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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La violence de la croix

Prédication prononcée le 6 novembre 2011, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

L'Evangile est un curieux paradoxe : c'est une « bonne nouvelle » pour l'amour, la paix, pourtant il s'y trouve beaucoup de violence, depuis le massacre des innocents en passant par les Marchands du Temple, et certaines paraboles, comme la parabole des Mines où Dieu dit de ceux qui ne veulent pas qu'il règne sur eux : « Egorgez les en ma présence ». Et cela culmine dans la croix, le simulacre de procès, la torture et la mise à mort ignoble du Christ qui est un innocent. Comment trouver là dedans un message de vie, ou une « bonne nouvelle », comme annoncé ?

C'est d'ailleurs là tout le paradoxe du Christianisme qui a choisi pour symbole la croix qui est un instrument de mort et de torture. Il y a là un véritable travail intellectuel à faire pour comprendre comment tout cela peut être cohérent.

Que faire donc de cette violence que l'on trouve dans le récit de la passion ?

Certes, on pourrait penser que tout simplement, cela nous montre que Dieu est un Dieu jaloux, méchant, qui juge et venge. Mais si cela se trouve parfois dans l'Ancien Testament, ce n'est pas cohérent avec le message de grâce de l'Evangile. Le Christ nous annonce un Dieu d'amour, de pardon, de paix, et un Dieu qui n'est jamais source de mal, ni complice du moindre mal dans ce monde.

Les théologiens qui ont, en général, pensé que la passion du Christ avait été programmée par Dieu ont eu des solutions plus complexes, comme celle de dire que Dieu est bien à l'origine de ce mal et de cette violence, mais que c'était pour notre bien.

Ce genre de théorie a culminé dans la thèse de la « Satisfaction viacaire » élaborée par saint Anselme de Cantorbury. L'idée est que le péché demande réparation, Dieu demande ainsi la mort d'une victime pour que justice soit faite, il faut payer un prix. Normalement ce serait nous qui devrions mourir pour notre péché, mais Dieu accepte que le Christ prenne notre place et donc nous pardonne à ce prix... Telle que, cette théorie est intolérable, comment imaginer que Dieu puisse exiger la souffrance et la mort d'un innocent pour pouvoir nous pardonner. Dieu peut nous pardonner, parce qu'il nous aime, et n'a aucunement besoin d'ajouter une telle injustice pour y parvenir. Pourtant cela se trouve encore dans bien de nos liturgies, en particulier pour la Cène ou l'Eucharistie présentées comme des sacrifices offerts à Dieu, comme si Dieu avait besoin qu'on lui offre un sacrifice pour nous pardonner. Et l'on chante : « Christ agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », comme si c'était précisément grâce à la mort du Christ que notre péché pouvait être oublié. Cette théorie du « bouc émissaire » était peut être valable au Moyen Age, mais aujourd'hui, cette interprétation sacrificielle de la passion apparaît à nombre de théologiens de plus en plus important comme intolérable et est remise en cause.

Le problème, donc c'est : pourquoi Dieu aurait-il besoin de tout cela

Il faut donc bien croire que la croix n'est pas voulue par Dieu, il n'en est pas à l'origine, l'origine de la souffrance de la croix, c'est la méchanceté humaine. On peut dire ainsi que le Christ supporte la méchanceté humaine, il est bien l'agneau de Dieu, mais non pas qui « ôte » le péché du monde, il le « porte » ce qui correspond d'ailleurs au texte grec de l'Evangile de Jean.

Certainement, Dieu, et le Christ se doutaient bien que tout cela arriverait, mais cela n'était pas l'objectif. Le but de la mission du Christ, ce pourquoi il a été envoyé, ce n'était pas pour qu'il souffre et meure, mais pour qu'il prêche la Bonne nouvelle, pour qu'il aime et qu'il guérisse. Certainement cela devait engendrer du refus et de la violence, mais ce n'est qu'un dommage collatéral, un effet pervers, certes prévu et assumé, mais pas souhaité.

