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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Peut-on être chrétien sans Eglise?

Prédication au temple de l'Etoile à Paris le 5 novembre 2006

par le pasteur Louis Pernot

Peut-on être chrétien sans église ? Peut-on être chrétien sans être pratiquant ? Il y a là deux questions différentes.

Evidemment qu'être chrétien c'est être pratiquant d'une certaine manière. Le Chritianisme n'est pas seulement une idéologie, mais une façon d'être, un mode de vie. Etre chrétien, c'est vivre concrètement quelque chose, et certainement pas se contenter d'avoir une conviction sans conséquence dans sa vie. Etre chrétien c'est être un pratiquant de l'amour, du pardon, du service, et de l'humilité dans le monde. Là est la vraie pratique du chrétien.

Quant à la pratique purement religieuse, le fait d'aller à l'Eglise, de participer à des rites, c'est autre chose, et on peut penser que c'est bien secondaire. La pratique religieuse n'est certainement pas un but, tout au plus est-elle un moyen.

L'essentiel, en effet, c'est ce que l'on vit en soi, dans sa vie, c'est de trouver Dieu, de le rencontrer, d'entendre son appel et de travailler à son service. Là est le primordial, et ce qui peut donner sens à une vie, bien plus que de participer à des rites.

Mais cela ne veut pas dire que l'on puisse se passer de toute pratique. La pratique religieuse est faite des moyens que l'on se donne pour essayer de progresser, pour se rappeler que Dieu est là, pour ne pas se laisser happer par le monde matérialiste, ou par une routine quotidienne sans profondeur Pour tout cela, on a besoin de cadres, de rendez-vous réguliers, d'enseignement, de rencontres...

On pourrait, de même, se demander s'il est possible d'apprendre à jouer du piano sans prendre de leçons. Oui, bien sûr, tout est possible, on peut essayer de se débrouiller tout seul, mais ce n'est pas facile, et ce n'est certainement pas la méthode la plus efficace. II est difficile de tout apprendre tout seul, et il faut avoir conscience de ses faiblesses pour se donner des moyens d'y pallier.

La pratique religieuse est ainsi bien utile pour progresser, pour apprendre, pour se conserver en mouvement, pour se confronter à des idées nouvelles, pour se relancer dans la réflexion et se re-motiver. Il faut bien dire que tous, nous avons tendance à oublier Dieu, à faire passer le spirituel au second plan, à nous préoccuper d'autres choses plus matérielles. Aller à l'Eglise, c'est comme se forcer à un rappel.

Il est bon ainsi d'avoir une réelle discipline spirituelle, de ne pas aller à l'Eglise que si on en a envie. Pratiquer est justement utile pour se redonner envie, pour essayer de rendre Dieu plus présent dans une existence qui aurait tendance à l'oublier. D'une certaine façon, celui qui ressent en lui-même le désir d'aller à l'église n'a même plus besoin d'y aller, son sentiment même montre que pour lui Dieu est là. C'est quand on n'a pas envie d'aller à l'Eglise qu'il faut y aller d'urgence ! De même certains posent la question de savoir ce qu'il faut faire quand on n'a plus envie de prier. La réponse est simple : « priez ! ». Prier, c'est chercher Dieu, c'est se donner un rendez-vous pour retrouver celui dont on s'était éloigné...

En théorie donc, on pourrait dire qu'un, chrétien peut se passer de toute pratique religieuse, mais concrètement ce serait très difficile, à cause de sa faiblesse et de son incarnation. L'Eglise est une nécessité en tout cas pratique. Ce n'est pas le fait d'aller à l'Eglise qui fait le chrétien engagé, l'Eglise, au contraire, existe, par le fait que des chrétiens engagés dans leur vie personnelle se rassemblent pour s'aider mutuellement, et pour agir ensemble.

Dans le protestantisme, la pratique est avant tout personnelle : c'est la lecture individuelle de la Bible et la prière personnelle. C'est à chacun de se donner une discipline dans ces deux domaines.

D'ailleurs, le Christ, n'était pas un très bon « pratiquant » pour son époque, mais si lui et ses disciples transgressaient allégrement les règles du comportement religieux de leur époque, Jésus est souvent montré se retirer dans la montagne pour prier, seul.. Dans son enseignement, ce qu'il demande, plus que d'aller dans des réunions publiques religieuses ou d'accomplir des rites, c'est de prier Dieu dans l'intimité de son cœur : « quand tu prie, entre dans ta chambre, et prie ton père qui est dans le secret. » (Matt 6:5,6).

