Qui dites vous que je suis ?
Prédication prononcée le 5 décembre 2010, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Florence Blondon
(Marc 1:1, Marc 3:1-6, Marc 8:27-30, Marc 16:1-8)
En cette période de l'Avent, il semble opportun et même salutaire de savoir qui nous attendons. Jésus, le Christ ? Qui est-il ?
L'Evangile de Marc nous donne un commencement radical : «Commencement de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». En guise de récit de Noël cela manque un peu de décorum ! Quant à la résurrection là aussi il n'est guère prolixe, terminer sur la trouille de ces femmes devant un tombeau vide, quel audace pour dire la résurrection. Mais l'auteur de l'Evangile est certainement trop audacieux, car il a fallu que l'on rajoute dans certains manuscrits, quelques lignes maladroites pour ne pas laisser le lecteur lui aussi dans l'effroi. Ainsi, Marc ne donne jamais dans la fioriture, il ne cherche pas à embellir, il évacue tout ce qui semble inutile, il ne cherche pas à gommer les aspérités, il s'adresse à nous de manière abrupte, comme pour nous dire : vous êtes grands maintenant, vous êtes adultes, alors tous ces récits extraordinaires, laissez les pour un temps de côté et mettez vos pas dans ceux des femmes et suivez-le tout simplement sur les routes de Galilée, et laissez vous surprendre, bousculer dérouter, questionner. (En effet lorsque le jeune homme s'adresse eu femmes, il les envoie retrouver Jésus en Galilée, c'est-à-dire là où tout à commencer, il nous renvoie nous lecteur à relire l'Evangile)
Et, vous l'avez entendu au cœur, au centre de cet Evangile, il y a une question ; Et vous qui dites vous que je suis ? La question posée aux disciples traverse les siècles jusqu'à nous rejoindre aujourd'hui : Qui est-il, qui est-il pour nous ? Qui est-il pour moi ? Entre ce que l'on lit dans les évangiles, entre nos doutes, nos questionnements et notre foi, entre le travail des exégètes, des historiens, des théologiens, des philosophes, qui est-il pour moi ? Cette question a traversé les siècles depuis le tout début du christianisme. On s'est longtemps interroger sur sa nature, le concile de Chalcédoine en 451, a tranché reconnaissant la double nature (divine et humaine) du Christ. Mais dans les faits, seule la nature divine du Christ a été mise en avant jusqu'à une période récente. Ce n'est que depuis la fin du 19ème siècle que l'on constate un souci de plus en plus grand de redécouvrir la dimension humaine et historique de Jésus. C'est Ernest Renan qui ouvre la voie, non sans retentissement avec la publication de la Vie de Jésus en 1863. Il voit en Jésus un être réel qui lutte contre le cléricalisme juif au nom d'un humanisme laïc et universel, Il parle de Jésus comme d'un « homme incomparable, et non plus comme d'un Dieu. Il magnifie la personnalité de Jésus, mais se faisant il le dédivinise. Il est vrai que Renan lit les évangiles avec les préoccupations de son temps, non sans romantisme, mais cette approche qui aujourd'hui peu nous sembler assez désuète, (il n'était le seul, mais probablement le plus connu) a fait sauter bien des verrous et a permis de revisiter nos croyances de manière tout à fait salutaire. Il fut bien entendu combattu, condamner par l'Eglise catholique romaine de l'époque, mais les protestants ne l'ont pas bien accueilli non plus ; le plus étonnant fut tout de même que nombre de personnes redécouvrirent la foi grâce à lui. Etonnant, mais intéressant, et somme toute réjouissant, car ce Jésus qui sortait du cadre de l'institution, n'est-il pas celui qui rapproche le plus des Evangiles ? Et cette nouvelle image ne s'adressent-elle pas à des croyants critiques et responsables ?
Le problème de la vie de Jésus a d'abord été celui de son existence, mais il semble bien qu'aujourd'hui il soit admis par tous : Jésus a bien existé, il était un juif de Palestine, il est né peu avant notre ère, il a surtout vécu en Galilée, il a prêché, probablement guéri il a été exécuté par crucifixion vers l'an 30 de notre ère. Mais si son existence n'est pas contesté, cela ne répond pas à la question qui est-il ? Qu'a-t-il fait avant sa mort pour que l'on croie à sa résurrection ? La question est passée du Jésus de l'histoire au Christ de la théologie.
De nombreuses tentatives existent pour répondre à cette question :
- La recherche des « ipsissima verba » : démêler ce qu'il a dit et ce que les évangélistes ont mis en récit, mais l'entreprise est ardue, et ne répond pas vraiment à la question de son identité.
