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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La parole qui engage

Prédication prononcée le 4 novembre 2012, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

On connait cette parole forte de l’Evangile : « que votre oui soit oui et votre non soit non », elle plait aux protestants qui aiment à professer l’honnêteté, la rigueur et la franchise. Mais en fait ce qui est écrit, c’est : « que votre réponse soit oui oui, ou non non » pour dire de ne pas jurer, comme si il y avait un formalisme qui faisait qu’une parole engage ou non, comme si l’on devait particulièrement dire la vérité en cas de serment, ce qui laisserait supposer qu’on pourrait allégrement mentir sinon. Mais pour le Christ, le fait de jurer sur ceci ou cela de sacré ne change rien, ce qu’on a à dire, il faut le dire, et que l’on jure sur la Bible ou non ne doit pas faire la différence sur son exigence de vérité. Sinon, on tombe dans des casuistiques de cours d’école : si on jure en croisant les doigts alors on peut mentir, ou des justifications qui n’en sont pas, comme cette histoire d’une bonne qui accepte finalement de dire faussement que son patron n’est pas là parce qu’en le disant elle met un index dans la manche de l’autre main, et en effet, son patron n’est pas dans sa manche. Mais tout cela, donc, ce sont des enfantillages. Il faut avoir une vie cohérente, il n’y a pas de lieu ou de moment où l’on devrait dire la vérité comme s’il y en avait d’autres où il serait anodin de mentir. Les protestants ont toujours été très sensibles à cela, refusant qu’il y ait des lieux plus particulièrement sacrés, comme s’il pouvaient y en avoir qui ne le soient pas, et refusant les temps comme celui du Carême, où il faudrait faire des efforts pour penser à Dieu, comme si le reste de l’année on pouvait l’oublier et se goinfrer sans vergogne. Ce qu’il est bon de faire, il faut le faire, quelque soit le temps, et quelle que soit la circonstance ou la modalité, quel que soit le formalisme que l’on mette en œuvre.

C’est aussi contre autre chose que cette saillie de Jésus s’élève : la superstition des vœux que l’on peut faire en disant : « s’il m’arrive ceci, ou cela, je jure de... ne pus boire, ou de ne plus me couper les cheveux, etc.... ». Cette pratique était courante dans le judaïsme, et on en voit des traces importantes dans l’Ancien Testament, comme le vœu de Naziréat. Le Nazir était un enfant consacré à l’Eternel dès le sein de sa mère, contre la promesse qu’il ne se couperait pas les cheveux et qu’il ne boirait pas d’alcool. On connaît en particulier l’exemple de Samson. Les théologiens s’interrogent pour savoir si Jésus a pu être un de ces Nazirs. Certains éléments font pencher vers cela, en particulier le nom qui lui est donné de « Nazaréen » qui ne peut s’expliquer par son origine de Nazareth puisqu’il n’y a pas de « t ». Ce pourrait être : Jésus le Naziréen, Jésus le Nazir. Et l’on voit en effet que Jésus est consacré à Dieu depuis le ventre de sa mère, ce qui peut être à l’origine de cette légende de la conception virginale, ou tout au moins ceci pouvant être une amplification de cela. Mais voilà, Jésus ne se privait pas de boire du vin. Certains pensent précisément que Jésus le Nazir a souhaité montrer par là même qu’il voulait aller au delà des formalismes, et que le fait d’être consacré à Dieu était au delà du fait de boire ou non du vin. Dans le même sens, Jésus va plusieurs fois transgresser les commandements formels du Judaïsme, désobéir aux paroles divines, comme en guérissant un homme le jour du Sabbat. Pour lui, ce qui compte, ce ne sont pas les formalismes, ce n’est pas de respecter une parole, fut-elle divine, mais de faire le bien autour de soi. Et si je peux sauver une vie, si je peux même simplement aider, soulager un prochain au prix d’une transgression de parole alors je le ferai parce que mon prochain est plus important que tout engagement de parole.

