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Ne me touche pas! (Noli me tangere)

Prédication prononcée le 8 avril 2018, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Une des phrases les plus énigmatiques attribuées à Jésus est le « Ne me touche pas» que, tout juste ressuscité, il dit à Marie Madeleine qui le reconnaît. Cette réplique est même universellement connue en latin : « Noli me tangere », il faut dire qu’elle a inspiré un nombre incroyable de théologiens du Moyen-Age et d’artistes. Il y a, en particulier, des centaines de tableaux tentant de représenter la scène. Sans doute que les peintres ont été sensibles à la sensualité de la situation : Jésus repousse les assauts de Marie Madeleine qui veut l’étreindre physiquement. Jésus alors est montré indiquant que ce n’est plus le moment, Jésus devient un être spirituel, un objet de foi avec lequel il n’est plus possible d’avoir un lien physique.

Les pères de l’Eglise, de même, expliquent cela en disant de Marie Madeleine voulait rester dans le bonheur de partager physiquement la présence de Jésus, mais lui, il montre qu’il doit être encore plus grand que cela en montant vers son père, et sans doute non pas pour la priver, mais pour lui donner encore plus d’amour et de joie. Comme si les joies concrètes de ce monde étaient belles, mais que le bonheur spirituel était plus grand encore.


Mais pourquoi vraiment Jésus ne veut-il pas que Marie Madeleine le touche ? C’est assez curieux en fait, Jésus ne le refusait pas avant sa mort, on le voit même avec la même Marie qui l’a oint de parfum. On pourrait penser que c’est parce qu’il est maintenant ressuscité, mais dans le même évangile de Jean, Jésus lui-même invite Thomas à le toucher, lui le ressuscité, pour mettre ses mains dans ses plaies. Pourquoi donc refuse-t-il cela à Marie Madeleine ?


On peut penser d’abord que ce refus est adressé non pas à tout le monde, mais à Marie Madeleine en particulier. En effet, elle était venue pour embaumer le corps mort de Jésus, pour toucher sa dépouille. Jésus lui dirait en quelque sorte, qu’il n’est pas la peine de l’embaumer comme un mort avec de la myrrhe et des aromates puisqu’il est vivant spirituellement. Et Marie Madeleine, s’il s’agit bien d’elle, avait pris soin corporellement de lui en lui oignant les pieds de parfum (Jean 12:3). Justement, Jésus lui dit qu’il n’est plus temps de s’intéresser à son corps, qu’il soit vivant ou mort, mais de passer à un autre mode de présence plus spirituelle.


Cela peut nous parler à nous aussi, en effet un certain nombre de lecteurs de l’Evangile restent fixés sur le personnage concret de Jésus. On a ainsi parfois des réactions curieuses de personnes qui lisent pour la première fois l’Evangile et qui trouvent que Jésus n’est pas sympathique. On peut en effet le voir arrogant, désagréable, peu patient avec certains, prenant tout le monde de très haut. Mais la question n’est pas de savoir si Jésus est « sympathique » ou non, de savoir si on s’en serait fait un ami s’il avait vécu parmi nous. Si le chrétien croit en Jésus-Christ, c’est pour la parole qu’il incarne, pour ne message qu’il a transmis et dont il a témoigné en vivant. De même certains penseurs aujourd’hui s’amusent à imaginer que Jésus aurait eu quelque trouble de la personnalité, le faisant se prendre pour Dieu lui-même. Mais c’est là passer totalement à côté de ce qui fait que Jésus est le Christ, et qui vient du fait qu’il est la Parole incarnée, le porteur d’un message qui depuis deux mille ans a changé le monde et change encore nombre et nombre d’existences individuelles pour les mettre sur un chemin neuf plein d’amour et de joie. Peu importe donc ce qu’était Jésus physiquement ou humainement, il faut sortir de cette manière de voir le Christ si on veut pouvoir accéder à ce qui en lui est une bonne nouvelle et une parole de vie.

