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Des mages pas très sages

Prédication prononcée le 5 janvier 2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot 

Le récit des mages est habituellement, interprété comme montrant l’hommage des païens au Christ. Il n’étaient pas des rois, mais des prêtres babyloniens, et l’on nous montre donc que même les autres religions reconnaissent et adorent le Christ, et aussi le Christ accomplit l’espérance, de toutes les religions, il est la réponse universelle à la quête de l’homme.

Ces mages arrivent à Jésus, c’est vrai, mais on peut s’étonner que ce soit par chemin incroyablement détourné. Ils n’y arrivent pas tout simplement en suivant une étoile comme on le raconte dans les livres d’enfants, l’étoile ne les a pas conduits à Jésus, ils ne savaient pas du tout où aller, ils ont dû passer par Jérusalem, demander aux prêtres et ce sont eux qui leur ont indiqué l’endroit. Et puis il y a de nombreuses bizarreries dans la démarche de ces premiers adorateurs.

La première bizarrerie, c’est qu’ils étaient astrologues. Or dans la Bible, l’astrologie est extrêmement mal vue, c’est considéré comme une idolâtrie et plus encore comme une abomination aux yeux de l’Eternel. Il est donc curieux, que le premier exemple d’adorateurs, les premiers à découvrir le Christ, soient en fait des hérétiques, alors que les bons croyants, les théologiens juifs professionnels, eux, ils connaissaient toute l’Ecriture ; ils pratiquaient bien comme il faut, ils savaient même où était Jésus, mais ils n’y vont pas. Le texte ne nous dirait-il pas qu’il faut être un peu hérétique pour bien s’approcher du Christ ? Ce ne serait pas étonnant, dans l’Evangile, Jésus dira que souvent les pécheurs et les prostituées sont plus proches du Royaume de Dieu que les pharisiens professionnels des bonnes œuvres et de la bonne doctrine.

Cela dit, l’hérésie, pas plus que le péché n’est une valeur en soi. Ce qu’il y a de positif dans leur hérésie, c’est qu’elle les a amenés à se mettre en marche, à chercher, à cheminer. Nos erreurs ne sont mauvaises que quand elles nous immobilisent. Or il faut savoir que parfois, nos vertus même peuvent nous immobiliser, nous empêcher d’accueillir la nouveauté.

Là est l’essentiel peut-être : le Christ, c’est de la nouveauté, c’est la vie, le bonheur. Le Royaume de Dieu, c’est de la vie, or la vie, par nature, c’est de l’inattendu, c’est du neuf, du totalement neuf. Jésus dira qu’il faut « accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant », on le comprend souvent dans le sens où il faudrait une certaine naïveté, ou de la confiance pour accueillir Dieu, mais on peut le comprendre dans l’autre sens : il faut accueillir le Royaume de Dieu comme on accueille un enfant : avoir une disponibilité totale, avoir de la place pour ça, et être prêt à se laisser surprendre. Accueillir un enfant, c’est accueillir une histoire dont on ne sait pas où elle va mener, un enfant, c’est fondamentalement imprévisible, c’est une invention continuelle toujours pleine de surprises.

Il y a deux catégories de gens qui ne peuvent rien trouver : les sceptiques qui pensent qu’il n’y a rien à trouver, et les dogmatiques, qui sont trop sûrs d’eux mêmes, qui pensent avoir déjà tout trouvé. Le pécheur, l’hérétique, celui qui se sait pauvre, celui qui a faim, qui a soif, qui pleure, lui il a des chances de chercher, de quêter, d’avancer, il veut du neuf, de l’inattendu.

Il est révélateur qu’au moment des vœux, en fait, nous demandons que tout reste comme c’est, qu’il n’y ait pas de surprise. Moi je voudrais vous souhaiter des choses nouvelles que vous n’imaginez même pas et qui peuvent bouleverser votre vie, pas forcément de grandes choses, mais plein de petites choses extraordinaires.

