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La Parabole du "Père prodigue"

par Louis Pernot (septembre 07)

 

La parabole du Fils Prodigue de Luc 15 est à juste titre très connue et appréciée. On y voit l'image d'un père qui accueille à bras ouverts son fils pécheur. On y voit le pardon et l'amour inconditionnels de Dieu pour nous qui, il faut bien le dire, nous éloignons si souvent de notre Dieu.

Pourtant, il y a toujours une petite ombre au tableau. On est très content pour le fils dévoyé qu'il soit finalement accueilli, mais on ne peut s'empêcher de compatir avec le fils aîné. Il est vrai que l'histoire est un peu injuste pour lui. Et finalement, c'est vrai, pourquoi, lui, n'a-t-il jamais eu un chevreau pour se réjouir, alors que quand son frère bon à rien arrive, on tue le veau gras ?

Mais puisque le père représente Dieu, il faut bien justifier cette apparente injustice, et on y arrive.

On peut, en effet, dire que ce « bon » fils aîné n'était pas si bon que ça. Oui, c'est vrai, il appliquait bien les règles de bonne conduite, mais dans le fond, il manquait d'une chose essentielle : l'amour. Il ne faisait rien de mal, mais quel bien a-t-il fait ? Rien. Pourquoi n'a-t-il pas tenté de retenir son frère, pourquoi n'est-il pas allé le cherché, ou ne s'est-il pas soucié de lui quand il était loin et en danger de se perdre, et surtout pourquoi ne s'est-il pas réjoui quand il est revenu au lieu d'en être jaloux ?

Cela dit, le père ne le condamne pas, il ne le rejette pas, au contraire, il va même vers lui, il lui parle et lui dit : « tout ce qui est à moi est à toi ». On peut ainsi vivre dans le devoir, dans la loi, dans l'observance des règles, et c'est bien, mais ce qui manque c'est l'amour, la gratuité, le fait de ne pas juger son frère, de ne pas réclamer pour soi et par rapport à soi. Quand on est ainsi, ce qui fait défaut, c'est la joie et la fête. Le fils aîné a tout, sauf le « veau gras », sauf les chants et les danses. Cela, ça se trouve non pas dans la loi, mais dans la grâce, dans l'amour, dans le retour vers le père avec le seul sentiment de son humilité et en sachant ne rien mériter.

Donc l'injustice n'est qu'apparente, et le fils aîné n'a bien que ce qu'il mérite. A vivre sans la grâce, on ne peut bénéficier de la grâce.

Mais l'ombre demeure.

Certes, on peut dire que le fils prodigue a des qualités qui justifient son accueil si chaleureux par son père : il ne prétend avoir droit à rien, il n'est pas arrogant, il ne juge pas, il est tout dans l'humilité. Mais quand on regarde ses motivations, on est un peu gêné... Il ne revient pas du tout par amour mais seulement parce qu'il a faim, pour pouvoir se remplir le ventre. Avouez que la démarche spirituelle est un peu faible... En fait, il ne demande pas pardon, il n'exprime même aucun regret, il n'implore pas la grâce de son père. Tout ce qu'il fait c'est de souhaiter n'avoir que le salaire qui lui est dû. Le fils prodigue est-il vraiment l'image du « bon » fils ?

Je ne crois pas. De toute façon, les paraboles ce ne sont pas des histoires moralisantes avec un bon tout bon et un mauvais tout mauvais. Les choses sont plus compliquées... Et sans doute le fils prodigue n'est-il pas exemplaire. Sans doute n'est-il pas non plus l'image de la grâce et de l'amour.

Celui en fait qui est l'image de la grâce et de l'amour, c'est le père, et seulement lui. Si « prodigue » comporte l'idée de « donner », le fils « prodigue » ne l'est pas vraiment, il ne donne pas, il dépense, il dilapide. Le seul qui donne, c'est le père. C'est lui qui donne l'héritage, qui donne le veau gras, les sandales, l'anneau, la fête et tous ses biens même, pour ses enfants. Celui qui est véritablement « prodigue » dans cette histoire, c'est le père. C'est lui qui donne gratuitement sans rien attendre, lui qui est dans la grâce.

Le second fils, en fait, n'est pas du tout une image de la grâce. Certes il fait preuve d'une certaine humilité, mais dans le fond, il est tout entier dans la loi, dans le devoir, même si c'est d'une autre manière que son aîné. Il demande à son père la part à laquelle il a effectivement droit, il fait usage de prostituées, certes, mais il les paye, il aurait pu violer, et quand il garde les cochons, il regrette de ne pouvoir manger les caroubes car « personne ne lui en donnait », il est bien honnête, il aurait pu en voler. Puis il revient vers son père sans faire appel à aucune grâce, mais en lui demandant de lui donner seulement ce à quoi il a droit.

Celui et celui seul qui est source de joie, de fête et de vie, c'est le père, et justement parce que lui seul n'est pas prisonnier d'une conception étroite du devoir. Il ne voit pas la religion comme une masse d'exigences, de jugements, mais comme une relation d'amour. Il nous montre un Dieu qui n'est pas comme un maître d'école distribuant les prix aux plus méritants, mais comme un père qui aime et qui pardonne. L'essentiel, ce n'est peut-être pas tant ce que nous parvenons à faire, mais d'aimer Dieu, de rester en relation avec lui.

Quant au « fils prodigue », sa qualité essentielle, c'est d'avoir laissé une place à cette générosité du père. Il se présente comme vide, disponible, contrairement à son frère qui est plein, bourré de devoirs, de jugements, et du sentiment de ses mérites. Le fils cadet sait qu'il ne mérite rien, il ne réclame rien. En cela, la qualité la plus essentielle, c'est l'humilité car c'est elle qui permet de donner prise à la grâce, c'est elle qui laisse une porte d'entrée à l'amour.

Louis Pernot