Qu'y avait-il dans l'Arche d'Alliance?
Prédication au temple de l'Etoile à Paris
par le pasteur Louis Pernot
Nombres 17, 1 à 11; Exode 16, 11 à 15 et 31 à 33; Hébreux 9, 1 à 4
Une réflexion sur l'Arche d'Alliance peut nous aider à comprendre le mode de présence de Dieu dans nos existences. En effet, le peuple hébreu, cheminant dans les déserts, transportait avec lui une grosse boîte en bois d'acacia, recouverte d'or, sur les côtés de laquelle étaient fixés des anneaux dans les quels on passait des barres de bois, permettant de le transporter. Ce coffre était appelé «l'arche d'Alliance», car il devait rappeler l'alliance faite entre Dieu et son peuple au Sinaï, et il symbolisait, pour le peuple, la présence même de Dieu en lui.
L'Ancien Testament nous révèle le contenu de ce coffre : il y avait trois choses, et il est certain que ces trois choses représentent chacune un des aspects de la présence et de l'aide de Dieu pour nous en ce monde.
On sait en général la première chose qui se trouvait dans l'Arche : les Tables de la Loi données à Moïse sur le mont Sinaï. Mais on ignore souvent qu'il y avait aussi de la «manne», ce pain tombé du ciel pour nourrir les hébreux, et le «bâton d'Aaron».
On comprend assez bien la présence des Tables de la Loi : elles sont la Parole de Dieu, et effectivement, la présence de Dieu se trouve dans sa parole. La théologie réformée est dans la droite ligne de cela en disant que la présence réelle de Dieu se situe dans la lecture de la Parole de Dieu, la Bible et que c'est en se frottant constamment à cette Parole en se rapprochant, en se plongeant dans la Bible que l'on a une chance de trouver la plénitude de cette présence de Dieu.
La présence de la Manne est déjà plus mystérieuse. Une explication peut être trouvée dans le sens même du mot « manne ». Et en effet lorsque la manne est tombée, personne ne savait ce que c'était, et les hébreux disaient « Qu'est-ce que cette chose-là? », ce qui se dit: « man hou » en hébreu, et faute de pouvoir répondre on a appelé cette chose du nom de la question: « manna », « qu'est-ce que c'est ? ». La question est devenue un nom, exactement comme en français le «vasistas» qui vient de l'allemand «Was ist das», «Qu'est ce que c'est?»
Ainsi cette présence de Dieu, qui se trouve dans sa parole, n'est pas seulement une loi à laquelle il faut obéir, ou des vérités à écouter et à croire, mais c'est une parole à côté de laquelle on pose une question «qu'est-ce que c'est que ça ?». La présence de Dieu est dans la Bible, mais dans une Bible sur laquelle on réfléchit, on travaille, on médite, et c'est lorsqu'on a à la fois la Parole et la question posée sur cette Parole que l'on a une chance de trouver la vraie présence de Dieu.
Cela permet d'éviter le fondamentalisme, qui exige que l'on prenne la Bible au pied de la lettre, et qu'on y obéisse aveuglément; et d'éviter de croire qu'être protestant, ce serait d'adorer la Bible et d'en faire un absolu, (ce qui est le risque quand nous mettons la Bible sur un autel !). La manne a été donnée aux hébreux pour les nourrir, or ils avaient déjà la parole qui est une nourriture, mais pour être vraiment efficace, il faut qu'il y ait un questionnement à côté d'elle. Si jamais on cherche dans la Bible des réponses, on ne trouvera pas la présence réelle de Dieu. C'est par les questions que l'on avance; c'est parce que la Bible nous questionne, c'est parce qu'elle nous secoue, nous dérange, que nous pouvons grandir et avancer, et c'est dans ce but que doit être lue la Bible.
Et puis c'est aussi une Bible sur laquelle on a le droit de poser des questions : même si c'est un texte sacré, la démarche constructive et nourrissante est de la questionner et d'être questionné par elle, de chercher la signification du texte aujourd'hui, de chercher pourquoi ce texte est ainsi.