La croix est donc assumée par Dieu, mais pas voulue par lui, ce n'est pas lui qui en est à l'origine, mais la méchanceté humaine.

Cela dit, Dieu ne reste jamais sur le mal, il sait le convertir en bien, et même le mal du rejet et de la mort du Christ a pu devenir une bonne nouvelle pour nous, il faut voir comment, c'est-à-dire, comment l'on peut penser que la Croix du Christ nous sauve si ce n'est pas par un odieux marchandage avec lui ?

Les théologiens sont féconds et ont, là aussi, trouvé plusieurs solutions.

L'une delle est l'interprétation psychologisante : le passion du Christ nous montre quelque chose d'ignoble et nous fait haïr le péché de l'homme. Et comme en plus, on nous dit que chaque fois que nous faisons le mal, c'est comme si nous crucifions le Christ, la passion nous montre l'horreur de notre péché, et nous invite à nous en détourner en disant : « plus jamais ça ! ». Mais ce type de prédication a deux défauts. D'abord qu'elle est culpabilisatrice et que culpabiliser les gens ne les aide pas à grandir, ensuite que le « plus jamais ça » n'est pas efficace. On en a l'exemple avec la Guerre de 14, là, justement, on a culpabilisé les perdants, on a dit « plus jamais ça », et cela n'a conduit qu'à une seconde guerre encore plus meurtrière.

Une autre explication de l'utilité de la passion, plus positive, a été de dire qu'elle témoigne de l'engagement du Christ, de sa volonté d'aller jusqu'au bout de sa mission. Il aurait pu y échapper en se rétractant, mais il a voulu rester fidèle à sa mission, et cela, pour nous, c'est donc une preuve d'amour. « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime »). Ainsi, par la passion, nous savons que Dieu nous aime et est donc prêt à nous pardonner et à nous sauver.

Mais plus profondément, on peut dire que la croix du Christ met à jour la violence humaine et nous montre comment Dieu la gère, comment nous pouvons la gérer et comment on peut, grâce à Dieu, en sortir.

La croix, permet d'abord de comprendre d'où vient la violence et quel sens elle peut avoir. C'est une question qu'on se pose toujours quand on est confronté au mal ou à la souffrance. Or dans l'Evangile, la réponse est claire : l'épreuve vient-elle de Dieu ? Justement non. Est-ce une punition ? Non, le Christ est innocent. Ce n'est pas non plus une conséquence du péché de celui qui la subit, puisque le Christ était innocent, ni une épreuve pour tester notre foi. La croix montre simplement que la souffrance existe, et qu'elle est fondamentalement injuste, elle vient de la méchanceté naturelle de l'homme, de son intolérance ou simplement de l'imperfection du monde matériel. Ce serait donc une erreur théologique que de chercher en Dieu le sens de la souffrance du Christ, la souffrance du Christ, pas plus que la nôtre n'ont de sens, le mal est absurde en lui-même, et toujours fondamentalement injuste.

Mais la bonne nouvelle, c'est que le Christ vivra cette souffrance, la traversera elle ne l'anéantira pas, il en sortira grandi, c'est le message de la résurrection. Certes il meurt physiquement, mais mort physique n'est pas un drame, c'est la plus naturelle des choses, elle fait partie de la vie, et personne n'y échappe puisque tous, nous mourrons. Le but, ce n'est donc pas d'éviter de mourir, mais de trouver un sens, une consistance à notre vie. Or Jésus subit le mal, la souffrance, et s'en remet, il traverse cela, la mort ne l'arrête pas et ne lui ôte rien de vraiment important. La bonne nouvelle c'est que la croix et la résurrection nous montrent que ce mal est en fait inefficace. Il a expérimenté ce qu'il a enseigné : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme; craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne » (Matt 10 :28). Jésus a prêché que vie physique n'est pas tout, et qu'il y a ailleurs, dans le spirituel, l'invisible, l'amour, l'essentiel, la qualité de ce que l'on fait, la dimension spirituelle, et que héritons de la vie Eternelle en Dieu. Confronté à cela, il le vit concrètement, accepte l'épreuve de vivre lui-même jusqu'au bout ce qu'il nous a enseigné. C'est le message de la résurrection : il ne s'agit pas des éventuelles « apparitions » pendant 40 jours, mais le fait que nous disions aujourd'hui qu'il est vivant et que sa vie continue d'être la vie même de millions de gens, prouve qu'il avait raison, la mort ne l'a pas anéanti, réduit à rien.