Cependant, il n'a jamais dit qu'il ne fallait pas pratiquer, il nous est montré allant aux offices de son époque, et faisant, si possible, les pèlerinages à Jérusalem qui étaient demandés. S'il privilégiait certainement la piété personnelle, s'il a relativisé l'importance des rites, on ne peut pas dire qu'il ait été « contre » toute forme de pratique religieuse, et toute dimension communautaire dans la foi. Au contraire. l'Eglise, la communauté ont certainement une vraie valeur.

L'un des premiers rôles essentiel de l'Eglise, c'est d'être un lieu de la transmission de la foi, et en particulier aux plus jeunes par les catéchismes. La foi n'est pas une simple question d'héritage familial. On peut transmettre certaines choses à ses enfants, mais il faut qu'il y ait une dimension extérieure un témoignage objectif qui permet au jeune de se positionner par rapport à la foi, indépendamment de la relation à ses propres parents. Sur ce point, le Christ a été très clair, la foi ne vient pas du simple fait que d'avoir des parents croyants ou non, et l'Eglise est donc indispensable.

En suite, il est bon d'avoir une communauté, à la fois chaleureuse et accueillante : on n'est pas tout seuls, il y a des frères et des sœurs, et un lieu où l'on peut porter les fardeaux les uns des autres. L'Eglise peut et doit être un lieu pour pouvoir vivre une vraie solidarité et une réelle fraternité.

Il est bon aussi de partager sa foi, sa façon de vivre, ses convictions avec d'autres, de se rappeler qu'on n'est pas seuls à être chrétien et à vivre une certaine relation au Christ, mais que d'autres partagent cela. C'est certainement encourageant, motivant et stimulant pour soi. Dans d'autres domaines que celui de la foi on le voit avec évidence : on peut vouloir faire du sport et le faire tout seul sans contrainte... Mais sans cadre, sans compagnon, sans stimulation, sans partage et encouragements, il y a de fortes chances que l'équipement acheté pour cela finisse inutilisé ne laissant qu'un vague sentiment de culpabilité inutile.

Par ailleurs, le fait-même de sortir de chez soi pour aller à l'Eglise est bon. Cela inscrit dans le corps une démarche intérieure. Et nous avons besoin, en tant qu'êtres incarnés, que notre foi ou notre religion ne soit pas uniquement une démarche vécue intellectuellement. La foi, normalement engage tout l'être et ne peut se réduire à une sorte d'idée philosophique. Même les protestants qui n'aiment pas beaucoup les gestes l'ont compris en conservant la pratique de la « communion », ou Sainte Cène, ne réduisant pas le culte au fait d'entendre des paroles. Aller à l'église, c'est se mettre en marche, c'est inscrire dans son corps quelque chose qui est de l'ordre d'une démarche, et c'est important en soi. Faire l'effort de se déplacer, et de rencontrer des gens qu'on ne rencontrerait pas sinon, et en plus dans un décor un peu inhabituel, certainement peut préparer à un déplacement intellectuel et spirituel. Certes, on peut entendre de bonnes prédications à la radio ou sur Internet, mais le profit serait moindre. Le déplacement physique est un exercice spirituel en soi, et il ne faut pas oublier que le corps et l'esprit ne sont pas indépendants.

Pour prendre une comparaison dans le domaine relationnel humain : on peut avoir des amis, et les aimer sans jamais aller les voir. Mais même le téléphone ne suffit pas, il est bon parfois d'aller voir ses amis, de leur serrer la main, de faire quelque chose avec eux, cela enrichit et entretient l'amitié. On peut aussi avoir un ami que l'on ne voit jamais et avec qui l'on n'a que peu de rapport. Il peut toujours le considérer comme un ami, mais en fait, c'est une amitié qui est comme en sommeil, et ce peut être dommage. Il faut faire attention qu'une absence de pratique ne rende pas Dieu comme un ami que l'on ne verrait jamais et que l'on finirait par perdre de vue.

Paradoxalement, la communauté a un autre mérite, c'est d'être dérangeante. Aller vers les autres, c'est accepter de confronter son point de vue avec celui d'autres qui pensent un peu différemment, c'est stimulant, aiguillonnant, et indispensable pour se remettre ou se maintenir en marche, pour empêcher la foi de s'endormir.

