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Quoi de plus doux que le miel ?

Prédication au temple de l'Etoile à Paris le 31 août 2008

par le Pasteur Louis Pernot

De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est sorti le doux.

Cette énigme proposée par Samson aux Philistins en est aussi une pour nous. Bien sûr, nous connaissons, grâce à l'histoire, la réponse : c'est une allusion à la propre histoire de Samson, lorsqu'il trouve une colonie d'abeilles, avec du miel, dans le corps d'un lion qu'il a tué quelques jours plus tôt.

Pourtant, cette réponse n'est pas entièrement satisfaisante. D'abord, si c'est là la seule explication de l'énigme, alors elle est très injuste. Faisant référence à un événement propre de la vie de Samson, qui a été sans témoins et dont il n'a rien dit à personne, qui aurait pu deviner ? Et dans ce cas, pourquoi les Philistins ne lui en font-il pas le reproche ? Voilà qui est bien curieux. Et puis, si c'est seulement là le sens de l'énigme, que vient faire dans cette histoire les trente chemises qui en sont l'enjeu ? Et enfin la Bible ne se contente jamais de l'anecdotique. Tout texte doit nous concerner nous, aujourd'hui et maintenant. Et là, en quoi cela peut-il nous concerner ? Il ne faut donc pas seulement répondre à cette énigme, pour gagner les trente chemises, il faut aussi l'interpréter et la comprendre.

Une piste peut être trouvée en y voyant une allusion à l'histoire dont il est question à ce moment : le choix de Samson d'une femme qu'il va prendre chez les Philistins, peuple ennemi, acharné contre Israël. Ce choix était évidemment contesté, surtout par ses parents. Samson voulait alors peut-être dire qu'il est possible que du peuple qui dévorait les Israélites puisse sortir la douceur-même d'une épouse digne de ce nom. Cela est sûrement juste, mais une fois encore en rester là est insatisfaisant. Après le commencement, le texte ne fait plus mention de contestation sur son choix et de toute façon, la suite, en fait, lui donnera tort, puisque sa nouvelle épouse le trahira et que son mariage tournera au fiasco... Si c'est cela que le texte voulait dire, l'exemple n'est pas très probant.

Mais il faut se souvenir que d'après le verset 4, ce choix n'était pas une lubie de Samson, mais une volonté explicite de Dieu. Ils étaient en guerre contre un peuple hostile, et Dieu demande à Samson d'aller chercher de la douceur et de la vie, précisément chez ses ennemis. Certes, l'histoire montrera que ce n'est pas facile, mais pourtant c'est bien ce que nous devons faire, et ce que nous pouvons faire avec l'aide de Dieu. Il s'agit d'aller au delà de nos étroitesses d'esprit, de briser nos intégrismes et nos craintes. Si l'on veut dépasser les hostilités qui nous opposent à nos semblables, nous devons comprendre que même chez nos ennemis, nous pouvons trouver des choses bonnes, pour peu que nous sachions les y trouver. Nous devons aller au-delà des jugements globalisants, enfermant tout une catégorie de personnes dans des catégories mauvaises, et ne jamais enfermer qui que ce soit dans des jugements définitifs les condamnant. Il est possible de briser le cercle vicieux de la violence, de la haine, de l'indifférence en allant chercher chez l'autre la meilleure part de douceur et de bonté qui s'y trouve, et s'en repaître.

Sans doute, d'ailleurs, devons-nous généraliser cette idée, en pensant qu'il n'est pas question là que de relations interpersonnelles, mais aussi de notre propre rapport à tout événement. Il arrive en effet que nous soyons confrontés à des épreuves, à des situations qui nous menacent, ou qui, d'une certaine manière risquent de nous détruire. Comme Samson est confronté au lion rugissant. Nous sommes bien tous, sans cesse, des Samson menant notre vie, et tombant sur des obstacles pas toujours faciles à vaincre. Là, nous avons la démonstration de ce que Dieu peut faire dans notre vie.

D'abord, il donne à Samson une force extraordinaire lui permettant de vaincre à mains nues cette épreuve qui s'imposait à lui. Il est vrai que Dieu peut nous aider dans l'épreuve. Il peut nous rendre plus que vainqueurs dans bien des combats, et nous pouvons surmonter avec son aide des obstacles que nous aurions pu croire infranchissables pour nous. Certes, cette force ne lui est pas venue d'un seul coup, l'histoire dit qu'il s'était consacré à Dieu depuis sa naissance. C'est, bien sûr, un cas extrême, mais il est certain que tout le temps pendant lequel nous nous sommes consacrés à Dieu et aux autres, nous remplit d'une force extraordinaire pour vaincre les lions rugissants qui un jour nous attaqueront.

