Dieu qui pardonne mille générations... mais en punit trois ?
par Louis Pernot (février 09)
On aime ce passage : Dieu qui a compassion, qui fait grâce, lent à la colère, plein de bonté et de fidélité, qui garde sa bonté pour des milliers (de générations)... (Exode 34 :6-7), c’est le Dieu qu’on aime, le Dieu que l’on veut entendre prêcher le dimanche, un Dieu d’amour, de tendresse, de bonté, de pardon, de fidélité, de douceur. Mais le texte se continue par : et qui punit la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils sur la troisième et la quatrième génération... ce qui gâche un peu le passage il faut bien le dire.
Que peut faire le lecteur moderne d’une telle affirmation ?
Une théologie dépassée ?
Le plus simple, c’est de mettre cela sur le compte d’une théologie vétérotestamentaire archaïque. Notre pensée, c’est celle du Nouveau Testament, et nous savons que Dieu ne garde que le bon, le mauvais, il se contente de le laisser de côté, il le brûle et l’oublie, il ne punit pas, ni encore moins fait porter la faute des uns par les autres. Donc ne gardons que la première partie du passage et oublions le reste.
Mais cette solution est un peu brutale, on peut certainement faire mieux.
Les juifs appellent ce passage : les 13 attributs de la miséricorde divine, or pour eux, le dernier point fait partie des 13 attributs, il est donc vu non pas comme mauvais, mais au contraire, une manifestation de son amour. Est-ce possible ?
Dieu punit par amour ?
Sans doute est-il bon qu’il y ait en Dieu de la réaction par rapport au mal. Un Dieu qui ne serait que douçâtre et bon serait inefficient, ou alors un Dieu indifférent. Peut-être faut-il penser que Dieu peut être en colère, ou punir, sinon son amour et son pardon ne voudraient rien dire. Il est bien dit d’ailleurs dans ce même passage que Dieu ne tient pas le coupable pour innocent, c’est la base du bon pardon : ne pas faire comme si le mal n’existait pas, mais aller au delà.
Certes, cela est un peu dur, mais il faut bien mettre les choses à leur place : le texte dit qu’en Dieu, il y a mille générations de bonté pour seulement trois ou quatre de punition. S’il y a de la dureté en Dieu, ce ne serait qu’à 3 pour 1000 de colère, et 997 pour 1000 d’amour et de pardon, mais ce 3 pour 1000 sont essentiels comme levier de son amour et pour nous remettre dans le bon chemin.
Cette tentative de justification est méritoire, mais elle n’explique pas tout, ce qui est choquant, c’est l’expression « sur les fils de leurs fils ». Cela semble effectivement injuste, que le coupable soit puni passe encore, mais les innocents, c’est impossible.
Il y a plusieurs solutions là aussi.
La faute qui retombe sur les fils
La plus simple, encore et toujours : c’est d’y voir un vestige de théologie archaïque, mais pas pour l’écarter cette fois, pour mieux la comprendre et la transposer dans un autre système théologique qui est celui de l’Evangile. Autrefois on avait tendance à attribuer à Dieu tout ce qui arrive, le bien, le mal, la pluie le beau temps, la vie, la mort. Nous aujourd’hui, nous avons idée que Dieu n’est que source de bien. Il nous faut donc transposer, et quand l’Ancien Testament dit que le mal vient de Dieu, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, mais comprendre que c’est comme ça, ça ne dépend pas de nous. Il ne s’agirait alors là pas d’une punition, mais d’une conséquence inéluctable. Or c’est vrai, et il est bon de le rappeler, notre mal peut avoir des conséquences sur les autres. Et en particulier les enfants sont les premiers à pâtir des péchés de leurs parents. Il ne faut donc pas se contenter du pardon de Dieu, mais savoir qu’on est aussi responsables de ses actes. Dieu peut effacer la culpabilité de nos actes, pas leurs conséquences, malgré le pardon ils peuvent peser sur des êtres innocents.
Mais où est Dieu là-dedans alors ? Si ce n’est pas lui qui punit ? Nous laisse-t-il nous débrouiller avec notre responsabilité écrasante ? Non, pas tout à fait...
Dieu ne punit pas, il visite.
Le verbe « punir » d’ailleurs ne se trouve pas dans le texte, ce sont les traducteurs qui l’ont ajouté : en hébreu, le verbe « PaQaD » utilisé là, signifie au sens premier : «visiter», «surveiller», ce verbe a pu dériver dans le sens de «punir», parce qu’un surveillant peut en effet punir... mais pas forcément, et c’est secondaire. C’est ce même verbe que l’on retrouve en Exode 4:31 : « Le peuple apprit que l’Éternel avait visité les enfants d’Israël, qu’il avait vu leur souffrance, et ils se prosternèrent ».
Il n’y a donc pas forcément dans ce texte l’idée d’un Dieu qui punit, mais plutôt qui visite, accompagne, surveille, comme il a visité les enfants d’Israël dans leur souffrance. Il est vrai que le péché des parents peut faire souffrir les enfants, mais Dieu ne les laisse pas seuls, il les visite pour leur venir en aide, pas pour les accabler davantage.
Ce qui est dit, c’est que bien que le coupable ne soit pas pris pour innocent, Dieu visite les fils des fils... C’est une vraie source d'espérance, il y a du bonheur à reconstruire, il y a tant de choses à restaurer : et toujours c’est possible, il n’y a pas de malédiction toute-puissante, pas de transmission délétère de génération en génération dont on ne puisse sortir, parce qu’aucune génération n’est seule, chacune a à ses côtés le Dieu de la création qui peut faire « toute chose nouvelle ».
Louis Pernot