- D'autres comme le philosophe Frédéric Lenoir, voit en lui un philosophe, un sage : il expose quels sont les grands principes éthiques qui découlent des gestes et des paroles de Jésus tels qu'ils nous sont rapportés par les quatre évangiles canoniques : égale dignité de tous les êtes humains, amour du prochain, partage et justice sociale, non-violence et pardon, séparation du politique et du religieux, émancipation de l'individu par rapport au groupe, liberté de choix.
A la lecture des évangiles on peut dire que Jésus redéfini la loi : par son enseignement, par ses signes, par ses fréquentions. Une loi qui ne rend pas caduque l'existence de rituels, d'institutions, d'actes religieux collectifs : elle affirme qu'il ne s'agit là que de moyens et non de fins. La véritable fin, c'est l'amour de l'autre. La loi et les rituels n'ont de sens que pour apprendre à l'homme à aimer. Et de manière ultime, le message de Jésus pourrait se résumer ainsi : adorer Dieu en vérité, c'est aimer son prochain. Dans cette optique Jésus est un grand humaniste, un sage, un philosophe.
On peut, assez aisément faire un pas de plus, et entendre le côté subversif de sa prédication, il refuse les rites inutiles, il mange et boit avec les moins que rien, il fréquente même les collabos, il est tout à fait politiquement incorrect, il n'a de cesse de s'opposer aux institutions religieuses, aux conventions sociales, alors même qu'il refuse de faire ce que l'on pourrait attendre de lui : dénoncer l'occupation. Il déstabilise, il bouscule, et finalement personne ne comprend trop, surtout pas ses disciples, qui pourtant le suivent. Mais il ne fait jamais cela par pure provocation, il le fait parce qu'il connaît la valeur de l'humain, et qu'il refuse de le voir dévaloriser : « Est-ce faire le bien ou faire le mal ? », « est-ce une vie à sauver, ou tuer ? » (Marc 3,4). Encore des questions. Et il fait cela non en son nom personnel, mais en s'appuyant sur Dieu, en cela il est aussi un prophète, il s'inscrit dans cette lignée. Il en adopte le ton, la dimension de scandale. Et finalement ce n'est pas tant la véracité historique du miracle qui nous importe (Jésus a-t-il vraiment fait des miracles ? Probablement, mais, cette question ne semble pas essentielle, car il n'était pas le seul à être thaumaturge, aujourd'hui encore il existe des guérisseurs), que la signification qui leur est donnée : ramener un humain à la vie, dans notre cas, la vraie vie qui permet d'être en relation avec les autres. Philosophe, prophète c'est assez facile à comprendre et même à croire, et aujourd'hui, y compris chez les chrétiens, nombre de nos contemporains ont du mal à aller plus loin.
En tant que pasteur, c'est ce que j'entends souvent, Jésus comme sage, cela colle tout à fait mais lorsqu'il faut parler de sa résurrection ; s'interroger sur sa nature : est-il fils de Dieu ? Les questions beaucoup plus théologiques, qui touchent à ce que l'on croit être les fondements, c'est une autre histoire. Et bien personnellement je pense que si déjà vous croyez cela : bravo ! Bravo, parce que lorsqu'on est sensible à ce message tout à fait subversif qui nous invite à aimer notre prochain c'est essentiel, car cela change concrètement notre vie.
Mais encore faut-il s'entendre sur ce qu'est aimer : aimer c'est aussi croire : Jésus a aimer ceux dont il a croisé la route, mais avant tout il a cru en eux, il leur a fait confiance, c'est à eux de trouver leur chemin ; alors aimer son prochain c'est aussi croire en lui ; l'aider parfois a découvrir qu'il est un être aimable et aimé, c'est au cœur de la vie et de l'enseignement de Jésus, mais un pas de plus se découvre dans le double commandement d'amour aimer Dieu et son prochain, donc qui aime son prochain croit en lui mais qui aime son prochain aime Dieu (même sil ne le sait pas)et croit en Dieu.
Si vous lisez l'évangile que vous en comprenez le cœur, d'une manière ou une autre cela va bouleverser votre vie. Parfois nous doutons peut-être trop de nous, et donc de Dieu. Je ne dis pas que nous ne sommes pas appelés à aller plus loin sur ce chemin, certainement, mais je crois que lorsque nous sommes déjà sensible (et plus que cela que nous sentons un appel à la mettre ne œuvre dans notre vie) à la dimension éthique de la prédication et de la vie de Jésus, nous sommes probablement déjà plus engagés que nous ne le pensons.