Cette mise en garde vis-à-vis de la dimension corporelle de Jésus est vraie aussi concernant les débats que nous pouvons avoir concernant sa résurrection. Certains trouvent très important de croire aux résurrections corporelles de Jésus et à toutes les apparitions dont parle l’Evangile. Mais justement, le Christ, là, nous invite à aller au-delà. Il ne faut pas chercher à toucher la corporéité du Christ ressuscité, il ne faut pas s’attacher à la dimension matérielle du Christ ressuscité, il n’est pas de l’ordre du touchable. Cela doit nous inviter à comprendre que précisément, la résurrection du Christ n’est pas un phénomène physique : il passe à travers les murs, il est à la fois dans deux endroits différents, il n’apparaît qu’à ceux qui ont la foi en lui, et ils ne le reconnaissent pas. Aujourd’hui encore les chrétiens s’écharpent sur cette question, alors résurrection corporelle ou pas corporelle ? Jésus nous dit là : arrêtez ça, et cessez de vouloir toucher le corps du ressuscité. Il dit « ne me touche pas », non pas qu’il l’interdise, mais parce qu’il n’est pas « touchable », il n’est plus corps matériel, il est corps spirituel et son mode de présence est autre que celui d’un corps que l’on peut toucher. Il ne faut pas chercher dans le physique celui qui n’est que spirituel.


Cela est tout à fait intéressant, mais ne permet pas d’expliquer vraiment le texte. En effet il n’aurait pas dit alors à Thomas un peu après de le toucher, et surtout il ne dit pas à Marie Madeleine « ne me touche pas » tout simplement, mais il ajoute, « car je ne suis pas encore monté vers mon père ». Ce « pas encore » laisse supposer que ce qui est interdit là sera bientôt autorisé, voilà qui est bien curieux, car montant « vers le Père », c’est à dire allant vers le pur spirituel, il devrait devenir de moins en moins « touchable » ! Il faut donc continuer à chercher.


Beaucoup de commentateurs actuels tentent de donner un sens au « noli me tangere » à partir du sens que le verbe « toucher » (« hapto ») peut avoir. En effet dans le grec classique, « hapto » signifie « toucher », mais plus particulièrement « prendre », « attacher », « accrocher ». C’est ainsi que la Traduction Œcuménique traduit : « ne me retiens pas », et la Nouvelle Bible Second : « cesse de t’accrocher à moi ». On comprend à peu près là où ils veulent en venir : elle doit se détacher du Jésus concret pour le laisser aller...  Le messager n’est pas extraordinaire, et surtout la piste est très très discutable : le verbe « hapto » utilisé plus de cent fois dans la traduction grecque des Septante de l’Ancien Testament n’est absolument jamais pris dans ce sens, mais signifie toujours, tout simplement « toucher ».

Mais il y a là tout de même une piste intéressante. En effet, Marie Madeleine était très possessive à l’égard de Jésus. Elle dit : « on a pris MON seigneur », elle faisait de Jésus sa chose à elle. Là elle le retrouve, et voudrait continuer à le garder pour elle. Mais on ne peut pas posséder Jésus, ni le saisir totalement. Le Christ dépasse toujours ce qu’on croit saisir de lui, il est toujours plus, autre, il est plus loin que là où nous croyons le trouver, et on ne peut l’enfermer dans rien. Le Christ, comme Dieu est toujours au-delà de ce qu’on peut en dire et de ce que nous en pensons. Nous devons donc accepter de ne pouvoir aller jusqu’à le toucher véritablement, dès que l’on pense avoir compris quelque chose de lui, il est déjà au-delà ce ça.

Il nous faut donc penser que nous ne devons jamais enfermer le Christ dans nos dogmes ou nos certitudes. Ainsi certains pensent qu’il est très important de croire dans sa résurrection corporelle, d’autres que cela serait contraire au sens de la création et à la bonne nouvelle d’aujourd’hui, mais les deux ont tort. La résurrection du Christ est certainement au-delà de ce que les uns ou les autres en disent et dans lequel ils voudraient enfermer le croyant. Et comme Marie Madeleine ne peut garder « son » Jésus pour elle toute seule, chaque croyant doit aussi renoncer à enfermer Jésus dans ce qu’il en pense. Jésus appartient à tous les chrétiens, et chacun peut avoir avec lui une relation intime qui lui appartient, et à sa manière. Chacun peut avoir son propre mode de relation au Christ sans que personne ne puisse prétendre avoir le seul vrai contact avec la réalité du Christ. Il est bien de s’approprier le Christ, de le faire sien, mais à un moment, comme Marie Madeleine, il faut le laisser filer et ne pas se l’accaparer.

