"Dansez pour l'Éternel !"
Pas de danse au culte pour Calvin
Danse ou pas danse dans la vie et en particulier dans le culte ? La réponse du bon calviniste que je suis est sans appel, c'est non, pas danses.
La plus mauvaise raison c'est que je n'aime pas danser. La cause en est peut-être que je n’y arrive pas. Ensuite on sait à quel point Calvin s'est opposé à toute forme de danse à Genève, interdisant les danses publiques. Au culte on n'y pense même pas, il y avait même interdit la musique, à part bien sûr le chant des psaumes. L’idée de Calvin était que la danse est une expression corporelle et fidèle à l’Evangile de Jean qui proclame que « au commencement était la parole », on doit conclure que la louange de Dieu doit se faire par la parole et non par le corps ; les danses ou les expressions physiques risquant, par ailleurs, de développer ou d'encourager une forme de sensualité qui lui semblait coupable et contraire aux bonnes mœurs auxquelles invite l’Evangile, la sensualité pouvant mener débauche et à toutes sortes dérèglements.
La danse dans l’Ancien Testament
Pourtant on le sait la danse a une place réelle dans l'Ecriture, dans l'Ancien Testament en particulier, et même dans des situations spirituelles, ainsi voit-on David danser devant l'arche (II Samuel 6:12-22), Myriam qui prend un tambourin et qui fait des danses lors de la sortie d'Égypte (Exode 15:1-2,20-21). Et le psaume 149 qui dit louer Dieu par la musique et par les danses. Il y a donc de bons arguments pour dire que la danse n'est pas nécessairement de l'ordre du péché, de la débauche ou de la lascivité mais peut-être une forme d'expression corporelle de la louange, de la joie spirituelle et donc peut tout à fait être mise au service de la foi.
Cela, Calvin le savait bien, mais il opposait que les principaux arguments favorables à la danse se trouvent dans l'Ancien Testament, que l'Alliance, l'économie juive était effectivement basée sur des pratiques très matérielles de sacrifices, de prières, de dévotion, de rites, alors que le culte du Nouveau Testament est un culte spirituel qui se concentre sur la parole et dans lequel ces expressions corporelles n'ont pas de place. « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité », pas par des gesticulations ! En tout cas, on ne voit pas de trace de danse spirituelle dans le Nouveau Testament.
La danse dans le Nouveau Testament
Mais ce serait-là conclure un peu vite. Certes, Jésus ni ses disciples ne sont jamais montrés en train de danser, mais on ne les voit pas non plus en train de chanter des cantiques, on ne les voit pas rire, ni faire des tas de choses, et ce n'est pas une raison pour ne pas les faire. On peut penser que là, Calvin ne lit pas assez loin le prologue de Jean, puisque s’il est vrai qu’il commence en disant « au commencement était la parole, cette parole était celle de Dieu, cette parole était Dieu... tout a été fait par elle », donc oui, tout est centré sur la parole, mais au verset 14, il est bien écrit, « et la parole a été faite chair ». Il y a donc une réalité de l'incarnation que Calvin ne semble pas prendre au sérieux. Jésus ne s’est pas présenté comme pur esprit, mais il a été vraiment homme avec les sentiments, les expressions de l'humanité, puisqu'il est allé jusqu'à pleurer, rire, on ne le voit pas, mais il éprouve de la colère, différents sentiments, et même du doute, tant de sentiments purement terrestres qui ne nuisent absolument pas à sa divinité, mais qui sont des expressions de son incarnation.