Le texte nous dit ensuite que Samson fendit en deux le lion, c'est peut-être comme cela que Dieu nous permet de réduire à néant les épreuves, selon le bon principe de « diviser pour mieux régner », notre recherche spirituelle nous permet de relativiser bien des choses, et de briser l'aspect monolithique de ce qui nous éprouve en le morcelant, de fendiller l'obstacle pour que nous puissions avoir prise sur lui. L'obstacle n'est pas ôté, le lion ne disparaît pas, mais il devient inoffensif. Samson, ainsi, peut continuer son chemin, et c'est là l'essentiel.

Ensuite, donc libéré, Samson peut vaquer à sa propre vie, ce qui est fondamental. Mais il n'en reste pas là. Il ne suffit pas, en effet, d'échapper au mal, encore faut-il trouver du bien et du positif. Pour cela, il va revoir la carcasse du lion. C'est là certainement une bonne démarche : revisiter, avec le recul ce qui nous a menacé pour essayer de comprendre, d'en tirer des leçons et de voir les choses autrement. Là se trouve un deuxième miracle : des abeilles s'étaient installées dans la carcasse du lion et avaient produit du miel. C'est un miracle, parce que jamais les abeilles ne s'installent dans une charogne. Il a donc fallu que la carcasse soit complètement séchée et nettoyée, à l'état de squelette, et même là, la chose est plutôt rare.

On peut utiliser l'imprécision du texte pour dire que Samson revient très longtemps après, presque un an. Et il est vrai que pour pouvoir tirer quelque chose de positif d'une épreuve passée, il faut du temps. On ne trouve pas de miel dans une charogne putride et se repaître de ses épreuves non digérées ne mène à rien de bon. Le temps peut nettoyer un peu tout cela, et sans faire disparaître le cadavre, tout au moins permettre que la vie puisse renaître en lui. Mais on peut penser aussi que le second miracle est justement que Dieu ait permis que les choses aillent si vite, et qu'en quelque jours le cadavre du lion se soit entièrement séché et nettoyé. Dans tous les cas, ce qui est extraordinaire, c'est que de celui qui aurait dû le manger peut sortir ce qui nourrit. Ce qui était une épreuve, peut devenir, avec l'aide de Dieu notre force, une source de vie et de douceur, c'est une transformation extraordinaire. De même, avec l'aide du Christ, l'eau de la mer qui menaçait d'engloutir Pierre, devient ce qui le soutient, ce sur quoi il marche et ce qui lui permet d'avancer. Transformer le mal en bien, la mort en vie, c'est bien cela le pouvoir de résurrection de Dieu et ce qu'il peut opérer en nous.

Mais cette transformation positive ne va pas de soi. Il a fallu que des abeilles s'y installent et y fassent leur nid. S'il n'y avait pas eu ces abeilles, dans le meilleur des cas, la carcasse du lion aurait cessé de sentir mauvais, elle serait devenue inoffensive, c'est ce que nous souhaitons de nos épreuves dépassées, mais elle n'aurait pas donné naissance à cette nourriture exquise et douce. Pour comprendre ce miracle, il faut savoir que le mot « abeille » en hébreu se dit par un mot qui veut dire aussi « la parole ». Et quand on sait que « Déborah » (ce qui veut dire « l'abeille ») est le nom d'une nourrice, la première citée dans la Bible, nous nous trouvons en terrain connu. Oui, nous devons nous nourrir de la Parole de Dieu, et elle est dans notre bouche douce comme du miel ainsi que le dit le prophète Ezéchiel (Eze 3:3), et aussi l'Apocalypse (Apoc 10:9).

Tout difficulté vaincue, toute épreuve surmontée peut nous devenir source de vie et de douceur, pour peu que nous la rendions revisitée, habitée par une communauté de Parole divine. Nous pourrions même dire que ce sont ces failles de notre existence qui peuvent devenir une chance pour nous, créant un espace dans lequel la parole de Dieu peut avoir prise et s'installer. Et quand la Parole de Dieu s'installe en nous, alors découlent des quantités de miel, celui-ci étant dans la Bible l'exemple même de la douceur.