De même dans cet autre récit de résurrection qui est celui des témoins d’Emmaüs, les disciples marchent avec lui sans le reconnaître. Quand ils arrivent à leur destination, « il fit mine de vouloir aller plus loin » (Luc 24:28), eux lui disent, comme Marie Madeleine : « reste avec nous Seigneur, car le jour décline », alors ils le reconnaissent, mais ils disparaît à l’instant. Nous aimerions que ainsi que Jésus reste tranquillement près de nous sans que nous soyons dérangés dans nos certitudes, mais lui nous emmène toujours un peu plus loin sans que nous ne soyons jamais vraiment arrivés parce que c’est la dynamique qui fait vivre.


Et il n’y a pas que dans la doctrine que l’on risque d’enfermer le Christ, ce peut être vrai aussi d’un point de vue mystique. Il ne faut pas s’enfermer dans la contemplation spirituelle, et Jésus dit à Marie Madeleine : « ne me touche pas... mais va vers mes frères ». Il ne faut pas rester bloqué dans la prière, mais aller agir vers les autres. La contemplation du Ressuscité n’est pas une mauvaise chose, mais l’essentiel est d’aller vers les frères et sœurs. Cela va dans le sens de la critique de certains ordres cloitrés que faisaient les Réformateurs : rester enfermés entre soi pour adorer Jésus est un contresens, il faut aller dans le monde pour témoigner et agir.

Ou sans avoir la tentation de s’enfermer dans un monastère pour ne faire que de contempler Jésus, il reste pour ceux qui sont dans le monde la tentation de rester bloqué sur les apparitions du Christ ou une foi qui ne tournerait que dans le message de la résurrection. En fait, Jésus nous fait comprendre que l’essentiel n’est sans doute pas de tout comprendre à ce sujet, ni d’en faire une idée fixe, mais, même sans tout saisir, d’aller de l’avant pour aller à la rencontre de ses frères et de ses sœurs, leur annoncer la victoire du Christ sur la mort et leur faire part de la bonne nouvelle de l’Evangile.

Cela encore est très beau... Mais n’explique toujours pas le « pas encore ». Qu’il ne faille pas s’accrocher à Jésus, d’accord, mais en quoi cela deviendrait-il possible ou bon un peu plus tard ? Sans doute faut-il encore reprendre la question pour avancer. Et peut-être faut-il justement s’intéresser à ce « pas encore ». Il laisse penser qu’on pourra le toucher ensuite, et que donc cet ordre n’est pas définitif. Mais c’est très curieux, parce qu’il n’est jamais bon de s’accaparer Jésus, et si il monte vers son père, il sera encore plus spirituel et Marie Madeleine pourra encore moins le toucher physiquement.

Cela n’a pas échappé aux pères de l’Eglise, et saint Augustin, tout comme son maître Ambroise de Milan ont dit que nécessairement il n’était jamais question de toucher le Christ physiquement, mais que ce « toucher » devait signifier en fait « croire », toucher par la foi : « Que veut donc dire toucher sinon croire ? Par la foi, en effet, nous touchons le Christ et il vaut mieux ne pas le toucher de vos mains et le toucher par la foi » (Augustin). « Toucher » devrait donc être entendu dans le sens de « comprendre », « garder en soi ». Mais pourquoi alors Jésus dirait-il à Marie Madeleine qu’elle doit attendre encore un peu avant de garder cette image du Christ pour en faire le centre de sa foi ?


On peut le comprendre dans le sens qu’à ce moment là le message du Christ n’était pas encore complet, pour le comprendre il faut le comprendre tout entier. Là, Marie Madeleine en est à avoir les yeux fixés sur une apparition, mais il ne faut justement pas en rester là, il faut aller plus loin dans la foi dans un autre mode de présence du Christ qui est un mode de présence spirituelle. C’est ça le centre, et ça qu’on peut garder, toucher par la foi : le Christ qui est monté vers le Père, c’est à dire considéré comme totalement spirituel. Parce que croire dans les apparitions ne fait pas pour nous une bonne nouvelle puisque aujourd’hui le Christ n’apparaît pas matériellement. Pour que Pâques soit une bonne nouvelle pour nous, il nous faut comprendre comment le Christ peut être présent autrement parmi nous et dans nos vies en tant que présence invisible et spirituelle.

