La résurrection, est-ce l'immortalité?
Prédication du pasteur Louis Pernot au temple de l'Etoile à Paris le 14 octobre 2001
En théorie, la résurrection et la vie éternelle sont des croyances fondamentales du christianisme. Mais concrètement, cela est vécu de façon assez différente par les croyants. Pour certains, la croyance en la résurrection représente le fondement de leur espérance, alors que pour d'autres il s'agirait plutôt d'une chose difficile à croire, d'un obstacle à la foi.
Dans une première approche du christianisme, on pourrait même considérer que cette croyance dans la résurrection est accessoire. D'abord, il n'en est pratiquement pas question dans l'Ancien Testament (et on voit les Sadducéens débattre de cela avec Jésus Marc 12:18-27). Et de toute façon, disent ceux qui n'y croient pas (ou pas tellement), qu'est-ce que cela change à ma façon de vivre, qu'il y ait une vie éternelle ou pas ? Même s'il n'y a pas de résurrection, l'essentiel n'est-il pas de faire le bien, de croire en la présence de Dieu, de croire au secours qu'il apporte à celui qui se tourne vers lui, de croire à sa bienveillance qu'aucune faute ne peut diminuer... Et l'essentiel n'est-il pas de réaliser de bonnes choses, de laisser une œuvre derrière soi ? Cette façon de voir n'est pas sans intérêt. Elle nous invite à vouloir faire quelque chose du temps que nous avons, pas seulement pour consommer, mais pour produire quelque chose qui demeure, pour laisser quelque chose de valable derrière nous.
Pourtant, l'annonce de la résurrection et de la vie éternelle est réellement centrale dans tous les livres du Nouveau Testament. La vie éternelle est indissociable d'une certaine conception de l'être humain, et du sens de l'existence.
Mais il y a différentes manières de croire en la résurrection. Pour certains, la résurrection est celle du corps et l'on se retrouve là-haut à peu près comme ici-bas. Pour d'autres, la résurrection est quelque chose de spirituel, et l'on se retrouve comme de purs esprits, bien différents de ce que nous sommes maintenant. Et pour d'autres encore, il s'agit juste d'une certaine dimension de notre vie qui demeure... au minimum dans le souvenir de ceux que nous laissons derrière nous, ou par nos œuvres... Certes, cela peut sembler une conception bien réductrice de la résurrection, mais en fait c'est déjà pas mal, affirmer cela c'est dire que notre vie n'est pas là seulement pour qu'on la consomme, mais pour que l'on agisse dans le monde, pour que l'on transmette. Il y a là un anti-égoïsme qui en soi est essentiel.
L'Evangile lui, va clairement plus loin que cela. Mais pour dire quoi ? La réponse est complexe, en effet, le Nouveau Testament n'est pas univoque à ce sujet, et si l'on trouve des passages évoquant l'idée d'une résurrection après la mort physique pour un autre monde (après éventuellement un jugement dernier, comme on l'enseignait au moyen-âge), ces passages, sont en fait relativement rares. Le plus souvent, le Nouveau Testament a une autre conception des choses, comme en particulier pour l'Evangile de Jean et pour Paul, où la Vie Eternelle est plutôt une dimension de notre vie qui demeure toujours, qui ne meurt donc pas. Cette dimension spirituelle apparaît par ce que Jean appelle "la nouvelle naissance", et croît et c'est elle qui demeure. C'est ainsi que Jésus dit: Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra, même s'il meurt (Jean 11:25) et: En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie (Jean 5:24). Ces paroles ne nous promettent pas la vie éternelle au futur, mais au présent : celui qui croit a, (maintenant) la vie éternelle. Et il parle de la résurrection au passé : celui qui croit est (déjà) passé de la mort à la vie. Cette Nouvelle Naissance, cet accès au spirituel immortel, c'est ce que Paul appelle la Résurrection. Il ne dit donc pas "vous ressusciterez... après votre mort physique", mais bien: Vous êtes ressuscités avec Christ. (Col 2:11-13, Eph 2:1-5) etc...) La résurrection est pour Paul quelque chose auquel nous sommes appelés de notre vivant, afin que nous passions de la mort spirituelle d'une vie pécheresse, à la vie éternelle qui est de vivre avec Christ. Il ne s'agit absolument pas d'un futur merveilleux hypothétique..
Le mot éternel nous semble bien abstrait, puisque tout ce que nous voyons dans ce monde matériel s'use et finira, d'une manière ou d'une autre. Mais précisément, croire en Dieu c'est croire que la réalité ne se limite pas à ce qui est matériel. Et cette dimension non matérielle de la réalité est pour nous une chose tout à fait concrète dont nous faisons l'expérience. C'est cette dimension invisible qui fait que nous continuons à aimer ceux que la mort nous a enlevés, ou que nous n'aimons pas moins un être qui est subitement privé de ses jambes, par exemple. Nous faisons l'expérience que, dans notre amour, le corps a certes de l'importance mais qu'il n'est pas tout, et qu'il n'est même pas l'élément capital de l'amour que nous avons pour quelqu'un.
Il y a ainsi, pour nous, une dimension de la réalité qui n'est pas matérielle, et cela a un rapport direct avec la vie éternelle. En effet, la science nous dit que le temps et la matière sont étroitement liés, et qu'ainsi quelque chose qui n'est pas matériel est hors du temps.
