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L'immaculée conception de Marie

Jean 1:26-56

Prédication du 6 février 2005 au temple de l'Etoile à Paris par pasteur Louis Pernot.

 

Le dogme de l'Immaculée conception est l'un des plus mal connus, même de la part des catholiques eux-mêmes. Certains le confondent avec celui de la naissance virginale de Jésus, et d'autres pensent que d'après lui, Marie elle-même serait née aussi d'une naissance virginale. Or il ne s'agit en rien de tout cela.

Le dogme promulgué en 1854 par Pie IX affirme:

Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine, qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu et qu'ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles.

C'est pourquoi, s'il en était, ce qu'à Dieu ne plaise, qui eussent la présomption d'avoir des sentiments contraires à ce que nous venons de définir, qu'ils sachent très clairement qu'ils se condamnent eux-mêmes par leur propre jugement, qu'ils ont fait naufrage dans la foi et se sont séparés de l'unité de l'Eglise, et que, de plus, par le fait même, ils encourent les peines portées par le droit s'ils osent manifester par parole, par écrit ou par quelque signe extérieur, ce qu'ils pensent intérieurement.

Ainsi, ce dogme concerne la naissance de Marie, et non celle du Christ, et il affirme que tout en ayant été conçue naturellement d'un homme et d'une femme, Marie n'a pas hérité du péché originel, comme c'est le cas pour tous les humains qui viennent au monde.

Cela est logique dans le système de pensée catholique, puisque Marie est considérée comme n'ayant jamais péché, comme une vierge pure et parfaite. Or, dans la théologie catholique, le péché originel est vu comme une espèce de culpabilité héritée, comme un stock de base de péché dont on n'est pas responsable mais dont tout être humain hérite dès sa conception. Pour être vraiment immaculée, il fallait que Marie soit indemne, même de ce péché là.

Que pouvons-nous en dire d'un point de vue protestant, c'est-à-dire en fait purement biblique?

Pour ce qui est du fait que Marie ait été sans péché toute sa vie, rien ne permet de l'affirmer dans l'Ecriture. Au contraire, on voit Marie en Luc 2:24 offrir deux pigeons en sacrifice pour le péché selon Lev. 12:6&8. Et Luc 8:19, nous montre Jésus refuser de voir sa mère et ses frères en disant: Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique (Luc 8:20). Ce qui permet de mettre en doute la perfection de Marie.

Pour ce qui est du péché originel, les choses sont plus compliquées, en effet, ce que l'on entend par là est fort discutable. L'idée, véhiculée par la tradition de l'Eglise, d'une culpabilité héréditaire qui nous viendrait d'Adam, n'a en fait pas vraiment de fondement évangélique. On ne voit, en plus, pas pourquoi nous aurions à supporter le poids d'une faute qui n'est pas la nôtre, et à en subir les conséquences.

Il semble qu'il reste alors deux manières acceptables de considérer le péché originel.

On peut penser d'abord qu'il s'agit de l'imperfection fondamentale qui est le lot de toute chose dans ce monde, et de tout être dès sa naissance. Il n'y a alors pas de notion de culpabilité, mais seulement l'idée que tout enfant venant au monde est imparfait, et a une tendance au péché. Il est vrai que nous héritons tous de cela par notre appartenance à la nature humaine. Mais il est inconcevable que quelqu'un, fut-ce Marie y ait échappé, et l'on voit encore moins comment, selon une certaine théologie, le baptême d'un enfant serait la manière de laver de ce péché. Nous restons toujours imparfaits. Et puis cette imperfection héréditaire n'a pas de rapport direct avec la faute d'Adam.

On peut enfin penser que le péché originel est un certain type de péché particulièrement grave que tout le monde répète, à l'image d'Adam et Eve. Il s'agit de la désobéissance à Dieu, c'est-à-dire du fait de s'opposer à Dieu, ce qui est le péché mortel par excellence puisqu'il coupe de Dieu source de vie, c'est ce que le Christ appelle le péché contre le saint Esprit (Marc 3:28) qui ne peut avoir, contrairement à tous les autres, de rémission. C'est le péché fondamental. A cet égard non plus, rien ne permet d'affirmer que Marie ait été différente des autres.

Cependant, même pour quelqu'un qui n'est pas tenu d'y croire, un dogme est toujours intéressant parce que même s'il peut sembler inacceptable, il ne repose jamais sur rien. Ca n'est pas sans raison que les théologiens chrétiens ont posé cette question de l'Immaculée Conception depuis plus de mille ans, et comme souvent pour bien des grands dogmes, leur développement exagéré et leur durcissement ont fini par cacher l'essentiel.