On peut le comprendre aussi par le fait qu’elle l’appelle à ce moment « Rabbouni », ce qui signifie « maître », « professeur », elle le voit donc à ce moment comme un enseignant. Elle croit dans l’enseignement de Jésus. Mais ce n’est pas suffisant, Jésus lui dit de ne pas en rester là, mais qu’il lui manque un autre type de lien plus spirituel avec le Christ qui consiste à le voir comme étant monté auprès du Père. Un autre père de l’Eglise l’a aussi bien comprit : Cyrille d’Alexandrie explique que confesser sa foi ne suffit pas, mais qu’il faut aussi avoir reçu l’Esprit saint, c’est à dire avoir découvert cette dimension spirituelle et divine qui est en Christ pour qu’il puisse est le cœur de sa foi. Ainsi dans l’antiquité, les catéchumènes n’avaient pas le droit de communier juste après leur profession de foi, mais ils devaient attendre leur confirmation où était signifiée la présence du saint Esprit.

Il y a donc tout un chemin à faire depuis le Jésus de l’histoire jusqu’au Christ de la foi. Lire l’Evangile, aimer le message du Christ c’est bien, et il y a beaucoup de chrétiens qui aiment l’évangile parce qu’ils y trouvent un message porteur, des valeurs essentielles, un idéal qui leur semble bon, mais cela ne suffit pas. Il faut encore faire monter ce Jésus jusqu’à Père, c’est à dire le faire remonter à Dieu. Or Dieu, c’est la source de la vie, c’est l’essentiel de notre vie. Faire monter le Christ jusqu’à Dieu, c’est prendre l’évangile autrement que seulement intellectuellement pour choisir d’en faire le cœur de sa vie, le fondement de tout son être la base fondamentale sur laquelle on veut tout construire. Il faut que nos gentilles convictions remontent jusqu’à devenir notre Dieu, c’est à dire prendre la place du cœur atomique de notre vie.


Et puise enfin une autre lecture possible encore, peut-être la plus juste, mais aussi la plus savante. Il a déjà été dit que ce récit de la résurrection du Christ dans l’Evangile de Jean était construit comme nous faisant revenir au sein du paradis Terrestre. Jésus subit son agonie dans un jardin et meurt sur une croix, or « croix » se dit « bois » dans la langue de la Bible, ce qui est aussi le mot désignant « l’arbre ». Et quand il ressuscite, Marie le prend pour le jardinier. Jésus est ainsi l’arbre au centre du Jardin. La mort et la résurrection du Christ nous font revenir dans le jardin d’Eden, le jardin des délices nous permettant d’avoir accès à l’arbre de la vie.

Or quand on cherche où apparaît le verbe « hapto » (« toucher ») dans l’Ancien Testament, on découvre que la première occurrence de ce mot est lorsque qu’il est dit à propos de l’arbre au centre du jardin : « vous n’y toucherez pas ». En suite Adam et Eve pèchent et sont donc exclus du jardin d’Eden, et ne peuvent plus toucher à l’arbre de la vie. Dans notre histoire, Marie Madeleine ne peut pas encore avoir accès à cela parce que la vie, c’est e croire dans le Christ comme présence spirituelle nous accompagnant. Et quand pour nous, dans nos esprits, Christ devient monté vers le Père, quand du Jésus on passe au Christ de la foi, alors nous pouvons toucher en Christ celui qui est la source de la vie, de nouveau nous pouvons « toucher » l’arbre de la vie, cette source infinie de la vie éternelle et de tout délices.

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Jean 20:11-18

11Cependant, Marie se tenait dehors, près du tombeau, et pleurait. Comme elle pleurait, elle se baissa pour regarder dans le tombeau 12et vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds. 13Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis. 14En disant cela, elle se retourna et vit Jésus debout ; mais elle ne savait pas que c’était Jésus. 15Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Pensant que c’était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je le prendrai. 16Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni, c’est-à-dire : Maître ! 17Jésus lui dit : Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. 18Marie-Madeleine vint annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses.

Cantique des Cantiques 3:1-5

 1Sur ma couche, pendant les nuits,
  J’ai cherché celui que mon cœur aime ;
  Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé…
  2Je me lèverai donc, et je ferai le tour de la ville,
  Dans les rues et sur les places ;
  Je chercherai celui que mon cœur aime…
  Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé.
  3Les gardes qui font le tour de la ville m’ont trouvée :
  Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?
  4A peine les avais-je dépassés,
  Que j’ai trouvé celui que mon cœur aime ;
  Je l’ai saisi et ne le lâcherai plus,
  Jusqu’à ce que je l’aie introduit dans la maison de ma mère,
  Dans la chambre de celle qui m’a conçue.
  5– Je vous en conjure, filles de Jérusalem,
  Par les gazelles, par les biches des champs,
  N’éveillez pas, ne dérangez pas l’amour,
  tant qu'il plaît.

Jean 20:11-18, Cant. 3:1-5