Le jeûne: place de la pratique religieuse
Prédication au temple de l'Etoile à Paris le 10 mai 2009
par le pasteur Louis Pernot
Pratiquer ou non le Jeûne?
Il n'est plus très à la mode dans nos églises de pratiquer le jeûne, les protestants considèrent en général cette pratique comme appartenant à l'ancienne alliance, au judaïsme, ou à l'Islam avec son ramadan. Certes le jeûne fait partie de la pratique catholique, lors du carême notamment, mais les protestants n'aiment pas cela et pensent que c'est retomber dans une religion d'observance où l'on donne de l'importance aux mérites et aux actes, au lieu de croire au salut par la grâce et par la foi.
Pourtant, la pratique du jeûne est présente dans l'Evangile. On en parle à plusieurs reprises, et le Christ dit même qu'une certaine sorte de démon ne peut être combattu que par le jeûne et la prière. D'un point de vue purement évangélique, le jeûne n'est donc pas exclu. Et pour ceux qui veulent obéïr au pied de la lettre à l'Evangile que nous commentons, on pourrait dire que ne peuvent être libérés du jeûne que ceux qui étaient en contact avec Jésus Christ qui est l'époux avant sa crucifixion. On pourrait aussi se débarasser du problème en disant que par la résurrection, le Christ est présent avec nous pour l'éternité, et nous sommes donc débarassés du jeûne... mais alors pourquoi ce passage de l'Evangile?
Dans les deux cas, je crois que cette façon de voir passe à côté de l'essentiel. De toute façon, le Christ cherche plus une religion de l'amour et du coeur, que des actes religieux: ce que je veux, c'est l'amour, et non les sacrifices.
On peut donc là considérer le jeûne comme une pratique religieuse parmi d'autres, une pratique d'église. Si nous transposions la question dans notre langage moderne, nous dirions: quand faut-il prier, quand faut-il lire la Bible, quand faut-il aller au culte etc... ?
Quelle place pour la pratique d'Eglise?
La réponse de Jésus est claire, cela est inutile, quand on est en présence de l'Epoux, mais cela devient indispensable quand l'Epoux est absent.
Or, l'Epoux, dans l'Ancien Testament, c'est Dieu, et dans le Nouveau, c'est Jésus Christ. Et l'Epouse, la fiancée, la vierge promise, c'est nous. Parce que nous sommes appelés à nous unir à Dieu, à être avec lui dans un rapport d'amour mutuel, de confiance et de fidélité.
Ce thème de l'union mystique entre Dieu et l'homme est très attesté dans l'Ancien Testament, avec bien sûr en particulier le Cantique des cantiques qui ne parle que de ça, avec les prophètes qui disent sans cesse que le peuple d'Israël s'est conduit comme une femme adultère, ou comme une prostituée. Nous retrouvons ce thème dans le Nouveau Testament avec l'histoire des vierges sages et des vierges folles, avec l'Evangile de Jean où Jésus dit qu'il est l'époux, et avec Paul qui nous dit: Je vous ai fiancé à un seul époux: pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. (II Cor. 11:2).
On peut donc penser qu'il ne s'agit pas de la présence ou de l'absence corporelle de Jésus, ni même de sa présence spirituelle dans le monde en tant que ressuscité, mais de sa présence dans nos coeurs. Ce qui est en question, c'est de savoir si oui ou non nous vivons cet état d'union mystique avec Dieu et avec le Christ.
Or cette intimité avec Dieu, ce sentiment de sa présence dans nos vies à nos côtés, n'est pas forcément évident ou permanent. Nous passons notre temps à être infidèle à Dieu, à nous préoccuper de chose futiles plutôt que de l'aimer et de le servir, à lui préférer notre propre plaisir ou satisfaction momentanée, bref, bien souvent nous l'oublions tout simplement. Il ne faut pas néanmoins se culpabiliser à cet égard parce que la nature humaine est ainsi faite, et le Christ envisage même très bien la situation lorsqu'il dit: "lorsque l'époux vous sera enlevé", c'est à dire: lorsque vous ne vivrez pas en vous cette union avec Dieu. Il est certain que même si nous faisons ce que nous pouvons, il arrive que nous ne sentions pas la présence de Dieu, qu'il nous semble loin, et étranger par rapport à nous.
