Découvrir son chemin et changer de vie...
par Alain Houziaux (septembre 01)
Le tournant de la quarantaine
Vous connaissez tous la parabole du fils prodigue (Luc 15, 11-31). Il était une fois un fils libertaire et contestataire. Il décide de quitter la maison de son père. Il veut rester un individualiste et un non conformiste.
Mais voilà, quelques années plus tard, à l'âge mûr, il est déçu de ses libérations religieuses, sexuelles et financières, il décide de retourner chez son père, chez son papa et chez son Dieu. Il retrouvera les bonnes vieilles valeurs familiales, religieuses et économiques. Il veut sauver sa vie, ce qu'il lui reste de vie.
Mais ce fils prodigue a un frère aîné. Et que nous raconte la parabole du fils aîné ? Il était une fois un fils sage comme une image. Il reste, lui, dans la maison paternelle. Le fils aîné, ce serait plutôt un orthodoxe et un traditionaliste. Pendant que son frère cadet vagabonde et folâtre, il respecte, lui, les liturgies familiales et les valeurs religieuses et morales.
Mais voilà, quelques années plus tard, tout se gâte. A l'âge mûr, à l'occasion du retour de son frère, le fils aîné est saisi par le démon de midi. Il fait une crise d'adolescence au beau milieu de sa vie. Ça arrive. Il se met à protester contre son père, contre son Dieu, peut-être contre son épouse légitime. "Voilà tant d'années que je te sers, dit-il, et je n'ai jamais pu vraiment me réjouir. Je n'ai jamais pu faire la fête". Me serais-je, moi aussi, trompé de vie ? Et le fils aîné refuse de rentrer à la maison familiale. Le fils aîné va-t-il, lui aussi, comme le fils prodigue, quitter la maison paternelle ? Cela n'est pas exclu. L'histoire ne le dit pas.
Ainsi, cette double parabole s'organise comme un chassé-croisé. Le fils aîné pourrait bien devenir un nouveau fils prodigue. Et le fils prodigue, lui, pourrait bien devenir un nouveau fils aîné, fidèle et sage.
L'humilité et la révolte
En effet, tout d'un coup, il y a un déclic dans la vie de chacun des deux fils.
Le fils prodigue est affamé, avili, clochardisé au milieu de son troupeau de cochons. Il se déteste lui-même. Et, il est pris à la gorge par cette question : Que suis-je en train de faire de ma vie ? Où en suis-je avec mes grandes idées de liberté et de libération ? Je veux changer de vie. Je veux sauver ma vie avant qu'il ne soit trop tard.
Et le fils prodigue retourne chez son père. Il demande à rentrer dans le rang. Il demande à vieillir humble, casé, abstinent et morose.
Mais le père se révolte devant cette contrition sinistre et ce renoncement funeste. "Oui dit-il, je te le dis, le veau gras est possible ; la liberté, c'est aujourd'hui que tu peux la découvrir, les sandales aux pieds et l'anneau royal au doigt".
Oui, la foi et la vie c'est cela : accepter que le bonheur vienne comme une grâce et une surprise au moment où il se fait déjà tard dans la vie, au moment où on commence à devenir humble. Et c'est peut-être à ce moment-là que la vie peut commencer, et aussi la foi et la vraie liberté.
Et le fils aîné ? Pour lui aussi, il y a un déclic, il est saisi à la gorge par une question : Où en suis-je maintenant avec cette moitié de vie faite de macérations spirituelles, de fidélité filiale et de fréquentations des sacristies, alors que les autres, et mon frère en particulier, s'enrichissent, forniquent et font bombance ? Je suis en train de perdre ma vie. J'irai vers mon père et je lui parlerai. Je lui dirai ma révolte, mon manque de joie.
Et voilà, le fils aîné parle à son père, peut-être pour la première fois de sa vie. Et alors, que se passe-t-il ? Grâce à la force de sa protestation, le fils aîné retrouve son père. Son père lui parle, à lui, directement, pas aux autres : "Mais mon enfant, dit le Père, comment ne le savais-tu pas ? Tout ce que j'ai est à toi. Je t'aime d'un amour éternel".
Et la foi et la vie, c'est aussi cela : se planter là devant Dieu pour lui dire sa plainte, son manque et sa misère jusqu'à ce que Dieu vous donne sa bénédiction inattendue et mystérieuse, pour une aventure nouvelle qui sera peut-être celle d'un fils prodigue qui aurait compris que la liberté n'est pas une conquête insolente mais une bénédiction qui s'apprend par l'échec.
Alain Houziaux