Ici, même s'il semble absurde que Marie ait pu, dès sa conception, être indemne du péché originel, le dogme nous invite à chercher dans les textes bibliques le rapport qu'il peut y avoir entre Marie et le péché originel. En lisant le début de l'Evangile de Luc, on s'aperçoit effectivement que Marie est présentée comme évitant le péché originel, en réagissant toujours dans le sens contraire de la faute d'Adam. Cela ne veut pas dire qu'elle ait été parfaite dès sa conception. Mais pour que le Christ puisse naître, il a fallu que Marie, à ce moment, évite absolument le péché originel.

Cela, en plus, est intéressant pour nous. C'est en effet la question que nous devons nous poser : quelles sont les conditions pour que le Christ puisse naître dans nos vies? Et puisque Marie est la réalité humaine qui précède le Christ, elle nous indique comment notre propre réalité humaine peut devenir elle aussi porteuse d'une autre dimension qui soit spirituelle, comment nous pouvons être pleins de Dieu, comme Marie est enceinte, pleine par Dieu, donnant naissance à une réalité christique.

Plus précisément, on peut penser que le péché d'Adam et Eve c'est l'orgueil. C'est de vouloir se passer de Dieu, c'est de prétendre pouvoir être comme Dieu ainsi que leur fait miroiter le serpent. Leur péché, ce n'est pas de pouvoir discerner le bien du mal, Dieu au contraire incite souvent à cette sagesse afin de pouvoir choisir le bien. Mais l'erreur fondamentale d'Eve, c'est d'avoir déclaré bon le fruit pour la simple raison qu'elle le trouvait bon à manger et agréable à la vue (Gen. 3:6). Elle fait de son propre plaisir le critère du bien et du mal. C'est ça le péché originel. C'est l'orgueil fou de croire que l'on est la chose la plus importante du monde, que c'est en fonction de nous-mêmes que nous pouvons tout décider, que nous n'avons pas à obéir à une mission, mais simplement à nous faire plaisir.

Or que dit Marie? Je suis la servante du Seigneur, c'est-à-dire « je ne suis pas Dieu, mais je suis à son service », et: Qu'il soit fait selon ta volonté c'est-à-dire « je ne fais pas ce que je veux en fonction de mon bon plaisir, mais ce que tu veux ».

On peut même aller plus loin. En effet, la théologie médiévale a voulu préciser ce qu'est ce péché fondamental qui coupe de Dieu. C'est ce qu'elle a appelé les péchés capitaux. Et ces péchés sont capitaux en ce qu'ils mènent à la mort, et en ce qu'ils sont la tête, l'origine de tout péché, de tout éloignement de Dieu (Cf. Thomas d'Aquin, Summa Théol. 1-2 q84: Capitale vitium dicitur a capite membro, quia poena capitis punitur; vel quia est causa finalis per se multorum peccatorum.)

La liste en est bien connue: l'orgueil, l'avarice, la gourmandise, la luxure, l'envie, la paresse et la colère. Or, en les repensant dans le cadre du péché originel, ces péchés capitaux s'avèrent extrêmement intéressants, et cela permet de dépasser la disqualification facile par la moquerie qui fait qu'au premier regard, il semble ridicule de donner tant d'importance à la gourmandise ou à la paresse, défauts mineurs que nous avons tous. Et il est vrai que dans les sept cas, il s'agit bien du péché originel.

L'orgueil, le premier, est sans doute le principal et c'est lui qui est véritablement le péché originel d'Adam et Eve. C'est lorsque le Moi prend toute la place, qu'il est plein de lui-même, et qu'il n'y a plus d'espace pour un autre ou pour Dieu. C'est la sûreté de soi qui est telle qu'il n'y a ni remise en cause, ni progrès possibles.

L'avarice, la gourmandise, la luxure et l'envie, vont ensemble, et indiquent le risque du désir matériel s'il prend la première place dans nos préoccupations. Par chacun de ces péchés, on peut en venir à obstruer notre disponibilité à Dieu, de masquer le désir spirituel, et de remplir sa vie par d'autres préoccupations que celle du progrès spirituel et que celle de Dieu.

La paresse n'a rien à voir avec le fait de faire la grâce matinée en vacances, c'est la paresse spirituelle (acedia) qui consiste à ne même pas vouloir faire d'effort spirituel. C'est de ne pas vouloir chercher Dieu, c'est de se contenter de ce que l'on est sans chercher à progresser ou à avancer.

Quant à la colère, c'est le danger de réagir de façon non positive, par rapport à la contrariété, à l'épreuve, ou au péché que l'on trouve en soi. C'est la tentation de se révolter, de refuser les faits, au lieu de les intégrer et d'essayer de les dépasser, dans la patience, la persévérance, et l'espérance (Rom. 5:3,4). La colère, c'est de ne pas accepter le fait de l'imperfection de la création, c'est de manquer de foi dans la puissance de pardon et d'amour de Dieu qui accepte tout dans sa grâce, c'est de se laisser aller à une réaction animale, au lieu de réfléchir avec l'aide de Dieu pour trouver la solution.

