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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Peut-on se remettre d'un malheur ?

Prédication au temple de l'Etoile à Paris le 24 février 2008

par le pasteur Louis Pernot

Bien sûr qu'on peut se remettre d'un malheur, évidemment, ce n'est pas facile, et on n'en sort pas indemne, mais oui, on peut se remettre des épreuves qui nous frappent. Et autour de nous, quel que soit le drame, nous trouvons toujours des gens qui ont réussi à se remettre de choses extrêmement difficiles. Et quel que soit le drame que l'on subisse soi-même, on trouve toujours aussi des gens qui en ont subi un plus grand et qui s'en remettent.

Il n'y a pas de déterminisme, pas de fatalité, rien n'est jamais perdu ; avec Dieu, tout est toujours possible. Et parfois, même celui dont on pensait qu'il ne se relèverait jamais, on le voit se relever. Même le plus improbable peut avoir lieu.

Il y a un verset dans l'épître aux Corinthiens disant « Dieu ne permettra jamais que vous soyez éprouvés au-dela de vos forces et avec l'épreuve il vous donnera toujours le moyen d'en sortir» (1 Cor 10 :13). Ce verset m'a autrefois posé beaucoup de problèmes. Tout en voulant y croire, je voyais pastoralement trop de gens anéantis, brisés par l'épreuve, la souffrance et qui ne peuvent pas s'en remettre. Je crois que mon erreur de jeune pasteur était de ne pas entendre l'expression « se remettre » de la bonne manière, pour moi, cela signifiait revenir comme avant, faire comme si rien ne s'était passé, et cela, forcément, ce n'est pas possible. Enfin, bien sûr, c'est possible pour les petits « bobos » de la vie, on les oublie, on passe à autre chose. Mais pour les grosses difficultés, il en va tout autrement et certainement qu'on ne s'en remet pas indemne. Cela laisse des traces. Tout dépend donc de ce qu'on entend par « se remettre » et la question est ensuite de savoir quelle est la meilleure manière d'en sortir.

Je vous le disais, pour les petites difficultés, c'est assez simple, çà nous blesse, çà nous fait mal et puis on les intègre, on les oublie, et on passe à autre chose. C'est en quelque sorte le « métier qui rentre », le charpentier qui apprend à planter des clous et se tape sur les doigts ; notre vie est comme cela et certaines épreuves sont de toute évidence formatrices. Elles nous permettent d'apprendre à mettre en perspective un certain nombre de choses pour les relativiser, de comprendre les attachements parfois idolâtres que nous avons pu avoir, cela nous permet de recentrer notre existence sur l'essentiel. Des petits malheurs, on se remet et on se trouve souvent mieux que ce qu'on était avant.

Mais pour les gros, les très gros malheurs, on ne peut évidemment pas s'en remettre comme si rien ne s'était passé, c'est une évidence absolue.

Les théologiens du Moyen-Age disaient : « le mal, c'est la privation du bien », comme si le mal n'était que l'absence du bien. C'est peut-être vrai d'un point de vue cosmique, mais pour l'expérience humaine, il n'en est pas ainsi. Il y a une consistance du mal.

Perdre un enfant, ce n'est pas comme n'en avoir jamais eu. Il y a une consistance du mal en tant que tel, le mal est une réalité à laquelle on se heurte, qui nous entraîne dans un combat dont on ne sort pas forcément indemne. Alors « s'en sortir », ce n'est pas néces-sairement s'en sortir indemne, revenir en arrière comme avant, comme si rien ne s'était passé, rien n'était arrivé. S'en sortir, c'est inventer une nouvelle manière de vivre.

La seule attitude possible avec le mal quand il est très fort, c'est la diplomatie, la seule solution, c'est de composer avec et de négocier. Là, nous avons une promesse de Dieu et cette promesse, elle est contenue dans un psaume (PS 31:9) : « Tu ne m'as pas livré aux mains de l'ennemi, devant-moi, tu as ouvert un passage » (Traduction œcuménique liturgique). La promesse de Dieu, c'est qu'on peut toujours être quelqu'un qui sort, quelqu'un qui passe.