C'est aussi cela qui se joue dans ce dialogue entre Jésus et ses disciples ; Il se passe en 2 temps. « Qui suis-je au dire des hommes ? ». Et là les disciples répondent : Jean-Baptiste, Eli, un prophète...Jésus ne conteste en rien cela mais il veut aller plus loin : et vous, vous mes proches, mes disciples pour vous qui je suis ? Et Pierre répond « tu es le Christ ». Là encore Marc se montre peu prolixe. (Chez Matthieu, le Christ le fils de Dieu, et Luc le Christ de Dieu). Cela se passe donc comme si il y avait deux niveaux : les hommes et les disciples, le niveau de (re) connaissance n'est pas le même. Les proches le connaissent-il mieux ? Probablement, mais cela ne disqualifie pas la première réponse. Et ce qui est le plus intéressant c'est cette demande de silence de Jésus. Il leur commande sévèrement de ne parler de lui à personne. C'est étrange. On s'est beaucoup interroger à ce sujet. Mais c'est assez cohérent avec l'acte même du questionnement, car Jésus à aucun moment ne dit qui il est lorsqu'on lui demande. Au contraire il dit : et vous qui dites vous que je suis ? C'est essentiel, c'est à nous de chercher, de trouver. Il n'est en rien un gourou qui voudrait nous endoctriner, et il n'est pas non plus quelqu'un que l'on pourrait enfermer dans une vérité. Lorsqu'il nous interroge, il remet en question de toutes les prétentions humaines à prétendre détenir la vérité et à dire le sens ultime des choses. Il ouvre la voie à « un autre que nous » c'est probablement là que ce fait la reconnaissance. D'où le silence demander aux disciples, c'est aux hommes de trouver, si déjà ils reconnaissent Jésus comme prophète, alors ils sont en chemin. (Certains iront plus loin sur cette route)
Qui dites-vous que je suis ? Question que nous pouvons entendre aussi aujourd'hui, et qui nous invite à nous situer, où en sommes-nous ? Un sage, un philosophe, ou le Christ, le fils de Dieu (mais nous sommes nous aussi fils de Dieu, mais lui l'est pleinement)
Certes il y a un saut à faire pour passer de l'un à l'autre, le saut de la foi. Mais dans notre vie, il y a également des moments où le doute revient, alors, lorsque le premier message est compris, il nous permet de nous y accrocher et de ne pas sombrer. Il nous permet tout simplement la confiance. Croire et aimer, croire et se savoir aimer.
Je peux aujourd'hui vous dire ce que signifie pour moi ce mot « Christ », qui il est pour moi. Mon Christ à moi est « Fils de Dieu », c'est-à-dire celui qui Le révèle sous son véritable visage, celui du Crucifié. Celui qui fait descendre Dieu vers les hommes pour questionner leur volonté irrépressible de se hisser à sa hauteur. Le porteur d'une Parole qui interpelle chacun de nous, une Parole qui vient révéler l'homme à lui-même. Il est celui qui me dit que je suis capable d'amour, parce cet amour me dépasse, il me précède, il est un don, comme lui en a vécu jusqu'au bout. Mais le chemin pour découvrir le Christ c'est les routes de Galilée, là où sont envoyées les femmes.
C'est sur ce chemin c'est-à-dire pour nous dans l'Evangile et dans nos vies que nous sommes appelés à le rencontrer à le découvrir, mais il sera différent pour chacun d'entre nous, un peu plus humain, un peu plus divin. C'est toute la richesse de l'Evangile qui n'est en rien un traité de dogmatique et qui nous invite à la découverte et surtout à ne jamais arrêter notre quête.
Qui dites vous que je suis ? Tu es celui qui m'invite à chercher.
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Marc 1:1
Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
Marc 3:1-6
Il retourna à la synagogue. Il se trouvait là un homme qui avait la main paralysée. Ils observaient Jésus pour voir s'il le guérirait un jour de sabbat, afin de l'accuser. Alors il dit à l'homme qui avait la main paralysée : Lève-toi, là, au milieu. Puis il leur dit : Qu'est-ce qui est permis, un jour de sabbat ? Est-ce de faire du bien ou de faire du mal, de sauver ou de tuer ? Mais ils gardaient le silence. Alors, promenant ses regards sur eux avec colère, navré de les voir si obtus, il dit à l'homme : Tends ta main. Il la tendit, et sa main fut rétablie. A peine sortis, les pharisiens tenaient conseil avec les hérodiens contre lui, sur les moyens de le faire disparaître.
Marc 8:27-30
Jésus sortit avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe. En chemin, il se mit à demander à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je ? Ils lui dirent : Pour les uns, Jean le Baptiseur ; pour d'autres, Elie ; pour d'autres encore, l'un des prophètes. Lui leur demandait : Et pour vous, qui suis-je ? Pierre lui dit : Toi, tu es le Christ. Il les rabroua, pour qu'ils ne disent rien à personne à son sujet.
Marc 16:1-8
Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l'embaumer. Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil. Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l'entrée du tombeau ? Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée. En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche ; elles furent effrayées. Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s'est réveillé, il n'est pas ici ; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit. Elles sortirent du tombeau et s'enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur