Faut-il lire la Bible
par Florence Blondon (septembre 08)
Lors d’un passage à Paris en juin dernier, Alain Houziaux m’a invitée à participer à une émission de Fréquence Protestante. Le thème général de ces interviews était : « Dieu au risque de… », le sujet du jour : « Dieu au risque de l’exégèse ». Il m’a interpellée en me posant la question : les chrétiens doivent-ils lire la Bible ?
Dans le protestantisme, la question peut paraître assez impertinente, pourtant, ce n’est pas parce que « Sola scriptura », « la Bible seule » est un principe qui nous semble intangible, que nous ne pouvons nous interroger légitimement.
Les enjeux des réponses peuvent être salutaires, car bien que la Bible reste un best-seller mondial (détrônée de la première place depuis quelques années par le catalogue Ikea !), la méconnaissance biblique est culturellement un acquis, qui a pour effet, entre autres, de couper nombre de nos contemporains de la compréhension d’œuvres littéraires, iconographiques ou musicales.
Et, si Boileau affirmait que « tout protestant est pape, une Bible à la main », aujourd’hui, nous constatons que même les protestants n'ont que trop peu la Bible à la main, et ne sont plus des familiers du texte biblique.
Nous pouvons, certes, le regretter, mais nous pouvons aussi y voir un défi, presque une chance pour une lecture renouvelée. Car, cette désaffection n’est-elle pas le résultat, entre autres, d’une compréhension trop stricte, voire erronée du principe du « Sola scriptura » ? D’une idolâtrie de la Bible qui nous prive de la distance nécessaire, et qui s’inscrit d’ailleurs en porte-à-faux avec d’autres principes du protestantisme, tout particulièrement :« A Dieu seul la gloire ». Car ce n’est pas la Bible qui est à adorer. Et, affirmer :« la Bible seule » ne signifie pas qu’elle est directement équivalente à la Parole de Dieu.
Cela peut paraître brutal, mais la Bible est un livre, qui prend la poussière tout comme d’autres lorsqu’elle reste fermée. Le texte biblique ne devient Parole de Dieu qu’à la condition d’être lu, médité, partagé, prêché.
Le protestantisme ne s’est pas trompé en donnant la place principale à la prédication. Et l’un des moments importants du culte est la prière avant la lecture de la Bible, qui demande l’Esprit pour que ce texte lu et entendu devienne Parole de Vie. C’est sous l’action du Souffle que se fait la rencontre, comme l’exprime Zwingli : « l’Esprit qui parle dans la Bible, et l’Esprit qui parle dans notre âme se confirment mutuellement ».
La Bible n’est donc pas Parole de Dieu en tant que texte. Elle le devient par la rencontre entre un écrit et un lecteur ou un auditeur. Elle le devient en entrant en résonance avec nos vies, et lorsqu’elle nous permet la rencontre avec le Christ, parole incarnée de Dieu, comme nous le présente le prologue de l’Evangile de Jean : « Au commencement était la Parole, … la Parole est devenue chair, elle a fait sa demeure parmi nous » (Jean 1:14). La Parole est devenue chair, elle devenue humaine et présente parmi nous en la personne de Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ qui est la Parole de Dieu, et non un texte.
Et tout comme les paroles prononcées par Jésus, la Bible n’a rien d’un livre consensuel, inoffensif. Son essence, c’est d’être une parole faite pour déranger, pour ébranler les pensées établies, pour bousculer les certitudes. C’est un texte engagé, qui nous invite à nous engager. Elle a toujours été perçue comme un livre dangereux. Déjà dans le livre de Jérémie, le roi Joïaquim découpe et brûle le rouleau du prophète (Jer 36:23). Bien des années plus tard, nos aïeules devaient cacher la Bible dans leurs chignons car sa lecture se faisait au péril de leur vie. Il a toujours fait entendre la voix des vaincus, c’est ce qui fait le caractère singulier de ce livre, qui est certainement le seul récit de cette ampleur, à nous donner une version de l’histoire qui est celle des vaincus. La croix en est l’ultime expression.
Et je crois profondément que la Bible fait l’éducation de l’humanité. Elle nous propose, sous forme de mise en scène de récits, une mise en scène du drame humain, de la condition humaine. Quiconque est familier de la Bible sait qu’elle est traversée par des débats, que les événements sont sans cesse relus, réinterprétés, nous invitant à nous inscrire dans ce mouvement. C’est une incitation au dialogue, plus encore une convocation au dialogue, puisqu’il n’y a pas de Bible en dehors des espaces de l’interprétation.
Pour ma part c’est dans le texte même que je trouve l’invitation à lire, tout particulièrement dans la finale de l’évangile de Marc. Alors que les femmes arrivent au tombeau, le corps de celui qu’elles aiment n’y est plus, seul un jeune homme vêtu de blanc leur dit : « Ne vous effrayez pas, ne cherchez pas Jésus le Nazaréen, le crucifié, il s’est réveillé, il n’est pas ici… Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. » (Marc 16:6-7).
Aller en Galilée, c'est retourner sur les lieux du début du ministère de Jésus, car il est la vie. C’est aussi pour nous lecteur une invitation à retourner à ce commencement, à lire et relire, et l’Evangile et plus largement l’ensemble de la Bible dans lequel il s’inscrit. Une invitation à aller à la rencontre de Jésus dans notre Galilée, dans nos vies, et à tourner définitivement le dos à tous nos tombeaux.
Florence Blondon