Quand la foi faiblit...
Il n'y a pas à se culpabiliser, mais on peut réagir. Et c'est là que les pratiques religieuses prennent leur importance. En soi, spirituellement, jeûner est inutile. Aller au culte n'est pas un but, pas plus que de lire la Bible. Mais ce sont des moyens pour nous aider à rendre Dieu plus présent dans nos vies. Le seul but est là.
Ce n'est pas lorsque nous avons un bon sentiment religieux qu'il est le plus important d'aller au Culte, de prier ou de lire la Bible. Si vraiment l'on se sent proche du Christ, que l'on est pleinement soumis à lui dans l'amour alors cela suffit et notre existence est fécondée par cette union, elle peut être fructueuse. Mais si l'on se sent loin de Dieu, alors il devient urgent de remédier à cette situation avec tous les moyens que nous donne l'Eglise.
Ainsi donc, je ne prierai pas seulement Dieu quand j'en aurai envie, mais d'autant plus quand je n'en sentirai pas le besoin. Je n'irai pas seulement au Culte lorsque ma vie sera pleine d'un bon sentiment religieux, mais surtout quand il manquera... Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais les malades dit le Christ juste avant ce passage sur le jeûne.
Les actes religieux ne doivent pas être considérés comme des réponses à un sentiment religieux déjà fort. La seule chose que Dieu attend de notre existence, ce sont comme le dit la Bible: les fruits de justice et d'amour. La prière, la fréquentation des saintes assemblées et la lecture de la Bible ne sont pas des fruits de notre existence, ce sont les moyens de culture. Ce sont les outils pour sarcler, le champ de notre vie, pour émonder notre vigne, pour engraisser notre Terre etc...
Ce n'est pas au moment où son champ est en train de donner du fruit que le laboureur laboure. Ce n'est pas au moment où les roses s'épanouissent que le jardinier va se mettre à couper son rosier...
C'est peut-être dans ce sens qu'il faut interpréter ce difficile verser de Jean 12:35 marchez dans la lumière tant que vous avez la lumière . Quand nous avons dans notre vie la lumière de la présence de Dieu, ce que nous avons de mieux à faire, c'est de marcher, de profiter de cette lumière pour agir dans le monde en conformité avec cette lumière qui féconde notre existence. Mais quand nous n'avons pas la lumière, le mieux que nous ayons à faire, ce n'est pas d'agir, mais de chercher cette lumière. Peut-être même que l'urgence est alors d'éviter d'agir, de cesse de remplir notre existence de choses trompeuses comme l'activisme ou le travail, de rester dans un certain vide matériel pour trouver cette lumière qui manque. C'est là le sens du jeûne: lorsque nous sommes dans un vide spirituel, éviter de remplir matériellement notre existence, mais chercher avant tout à combler ce vide de Dieu.
Quand on a la lumière, il faut marcher dans la lumière, et quand on est dans l'obscurité, il faut prier pour demander la lumière, chercher le Christ qui est lui la lumière du monde, et lire l'Ecriture qui est la lumière sur notre sentier.
La pratique religieuse n'est qu'un instrument humain.
En soi, Dieu se moque que nous soyons "pieux" il ne nous juge pas sur notre pratique religieuse, mais sur ce que nous sommes au fond de nous mêmes. La pratique religieuse, personnelle ou dans l'Eglise est du ressort de notre seule liberté, et responsabilité. Le tout, c'est de savoir ce que l'on veut dans sa vie et de se donner les moyens de ses objectifs, au lieu se se laisser diriger par des sentiments fugaces.