Le peuple hébreu (son nom vient d'un verbe qui veut dire « passer »), c'est le peuple de Dieu qui a réussi à sortir, à traverser le désert, à traverser la Mer Rouge, à traverser le Jourdain jusqu'à entrer dans la Terre Promise. C'est vrai il peut y avoir des dommages collatéraux : il est dit que pas un de ceux qui sont sortis du désert n'entrera dans la Terre Promise. Et pourtant c'est le même peuple, mais ce ne sont pas les mêmes gens. De même ce n'est pas exactement le même, celui qui sort de l'épreuve et celui qui entre dans le salut ; c'est le même sans être le même, il y a un changement.

L'Evangile (et l'ensemble des Ecritures) nous conduit dans une logique fondamentale qui est celle de la marche, de l'avancée. L'Evangile, c'est toujours avancer, être en marche, sortir, parfois au risque de sa vie, c'est ne jamais revenir en arrière. La vie, c'est s'adapter, c'est faire feu de tout bois, c'est l'art « d'accommoder les restes ». l'Evangile c'est faire du neuf avec du vieux, c'est de savoir transformer le mal en bien. Ce n'est pas annuler le mal, ou faire comme s'il n'avait pas été, mais prendre le mal au sérieux et faire un alchimiste qui transforme le plomb en or. Pour moi, il s'agit de transformer la consistance de ce mal qui me heurte tant pour en faire quelque chose qui pourra aboutir à un bien, ailleurs, à un bien qui me mènera ailleurs ; c'est là la puissance de l'Evangile.

Il y a un autre passage de Paul, dans l'épître aux Romains affirmant « toute chose concorde au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom 8:28). Cette phrase aussi m'a longtemps heurté parce que j'ai vu bien des bons croyants subir des événements ne leur faisant pas de bien du tout... mais j'ai compris que la question n'est pas là, c'est plutôt que quoiqu'il arrive, celui qui aime Dieu trouve toujours en lui l'esprit, le souffle, la force, l'énergie pour transformer même ce qu'il lui arrive de mal en bien.

Effectivement, Dieu peut tout recréer, tout reconstruire, Dieu est cette puissance, comme celle qu'évoque le prophète Ezéchiel où, dans une vallée remplie d'ossements, la vie est rendue à tous ces cadavres.. Dieu est une authentique puissance de vie de résurrection. Dans le récit de la résurrection de Lazare, on a dit parfois que la vraie résurrection, ce n'est pas celle de Lazare, mais celle de Marthe parce que Marthe est dans le deuil et que Jésus lui dit : « je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra ».. Marthe dit « oui, dans la fin des temps » et Jésus lui dit « non maintenant. Le crois-tu ? » et Marthe dit « oui ». C'est elle qui « croit » et qui donc a la « vie ». C'est elle qui était accablée par le deuil et qui va comprendre qu'il y a en Jésus une puissance de relèvement, une force qui permet de repartir. Cette puissance est imagée par l'histoire de Lazare : celui qui était enfermé dans le tombeau, celui dont on disait « il sent déjà », Jésus le libère de l'enfermement, de la mort, du tombeau. Celui dont tout le monde dit : il ne se relèvera pas, il ne s'en sortira pas, il est fichu, Dieu peut le libérer, Dieu peut nous libérer de ces espèces de déterminismes qui veulent nous écraser et nous mettre à terre.

Le Christ est « la Résurrection et la Vie », pas pour l'autre temps, mais pour nous, aujourd'hui, ici et maintenant. Le Christ est pour nous cette force de relèvement qui peut nous remettre debout, nous remettre en marche, quels que soient les enfermements morbides dans lesquels nous ayons pu être.

