Pâques et le pressoir
par Louis Pernot - automne 2019
Jésus vit son agonie à Gethsémané. Pourquoi là ? Un élément de réponse peut être que ce mot de lieu signi e : « le pressoir à huile ». Et il est vrai que Jésus subit là une pression, une épreuve (c’est la même étymologie), de l’angoisse (mot venant d’« an- gustus » : « resserré », « étroit »). Jésus est donc oppressé, pressurisé, mais il ne sera pas broyé pour rien, il en sortira une bonne huile parfumée source de vie pour le monde.
Ce thème du pressoir a été repris abondement au Moyen-âge dans la littérature mystique comme un symbole fort, et très parlant de ce que peut signi er la mort du Christ et sa résurrection. Saint Augustin dira que le Christ est la vraie vigne (comme l’enseigne Jean), et ce raisin broyé et pressé par la passion donnera le bon vin de l’eucharistie symbole de la grâce et du don de la vie. L’iconographie médiévale a été friande de ce thème, jusqu’à Vézelay avec son célèbre chapiteau du « moulin mystique », où l’on voit Moïse mettre des grappes de raisin dans ce moulin que tourne Paul, et ce moulin, cette fois, c’est le Christ lui-même qui récupère la Loi ancienne pour en extraire la merveilleuse substance de l’Evangile.
Mais si on regarde de plus près, on voit que cette idée de pressoir ou de moulin est omniprésente dans le récit de la Passion. En effet, il sera crucifié sur le mont Golgotha, la signification de ce nom est le « crâne », mais à l’origine, le mot renvoie à quelque chose de rond, comme une roue de moulin. Et lors de sa résurrection, ce qui sera roulé, sera une pierre ronde (encore), sans doute une pierre de meule. De l’agonie à la résurrection, en passant par la mort, on trouve le Christ confronté à des moulins, des pressoirs et des meules.
L’image est belle et illustre parfaitement le sens qu’on peut donner à la mort et la résurrection de Jésus. La passion opère comme le passage des grappes dans le pressoir : on les arrache pour les fouler, les écraser, et il en sort deux produits : le marc (peaux, pépins et rafle) et ce donc on n’a pas besoin, et le moût : le bon jus qui va faire le vin. Ainsi par la croix, broie la vie physique de Jésus de Nazareth pour laisser par la mort une dimension purement matérielle et sans valeur qui est son cadavre, son corps physique, et la partie précieuse qui est la dimension spirituelle et éternelle, source de joie et de merveilles qu’est le Christ ressuscité.
Le résidu du pressage, l’Evangile dit qu’il a été mis dans un tombeau. Trois jours après, des dèles vont voir et disent que dans ce tombeau, il n’y a rien. Ils découvrent que cette part visible de leur ami avait du sens tant qu’il était physiquement en vie, comme support visible de son être, mais une fois passé par le moulin de la mort, cette dimension visible n’est plus rien, plus rien d’intéressant en tout cas. C’est ça le message du tombeau vide : à ceux qui pensaient qu’ils pourraient retrouver leur ami dans une dépouille, un cadavre, on leur dit : « circulez, il n’y a rien à voir ». Rien à voir de signi catif dans ce tombeau. Quand on presse le raisin, on ne prend pas les résidus pour les mettre dans des flacons précieux et les vendre à prix d’or. On s’en débarrasse, et on se préoccupe du bon jus. Ce bon jus, qui est la dimension du Christ débarrassé de son corps mortel, ce Christ spirituel, éternel, il faut le prendre, le traiter avec attention, respect, vénération, et le mettre en soi pour qu’il mûrisse comme dans une bonne cave, et qu’il puisse devenir un vin succulent donnant la joie du cœur.
Cette image a en plus l’avantage de définir parfaitement les valeurs de nos dimensions matérielle et spirituelle. On comprend bien que tant que la grappe est en vie, il faut bien qu’il y ait toute la structure matérielle du raisin, une bonne peau, des grains, des tiges... mais une fois la grappe cueillie, cela ne sert plus à rien, ce qui compte, c’est ce qu’il en reste comme moût. Ainsi de notre vivant sur terre, notre vie physique, matérielle, sexuelle, visible, incarnée, tout cela est excellent, essentiel même, et sans cela comment prierions-nous, agirions-nous, entrerions- nous en relation ? Cette vie incarnée n’est pas un résidu, pas une charge, pas quelque chose dont il faudrait se débarrasser au plus vite parce que sans arrêt coupable. Mais la mort agit sur nous comme le passage par une meule de moulin. Tout est écrasé... le résidu, faites-en ce que vous voulez, incinéré, ou dans une tombe... on n’en a plus besoin. Mais la meule ne détruit pas tout, elle sépare, elle permet d’extraire le meilleur, l’esprit, qui lui est vie éternelle !
Louis Pernot