pas question là d’avoir nécessairement des enfants dans la chair, mais que notre vie, fécondée par Dieu, puisse être riche et donner naissance à des dimensions qui vont au delà de nous mêmes, pouvoir donner des fruits et transmette.
Pour cela, il faut d’une certaine manière « connaître » Dieu, ce qui peut s’entendre au sens Biblique où l’on dit : « Adam connut Eve sa femme et enfanta un fils », et donc « faire l’amour » avec Dieu. Cela peut sembler un peu osé comme image, pourtant, si on ne s’en offusque pas, c’est une image très riche et belle. Il faut s’unir à Dieu corps et âme, vivre enlacé avec Dieu, l’embrasser sur la bouche, cette bouche qui donne sa Parole, il faut ne faire qu’un avec lui dans un abandon total, avec une volupté libérée, afin qu’il vienne en nous pour nous féconder, qu’il insémine sa Parole et son esprit dans nos vies et que nous devenions enceintes de lui, porteurs d’une vie nouvelle qui transcende notre existence égoïste. Cela peut sembler osé, c’est pourtant ce que dit la tradition chrétienne depuis 2000 ans en affirmant que Marie, image de l’humanité fidèle est « couverte » par le Saint Esprit, ou qu’elle est « enceinte » de lui, et qu’elle donne la vie au Christ. Marie, c’est nous, elle est la vierge pure fiancée à l’époux qui est Dieu, comme nous sommes appelés à l’Etre.
Louis Pernot