La présence du Bâton d'Aaron dans l'Arche est plus difficile à expliquer. Il faut relire l'histoire, et voir que dans Nombres 17, juste avant l'ordre de mettre le bâton dans le tabernacle, ce qui était en jeu, c'était la légitimité du sacerdoce, de la tribu des Lévites, c'est-à-dire en fait la légitimité de l'existence d'une Eglise, d'un culte institué. Le peuple disait alors, comme aujourd'hui d'ailleurs, «On n'a pas besoin de prêtres, de curés, de pasteurs, non plus que d'églises, de paroisses; on a la parole de Dieu, et c'est suffisant». Les protestants, dans leur révérence à la Bible, ont trop tendance à croire possible de se passer de toute Eglise. Mais dans le livre des Nombres, Dieu leur donne un signe en faisant fleurir le bâton du chef de la tribu des prêtres au milieu de tous les autres pour montrer qu'il tient bien à cette prêtrise.
Le bâton d'Aaron présent dans l'Arche montre au peuple qu'il ne peut ni ne doit se passer d'une institution l'aidant à se mettre en relation avec Dieu. Car c'est cela le rôle des prêtres, être un lien entre le peuple et Dieu. La Parole de Dieu et le questionnement ne suffisent pas : la dimension communautaire de l'Eglise, l'importance de toute cette organisation qui comprend la paroisse, le temple, le culte, les sacrements, la communion, les pasteurs, tout cela représente un lien humain entre Dieu et son peuple, indispensable pour nous faire sentir la présence de Dieu.
Ce rôle de l'Eglise comme élément de la présence de Dieu pour le fidèle peut sembler être une apologie du système catholique. Mais ce n'est pas si éloigné qu'on pourrait l'imaginer de la pensée protestante. Calvin lui-même disait que la chose essentielle dans la vie chrétienne et dans l'organisation chrétienne ici-bas, c'est, que «La Parole soit plainement prêchée...», donc la parole de Dieu, le questionnement, ce que nous faisons dans la prédication sur le texte biblique, «...et que les sacrements soient droitement administrés». Ce qui fait la distinction entre la pensée catholique et la pensée protestante, c'est que dans l'Eglise Romaine, l'Eglise arrive en premier comme vecteur de la présence de Dieu, et la Bible et la réflexion en second, alors que dans la pensée protestante, la Parole de Dieu est première, la prédication et les sacrements seconds. Cela correspond d'ailleurs bien à ce qui apparaît dans notre texte, en effet, contrairement à l'Epître aux Hébreux qui met les trois éléments dans l'Arche, il semble que les Tables de la Loi aient une place privilégiée, la Manne et le Bâton n'étant pas vraiment dans l'Arche, mais devant celle-ci, dans le tabernacle, la tente qui abritait l'Arche. Cependant, le fait que la Parole de Dieu soit première ne veut pas dire que l'on puisse se passer des deux autres éléments.
Nous devons donc prendre garde de conserver «les sacrements droitement administrés», c'est-à-dire tout le service de l'église, le bâton d'Aaron, à côté de la parole plainement prêchée, avec le questionnement, la réflexion personnelle, la prédication, qui sont la manne.
Mais cette réflexion peut aller encore plus loin. En effet, l'Arche d'Alliance sera le fondement même du temple de Jérusalem, celui-ci étant fait pour le contenir. Or, dans le Nouveau Testament il est dit: Vous êtes le Temple du Seigneur (1Co 3:16), ce qui amène à penser que c'est aussi en nous-mêmes que doivent se trouver ces trois objets de l'Arche.
Pour les Tables de la Loi, il est évident que nous devons être les tabernacles dans lesquels se trouve la plénitude de la Parole de Dieu. Paul dit bien : Que la Parole de Dieu habite en vous (Jean 14:23, Col 3:16) et Ce n'est pas dans des tables de pierre qu'est gravée la parole, mais dans des tables de chair, dans vos cœurs (2Cor 3:3). Nous devons manger, intégrer, incorporer cette Parole, pour qu'elle soit en nous, gravée profondément en nos cœurs.
Mais nous avons aussi à nous incorporer la Manne, à intégrer ces questions qui parfois nous embêtent: il faut les admettre comme une part de nous-mêmes. Peut-être même devrions-nous même aller plus loin, et devenir pour les autres une question qu'ils se posent. Ce n'est pas un hasard si l'on parle souvent de Témoignage pour parler de l'attitude que Dieu attend de ses fidèles, et si cette Arche s'appelait aussi: « l'Arche du Témoignage ».
Nous pouvons être un témoignage si la Parole de Dieu habite en nous, mais aussi si nous sommes nous-mêmes pour ceux qui nous rencontrent une question. Le témoignage chrétien ne doit pas être une façon sectaire d'aller jeter sur les gens des certitudes, des réponses, des idées toutes faites; le témoignage, c'est d'être pour les autres une question par sa vie, sa façon de vivre, sa foi. Cela les induit à se poser des questions, à se remettre en cause, à briser leurs certitudes, à aller de l'avant.