Ensuite, une lecture plus attentive de l'Ecriture nous fait voir que la danse n'est pas aussi étrangère que ce que Calvin voudrait dire au Nouveau-Testament et même à la prédication du Christ. On en trouve, en effet, mention dans ce texte sur lequel j'ai prêché il y a peu qui est la parabole du fils prodigue. Quand le fils prodigue revient, le père – qui est donc Dieu – organise une façon d'exprimer la joie par les chants et les danses. Et donc apparemment Dieu, ou en tout cas Jésus qui a prononcé cette parabole, considère que la danse peut être une expression si ce n’est de foi, en tout cas de saine joie, comme nous l'avons dit dans l'Ancien Testament, et cela a bien une valeur spirituelle dans la parabole : une expression de la joie d'être sauvé et qu'il n'y a rien de plus beau que quelqu'un qui exprime sa joie et sa reconnaissance envers l'Eternel. En effet, il n'est pas tout d'être sous la grâce, d'être aimé, d'être pardonné, d'être sauvé, il est aussi essentiel que nous sachions rendre grâces, c'est-à-dire exprimer notre reconnaissance pour ce don ineffable. Et sa joie, on l'exprime comme on le peut, par des paroles bien sûr, mais aussi par des attitudes ou par des gestes.
Refuser cela serait être un triste sire : même Jésus le dit : la foi se vit aussi avec des sentiments et en les exprimant : on peut pleurer son péché, ou être dans l’austérité à certains moments (comme l’était Jean Baptiste). Mais Jésus lui, n’étais pas un pisse-vinaigre. Il avait même la réputation de bien manger et de bien boire, ce qui lui reprochait ses contemporains intégristes, comme on le voit dans ce passage : « 16A qui comparerai-je cette génération ? Elle ressemble à des enfants assis sur des places publiques, et qui appellent leurs compagnons en disant :17Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des complaintes, et vous ne vous êtes pas lamentés. 18Car Jean est venu : il ne mangeait ni ne buvait, et l’on dit : Il a un démon. 19Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant et l’on dit : C’est un homme qui fait bonne chère et un buveur de vin, un ami des péagers et des pécheurs. Mais la sagesse a été justifiée par ses œuvres. » (Matt. 11:6-19)
Maintenant, l'Evangile n'est jamais univoque et nous sommes bien conscients que la danse elle-même peut aussi être dangereuse, qu'elle n'est pas bonne en soi, elle n'est bonne que si elle est l'expression d'une joie spirituelle. L'autre mention de la danse, en effet, dans l'Evangile, c'est la danse d’Hérodiade où elle demande la tête de Jean-Baptiste, c'est donc une danse maléfique à l'origine d’un grand dépêché. On peut donc dire qu'une fois de plus, ce n'est pas tant le geste lui-même qui compte que l'état d'esprit dans lequel ce geste est pratiqué.
Paul dit bien « faites tout pour la gloire de Dieu ». Pour la gloire de Dieu, on peut faire beaucoup de choses, et pas seulement parler ou écouter. La seule question, c’est ce que l’on fait, est-ce qu’on le fait pour le bien, pour le beau, pour l’amour, pour Dieu ou pour faire chuter l’autre ?
Mais cette petite parenthèse, ce petit excursus dans l’Evangile, permettant de se libérer de l’intransigeance de de Calvin étant fait, nous pouvons nous replonger dans les textes précieux de l'Ancien Testament qui nous évoquent la manière avec laquelle la danse peut être l'expression de la joie spirituelle.
La danse de David devant l’Arche
Nous avons évoqué Miriam, qui préfigure bien sûr Marie puisqu'elle porte le même nom, qui danse lors de la sortie d'Égypte. Et surtout, nous avons le texte montrant David dansant devant l'arche. David, à ce moment, a le comportement le plus anti calviniste qui soit. Il sort de sa réserve et se met à danser nu devant l'arche et devant son peuple. Sa femme, Mikal, va le lui reprocher. Je ne sais pas si elle lui reproche de danser ou de se mettre nu. En tout cas, elle lui reproche de ne pas jouer son rôle, qui serait de rester dans une parfaite dignité. Et dit que ce roi qui se met au milieu de la foule et qui exprime sa dépendance vis-à-vis de l'Eternel et qui se dévêt au lieu de se vêtir de ses habits royaux pour imposer son autorité, que ce roi se ridiculise. David, lui, pense le contraire.
