L'Eglise: outil ou obstacle pour la foi?
Prédication du pasteur Louis Pernot au temple de l'Etoile à Paris le 25 novembre 2001
"Je crois la Sainte Eglise Catholique..."
C'est ainsi qu'est souvent traduit l'un des articles du "Symbole des Apôtres"... ce à quoi certains préfèrent : Je crois la Sainte Eglise Universelle... Qu'en est-il ?
La première chose à remarquer, c’est que qu’aucun symbole ancien n’utilise la formule : credo in ecclesiam, mais credo ecclesiam… il ne s’est donc jamais s’agit de "croire dans l’Eglise" mais de savoir ce que nous pouvons croire à propos de l’Eglise. On ne croit pas en l’Eglise comme on croirait en Dieu, il y a évidemment une distinction entre une réalité spirituelle et divine et une réalité qui reste de toute façon incarnée et humaine. (Son histoire l’a prouvé fortement avec toutes ses erreurs, ses errements, ses injustices et ses violences).
Que cette Eglise soit dite "catholique", n’est pas une grande difficulté... On sait bien, en effet, aujourd’hui que le mot "catholique" ne désigne pas, comme nous le faisons usuellement, ce qui concerne une église particulière dite "catholique romaine", mais "catholique " est un adjectif qui signifie tout simplement "universel" C’est pourquoi, d’ailleurs les protestants qui récitent le Symbole appelé abusivement "des Apôtres" disent qu’ils croient "l’Eglise Universelle", ce qui évite le risque de confusion entre justement une Eglise Universelle vraiment universelle qui est une réalité qui rassemble tous les chrétiens, et une église particulière parmi d'autres qui serait celle de Rome. Dire que l'Eglise du Christ est universelle, c'est affirmer que le message même de l'Evangile est universel, qu'il n'est pas bon seulement pour une culture donnée, pour un pays donné, à une époque donnée, mais que le Christ dans l'Evangile donne une certaine vision de l'homme, de ce qu'il peut être, de ce qu'il peut faire, de ce qu'il peut espérer et croire, qui est universelle et intemporelle.
Mais la question demeure, de savoir en fait ce qu’est l’"Eglise"...
Etymologiquement, le mot "église" désigne l'ensemble de ceux qui sont appelés à venir quelque part. Dans l’Ancien Testament, le mot "église" (ekklesia) apparaît, comme simple décalque du mot Quehillah en hébreu qui signifie l’Assemblée, mot parfois aussi traduit pas "synagogue" ce qui signifie étymologiquement en grec la communauté de ceux qui marchent ensemble. Dans les Evangiles, le terme est très rare, il n'apparaît en fait pratiquement que dans ce très célèbre texte où Jésus dit à Pierre : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise...(Matt 16:18) texte énigmatique et difficile, qui a donné lieu à tant d’interprétations. Puis le terme devient plus largement utilisé dans les Actes de Apôtres, et surtout dans les Epîtres de Paul. Ce qui est le plus constant dans ces épîtres, c’est l’image que Paul utilise disant que l’Eglise est le Corps du Christ, ou que l’Eglise est un corps dont Jésus est la Tête.
Nous pouvons partir de cela pour affirmer une première chose essentielle : si l’Eglise est un corps dont Jésus est la tête, alors cette Eglise est nécessairement unique. Paul le dit d’ailleurs explicitement en Ephésiens 4: Il y a un seul corps et un seul Esprit... il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. S’il y a une seule tête (qui est le Christ), il y a nécessairement un seul corps. Il ne peut donc y avoir plusieurs corps dont le Christ serait la tête. L’Eglise du Christ est nécessairement unique. Or, comme nous voyons aujourd’hui plusieurs groupements qui s’appellent "Eglises", c’est que, soit, il y a une seule de ces "églises" qui est la vraie, celle de Jésus-Christ et toutes les autres sont des fausses (c'est ce qu'affirment chacune des sectes issues du christianisme), ou alors, comme je le crois, ce que nous appelons aujourd’hui "Eglises" n’est pas, a proprement parler ce que le Nouveau Testament désigne par ce terme, et en tout cas pas ce que Jésus veut bâtir sur Pierre, ou sa confession de foi.
Ainsi donc, la seule solution me semble de penser, qu’il y a une seule véritable Eglise du Christ, constituée de tous ceux qui reconnaissent en lui leur Sauveur et Seigneur, et que cette Eglise est une réalité qui est indélimitable, une réalité autre que nos institutions. Dans nos églises institutionnelles, il y a des gens qui certainement font partie de la véritable Eglise du Christ et sûrement d’autres qui n’ont de "chrétiens" que le nom. Inversement, il y a sûrement en dehors de toute institution des êtres formidables qui connaissent l’Evangile, qui le lisent et qui en vivent. Ils font partie de l’Eglise du Christ.