Maintenant, ce qui est vrai, c'est que cela prend du temps. On le voit dans toutes les histoires de la Bible. Regardez Joseph, vendu comme esclave, jeté au fond d'une citerne, expatrié en Egypte, jeté dans une geôle obscure, Joseph finira par sortir de cet état terrible, mais il faudra beaucoup d'années et beaucoup de vicissitudes. Regardez Job, accablé de tous les maux : effectivement à la fin de l'histoire il retrouvera une certaine possibilité de vivre, il ne sera plus accablé par ses malheurs, mais il revivra autrement, on ne lui rendra pas ses enfants, on ne lui rendra pas ses terres et ses maisons, il aura d'autres enfants, il aura d'autres maisons , d'une certaine manière, ce sera un autre Job. Et avant d'y arriver, il y a un travail considérable, on le voit pendants de longs récits se révolter, rationaliser, on le voit dans des discussions terribles avec Dieu, avec ses ami, on voit Job dans l'abattement, dans la culpabilité, on le voit avec ses amis, bons ou mauvais, qu'ils aient tort ou bien raison, cela n'a pas d'importance, ils sont toujours utiles et on voit Job qui avance et qui finalement arrive à trouver une nouvelle vie. Mais cela, ce n'est pas étonnant, dans la vie tout prend du temps, tout est processus. Beaucoup des paraboles de l'Evangile sont des paraboles agricoles, on plante un grain, le plus petit qui soit, il devient un arbre, les oiseaux s'y perchent, mais combien de temps entre la graine et l'arbre, il faut du temps, tout prend du temps. Il n'y a pas de baguette magique pour annuler le temps, élever un enfant çà prend du temps ; grandir soi-même, çà prend du temps, la nouvelle naissance, ça prend du temps.

Mais le fait que cela prenne du temps n'empêche pas que cela soit possible.

Il y a aussi la résurrection de Jésus où l'on voit les disciples atteints par le deuil. Ils ont cru en Jésus, ils ont vu en lui le Messie et le voilà qui meurt comme n'importe quel vulgaire bandit des grands chemins. Et les disciples vont réussir à faire ce travail nécessaire pour revenir à la vie. Symboliquement, la Bible dit qu'il leur aura fallu trois jours ; trois jours c'est peu pour un deuil, mais c'est pour dire que ce n'est pas immédiat. Le Christ ne ressuscite pas pour les disciples dès sa mort, il faudra un certain temps de latence, trois jours pour la résurrection. Et même, pour les disciples, il faudra cinquante jours, avant la Pentecôte. Pendant cinquante jours, les disciples sont abattus, ils ne font rien, ils ne disent rien, ils prient, ils se rassemblent entre eux dans la salle haute, il ne se passe rien. Pour eux aussi il faudra du temps afin de pouvoir trouver l'essentiel qui n'est pas atteint par le mal et d'être capables de faire de cela base de la vie.

Le but de ce travail de deuil, ce n'est pas d'oublier. La sagesse populaire le sait quand elle dit : « on n'oublie pas, on s'habitue ». Mais on peut mieux faire que de s'habituer. Le but, c'est de faire comme les disciples, ou comme Job avec ses amis : en parler et progressivement pour trouver comment on peut transformer cette source d'énergie incroyable que génère en nous le deuil, cette source d'énergie négative qui tourne en nous, d'apprendre à la canaliser pour l'orienter vers la vie et non vers la mort ou vers des choses inutiles. Et ainsi on voit que les disciples, au lieu d'occulter la mort du Christ, au lieu d'occulter la croix, ils l'ont transformée en signe d'espérance. Cette mort de Jésus deviendra pour eux un tremplin leur permettant d'aller ailleurs, c'est la chose la plus extraordinaire que l'on puisse faire avec le mal. Finalement l'épreuve, c'est comme la mue pour un animal, c'est quelque chose de difficile et de long, mais on peut sortir différent., et pas forcément moins bien, mais peut être même mieux. Bien sûr on perd des choses en route mais aussi on en gagne au passage ou au moins on peut en gagner. Il en est ainsi également dans le récit de Jacob où il lutte avec l'ange : il en sort boiteux mais béni. Il y a là une vérité très profonde. Nous, nous voudrions tout, nous voudrions sortir bénis sans être boiteux et nous voudrions tout apprendre, tout savoir sans jamais souffrir et çà c'est impossible.

Jacob effectivement sort béni mais boiteux, mais le but de l'existence, ce n'est pas de guérir de tout, ce n'est pas, comme veut nous le faire croire la société moderne, d'être bien, d'être beau, d'être en parfaite santé, de n'avoir aucun souci, ni d'argent, ni de famille, ni de métier, le but de la vie, ce n'est pas çà. Il y a aujourd'hui une sorte d'idolâtrie du perfectionnisme : on n'a pas le droit d'être borgne, quelqu'un qui se promène avec une jambe en moins, c'est obscène, on n'a pas le droit d'être moche, ni d'être au chômage, ni d'être triste; car enfin on a le droit de ne pas être tout lisse, tout beau, on a le droit de ne pas être sans problème.

