Du jardin à la ville : itinéraire de la liberté
par Florence Blondon (avril 2011)
à propos du vingt-et-unième chapitre de l'Apocalypse
On a souvent assimilé la Jerusalem Céleste à une sorte de retour au paradis, pourtant, il s'agit de bien autre chose. On peut s'étonner de trouver comme promesse non pas un paradis, un jardin, mais une ville ! C'est tout à fait révolutionnaire, et cela est porteur d'un sens qui aujourd'hui encore nous interpelle.
D'abord, cette vision s'oppose à un retour possible à un état antérieur. Le dessein de Dieu, ce n'est pas de nous ramener dans le jardin d'Eden. Après tout, l'histoire ne s'est pas si bien terminée, et si l'homme a du en tirer des conséquences, Dieu aussi. Et somme toute, la sortie de ce jardin, en permettant à l'homme de se reproduire, a permis à l'humanité d'advenir. Et avec l'humanité la ville ! Certes, la Bible n'a pas toujours une vision positive de la ville, c'est Caïn qui le premier va construire une ville et quand on sait qui il est, on peut se méfier. Ninive, Babylone et même Jérusalem ! La ville est traitée de prostituée. Mais dans le texte biblique rien n'est jamais simple et la vision de la ville est plus dense qu'il n'y paraît, ainsi Jonas a réhabilité la ville ennemie. Il ne s'agit pas tant d'opposer une ville à l'autre - Jérusalem est également condamnée - que de voir ce qui se vit dans ce lieu.
Cela nous ramène à la réalité d'une ville : c'est un lieu pour l'humanité, nous sommes sous le registre de la promesse et non de l'utopie. L'humanité ne pourrait se contenir dans un jardin, mais il lui faut une organisation, un habitat, une économie, une cité. Dieu veut accueillir le plus grand nombre ! Nos rêves sont souvent nostalgiques du "bon vieux temps", soupirs mélancoliques d'un "paradis perdu", d'un retour à la campagne. Alors que l'espérance que nous offre l'Apocalypse nous tourne délibérément vers l'avenir. D'ailleurs ce texte a été largement commenté par Jacques Ellul, dont on sait combien il a influencé la pensée de nombreux écologistes. Et aujourd'hui, de plus en plus, on prend acte de la ville, comme un lieu à réhabiliter, à réinvestir. On prend conscience que la ville c'est l'avenir, ou plutôt qu'on ne peut faire l'économie de penser la ville. On ne peut imaginer l'humanité entière dans un jardin, ou dans des zones pavillonnaires qui s'étalent indéfiniment. Au contraire, il faut mettre le jardin dans la ville, tout comme il y a un jardin dans la Jérusalem que Dieu nous offre. Prendre aussi acte que le lieu de la révolte qu'est la ville, devient le lieu de la réconciliation. La cité qui nous est offerte, n'est pas une cité aux banlieues de viloence, aux tiers et quarts mondes laissés pour compte, ni une ville lumière comme Paris, mzis une cité où Dieu lui-même habite avec "ses peuples". Et l'identité de Dieu qui habite la cité n'est pas celle d'un Dieu lointain, magicien tout puissant, mais celle d'un Dieu qui est allé au bout de l'humanité, d'un messie assumant totalement la condition humaine. Un Dieu livré aux hommes qui s'est fait proche de nous pour nous délivrer de notre désespoir. Et, dans cette cité, il accueille tous les peuple (21:3). La ville nouvelle est un cadeau de Dieu, ville ouverte à tous sans distinctions, aux quatre horizons du monde, et qui brille au soleil d'un ciel nouveau. Certes cette ville est de l'ordre du "pas encore", mais elle nous ouvre des possibles, elle nous invite à essayer d'imaginer l'impossible "acceuillir Dieu et tous les peuples". Nous sommes conviés à penser la ville , et au-delà notre monde comme lieu de cohabitation, de reconnaissance de l'autre.
Enfin, il faut le reconnaître, cette ville s'oppose à ce fameux "paradis". Et là c'est vraiment une bonne nouvelle !
Le mot "paradis" vient du vieux perse, et il signifie jardin, mais pas n'importe quel type de jardin, un jardin clos. Et c'est bien sous forme de jardin que l'on s'imagine le paradis. Le mot hébreu "pardes" trois fois dans l'Ancien Testament est toujours à comprendre par "jardin" ou "verger". Dans le Nouveau Testament, le mot Paradis n'apparait que trois fois, dont une seule dans l'Apocalypse. Et le mot "paradeisos", qui est traduit par "paradis", signifie également "jardin". Mais ce jardin n'est pas n'importe lequel : nous l'entendons dans le livre de l'Ecclesiaste "je me suis fait des jardins et des vergers (paradis) (2:5) . Ce jardin n'a rien de commun avec nos petits bouts de jardins ouvriers, ce paradis-là est le privilège du despote. Le sage le reconnait lorsqu'il nous dit " tout cela est vanité", mais combien de tyrans n'ont pas eu sa sagesse ! Ainsi le jardin clos est en quelque sorte un cérémonial absurde tout à fait propre au pouvoir, qui s'exerce de manière totalitaire. Si beaux soient-ils, les jardins de l'Alhambra, me parc de Versailles, ces paradis-là sont le privilège des despotes.
Le don d'une ville par Dieu nous dit qu'il n'est pas un dictateur, Dieu nous a créé libres, et il désire notre liberté, en aucun cas ce qu'il nous offre ne pourrait être un lieu d'enfermement, et donc son dessein n'est pas un jardin clos mais une ville ouverte, avec de nombreuses portes qui permettent d'y entrer et d'en sortir.
Cet itinéraire qui ous mène du jardin à la ville, c'est celui de toute la Bible. Dieu qui se révèle comme un Dieu d'amour, qui offre dès le début, dès le jardin d'Eden la liberté à l'homme, et qui tout au long de l'histoire n'a de cesse que de le libérer de ses servitudes : du jardin à Babel, d'Abraham aux prophètes, en passant par la sortie d'Egypte, jusqu'à sa venue par amour pour nous libérer de nos servitudes. Le Dieu qui offre à l'humanité une ville céleste, n'est pas un Dieu lointain, abstrait, c'est celui qui est en permanence présent au coeur même de notre histoire, et qui nous crie à nous également d'aimer notre prochain et de le rendre libre.
Florence Blondon