Le propre de la création, et donc de l’action de Dieu, c’est qu’un instant ne peut se déduire du précédent, il y a sans cesse des explosions de nouveauté, des émergences de vie. Pour accueillir le plan de Dieu, il faut donc être prêt à tout et fondamentalement disponible. Pour découvrir la vie, il faut être prêt à sortir du chemin qu’on se planifiait. Il faut savoir se perdre. Le chemin n’est pas linéaire, il est sinueux. Comme dit un proverbe de la tradition rabbinique : « ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, car tu risquerais de ne pouvoir te perdre ». Et dans le même sens, un vieux vénitien disait que pour découvrir sa ville, il fallait aller sans trop de plan, que le meilleur moyen de découvrir des trésors était de « se perdre dans Venise ». C’est vrai pour cette ville et c’est vrai aussi sans doute pour notre propre vie.

Les mages, eux, ils vont être prêts à trouver Jésus ailleurs que là où ils penseraient qu’il devait être. Il ne sera pas dans la ville royale de Jérusalem, mais à Bethléem, petite bourgade provinciale, il ne sera pas dans un palais, mais dans une humble famille de charpentier. Ils sont prêts à tout, prêts à se laisser déranger dans leurs certitudes de départ, leur conception des choses, leurs habitudes, les enseignements qu’ils ont pu recevoir. Vont chercher ailleurs, loin des sentiers battus.

Il faut, comme eux, avoir le courage de tâtonner, de se perdre, de rebrousser chemin, de ne pas arriver du premier coup, et de continuer sa quête. Il faut avoir de courage d’avancer sans certitude, de marcher dans la nuit. Avec, si tout de même, une seule certitude : il y a quelque chose à trouver dans cette nuit.

Parmi les égarements productifs de l’histoire des mages, il y a aussi la célèbre citation biblique fautive des scribes de Jérusalem : Ils trouveront le lieu de naissance de Jésus grâce à citation de l’Ancien Testament : « Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda ». Or il s’agit, en fait, d’une citation de Michée 5:2 « tu es certes le moindre des villes de Juda », ce qui est juste le contraire. Ils vont donc trouver où chercher le Christ par une erreur de traduction, ou une erreur d’interprétation d’un texte biblique. C’est très rassurant, les erreurs peuvent être porteuses de sens, et il n’y a pas à s’angoisser sur le fait que l’on aie ou non la « juste » interprétation ou la bonne traduction de l’Ecriture. L’Ecriture est généreuse, et même à travers nos erreurs, elle peut être créatrice. C’est la même chose dans l’évolution des espèces : il y a des mutations, qui sont en fait des erreurs de reproduction, si il n’y avait pas de mutation, nous ne serions pas là. Les mutations négatives sont oubliées, et les mutations positives sont conservées. Il faut donc accepter les mutations positives et négatives et savoir reconnaître les bonnes pour les utiliser.

La question n’est donc pas, pour trouver la vérité, de rester dans un chemin balisé, de suive une piste sans sortir ni à gauche ni à droite, au contraire, il faut flâner, zigzaguer. Les mages vont trouver le Christ grâce à une pratique idolâtre, à des fausses interprétations, des mauvaises traductions, et des erreurs de théologie. Ils vont trouver par des fausses pistes. Donc vive même les fausses pistes.

Mais en fait, l’étoile qui les mettra au début en mouvement, finalement ne les mènera pas vraiment, et finalement elle disparaît. Les erreurs peuvent être profitables, mais il faut aussi savoir en sortir, ne pas faire de l’erreur ou de la désobéissance un système. L’erreur et la désobéissance, ne peuvent que juste offrir une liberté créatrice, un espace heuristique.