Le but de notre existence n'est pas comme dans certaines philosophies grecques d'être comme « un lac sans rides », c'est au contraire d'être un ferment bouillonnant dans ce monde, d'être quelque chose qui dégage de l'énergie, qui transmet, qui agit, qui transforme. C'est vrai, ceux qui ont le plus apporté au monde sont souvent ceux qui ont le plus souffert. C'est le cas, en particulier, dans la musique ou dans l'art en général.

Mais ce n'est pas toujours vrai, il faut pour cela que l'épreuve n'ait pas renfermé sur soi-même. Le danger c'est que l'épreuve endurcisse au lieu d'attendrir il y a dans toute épreuve cette tentation. Dans la Bible, il y a d'ailleurs un seul mot pour dire l'épreuve et la tentation, les deux sont liés. Dans toute épreuve, il y a une tentation, c'est celle de s'enfermer sur l'épreuve, de succomber à l'épreuve. La tentation, c'est de ne pas réorienter l'énergie vers l'extérieur, c'est de la laisser détruire de l'intérieur.

Dans le « Notre Père », la demande « ne nous soumets pas à la tentation » dit également : « ne nous soumets pas à l'épreuve ». Nous y voyons que la volonté de Dieu c'est que nous ne nous laissions pas détruire par l'épreuve, c'est de nous sortir de l'épreuve. On est loin de la conception doloriste de la religion, de certains prédicateurs qui ont voulu faire croire que pour être un bon chrétien, il fallait être triste, être accablé, ne pas être trop joyeux, ne pas danser, ne pas rire. Cette valorisation morbide de la souffrance, de la douleur en soi ne devrait pas être. On a le droit d'être heureux, même si ce n'est pas toujours évident : si on voit une veuve qui se remarie un peu vite, on a tendance à la juger, pourtant il n'y a pas de culpabilité à vouloir vivre heureux. On a le droit de ne pas s'enfoncer dans le deuil, il n'est pas obligé de présenter toujours l'image accablée du malheur comme si c'était indécent de s'autoriser à vivre et à reprendre goût à la vie quand on a subi un malheur. On n'est pas obligé de porter le deuil toute sa vie, on n'est pas obligé, après avoir subi un divorce, de rester seul toute sa vie, çà ne sert à rien d'ajouter du malheur à la souffrance, cela n'arrange rien à l'épreuve, au contraire, cela lui donnerait raison d'une certaine manière. Il n'y a pas de honte ou de culpabilité à s'en sortir, il n'y a pas de honte à vouloir s'en sortir, on a le droit d'être heureux, on a le droit de s'amuser. Or çà, ce n'est pas toujours évident, ni par rapport au regard des autres ni par rapport à ceux qui souffrent. Les gens qui étaient sortis des camps de concentration se sentaient coupables par rapport à ceux qui y étaient morts.

C'est là que nous devons dans nos temples prêcher cette chose essentielle qui est la grâce : vous êtes sauvé par grâce, vous n'avez pas à justifier votre vie, vous n'avez pas à justifier d'être en bonne santé alors que d'autres sont malades, ni d'être en vie alors que d'autres sont morts. Ce que nous demande Dieu, c'est d'accepter notre vie, d'accepter la grâce.

Et puis il y a cette autre demande du Notre-Père : « délivre-nous du Malin », ce n'est pas délivre-nous « du mal », mais bien « du malin » Le texte du Notre-Père personnifie le mal et çà c'est intéressant parce qu'il dit que le mal est quelque chose d'extérieur. Il ne m'appartient pas, il vient de l'extérieur, et donc je ne suis pas coupable du mal qui m'arrive. Le mal qui m'arrive vient du Malin et donc je ne suis pas coupable. Je demande à Dieu de me délivrer du Malin, c'est-à-dire d'un mal dont je ne suis pas coupable, d'un mal qui ne vient pas de moi. Parce qu'il y a dans le deuil un sentiment terrible de culpabilité et la première chose à gérer dans le deuil, c'est cette culpabilité, c'est d'accepter la grâce. Il faut accepter d'être sauvé, il faut venir à l'église pour s'entendre dire « vous êtes pardonné ». Se savoir pardonné et savoir pardonner, tout commence par là et rien n'est possible sans cela.