Ce passage du Christ par la passion peut nous donner confiance et ôter notre peur. C'est ainsi par exemple que l'on peut aider un cheval qui a peur d'un obstacle en le faisant précéder par un autre plus expérimenté qui n'a pas peur. Le premier suivra et pourra faire ce qui lui semblait au départ impossible.

Une autre illustration peut se trouver dans l'histoire de l'homme qui a dit avoir inventé une antidote au poison de l'Amanite Phalloïde, champignon mortel. Comme personne ne voulait le croire, il a convoqué des journalistes, il a ingurgité les champignons vénéneux, puis son antidote. Il a été malade, mais il a survécu, prouvant qu'il disait vrai. Le Christ ainsi, a accepté de se soumettre à l'épreuve ultime validant toute sa prédication.

Quand je souffre, ou quand j'ai peur, la passion du Christ me montre le chemin de la vie, elle me montre que le mal n'est pas un obstacle au plan créateur de Dieu, ni au fait d'avoir une vie réussie, elle montre que la mort ne retient rien, et le mal matériel ne fait pas grand mal, ne touche rien d'important.

Ainsi que le dit Jean-Marie Petitclerc, prêtre romain, polytechnicien et éducateur spécialisé : « C'est là la grande espérance pascale. C'est que si on peut effectivement détruire le corps, on ne peut détruire l'esprit. C'est cet esprit de Jésus qui continue d'animer tous ceux qui marchent à sa suite. Et il est vrai que dans cette confrontation entre Jésus et Pilate, finalement, le plus fort n'est sans doute pas celui que l'on croit. Et l'espérance pascale est là qui nous dit : « N'ayez pas peur même si la violence détruit le corps, sachez que l'esprit (l'esprit d'amour, l'esprit de justice et de paix ) résiste à toute forme de violence ; et soyez vous tous, en contemplant cette croix, des artisans de justice et de paix ».

La croix, ensuite, nous enseigne comment Dieu réagit par rapport au mal, car que fait Dieu ? Envoit-il des légions d'anges ? Non, Dieu n'abandonne pas le Christ, mais il ne donne pas d'aide matérielle, son aide et son action sont d'un autre ordre, elles resteront spirituelles. Cela, les Zélotes ne pourront le comprendre, et on pense aujourd'hui, qu'ils sont précisément sans doute à l'origine du rejet du Christ et de sa mort. Aujourd'hui encore les juiifs refusent pour cette raison de croire à Jésus comme Messie.

Pourquoi donc Dieu laisse-t-il faire ? Parce que « son Royaume n'est pas de ce monde ». Il fait beaucoup, mais dans un autre domaine. Et aussi parce que le monde matériel, c'est le domaine de la liberté de l'homme, et Dieu ne veut pas y intervenir, (ou ne le peut pas, parce qu'il ne serait pas tout puissant, mais cela revient au même).

Cela nous apprend aussi comment nous devons réagir par rapport au mal que nous subissons. On voit en particulier que Jésus réagit de manière non-violence à cette violence qu'il subit. C'est un bel exemple, même humain : il ne se révolte pas, il dépasse cette violence, il fait avec, il la vit avec patience, parce qu'il faut boire la coupe qui nous est donnée à boire, et puis c'est tout.

Jésus refuse la logique de la violence. Certainement, il ne pas entrer dans la spirale de la violence, même si elle est légitime, elle risque de finir par broyer même l'innocent encore plus. Il y a d'autres moyens que la violence, l'amour et le respect en particulier. La violence est naturelle, l'homme est violent, et c'est comme cela qu'il a tendance à gérer les conflits. C'est l'éducation, qui permet de les gérer autrement, et de chercher la paix et le dialogue.