C'est ainsi que nous comprenons l'éternité de Dieu. Il agit sur la matière, mais il n'est pas lui-même matériel, et il est ainsi hors du temps. Et la vie éternelle que nous propose le Christ n'est pas une vie matérielle qui serait rétablie un jour dans le futur pour durer indéfiniment. La vie éternelle est la dimension spirituelle de notre être qui se forme pendant la vie de notre corps, une dimension non matérielle et, par conséquent, éternelle, hors du temps. Pour parler de l'apparition progressive d'une réalité spirituelle dans une vie humaine terrestre l'évangile parle de nouvelle naissance, ou de résurrection, de conversion, de guérison, de nouvelle création, de croissance ou de salut...
La vie éternelle est ainsi quelque chose qui est déjà présent en nous, c'est la dimension spirituelle de notre être, cette dimension de nous-mêmes qui a besoin d'autre chose pour se nourrir qu'une baguette de pain, un verre d'eau et un bol d'air, qui a besoin d'autre chose pour s'habiller qu'un pantalon et une chemise. Nous avons besoin, dès maintenant, tout autant de trouver ces choses matérielles que de recevoir le pain de la Parole de Dieu, l'eau vive, le souffle divin, et d'être habillé par le Christ. Ou, pour reprendre les mots de Paul nous avons besoin, dès ici-bas, pour vivre : d'aimer et d'être aimé, d'avoir de l'espérance et de la foi.
Cette dimension éternelle de notre être nous est familière, mais nous imaginons mal comment cette dimension peut vivre sans notre corps matériel. C'est ce qu'exprime Paul quand il parle d'un corps céleste qui est le corps de la résurrection, qui est d'une autre nature, qui n'a rien à voir avec notre corps animal. (1 Corinthiens 15:35ss). Nous ne pouvons évidemment parler de cela qu'en termes imagés, bien que ce soit pour chacun une expérience concrète.
Mais que veut dire alors l'Evangile quand il dit que ce sont les morts qui ressuscitent ? C'est que l'accès à la vie éternelle passe effectivement par une mort. Elle ne passe pas par la mort physique, mais par une certaine mort où l'on meurt à ce monde, ou au péché, comme le dit l'apôtre Paul. Dans cette mort :
- quelque-chose de notre orgueil meurt et est ressuscité en un meilleur nous-mêmes,
- notre culpabilité meurt pour laisser la place à plus de paix et de joie,
- l'égoïsme meurt un petit peu pour que naisse de la bienveillance et de la foi.
- nous sommes relevés de notre pessimisme pour espérer et agir.
Comme nous le dit Jésus : « En vérité, en vérité, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruits. » L'accès à la vie éternelle suppose ainsi un certain renoncement à soi-même ou à ses prétentions. Ou pour reprendre le langage imagé qu'utilise l'apôtre Paul pour parler à des juifs pratiquants : il est nécessaire que nous pratiquions une certaine circoncision de notre personne, même si ce n'est bien entendu pas une circoncision avec une paire de ciseaux en acier suédois (Colossiens 2:12-13). Alors, notre Père qui est aux cieux peut dire comme le père dit du fils prodigue mon fils était mort, et il est revenu à la vie, il était perdu et le voilà retrouvé ! (Luc 15 :32).
Quelle est l'importance pour nous de cette croyance dans la vie éternelle et la résurrection ? Elle est considérable. Cela veut dire que l'homme n'est pas condamné à mort, mais il est promis à la vie. Cela veut dire que comme des enfants, nous sommes en processus de croissance et de progrès, et que si notre corps se dégrade, même dans ses fonctions les plus précieuses, notre être invisible se renouvelle de jour en jour (2 Corinthiens 4 :16ss). Cela veut dire qu'il y a une dimension dans l'être humain qui ne meurt jamais. Et le Nouveau Testament a été écrit pour nous dire quelle est cette dimension. Avec Jean, nous apprenons que celui qui croit a, dès maintenant la vie éternelle. Et Paul dit la même chose quand il dit que trois choses demeurent, existent réellement : la foi, l'espérance et l'amour, mais que la plus grande des choses c'est l'amour. (1 Corinthiens 12 :31ss)
Tout cela a des implications très concrètes dans nos choix de vie, dans nos préoccupations principales, et dans nos rapports aux autres. Cela nous permet de penser que ceux que nous aimons et qui sont morts ne sont pas seulement vivants dans notre cœur, mais que Dieu garde pour l'éternité tout ce qui est et qui a été en eux de la foi, de l'espérance et de l'amour. Cela veut dire que nous pouvons continuer à les aimer, et que nous resterons avec eux, même si notre corps meurt, puisque l'amour est plus fort que la mort. Cela veut dire qu'il y a une espérance possible, et qu'il est bon d'aimer et d'agir pour les autres sur cette terre. En effet, l'être humain n'est pas qu'un corps voué au néant, mais dans chaque être humain il y a un enfant de Dieu, un être qui a une dimension invisible éternelle.
C'est pourquoi nous ne perdons pas courage. Même si notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour. Et ainsi, nous regardons non pas aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles; car les choses visibles sont temporaires, et les invisibles sont éternelles. Et nous savons que si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l'ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n'a pas été faite par la main de l'homme (II Cor 4-5).
Amen.