C'est même peut-être précisément sur ces actes religieux que se joue la liberté de l'homme et que se détermine ce qu'il va être. Le Christianisme n'est pas une morale. Il n'impose pas des bonnes actions à faire pour être sauvé. Ce n'est pas une religion des oeuvres. Le Christ pense donc que ce n'est pas au niveau des actions bonnes ou mauvaises que se joue la qualité ou le salut de l'homme. Son but, ce n'est pas de changer seulement le comportement extérieur de l'homme, mais de changer son coeur, de le transformer lui, afin que dans un deuxième temps, comme conséquence son mode d'être dans le monde, et son mode d'action soit transformé. L'appel du Christ, ne serait donc pas tant: "faites ce qui est bien", mais: "mettez vous dans des dispositions telles que vous fassiez le bien".
Ce thème est en particulier illustré par la comparaison de l'arbre et de ses fruits: Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits (Matt. 7:17). et un peu plus loin dans le même évangile de Matthieu:L'homme bon tire du bien de son bon trésor, et l'homme mauvais tire du mal de son mauvais trésor...(Matt. 12:35). La question de la responsabilité du Chrétien au niveau de ses actes est donc au second degré. Ce n'est pas en s'imposant une morale que le l'homme peut faire vraiment le bien, mais en faisant volontairement les actes qui le mettront dans une bonne disposition lui permettant ensuite de faire le bien. La question du bien et du mal dans nos actions doit donc être traitée à la base, avant l'action même, dans tout ce qui permet de nous transformer intérieurement. Là est le rôle des actes religieux, et là est l'expression de notre liberté et de notre choix objectif de les faire ou non.
L'hygiène spirituel
Pour la lecture de la Bible, cela est bien clair. Si nous le faisons quotidiennement, c'est par plaisir, certes, mais peut-être avant tout par hygiène spirituel. On se lave bien les dents tous les soirs, pourquoi ne passerions nous pas le même temps quotidiennement pour se laver l'âme en sa frottant à la Bible? Et curieusement, beaucoup de gens passent plus de temps pour briquer leurs dents qui de toute façon finiront par se gâter, que pour chercher ce qui est vraiment important dans leur vie et qui est éternel.
Pour le Culte, on peut le comprendre aussi, celui qui y va y va par choix. Il y a certainement des tas de choses plus amusantes que l'on peut faire le dimanche matin. Mais ce qui est important, c'est que la liturgie permet de relancer notre prière qui s'éteignait, et la prédication de raviver des textes dont nous pensions qu'ils n'avaient plus rien de neuf à nous dire.
Et pour la prière enfin, il faut bien se dire qu'il en va de même. Trop de gens pensent que la prière est quelque chose qui doit se sentir, que l'on ne doit prier que quand on en ressent le besoin ou l'envie, alors que la prière est aussi une discipline. Cherchez Dieu, priez, persévérez dans la prière, et vous le trouverez. Et à quelqu'un qui dit: "c'est affreux, je n'ai plus envie de prier, que dois-je faire?", il faut répondre: "priez". Luther, disait: "quand je ne ressens plus le désir de prier, je cours dans mon oratoire et je dis des Psaumes..." Il savait que la prière est plus un appel à Dieu qu'une réponse à celui-ci.
Finalement, la question c'est celle-ci: que faisons-nous lorsque l'époux est loin de nous?
Faisons-nous comme les vierges folles qui ne font rien, qui se laissent vivre en attendant?... Le problème, c'est que leurs lampes finissent par s'éteindre totalement.
Ou faisons nous comme les vierges sages qui se préoccupent du carburant de leur lampe: l'huile. En soi cette huile n'est pas un but, mais elle est bonne, comme la Bible, la prière et le culte, parce qu'elle nous permet de pouvoir accueillir Dieu et d'aller le chercher à notre porte. Les moyens ne sont pas des buts, mais grâce à eux notre vie peut être illuminée, transformée par la présence de Dieu et par notre union à lui que nous recherchons.
Veillez et priez afin de ne pas succomber dans l'épreuve...
Amen.
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Matthieu 9:14-18
14Alors des disciples de Jean vinrent auprès de Jésus et dirent : Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? 15Jésus leur répondit : Les amis de l’époux peuvent-ils mener deuil tant que l’époux est avec eux ? Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. 16Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, car le morceau tire sur le vêtement et il en résulte une déchirure pire. 17On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres, autrement, les outres se rompent, le vin se répand et les outres sont perdues, mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et l’ensemble se conserve.