Et puis enfin, nous pouvons trouver dans la Croix un enseignement plus théologique : ce qui est nouveau dans la Croix, c'est que Dieu est du côté de la victime, et non pas de la toute puissance. Certains théologiens parlent de « crucifixion de Dieu », cela est sans doute un abus, mais il y a quelque chose de vrai.

Ainsi raconte-t-on que dans un camp de concentration des détenus interpellaient l'aumônier suite à la pendaison de trois otages. Il y avait un jeune qui tardait à mourir et les détenus s'en prenaient violemment à l'aumônier en disant : « Mais où est-il ton Dieu, c'est qui ton Dieu qui permet ça ? » Et l'aumônier, en montrant simplement du doigt le jeune adolescent en pleine agonie, leur a dit : « vous n'avez rien compris, Dieu il est là.

Cela doit nous inviter à quitter l'idée d'un Dieu glorieux et victorieux, d'un Dieu qui punit, qui extermine les méchants. Dieu c'est le bien, la vie, l'éternitié, et cela ne se trouve pas du côté des forts, des champions de ceux qui écrasent et qui tuent, mais de ceux qui aiment; c'est ça la vraie grandeur. L'essentiel, ce n'est pas le règne, la puissance et la gloire, mais la tendresse, l'amour, la bonté, la douceur et l'humilité. Dieu est avec la victime, avec le faible, avec celui qui souffre, contrairement à ce qui se passe dans notre société où le petit le faible est réduit à rien. Dieu est sans doute plus présent dans une maison de retraite avec les mourants que dans une cérémonie glorieuse avec grande liturgie et tous les puissants de la Terre.

La Croix nous enseigne un dieu humble, un dieu compatissant, proche de celui qui souffre, proche du petit, de l'opprimé.

Dans certains milieux chrétiens, à celui qui souffre, il est dit que cela le rapproche du Christ qui, lui aussi, a souffert. Mais la vérité est plutôt dans l'autre sens : ce n'est pas ma souffrance qui me rapproche du Christ, c'est la souffrance du Christ qui le rapproche de moi. Celui qui souffre n'est plus seul, il y a quelqu'un, un dieu qui l'aime et le comprend, qui le console et le sauve.

Certains chrétiens sont passionnés par la croix, on peut le comprendre, mais elle ne suffit pas. Elle ne peut être une bonne nouvelle que vue du côté de la résurrection. A quelqu'un qui se révolte devant une épreuve en disant « Que fait Dieu ? », lui dire « Il s'assied à côté de vous pour pleurer avec vous » est déjà une bonne nouvelle, mais il faut aussi croire qu'il est le sauveur, qu'il ne laisse pas la mort victorieuse, qu'il y a une lumière possible après la ténèbre. Le beau symbole, c'est ainsi la croix vide des protestants. Les protestants réformés représentent la croix, mais toujours sans le Christ dessus. La croix est vide, elle n'a rien emporté, l'essentiel est ailleurs, vivant au delà de toute épreuve, il est invisible pour les yeux. Christ n'est plus sur la croix parce que Dieu l'a libéré de la mort pour l'élever à lui comme il peut le faire de nous dans toutes nos épreuves. Il nous a ouvert le chemin de la vie et de la liberté.

Amen.

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I Corinthiens 15:51-57

Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d'œil, à la dernière trompette. Car elle sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. Il faut en effet que ce (corps) corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce (corps) mortel revête l'immortalité. Lorsque ce (corps) corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce (corps) mortel aura revêtu l'immortalité

Alors s'accomplira la parole qui est écrite : La mort a été engloutie dans la victoire. O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché ; et la puissance du péché, c'est la loi. Mais grâces soient rendues à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ !

Matthieu 10:28-31

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme, craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne.

Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou ? Cependant il n'en tombe pas un à terre sans (la volonté de) votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés.

Soyez donc sans crainte : vous valez plus que beaucoup de moineaux.

I Cor. 15:51-57, Matt. 10:28-31