C’est ainsi que l’on peut justifier dans l’histoire suivante la religieuse qui ayant caché quelques juifs dans la crypte de son église, ment aux Nazis venus l’interroger en disant qu’elle ne cache personne. Et quand l’officier lui demande si elle est prête à le jurer sur le Saint Sacrement, après une hésitation, elle le fait. Elle parjure, mais elle sauve des vies.

Voilà qui est donc curieux, comment partant de l’idée du respect le plus absolu de la parole peut-on en arriver à celle de sa propre transgression ? Cela montre que la question est complexe et qu’elle mérite qu’on s’y attelle.

C’est même tout le paradoxe du protestantisme que l’on retrouve là : le protestantisme est particulièrement rigoureux sur la morale : un protestant est honnête, il ne ment pas, il est franc... et pourtant un protestant est libre et il vit sous la grâce, et non sous la loi. Et même Calvin, qui pourtant ne plaisantait pas avec la rigueur morale a lutté violemment contre les « vœux perpétuels » : vœux des religieux et des religieuses qui les engagent pour toute leur vie. Comment les Réformateurs ont-ils pu dire que les religieux pouvaient allégrement transgresser leurs propres vœux, leur propre parole ? Comment ont-ils pu dire qu’une promesse ne nous engageait pas ? L’affaire n’est pas simple

Il semble bien pourtant que la parole engage. Qu’on le veuille ou non, parce qu’une parole, c’est une relation à l’autre. Une parole donnée, ou simplement dite à quelqu’un met en jeu la confiance que l’autre a vis-à-vis de moi. Le mensonge, au contraire, c’est dresser entre l’autre et moi un écran de fumée qui fait que l’autre ne sait plus qui je suis ni où je suis. Ce peut être tentant pour se protéger, et les enfants le savent bien quand ils veulent éviter d’être punis, mais c’est dangereux en ce que cela pervertit la relation que l’on a à l’autre qui ne peut plus être une relation de confiance. Avoir une parole vraie, c’est accepter d’être vrai avec l’autre, d’être comme l’on est, d’être transparent, de lui faire confiance, en bref, c’est déjà une étape essentielle de l’amour.

Toute parole faite nous engage donc, et même si on y aurait intérêt, on ne peut pas se dédire, parce qu’une parole n’engage pas que celui qui l’a donnée, mais surtout engage celui qui l’a reçue. Et se dédire, c’est alors le manipuler, l’empêcher de pouvoir être libre par rapport à la vérité. Ainsi, ce qui engage, ce n’est pas la parole elle-même, mais la responsabilité que j’ai vis-à-vis de l’autre. Ce n’est pas la parole que j’ai donnée, mais ce que l’autre en a compris, ce qui a été reçu.

Ainsi les Réformateurs ont-ils considéré avec le plus grand respect les promesses de mariage par exemple, ou toute parole donnée dans un contrat avec quelqu’un d’autre. L’engagement des mariés ne vient pas seulement d’une promesse faite, même devant Dieu, mais il vient du fait que créant une relation avec quelqu’un d’autre, on devient responsable de lui, et on ne peut plus faire absolument ce que l’on veut. C’est ainsi que dans la liturgie protestante, les engagements sont conclus par la parole du pasteur qui dit : « vous êtes désormais responsables l’un de l’autre ». C’est pour cela qu’on ne peut pas renier son engagement de mariage sans raison profonde. On passe ainsi d’une éthique de l’engagement par la parole à une éthique de la responsabilité.

Mais dans le cas des vœux des religieux, cette parole n’engage qu’eux, et celui qui l’a donnée est donc totalement libre de la reprendre. D’autant que soi-même on évolue, les situations évoluent, le contexte peut changer, un choix peut avoir un sens à un moment et ne plus en avoir quelques années plus tard. Il n’y a donc pas à se sentir engagé par une parole que l’on n’a donné qu’à soi même, même si Dieu en est témoin, tant que cela n’implique personne d’autre.