Cela dit, les choses ne sont pas toujours très simple. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de récolter le miel d'un essaim sauvage, il faut bien du courage et être prêt à s'exposer à des piqûres. Les abeilles d'ailleurs sont un symbole ambigu dans la Bible. Elles sont citées pour la douceur du miel qu'elles produisent, mais parfois aussi pour leur aspect rebutant quand elles sont comme une nuée piquante et blessante. En fait, cette image est très juste et réaliste. La Parole de Dieu, la Bible, n'est pas une sorte de sirop sucré et facile à avaler. Cette parole est parfois rebutante, contrariante, difficile, elle nous aiguillonne, et pour en tirer le bon miel, il nous faut nous bagarrer avec elle. Certes, si nous persévérons sans nous décourager, nous ne pouvons que sortir bénis de cette confrontation, mais parfois aussi boiteux ou blessés, comme Jacob après son combat avec l'ange (Gen 32:25). Et puis si vous avez réussi à dépasser cette première difficulté, et que vous accédez aux rayons, encore faut-il ne manger que le miel. Il ne faut pas tout avaler d'un coup, la cire des rayons n'est pas bonne. Il y a un tri à faire pour ne garder que le meilleur. C'est exactement la même chose dans notre lecture de la Bible. Il ne faut pas tout croire, tout gober sans distinction. Il faut trier, séparer le bon de l'inutile et chercher dans cette parole brute le nectar qui s'y trouve parfois bien caché et c'est de cela qu'il faut se nourrir.

Cela est merveilleux, bien sûr, et Samson continue d'être là pour nous le plus sûr des guides. En effet, ayant trouvé ce miel, il ne s'assied pas pour s'en gaver. Mais il en mangea en route . Ce faisant, il échappe encore à deux erreurs concernant l'usage de cette Parole de Dieu qui est une parole d'amour, de douceur, de pardon et de grâce. La Bible met en garde contre la tentation de manger trop de miel ce qui est mauvais (Prov 25,27). En effet, cette parole est bonne et douce, mais elle ne doit pas être une fin en soi, il est mauvais d'abuser de la prière, de la méditation ou des pratiques spirituelles. Cela peut nous rendre malades, et incapables d'agir dans ce monde. Samson, lui a une réaction très saine. Il prend le miel pour avancer, pour être en route. Prier n'est pas une fin en soi, c'est un carburant pour être debouts et en marche dans notre vie vers les autres. Et Samson, en plus, prendra de ce miel pour en apporter à son père et à sa mère, il comprend que cette douceur de l'amour de Dieu, ce n'est pas pour notre propre consommation seulement, mais pour que nous la redonnions aux autres.

Et ce qu'il y a à gagner dans cela, c'est plein de choses, bien sûr, mais selon le défi de Samson, ce qui est en question, c'est de gagner trente chemises, ou les perdre. La chemise, c'est le vêtement, ce qui nous couvre, nous protège, et aussi ce qui masque la honte de notre imperfection et de nos erreurs. Ce lot curieux s'éclaire bien dans le contexte d'interprétation que nous avons trouvé : celui qui connaît la solution de l'énigme gagne trente chemises, c'est-à-dire des chemises divines (3 étant le chiffre de Dieu). Celui qui sait que Dieu peut retourner les situations et comment il peut le faire avec nous, il gagne d'être vêtu par Dieu, protégé, pardonné par lui, et celui qui ignore cette extraordinaire chose, il perd tout jusqu'à sa dernière chemise, il se retrouve tout nu, vulnérable et honteux. Bien sûr, on peut être tenté de faire comme les Philistins, et de gagner ces chemises sans l'aide de Dieu, par la ruse, la tromperie, le mensonge, mais on ne peut se mentir indéfiniment à soi-même et au monde, et croire que l'on peut dépasser sa propre imperfection par des artifices trompeurs ne conduit, comme dans notre histoire qu'à la violence.

Il y a enfin encore une chose essentielle que cette énigme nous enseigne : quand il est écrit que Samson trouva un essaim d'abeilles dans le corps du lion, le mot utilisé là pour dire « essaim » est curieux, et désigne normalement une communauté humaine. Ce qui se trouve ainsi dans le cadavre du lion, peut être vu comme une « communauté de parole ». Et comme « Déborah », « l'abeille » est aussi un nom propre, on peut se demander si nous ne sommes pas invités nous-mêmes, après nous être repus de la douceur de la grâce de Dieu, à devenir une « communauté de parole », une église nourrie de la Parole de Dieu, pour habiter dans ce vieux monde plein de violences, de haine et d'égoïsme pour y apporter de la douceur, cette douceur de la grâce, du pardon, du service qui pourra peut être opérer l'un de ces retournements essentiels qui peut donner naissance à la vie pleine de douceur que Dieu veut pour nous et pour le monde.

Amen.

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Juges13:

1 Les enfants d'Israël firent encore ce qui déplaît à l'Éternel; et l'Éternel les livra entre les mains des Philistins, pendant quarante ans.

2 Il y avait un homme de Tsorea, de la famille des Danites, et qui s'appelait Manoach. Sa femme était stérile, et n'enfantait pas.