Et pour que le chrétien soit une question, il doit se remettre en question, être sans cesse en mouvement, il ne doit pas se contenter de ce qu'il est, il doit être perpétuellement en route.
Enfin, le chrétien doit aussi avoir en lui même le bâton d'Aaron, symbole du pouvoir sacerdotal Là, on retrouve la notion bien protestante du sacerdoce universel. Plus haut, nous avons vu l'importance de l'Église, mais il ne faut pas s'arrêter là: nous devons tous être nous-mêmes des prêtres pour nos proches, les mettre en relation avec Dieu. Nous devons nous sentir responsables de la relation des autres à Dieu, et ce bâton d'Aaron nous en montre la manière, si on relit bien les textes.
Le bâton d'Aaron avait en effet déjà eu un rôle considérable avant qu'il ne fleurisse miraculeusement. C'est ce même bâton qui se trouvait déjà dans la main de Moïse, et avec lequel il a fait de grands prodiges : il a effrayé le Pharaon en se transformant en serpent, il a permis d'ouvrir la mer Rouge, de faire jaillir l'eau d'un rocher. Et c'est ce bâton par lequel Dieu a opéré de grandes choses dans son peuple qui deviendra le signe de la légitimité du sacerdoce d'Aaron. Si nous devons être ce bâton d'Aaron, peut être cela signifie-t-il que pour être un témoignage pour nos proches, nous devons être la démonstration de ce que Dieu opère en nous, montrer que Dieu opère de grandes transformations, qu'il nous permet de traverser à pied sec des choses que nous n'aurions jamais imaginé traverser, et que dans les déserts de sécheresse, de crainte, par la présence de Dieu qui est en nous, par cette Loi, cette Parole, ce questionnement, des sources d'eau vivante jaillissent dans nos cœurs.
C'est ainsi que nous pouvons être des signes de la présence de Dieu. Dans l'Evangile, il est écrit cette pensée très semblable : Que vos œuvres bonnes (tout ce que Dieu nous fait faire) soient visibles aux yeux de tous les hommes, et qu'ainsi ils glorifient Dieu qui est dans le ciel: (Matt 5:16) que les autres glorifient Dieu parce qu'ils voient ce que Dieu opère en vous.
Ainsi, dans l'Arche d'Alliance, la présence de Dieu se fait par sa Parole, d'abord, et par la Manne et le Bâton. La Manne est cette aide intérieure, ce pain vivant que Dieu nous donne pour nous nourrir et nous soutenir dans nos déserts, sans doute nous nourrit-il de questions, mais c'est loin d'être vide. Et le Bâton est cette puissance de Dieu qui agit pour nous libérer de l'esclavage, nous aider à traverser la mer, et à trouver l'eau de la vie. La présence de Dieu, c'est tout à la fois ce qui nous fortifie et nous réconforte, et ce qui nous permet de sortir, d'avancer, d'être en route.
Ce contenu de l'Arche d'Alliance explicite au mieux la façon par laquelle la Parole de Dieu peut être présente en nous, et comment elle nous conduit à la vie et au bonheur. La Manne, pour soi, c'est la question, pour les autres, c'est le témoignage, intriguer et questionner. Le Bâton c'est, pour soi, le rôle de l'église, la pratique religieuse, tous ces moyens de croissance spirituelle que sont l'Église, ces objets qui nous permettent d'accéder à cette parole, et pour les autres, c'est le rôle que nous avons, nous, à jouer, puisque chacun de nous doit jouer pour les autres le rôle d'Eglise et de prêtre.
Et c'est alors que nous avons ce tabernacle, cette présence de Dieu qui nous accompagne en tous temps et en tous lieux, sous ses formes diverses, humaines, spirituelles, divines, complexes, variées, pour peu que nous n'ayons garde de l'oublier dans quelque recoin de notre vie. Il faut effectivement faire l'effort de trimbaler partout avec nous cette Arche d'alliance, avec sa Loi, sa Manne et son Bâton. Nous aurons alors cette plénitude de la présence de Dieu, avec laquelle nous pouvons franchir tous les déserts, avec laquelle nous sommes en marche vers la Terre Promise, le pays où coule le lait et le miel, vers le pays de joie et de vie.
Amen.