Il y a aussi d'autres éléments infiniment positifs dans la dimension communautaire de l'Eglise : on peut faire à plusieurs infiniment plus que tout seuls, on peut ainsi mutualiser ses efforts, s'organiser pour être efficaces, pour soi et pour les autres, et également dans sa capacité de témoignage. Par exemple, une communauté, peut s'offrir les frais d'un théologien professionnel, pour s'aide dans sa démarche de réflexion, pas une personne seule, et c'est là l'un des rôles du pasteur ou d'un prêtre. De même pour ce qui est de l'action sociale, il est évident que le fait d'être plusieurs permet de faire des choses qui seraient impossibles de faire si chacun agissait seul dans son coin. A plusieurs, on met en commun ses moyens, ses dons, et on peut faire des choses extraordinaires.

L'Eglise devient alors un lieu possible d'action et de témoignage pour les autres, elle facilite les choses pour chacun et donne la possibilité de participer au témoignage et à l'action de l'Eglise.

Et enfin, l'Eglise est aussi un lieu communautaire dans sa dimension humaine et relationnelle et c'est important. De même que pour la nourriture, on mange mieux à plusieurs que tout seuls, vivre sa foi avec d'autres apporte une dimension d'une réelle richesse. Bien sûr, on peut manger tout seuls dans sa chambre avec un œuf sur le plat, mais c'est bien minimal et l'on peut souhaiter partager avec des frères et des sœurs, des plats meilleurs et plus consistants.

Ainsi l'Eglise, n'est-elle pas qu'un pis aller, une concession à notre faiblesse humaine, elle a une vraie valeur concrète.

Mais ce qui est certain, c'est que la présence du Christ n'est pas médiatisée par l'Eglise, ni par un clerc ordonné. Ce n'est pas l'institution, la hiérarchie, les rites, ou les sacrements, qui font la présence réelle, mais les croyants eux-mêmes qui forment l'Eglise en tant que telle.

Il est vrai que le Christ a dit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Matt 18 :20). Il faut donc penser que le Christ est vraiment présent dans la communauté, mais le Christ ne parle pas là d'organisation, d'institution, ni de rite ni de sacrement. Il n'est pas question non plus d'envisager une condition de quorum, quorum qui serait de 10 pour les juifs et de « deux ou trois » pour les chrétiens. Il n'y a pas de quorum, Dieu nous accompagne sur notre chemin, et même si l'on est tout seul et qu'on prie Dieu comme en Matthieu 6:6 son, « père qui est là dans le secret », il est là, tout près, parce Dieu est près de chacun des croyants qui se réunit avec les autres. Et même s'il est tout seul, Dieu est évidemment présent. Le Christ ne dit pas « si deux ou trois sont réunis, je serai avec vous, mais si vous êtes tout seuls, je ne serai pas là » !

Quel est alors le fondement de l'Eglise, sur quoi est-elle bâtie ? Pour citer l'Evangile nous pouvons dire : sur Pierre, parce que Christ lui a dit : « tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Matthieu 16:18). Mais cette affirmation peut être comprise de bien des manières différentes. On peut croire, bien sûr, que Jésus pensait à une institution : l'Eglise, et qu'il en nomme Pierre comme le chef. Mais il semble douteux que Jésus se préoccupe là d'une organisation d'Eglise, ce dont il parle, c'est de ce qui fonde la « communauté » (ce qui est le sens du mot « église ») chrétienne au sens large. La « pierre » qui en est le fondement n'est pas nécessairement la personne de Pierre (qui ne se prévaudra d'ailleurs jamais d'une quelconque autorité dans l'Eglise primitive qui lui aurait été donnée par Jésus), mais la confession de foi qu'il vient de faire. C'est le fait de reconnaître en Jésus « le Christ, le fils du Dieu vivant » qui est l'affirmation fondamentale de toute appartenance à la communauté chrétienne. C'est donc dans la foi individuelle, dans la réponse personnelle que se trouve la véritable « Eglise » du Christ, Eglise qui n'est pas une institution humaine avec ses lois et ses liturgies, mais l'Eglise invisible dont les contours sont indiscernables.

Le mot « Eglise » d'ailleurs vient du grec « ekklesia » qui signifie « être appelé », tout comme le mot hébreu sous jacent : « Qehilla » qui vient de « qahal » qui signifier « appeler », « convoquer ». L'Eglise, ce n'est donc pas la « synagogue », mot qui désigne des gens qui cheminent ensemble, mais l'Eglise, c'est une communauté de gens qui se sentent appelés. On n'est, là, pas loin de la théologie du récit du cycle d'Abraham dans l'Ancien Testament qui commence par un appel personnel : « Va ». La base de l'histoire d'Abraham, et par là de toute l'histoire d'Israël, c'est un homme qui répond à un appel individuel à se mettre en route.