3 Un ange de l'Éternel apparut à la femme, et lui dit: Voici, tu es stérile, et tu n'as point d'enfants; tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils.

4 Maintenant prends bien garde, ne bois ni vin ni liqueur forte, et ne mange rien d'impur.

5 Car tu vas devenir enceinte et tu enfanteras un fils. Le rasoir ne passera point sur sa tête, parce que cet enfant sera consacré à Dieu dès le ventre de sa mère; et ce sera lui qui commencera à délivrer Israël de la main des Philistins.

...

24 La femme enfanta un fils, et lui donna le nom de Samson. L'enfant grandit, et l'Éternel le bénit.

25 Et l'esprit de l'Éternel commença à l'agiter à Machané-Dan, entre Tsorea et Eschthaol.

Juges Ch 14

1 Samson descendit à Thimna, et il y vit une femme parmi les filles des Philistins.

2 Lorsqu'il fut remonté, il le déclara à son père et à sa mère, et dit: J'ai vu à Thimna une femme parmi les filles des Philistins; prenez-la maintenant pour ma femme.

3 Son père et sa mère lui dirent: N'y a-t-il point de femme parmi les filles de tes frères et dans tout notre peuple, que tu ailles prendre une femme chez les Philistins, qui sont incirconcis? Et Samson dit à son père: Prends-la pour moi, car elle me plaît.

4 Son père et sa mère ne savaient pas que cela venait de l'Éternel: car Samson cherchait une occasion de dispute de la part des Philistins. En ce temps-là, les Philistins dominaient sur Israël.

5 Samson descendit avec son père et sa mère à Thimna. Lorsqu'ils arrivèrent aux vignes de Thimna, voici, un jeune lion rugissant vint à sa rencontre.

6 L'esprit de l'Éternel saisit Samson; et, sans avoir rien à la main, Samson déchira le lion comme on déchire un chevreau. Il ne dit point à son père et à sa mère ce qu'il avait fait.

7 Il descendit et parla à la femme, et elle lui plut.

8 Quelque temps après, il se rendit de nouveau à Thimna pour la prendre, et se détourna pour voir le cadavre du lion. Et voici, il y avait un essaim d'abeilles et du miel dans le corps du lion.

9 Il prit entre ses mains le miel, dont il mangea pendant la route; et lorsqu'il fut arrivé près de son père et de sa mère, il leur en donna, et ils en mangèrent. Mais il ne leur dit pas qu'il avait pris ce miel dans le corps du lion.

10 Le père de Samson descendit chez la femme. Et là, Samson fit un festin, car c'était la coutume des jeunes gens.

11 Dès qu'on le vit, on invita trente compagnons qui se tinrent avec lui.

12 Samson leur dit: Je vais vous proposer une énigme. Si vous me l'expliquez pendant les sept jours du festin, et si vous la découvrez, je vous donnerai trente chemises et trente vêtements de rechange.

13 Mais si vous ne pouvez pas me l'expliquer, ce sera vous qui me donnerez trente chemises et trente vêtements de rechange. Ils lui dirent: Propose ton énigme, et nous l'écouterons.

14 Et il leur dit: De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est sorti le doux. Pendant trois jours, ils ne purent expliquer l'énigme.

15 Le septième jour, ils dirent à la femme de Samson: Persuade à ton mari de nous expliquer l'énigme; sinon, nous te brûlerons, toi et la maison de ton père. C'est pour nous dépouiller que vous nous avez invités, n'est-ce pas?

16 La femme de Samson pleurait auprès de lui, et disait: Tu n'as pour moi que de la haine, et tu ne m'aimes pas; tu as proposé une énigme aux enfants de mon peuple, et tu ne me l'as point expliquée! Et il lui répondait: Je ne l'ai expliquée ni à mon père ni à ma mère; est-ce à toi que je l'expliquerais?

17 Elle pleura auprès de lui pendant les sept jours que dura leur festin; et le septième jour, il la lui expliqua, car elle le tourmentait. Et elle donna l'explication de l'énigme aux enfants de son peuple.

18 Les gens de la ville dirent à Samson le septième jour, avant le coucher du soleil: Quoi de plus doux que le miel, et quoi de plus fort que le lion? Et il leur dit: Si vous n'aviez pas labouré avec ma génisse, vous n'auriez pas découvert mon énigme.

19 L'esprit de l'Éternel le saisit, et il descendit à Askalon. Il y tua trente hommes, prit leurs dépouilles, et donna les vêtements de rechange à ceux qui avaient expliqué l'énigme. Il était enflammé de colère, et il monta à la maison de son père.

20 Sa femme fut donnée à l'un de ses compagnons, avec lequel il était lié."

Juges 13