Nous avons là vraiment sept façons de se passer de Dieu, de se contenter de soi-même, et de faire obstacle à la grâce. Et si l'on a la curiosité de chercher dans le récit du début de Luc le rapport entre Marie et ces sept péchés capitaux, on se rend compte qu'ils s'y trouvent tous dans le texte, et que chaque fois Marie en est le contre exemple.

Elle est l'anti-orgueil (ce qui est le principal), tout le long du récit, et en particulier: quand elle dit: Voici la Servante du Seigneur (1:38), et dans le Magnificat: Il a baissé les yeux sur la bassesse de sa servante... Il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses, il a fait descendre les puissants de leur trône... (1:48,51,52).

Marie continue son psaume en disant: Il rassasie de bien les affamés (1:53), ce que l'on pourrait dire autrement par: L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Matt. 4:4) , ou encore: Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés (Matt. 5:6)... C'est l'anti-gourmandise. Puis: Il renvoit les riches les mains vides, C'est l'anti-avarice que l'on trouve partout dans l'Evangile: Il est plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille, (Matt. 19:24) ou encore, Nul ne peut servir deux maîtres... Nul ne peut servir Dieu et Mammon (l'argent) (Luc 16:13).

Marie, par son exemple-même, est présentée comme l'anti-luxure lorsqu'il est dit d'elle: une vierge qui ne connait pas d'hommes (1:34). Ce n'est pas que la sexualité soit un péché, mais elle doit laisser un place pour un vide, un manque. La relation amoureuse peut devenir un péché capital si l'autre prend la place de Dieu et si toute la préoccupation est tournée vers son partenaire. Il faut qu'une partie de nous-mêmes ne soit pas remplie par la présence de l'autre pour que Dieu puisse trouver sa place et nous couvrir de son ombre.

Marie est l'anti-envie quand elle dit: Qu'il me soit fait selon ta parole (1:38) puisqu'elle ne cherche pas son propre désir, l'anti-paresse quand il est dit: Marie se leva et s'empressa d'aller vers les montagnes (1:38), verset qui peut sembler sans importance, mais qui est essentiel quand on pense à la signification de la montagne dans toute la Bible. La montagne c'est le lieu même de la présence de Dieu, et de la révélation de sa parole, comme l'Horeb avec le Buisson Ardent, ou le Sinaï avec le don de la Loi... Marie ne reste pas passive, mais elle s'empresse d'essayer de s'élever vers Dieu et d'aller au contact avec sa parole.

Et enfin elle est l'anti-colère en ce que confrontée à une situation inattendue et difficile, au lieu de réagir immédiatement, Luc nous dit que: Troublée, elle réflé-chissait sur la signification de cette salutation. (1:29,30).

Marie est donc bien l'exemple de la disponibilité à Dieu. Elle évite tous les obstacles qui viennent habituellement dans nos existences à la venue de Dieu ou du Christ pour que notre foi soit vivante. C'est en cela qu'elle peut être considérée comme l'image du croyant pour ce qui est de l'attente et de la disponibilité. Elle n'est pas nécessairement parfaite, il n'est pas dit qu'elle évite tout péché, mais elle évite le seul péché qui fasse vraiment obstacle à la réception du salut de Dieu.

Nous sommes là vraiment au cœur de l'Evangile. On voit en effet, que pour accéder au Salut (c'est ce que signifie en hébreu le nom de Jésus), il n'est pas question d'une purification progressive, comme dans les religions de l'Inde, il n'est pas question de progrès, que ce soit dans le détachement, dans la morale, ou dans la connaissance comme dans la gnose, il n'est pas question non plus de perfectionnement, mais de disponibilité. Il n'est pas besoin d'être parfait pour pouvoir trouver Dieu, mais juste de savoir l'accueillir dans sa vie, savoir le recevoir en évitant l'orgueil du péché originel.

Il apparaît même que l'Evangile semble être loin de la doctrine qui veut le Christ soit né d'une vierge absolument pure et parfaite, ce qui nous laisse dans une logique du mérite et des œuvres. La bonne nouvelle, c'est au contraire que le Christ peut naître de toute humanité imparfaite, tant qu'il n'y a pas l'obstacle du péché originel. La bonne nouvelle de l'Evangile, c'est peut-être précisément que Marie n'était pas parfaite, mais pécheresse.

Mais tout péché autre que le péché contre le Saint-Esprit peut être pardonné, et à celui qui ne fait pas obstacle à sa venue, Dieu viendra en lui et fera naître de lui une réalité nouvelle qui est à l'image de son fils, un nouvel être qui est christique qui est fils de Dieu et qui est vivant éternellement.

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Jean 1:26-56