Autre bizarrerie dans la démarche des mages : ils viennent de l’Orient, ce mot vient de « or » en hébreu qui signifie « la lumière », et qui a donné aussi le terme « orienter » qui signifie se tourner vers l’orient, ou, comme dans les cartes encore aujourd’hui en Israël, mettre l’est en haut (et non le Nord). Il est normal en effet de se tourner vers l’Est, c’est de là que vient la lumière, et c’est très bien de se tourner vers la lumière, c’est normal, c’est l’attitude habituelle. Même nos églises sont normalement tournées vers l’est. Mais là, les mages, font tout à l’envers, ils « viennent de l’Orient », donc ils tournent le dos à l’Orient, à la lumière, ils se désorientent.

Mais justement, il faut savoir chercher là où l’on n’attend pas, ailleurs que dans l’évidence. Tout le monde cherche la lumière, les gens ordinaires, se tournent vers ce qui brille, l’or, la facilité. Les mages, eux, vont tourner le dos à ça, et chercher dans l’ombre. Ils vont vers l’ombre pour chercher la lumière. Les trésors terrestres ne sont des miroirs-aux-alouettes. Ce vers quoi nous courrons, ce qui nous obnubile, en fait nous attire dans la mauvaise direction, nous sommes comme les papillons de nuit qui se précipitent sur la première lumière vulgaire venue pour s’y brûler les ailes. Les motivations terrestres, ne sont d’aucun secours pour la recherche de l’essentiel. Le Soleil tourne, on ne peut pas s’orienter par rapport au Soleil, ce n’est qu’une lumière brutale qui éblouit et qui désoriente.

Il faut savoir chercher l’ombre pour trouver la vraie lumière, aller vers le silence pour entendre une parole authentique. Il faut savoir aller à contre-sens de tout le monde. Tout le monde dit : l’est c’est ce qui est devant, eux vont en arrière, ont le courage d’avoir leur propre chemin, et d’aller ailleurs. Ils ont suivi une étoile qui brillait peut être moins, mais qui brillait « nuit et jour », et l’autre miracle selon les pères de l’Eglise, c’est qu’elle indiquait toujours la même direction contrairement aux autres astres qui tournent. Ils ont eu le courage de faire autrement que tout le monde. Illustant ce que sera les propos de Paul : « ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence… »

Et ils feront vraiment tout dans le sens contraire de tout le monde : au lieu de demander quand rencontreront le Christ, ils donneront. Habituellement, notre quête est intéressée, nous faisons souvent notre démarche spirituelle, ou notre prière pour trouver quelque chose, le bonheur, l’équilibre, la paix, l’accomplissement. Eux font tout ce chemin sans rien réclamer, juste pour « adorer », pas pour demander, pas pour profiter, pas pour négocier avec la divinité. Juste pour savoir où est l’essentiel.

Et cette liberté par rapport aux autres va très loin pour les mages qui ne sont donc pas du tout si sages que ça : Hérode le roi leur donnera un ordre : « quand vous l’aurez trouvé, venez me dire où est le petit enfant ». Et ils vont désobéir au roi. Voilà qui est incroyablement révolutionnaire : Jésus aura la vie sauve grâce à une désobéissance, une insoumission.

Trop souvent on a valorisé l’obéissance. En fait, la désobéissance et l’insoumission sont des choses essentielles pour accéder à la vérité. Et ce n’est pas la première fois dans l’Ecriture, Moïse devra aussi sa survie à la désobéissance de deux sages-femmes : Schiphra et Pua, Le pharaon avait exigé qu’on tue tout garçon naissant, elles ne l’ont pas fait et ont trouvé une fausse excuse. La tradition juive dit qu’on a gardé leur nom parce qu’elles avaient fait une chose extraordinaire. Or justement, elles ont désobéi au Pharaon, et elles lui ont menti.