Ainsi cette histoire de la vieille religieuse qui au soir de sa vie dit qu’en fait elle n’a plus la foi, mais qu’elle continue d’être là par fidélité envers la jeune fille de 18 ans qu’elle a été quand elle a pris ses vœux. Cette histoire peut-elle sembler effroyable. La pauvre s’est enfermée elle-même. L’important, c’est de vivre, de grandir, de changer, d’évoluer, de s’adapter et de vivre. Il n’y a pas à être fidèle à ce que l’on était, on a pu se tromper. Il n’y a pas à être fidèles aux morts ou à ceux qui ne sont plus, notre fidélité doit être envers les vivants, ceux avec qui et pour qui nous vivons aujourd’hui vers demain.

Pourtant, pourtant... Peut-être est-il important d’avoir une sorte d’inertie dans sa vie, d’éviter les velléités, de structurer sa vie par des décisions prises à tête reposée et auxquelles on veut ensuite se tenir, se mettre à soi-même des guides et des barrières, connaissant ses faiblesses, se structurer par des promesses, des choix que l’on ne va pas renégocier sans cesse. sinon nous risquons d’être des sorte de girouettes, d’être comme un fétu de paille sur les vagues de l’océan balloté à gauche et à droite au gré de nos envies, de nos humeurs, et n’allant nulle part. Il faut se donner les moyens de traverser sans dommage les passages à vide, garder le cap dans les moments de doute, et même si l’on est parfois un peu désorienté, il faut qu’il y ait une ligne directrice dans notre vie qui nous empêche de dériver à la moindre faiblesse. C’est pourquoi l’on peut penser qu’il est bon de structurer sa vie par des objectifs, des idéaux, des choix, des engagements.

Cela semble vrai, important même, pourtant si l’on regarde la prédication du Christ, trouve-t-on trace d’une semblable exigence ? Il ne semble pas à première vue. Au contraire, il insiste particulièrement sur la conversion, la possibilité de changer de vie, la métanoïa, qui est justement de changer d’avis, changer de vision des choses, afin de naître à une vie nouvelle, de passer d’un monde ancien à un monde nouveau. Peut-être même que le Christ a sous estimé les forces de résistances au changement qui sont en nous. Il semble faire comme si nous pouvions à tout moment faire peu neuve et naître à une vie nouvelle. Mais en fait nous sommes tous englués, enracinés dans notre passé, dans nos vieilles convictions, dans nos habitudes et nos addictions. Nier ces forces obscures ne serait-il pas dangereux ?

La réponse est sans doute que l’Evangile n’est pas un traité pratique de conversion, mais il expose un idéal. Il faut croire que toujours on peut revivre à une vie nouvelle. Il faut croire que l’on peut se libérer de ses chaînes, et que fondamentalement, nous sommes libres par rapport à notre passé, et nous devons nous sentir libres par rapport à notre passé pour nous tourner vers Dieu qui peut faire en nous « toute chose nouvelle ».

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Réformateurs ont lutté contre les « vœu perpétuels », parce qu’ils étaient une offense à la « liberté évangélique ». L’homme doit être libre, c’est déjà difficile pour lui, alors que la religion n’ajoute pas des entraves à cette liberté. L’homme doit rester libre, et ne pas remettre ses choix à quelque instance il doit rester responsable de ses actes sans se cacher derrière des vœux ou autre promesses faites à un moment donné.

S’il y a une ligne directrice dans notre vie, il faut donc qu’elle soit suffisamment souple pour être modulable, sinon elle devient un carcan mortel. Cette ligne directrice, c’est celle de la foi, conviction fondamentale des valeurs non négociables qui orientent notre vie et devraient orienter tous nos choix. Pour cela l’Evangile a une proposition ferme : c’est l’amour du prochain, l’attention à l’autre, le service, le pardon, l’humilité et la paix. Tout choix doit être conditionné par cela. Ensuite dans les détails, il faut toujours réfléchir pour trouver ce qui va, concrètement optimiser notre action dans ce sens.