On sait que des gens victimes par exemple sur la route de chauffards alcooliques se disent qu'ils ne pourront se remettre que lorsque les responsables de leurs malheurs seront condamnés publiquement, et bien ce n'est pas vrai. Le jugement arrive, la condamnation est faite, le coupable puni et la souffrance reste. Le seul moyen de se remettre, c'est de pardonner.

Dieu veut que nous vivions, que nous nous relevions, que nous « ressuscitions ». A ce sujet, Paul, en 1 Corinthiens 15 dit qu'on ne ressuscite pas comme on vivait autrefois : il y a un corps autre, le corps de la résurrection est différent. C'est aussi l'histoire du paralytique ; Jésus lui dit : « prends ton lit et marche ». J'ai toujours été frappé de cela. Pourquoi Jésus lui dit-il de se charger de son lit ? Moi, ce que je voudrais, si j'ai un problème, c'est de me retrouver en pouvant marcher, débarrassé de mon problème, alors que le paralytique, lui, se retrouve marchant, mais chargé encore de son problème. Ce que Dieu lui permet, c'est de marcher, même en portant son lit, mais de marcher Le miracle est là qu'avant c'est le lit qui porte le malade et après c'est le malade qui porte le lit. Le malade, n'est plus « un malade » mais il devient un sujet qui supporte une maladie. Ce n'est pas du tout pareil, il redevient le sujet de sa vie. Et c'est ce que Jésus nous dit : charge-toi de tes soucis, charge-toi de tes deuils, charge-toi de ta croix, et mets-toi en marche, avance. Et çà c'est important, parce que çà, c'est toujours possible, d'agir, de parler, d'avancer, de créer, d'aimer, de partager et çà, on peut toujours le faire, même si on est un peu malade , du corps ou de l'âme, même si l'on est vieux, même si l'on souffre, même si l'on pleure, on peut toujours aimer, pardonner, transmettre, sourire, offrir, c'est çà la grandeur de notre vie. Bien sûr, nous savons que la vie est complexe et est confrontée au mal. Dieu n'est pas celui qui nous garantirait une vie de confort, sans soucis, sans problèmes, où tout irait bien. La vie, c'est de lutter, c'est de combattre, de construire, même au prix de son confort et la grandeur de l'existence ne réside pas dans l'absence de souffrance, la grandeur, elle réside dans ce que nous donnons aux autres.

On ne grave pas sur les murs du temple les noms de ceux qui ont passé l'été au « Club Méditerranée » dans un hôtel 4 étoiles, on y met le nom de ceux qui ont souffert à la guerre de 14, ceux qui ont donné leur vie pour une cause altruiste. On y met le souvenir des héros. Le christianisme lui aussi valorise les martyrs, il a valorisé ceux qui ont souffert, ceux qui ont témoigné dans ce monde d'une espérance, par delà leurs souffrances. Témoigné de quelque chose qui est justement plus important que leur tranquilité, leur petit bonheur, le confort petit bourgeois auquel nous aspirons tous un peu, mais à tort . Les héros, ce ne sont pas les petits bourgeois qui vivent confortablement dans leur petit pavillon Bouygues en Région parisienne, ce n'est pas çà l'idéal du chrétien. L'idéal du chrétien, c'est le martyr, l'idéal du chrétien, c'est les douze apôtres, dont pas un n'est mort de mort naturelle.

Les plus grandes choses dans ce monde ont été faites par des gens qui ont souffert. La question n'est donc pas de souffrir ou non, la question est de savoir réinvestir l'énergie de la souffrance pour la remettre au service des autres, au service de la paix, de la joie.

Il peut ainsi y avoir de la joie, même dans la souffrance. Ce n'est pas tout l'un ou tout l'autre, on peut rire d'un œil et pleurer de l'autre, c'est une question de regard, de verre à moitié plein ou à moitié vide. Le chrétien, lui, quand il y a un verre à moitié plein ou vide, il le regarde comme à moitié plein. Et même s'il y a une seule goutte d'eau dans un verre complètement vide, le chrétien regarde la goutte d'eau et dit : « je crois à l'eau et non au vide ».