La première déclaration des droits de l’homme avait pressenti l’importance de la désobéissance : en plus des droits (sûreté, liberté, égalité, propriété) ; il y avait aussi un devoir : celui de résistance à l’oppression. « L’insurrection est le plus sacré des devoirs » disait le texte, mais cette mention a été supprimée. L’histoire de la guerre de 40 valorise aussi les actes des Résistants qui n’étaient rien d’autre que de la désobéissance, et même l’Eglise Evangélique Allemande qui n’a pas toujours su prendre la distance qu’elle aurait dû par rapport au pouvoir Nazi a fait après la guerre un acte de repentance où elle a reconnu n’avoir pas accordé assez d’importance à la désobéissance, elle a dit qu’elle aurait dû enseigner le devoir de désobéissance. C’est enfin ce qu’a démontré la terrible expérience de Milgram.

Mais donner une place à la désobéissance, ce n’est pas prêcher l’anarchie. L’égarement, la désobéissance, l’erreur ne sont pas forcément créatrices. Elles peuvent être destructrices aussi c’est vrai, mais en tout cas rien ne peut se passer sans elles.

Le bon critère, c’est de voir ce qui met en marche, ce qui fait avancer, ou ce qui fait reculer, ce qui immobilise.

Quelles que soient nos erreurs, l’essentiel, c’est de chercher, de se mettre en marche, et que la finalité soit comme pour les mages le fait d’offrir, de donner, que l’objectif soit la générosité et l’amour. Hors de cela, dans l’obéissance ou dans la désobéissance, dans le sens de tout le monde ou à contresens, il n’y a pas de vie, pas de lumière, pas de salut.
Le mérite des mages, c’est que leurs erreurs ont été pour eux des dynamismes, des façons de se mettre en marche, de sortir d’eux mêmes, de leur égoïsme, pour aller vers l’autre, vers les autres pour donner.

Et puis, le but, ce n’est pas d’être dans une errance perpétuelle, mais de rentrer chaque fois chez soi par un autre chemin comme on fait les Mages. Ils ont découvert quelques choses, et en sont revenus transformés, différents, recréés. Eux qui cherchaient la lumière, ils vont la trouver au delà de toute espérance.

Et ce sont ainsi ces mages « pas sages » qui ouvrent l’Evangile montrant un chemin plus qu’original qui est celui de la véritable lumière et de l’amour.

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Matthieu 2:1-18

1Jésus était né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode. Des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2et dirent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer. 3A cette nouvelle le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. 5Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée, car voici ce qui a été écrit par le prophète :
6Et toi, Bethléhem, terre de Juda
Tu n’es certes pas la moindre
Parmi les principales villes de Juda ;
Car de toi sortira un prince,
Qui fera paître Israël, mon peuple.
7Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et se fit préciser par eux l’époque de l’apparition de l’étoile. 8Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations précises sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille moi aussi l’adorer.
9Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici : l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait ; arrivée au-dessus (du lieu) où était le petit enfant, elle s’arrêta. 10A la vue de l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. 11Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

Exode 1:15-21

15Le roi d’Égypte parla aussi aux sages-femmes des Hébreux, nommées : l’une Chiphra et l’autre Poua. 16Il leur dit : Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux et que vous les verrez sur les sièges, si c’est un garçon, faites-le mourir ; si c’est une fille, elle pourra vivre. 17Mais les sages-femmes craignaient Dieu et n’agissaient pas comme le leur avait dit le roi d’Égypte ; elles laissaient vivre les enfants. 18Le roi d’Égypte appela les sages-femmes et leur dit : Pourquoi avez-vous agi ainsi et avez-vous laissé vivre les enfants ? 19Les sages-femmes répondirent au Pharaon : c’est que les femmes des Hébreux ne sont pas comme les femmes égyptiennes ; elles sont pleines de vie et accouchent avant l’arrivée de la sage-femme. 20Dieu fit du bien aux sages-femmes ; et le peuple se multiplia et devint très puissant. 21Parce que les sages-femmes avaient eu la crainte de Dieu, Dieu fit prospérer leurs familles.

Matt. 2:1-12