C’est un fait que le Christ n’a jamais fondé d’Eglise au sens où nous l’entendons habituellement aujourd’hui. Il n’a pas donné de règles, pas écrit de discipline, pas plus que de traité de "droit canon". il n’a même pas défini de dogmatique, ni de sacrements, ni de rite, ni de liturgie, ni de lieux de culte, ni de faculté de théologie, ni de séminaires, ni même d’organisation en tant que telle. Tout cela est certainement indispensable, mais a été organisé après, par les premiers chrétiens. Pour le Christ, l’Eglise, c’est une communauté de croyants répondant à l’appel ou la convocation de leur Seigneur. De même, il dira : Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieux d’eux (Matt 18:20). Ce n’est pas le lieu, ni l’organisation ni même que certains aient reçu un sacrement de baptême ou autre qui fait la communauté, mais le fait de se rassembler au nom du Christ. Nous voyons que le critère là est large et les anathèmes peu nombreux... Le Christ n’a pas institué de communauté organisée. Et donc "l’Eglise" du Christ en tant que telle n’existe pas comme institution humaine. Elle est indéfinissable. Dieu seul sait qui s’y trouve et qui ne s’y trouve pas, et il est probable en plus que chacun de nous ne s’y trouve vraiment qu’en partie. Il est symptomatique d'ailleurs que la seule église institutionnelle qui s’intitule aujourd'hui "Eglise du Christ" soit une secte....
C'est cette réalité insaisissable, indélimitable que les spécialistes appellent aujourd'hui "l'Eglise Invisible", par opposition aux "Eglises institutionnelles". Le Christ n'a pas fondé d'Eglise en tant qu'association humaine, mais est la tête de l'Eglise spirituelle invisible... et universelle.
Si ainsi le terme "Eglise" ne désigne pas une institution humaine avec ses règles, alors les propos du Christ en Matthieu 16 deviennent lumineux. Quand Jésus demande à ses disciples : qui dit-on que je suis ? Pierre confesse sa foi en disant : Tu est le fils du Dieu vivant, alors Jésus lui répond : sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Et puisqu'il ne s'agit pas d'une organisation matérielle, c'est que le Christ explicite là ce qui fonde l'Eglise invisible de la communauté des croyants : confesser sa foi en Christ. L'Eglise est tout simplement constituée par tous ceux qui reconnaissent qu'il est le Fils du Dieu vivant. Ainsi le fondement de la communauté des croyants n'est pas l'individu Simon-Pierre, mais l'acte qu'il vient de faire, le fait de confesser sa foi. Cette communauté spirituelle ne peut évidemment pas être fondée sur une personne humaine, et d'ailleurs une telle idée ne se trouve nulle part dans tout le reste du Nouveau Testament, elle ne peut l'être que sur le Christ qui est le seul fondement (ICor 3:11), et humainement, ce qui fait que l'on se trouve ou non dans l'Eglise invisible du Christ est qu'on le reconnaisse comme Fils de Dieu.
Donc faire partie de cette Eglise Invisible, est une démarche personnelle, l'Eglise est constituée de tous ceux qui, individuellement, veulent répondre à l'appel du Christ en confessant leur foi en lui.
Cela est vrai... mais demande à être complété. Si l'on en reste là, en effet, l'on risque de croire que l'on pourrait se passer de toute église institutionnelle, ou que l'on pourrait être chrétien tout seul dans son coin. Il suffirait alors d'avoir foi en Christ, et finalement de croire que le lien qui unit tous les chrétiens est simplement le lien spirituel de croire dans le même Sauveur, ou le fait de partager la même présence de Dieu dans la lecture de la Bible. Je ne suis pas loin de penser cela, mais il ne faut pas oublier que le mot "Eglise" signifie "communauté" et que cette notion est essentielle. Christ a dit qu'il voulait construire une "communauté", et puisque ce mot se trouve dans l'Evangile, on doit le prendre au sérieux, et se demander toujours où se trouve la dimension communautaire de notre foi. Cela entraîne en particulier que l'on ne peut pas être chrétien tout seul en étant coupé des autres. Etre chrétien, c'est être avec d'autres chrétiens, c'est partager, communier avec d'autres. Peut-être cela vient-il du fait que l'homme est un animal social, et que sa foi concerne nécessairement tout son être, et en particulier sa manière d'être en relation avec d'autres.
De toute façon, être chrétien, c'est vouloir partager sa foi, c'est vouloir aider les autres, c'est vouloir témoigner, c'est vouloir apprendre, discuter, réfléchir, transmettre, agir avec d'autres, consoler et soutenir. L'Eglise humaine est le lieu pour faire tout cela. Elle est utile pour nous, parce qu'elle nous permet de nous rappeler l'importance de l'Evangile et de la foi dans notre vie, parce qu'elle nous permet d'apprendre plus sur l'Evangile, de confronter nos idées à d'autres. Elle est utile pour les autres, parce que là nous pouvons apporter à nos frères les quelques menus trésors de foi, de service ou d'espérance que nous avons. Et elle est utile pour le monde, parce qu'elle nous permet de réaliser à plusieurs ce que nous ne pourrions faire tout seuls.
Il est donc nécessaire qu'il y ait des lieux de rassemblements de chrétiens, qu'il y ait des communautés réelles visibles et concrètes. Il n'est pas nécessaire qu'elles s'organisent toutes de la même manière, il y a mille manières d'être chrétien et de vivre sa foi avec les autres, et dix mille manières de s'organiser concrètement. Nos Eglises sont des choses humaines imparfaites et contingentes, chacune pourrait fonctionner autrement. Ce n'est pas l'organisation qui est divine, c'est la réalité dont chaque église relève et qu'elles rendent visible : la communauté spirituelle de tous ceux qui confessent que Jésus est le Fils du Dieu vivant, et qui sont un, par l'unicité du lien spirituel qui les rassemble et qui est d'avoir le même Seigneur: Jésus-Christ.
Amen.