Il y a en fait là deux choses. D'abord qu'il n'y a pas de honte à exprimer ses sentiments. Et en disant cela, je me prêche à moi-même. Quand je prépare des services d'obsèques, certaines personnes évoquant leur cher disparu pleurent ou sanglotent et disent « excusez-moi, M. le Pasteur ». Mais je n'ai pas à excuser une attitude qui ne fait que montrer un sentiment qui n'a rien de honteux, qui peut d'ailleurs être exprimé autrement ou pas exprimé, mais en tout cas on peut l'exprimer. L'autre chose c'est qu'il y a dans la danse une façon de se mettre à nu. C'est cela que Mikal reproche à David. Le roi qui au lieu de prétendre quelque chose s'expose, se met à nu et expose ses sentiments aux autres. Cela peut passer pour une forme de faiblesse alors que c'est une dignité. En effet, se prendre pour quelqu'un, se prendre pour Dieu, se prendre pour quelqu'un qui serait supérieur à tout, est une forme d'orgueil coupable qui nous éloigne même de Dieu. Et montrer que l'on est capable d'être l'objet même de sentiments – sans en être l'esclave –, que l'on est capable de considérer qu'il y a plus grand que soi. Et que devant Dieu et même devant les autres, j'assume de pouvoir être nu et d'être tel que je suis. C'est une très grande chose. C'est bon.
Et puis enfin, peut-être que David n'a pas trouvé d'autre manière d'exprimer sa joie. Je vous disais, il est important de rendre grâces. Il est important de dire à Dieu sa foi, de dire à Dieu sa joie, de dire à Dieu sa reconnaissance. Ainsi que le dit le Psaume 51 (v14) « rends moi la joie d’être sauvé ». Et qu’est-ce qu’une joie si on ne l’exprime pas, ou ne la partage pas ? Mais nous ne savons pas toujours comment l’exprimer. Et sans vouloir, bien sûr, remplacer la parole qui est l'aristocratie de la relation à Dieu dans un sens comme dans l'autre, néanmoins on s'exprime à Dieu comme on le peut et le corps peut-être un langage. Certes, on peut être amoureux uniquement d'une façon platonique, intellectuelle, mais l'amour suppose aussi un langage du corps, parce que le corps dit des choses. Aussi celui qui ressent ce sentiment très fort de reconnaissance, l'exprimera-t-il comme il le peut, peut-être avec des mots, peut-être sans mots, peut-être par une œuvre créatrice, peut-être par la peinture, peut-être par son travail, peut-être par des œuvres, peut-être simplement par la danse. Parce que Dieu nous a donné un corps pour le louer et l'incarnation du Christ n'était pas factice.
Eloge de l’harmonie
Et puis je ferai un développement platonicien. Pour les grecs, Dieu c’est le bien, le beau et le bon. Kalon Kagathon. Et tout ce qui est bon magnifie l'œuvre de la création. Dieu est créateur, il est celui qui harmonise le chaos. Et quand nous harmonisons le chaos, nous nous faisons à l'image de Dieu. Ainsi, celui qui crée une musique harmonique, harmonieuse, est créateur plus que celui qui fait du bruit. Et celui qui fait une danse harmonieuse, élégante, fait une œuvre divine par rapport à celui qui s'agit dans tous les sens. Le beau et l'harmonie sont ce vers quoi nous sommes appelés et ce à quoi nous invite le créateur. Il n'y a donc pas à nier le corps ou toute expression physique, mais à veiller, à mettre en ordre le physique d'une façon harmonieuse. C'est également ce qui nous est demandé de toute notre vie, qui n'est pas de se transformer en moine adamite, en méprisant le corps, en le traitant sans égard, sans respect, jusqu'à la mort, mais à faire de notre vie une œuvre harmonieuse. Et que l'harmonie, l'élégance du geste des actions se coordonne pour faire quelque chose qui est du sens et qui soit beau. Nous sommes invités, au beau, à être beau et à travailler pour la beauté.