Si l’engagement vient trop dans les détails, il devient dangereux et même mortifère. C’est ce qu’illustre le vœu de Jephté de sacrifier à l’Eternel la première personne qui sortirait de sa maison pour le remercier de la victoire obtenue. Sa fille unique et chérie sort... et au lieu de réviser son vœu, il va effectivement tuer sa propre fille. C’est le problème de l’intégrisme qui justement se fige dans les pratiques, dans la morale, dans les rites, les formalismes, cela génère la mort.

Il peut être bien de prévoir sa façon d’agir et même de prendre des engagements, mais il faut avoir aussi l’humilité de renégocier ses projets, si l’on ses trompé, il ne faut pas s’opiniâtrer dedans, même si c’est un serment fait à l’Eternel, il faut avoir l’humilité parfois de ne pas tenir ses engagements lorsqu’il apparaît que pour les autres en tout cas il est préférable de faire autrement.

L’ultime de notre foi, c’est l’amour et la vie en Jésus Christ, mettre un vœu ou tout autre formalisme au dessus de cela est tout simplement de l’idolâtrie.

 

En fait, on ressemble finalement au Dieu dans lequel on croit. Le Dieu de l’Evangile, c’est un Dieu qui n’a qu’une parole, une parole d’amour et de grâce, un amour et une grâce inconditionnels, quoi que nous ayions fait, quels que soient le bien ou le mal que nous faisons, toujours Dieu nous aime et nous reçoit. La question n’est donc plus celle des œuvres, de faire ceci, ou de faire cela, mais d’être dans son amour. Ce n’est pas un Dieu psycho rigide, mais un Dieu qui nous aide à grandir dans l’amour en nous donnant toujours son amour. Et cette parole là, c’est la seule qui soit absolument sûre, non renégociable. Comme notre engagement ultime doit être dans le monde seulement de toujours tout faire pour l’amour de notre prochain, c’est-à-dire pour l’aider à vivre mieux.

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Matthieu 5:33-37

Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pasmais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments. Mais moi, je vous dis de ne pas jurer: ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu, ni par la terre, parce que c'est son marchepied, ni par Jérusalem, parce que c'est la ville du grand roi. Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux rendre blanc ou noir un seul cheveu.

Que votre parole soit oui, oui ; non, non ; ce qu'on y ajoute vient du malin.


Juges 11:29-36

L'Esprit de l'Éternel fut sur Jephté qui traversa Galaad et Manassé ; il passa à Mitspa de Galaad ; et de Mitspa de Galaad, il passa (jusque chez) les Ammonites. Jephté fit un vœu à l'Éternel et dit : Si tu livres totalement entre mes mains les Ammonites, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, à mon heureux retour de chez les Ammonites, sera (consacré) à l'Éternel, et je l'offrirai en holocauste. Jephté passa chez les Ammonites pour les combattre, et l'Éternel les livra entre ses mains

Il les battit durement, depuis Aroër jusque vers Minnith — vingt villes — et jusqu'à Abel-Qeramim. Et les Ammonites furent humiliés devant les Israélites.

La fille de Jephté Jephté revint dans sa maison à Mitspa. Et voici que sa fille sortit à sa rencontre avec des tambourins et des danses. C'était son unique enfant ; à part cela, il n'avait ni fils ni fille. Dès qu'il la vit, il déchira ses vêtements et dit : Ah ! ma fille ! tu m'accables, tu es au nombre de ceux qui m'affligent ! J'ai trop ouvert la bouche devant l'Éternel, et je ne puis revenir (en arrière) . Elle lui dit : Mon père, tu as trop ouvert la bouche devant l'Éternel, agis envers moi selon ce qui est sorti de ta bouche, maintenant que l'Éternel t'a vengé de tes ennemis, les Ammonites.

Matt. 5:33-37, Juges 11:29-36