La communauté se construit alors toute seule, parce qu'on n'est jamais seul à répondre à cet appel de Dieu. Et si chacun est dans une saine relation à Dieu, tous ceux qui ont répondu à cet appel de Dieu forment un corps, mais cela ne veut pas dire forcément qu'ils sont tous rassemblés le dimanche matin dans un endroit à l'architecture particulière. C'est Dieu lui-même par sa vocation qui fait le lien. L'essentiel, c'est l'appel individuel, et l'idée que Dieu accompagne l'individu sur son chemin.

L'Eglise n'est pas un but, mais une aide, une pédagogie, et en tant que pédagogie, elle participe au paradoxe de tout éducateur qui est d'apprendre à son élève à pouvoir se passer d'elle. Peut-être que le but ultime de l'Eglise serait d'amener les chrétiens à l'autonomie, de permettre aux gens de se passer de l'Eglise en étant dans une relation parfaite et immédiate à Dieu lui-même.

On peut être chrétien sans Eglise, mais encore faut-il être chrétien et pour ça on a besoin de l'Eglise.

la fait qu'effectivement, certains individus particulièrement avancés dans la foi peuvent considérer qu'ils peuvent se passer de l'Eglise pour eux-mêmes. On connaît ainsi des grands croyants qui ne sont pas pratiquants, mais cela ne veut pas dire qu'ils méprisent l'Eglise pour autant, et au contraire, certains la soutiennent et peuvent lui faire des dons importants : ils croient dans l'importance de l'Eglise, même si eux-mêmes ne pensent pas en avoir grand besoin.

Ainsi en France où le protestantisme a été interdit et persécuté pendant plus d'un siècle, certains ont pu continuer à vivre leur foi protestante, sans temple, sans pasteurs. C'est donc possible... Mais il faut bien dire que cette situation a grandement nuit à la transmission de la foi, et le peu de protestants qui restent aujourd'hui en France montre que si on peut vivre sa foi sans Eglise, c'est loin d'être une situation favorable.

Pour reprendre la comparaison avec un autre domaine qui est celui de la pratique de la musique : on voit que pour être apprendre à jouer du piano, on peut, bien sûr, prétendre qu'on le fera tout seul, il suffit de s'entraîner, c'est possible, et certains y sont parvenus, mais c'est extrêmement difficile sans avoir l'appui d'un professeur, ne serait-ce que pour la motivation. Pour apprendre et progresser, on a besoin d'un cadre. Cela dit, il est vrai qu'à partir d'un certain niveau, cela devient plus possible. Mais alors il serait certainement dommage de prétendre ne jouer que pour soi, dans son coin, sans jamais partager ou transmettre, ni avec d'autres musiciens, actifs ou mélomanes.

L'essentiel dans la foi, c'est, bien sûr, la dynamique intérieure, la recherche personnelle et continue, pas la pratique extérieure, mais il faut prendre garde de ne pas se croire plus fort que l'on est, et qu'une absence de pratique n'entraîne petit-à-petit un éloignement de la foi, ou ne soit pas un symptôme de quelque chose de plus profond.

Quand Paul parle de ce qui serait pour nous « culte raisonnable » (Rom 12 :1) à rendre à Dieu, il ne dit pas que ce serait d'« aller toutes les semaines dans une église pour prendre la communion », mais il dit que c'est d'« offrir sa vie à Dieu ».

De même, dans l'entretien de Jésus avec la Samaritaine, elle lui demande à quel endroit il faut aller pratiquer sa religion : « Nos pères ont adoré sur cette montagne; et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père... Mais l'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité. » (Jean 4:20) Ou encore, parlant du rite du Sabbat, Jésus dira cette célèbre phrase : « le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat » (Marc 2:27). Le Christ n'annule pas la pratique, mais il la met à une juste place.

On dit que l'Eglise est le corps du Christ. C'est vrai, en ce que chacun, individuellement est le corps du Christ. Mais c'est vrai aussi pour la communauté dans la mesure où chacun a un rôle différent et complémentaire. Le lien global, c'est l'Esprit Saint, et la vocation de Dieu qui ne demande pas à tout le monde de tout faire. Chacun reçoit une vocation particulière, et ce qui fait le lien entre tout, c'est l'Esprit Saint, la vocation, et le but de l'action. Quant à l'Eglise comme institution, elle est l'incarnation concrète de ce corps du Christ localement.

Amen.

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Rom. 12:1-2, Marc 2:27