Et puis Jésus, que sait-on de sa vie ? Quels drames secrets se cachent dans les années obscures de sa vie, dans les trente années dont on ne sait rien ? Pourquoi se présente-t-il à trente ans sans femme, sans enfant, sans famille, alors que c'est impossible dans le judaïsme de l'époque de vivre comme çà, tout seul. Certains ont prétendu que forcément il avait dû être marié, peut-être avait-il perdu son épouse, peut-être avait-il perdu son enfant, on n'en sait rien, mais peu importe, là n'est pas la question ; il est très possible que Jésus ait vécu beaucoup plus de choses qu'on ne l'imagine. Et de même Calvin, le grand réformateur, çà, on le sait, il a vu mourir sa femme et son seul enfant, son enfant unique, alors, est-ce que Calvin s'est jamais remis de son deuil ? On ne s'est jamais posé la question, parce que ce n'est pas la question. Il a mis sa vie au service d'autre chose que de lui-même, comme les poilus en 14, comme les martyrs, comme les Apôtres et c'est çà qui fait la grandeur de ces témoins qui sont la lumière du monde.

Tout cela, évidemment, suppose un travail important sur soi-même, travail long et difficile, il faut apprendre à marcher par dessus ce qui semble vouloir nous engloutir, comme Pierre marchant sur l'eau qui dit à Jésus : « mais qu'est-ce qui empêche que je puisse sortir de ma barque et avancer en marchant sur la mer, en marchant au-dessus de tout ce qui pourrait m'engloutir ? » Jésus ne dit rien, il dit juste « viens » et tant que Pierre va vers Jésus, tant qu'il a un idéal, tant qu'il avance sans penser à lui-même, sans se regarder, il avance et il traverse ce qui aurait dû l'engloutir. Le miracle c'est que justement ce qui devait le tuer devient ce qui le porte, ce qui lui permet d'avancer. Cela, c'est beau et vrai. Pourtant, parfois, on n'y arrive pas, parce qu'on est sans force, abattu, sans courage et le texte ne s'arrête pas là, Pierre à un moment donné se regarde lui-même, et il prend peur, il se dit çà c'est trop fort pour moi et il s'enfonce. Et il y a là la deuxième bonne nouvelle de l'Evangile : Pierre dit à Jésus, « Seigneur, sauve-moi », alors Jésus arrive, il lui tend la main et le relève. Il le relève, sans lui demander quoique que ce soit, sans qu'il le mérite, parce qu'il y a là une vraie aide de Dieu qui effectivement peut nous tendre la main et nous relever. C'est vrai, après, Jésus va le tancer et lui dire : « tu as manqué de foi », mais il l'a relevé, il l'a sauvé.

La foi nous sauve de plusieurs manières : d'une façon parce qu'elle nous donne un objectif, elle nous apprend à nous décentrer de nous-mêmes, elle nous apprend à donner à notre vie un sens, une mission par-delà ce que nous ressentons ou vivons et donc en nous sortant de nous-même, elle nous permet de sortir de l'épreuve, de notre épreuve ; la foi nous sauve également parce qu'elle nous apprend le pardon, et la foi nous sauve aussi parce qu'il y a en Dieu une vraie puissance de vie qui simplement, sans autre question, nous tend la main et nous relève.

Cette présence de Dieu, ce rôle de la foi dans la difficulté est tout à fait essentiel. Même concrètement, par exemple, les associations d'anciens alcooliques savent que la foi est une dimension extraordinaire qui aide tant d'alcooliques à guérir quand ils sont bien entourés. C'est l'expérience de la Croix Bleue ou même des Alcooliques Anonymes qui, bien que non religieux s'appuient sur la foi des gens parce que la foi çà aide à s'en sortir et à vivre. Donc effectivement c'est bien vrai, Dieu ne permettra pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces, et c'est bien vrai, avec l'épreuve, Dieu nous donne toujours les moyens de s'en sortir ; parce que quelle que soit la croix que l'on porte, il y a toujours du bien à faire autour de soi, toujours des gens à aimer, toujours de la paix à donner, pour peu que l'on apprenne avec l'aide de Dieu à regarder non pas son petit confort mais la vocation qu'il nous adresse dans ce monde, et quoi qu'il nous arrive, il y a toujours dans le ciel un Père qui nous aime et qui nous prend dans ses bras.

Amen.

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I Cor 10:13