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Vous êtes la lumière du monde, la ménorah de Dieu
Prédication prononcée le 1er octobre 2017, au Temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
« Vous êtes la lumière du monde, on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur un chandelier et elle brille ! ». Ce passage de l’Evangile est certainement l’un des plus célèbres qui soit. Peut-être parce qu’il est au début de l’évangile de Matthieu et ainsi même le lecteur le moins persévérant ne peut le manquer... ou plus sérieusement parce qu’il est bien beau et positif. Ce n’est pas si souvent dans notre vie que l’on nous dit que nous sommes des lumières, et nous avons besoin d’une parole ainsi tellement lumineuse et valorisante.
L’idée générale que l’on trouve dans ce texte est que le Christ nous donne une importante responsabilité, il dit que nous pouvons apporter quelque chose au monde, et que ce que nous pouvons apporter de mieux, c’est de la lumière. La lumière est une chose merveilleuse, c’est la joie, elle rompt la ténèbre, enlève la peur et l’angoisse et surtout la lumière donne la possibilité de choisir : c’est la liberté. Ainsi sommes nous utiles au monde et aux autres, mais pas pour les contraindre, mais pour les éclairer, leur ouvrir des possibles et les aider à s’autonomiser.
Mais en fait ce passage dit infiniment plus sur ce cette belle mission que le Christ nous confie. Il dit en effet : « vous êtes la lumière du monde ». Mais qui est normalement la lumière du monde ? C’est Jésus Christ lui-même, ainsi qu’il l’affirme d’après l’évangile de Jean : « Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean 8:12). Et c’est même plus que cela, la lumière du monde, c’est Dieu en fait, comme le dit le Psaume 27 : « L’Eternel est ma lumière et mon salut ». Ainsi le Christ nous donne-t-il à jouer le rôle même de Dieu pour le monde, c’est considérable. Cela veut dire que nous sommes invités à donner au monde ce que nous voudrions que Dieu donne. L’idée que nous sommes ainsi des collaborateurs de Dieu est essentielle en théologie chrétienne. Avoir le foi, ce n’est pas tout attendre de Dieu, mais vouloir se mettre à l’œuvre avec lui pour travailler à son plan, pour être ouvrier dans sa vigne. Trop de chrétiens l’oublient et pensent que la foi consiste à s’en remettre à Dieu, et voient la prière comme une manière de se défausser de sa responsabilité pour que Dieu agisse à notre place. De la même manière bien des athées refusent de croire en Dieu à cause du problème du mal, et parfois en fait à cause d’une mauvaise théologie qui voudrait faire croire que Dieu devrait tout gérer dans le monde. Mais voilà justement, Dieu a besoin de nous et nous sommes appelés à travailler avec lui et pour lui afin de faire avancer le royaume de Dieu sur Terre, pour consoler les éprouvés, et œuvrer à une société plus fraternelle et pacifique. L’Evangile, ce n’est donc pas l’inaction ou la passivité, mais au contraire l’action, il s’y trouve un appel, une vocation pouvant nous mettre en marche pour accomplir de grandes choses. Et il n’est donc pas besoin de se questionner longtemps sur ce que nous pourrions faire dans le monde et pour le monde : tout ce que nous attendons de Dieu, pour le monde et pour nous, faisons le, à notre niveau pour les autres. Il est bon de faire connaître à Dieu toutes nos demandes, mais lisons ensuite notre liste de demandes comme notre propre programme d’action dans le monde !
Ce n’est pourtant pas là se réduire à une théologie athée ou purement humaniste parce que si nous avons la dignité d’être appelés « lumière du monde », c’est parce que Dieu ou le Christ le sont avant nous. D’ailleurs le texte précise bien qu’avant de veiller à ce que cette lumière ne s’éteigne pas, il faut d’abord l’allumer ! Ainsi nous pouvons aimer parce que nous sommes aimés, nous pouvons accueillir parce que nous nous savons accueillis, et nous pouvons donner parce que nous savons que nous avons tant reçu ! Il faut donc commencer par avoir de la lumière pour soi-même avant de prétendre en donner aux autres. Nous ne sommes pas en nous-mêmes des lumières, nous ne faisons que de refléter la lumière, comme la Lune qui éclaire en renvoyant la lumière qu’elle reçoit du Soleil. Le phare qui guide les autres ne peut le faire que parce qu’un feu brûle en lui. Malheur à celui qui prétendrait n’avoir besoin de rien recevoir, il se viderait de lui-même, se viderait de sens et finalement de toute capacité à donner. Il nous faut une méthode de ressourcement, nous exposer tant que possible à une source de lumière, et donc nous brancher en permanence sur le Christ qui est la véritable lumière.
L’évangéliste Luc insiste plus particulièrement sur ce point. Il ne fait pas dire à Jésus que nous serions la lumière du monde, mais cite les propos du Christ à propos de cette lumière qu’il faut veiller à ne pas étouffer comme étant la parole que nous recevons. Il place ces propos juste après la parabole du semeur qui va dans le même sens en invitant à accueillir la parole et à veiller à ce qu’elle grandisse en nous. Ce lien entre la parole et la lumière est très attesté, depuis le Psaume 119 (v. 105) : « ta parole est une lampe à es pieds, une lumière sur mon sentier » jusqu’au prologue de Jean : « Au commencement était la parole... elle était la véritable lumière qui éclaire tout homme ». Cette parole divine et créatrice, c’est celle qu’a incarnée Jésus Christ et qui nous est transmise par l’Evangile, mais c’est aussi la parole intime que nous entendons de Dieu dans la prière. Tout cela est source de vie, il faut veiller à ce que cette source de lumière reste vive dans nos existences pour que nous soyons illuminés et que nous ayons une chance d’illuminer et de rayonner autour de nous ensuite. L’Evangile de Thomas va aussi dans ce sens dans son parallèle à notre passage en attribuant les propos du Christ à cette parole qu’il faut veiller à entretenir : « Jésus a dit : Ce que tu entendras d’une oreille, de l’autre oreille proclame-le sur vos toits. Car personne n’allume une lampe et ne la met sous le boisseau ni ne la met dans un endroit caché, mais il la met sur le lampadaire afin que tous ceux qui vont et viennent voient sa lumière. » (Thomas 33).
Ainsi quand Matthieu fait commencer notre passage par « vous êtes la lumière du monde », il dit une grande chose, c’est que nous nous identifions finalement à la parole que nous écoutons et mettons en nous. Cette parole est comme un logiciel interne que nous pouvons intégrer et qui façonne ce que nous sommes. Et nous ne recevons pas seulement la parole comme un serviteur doit obéir à un ordre, mais pour que nous l’intégrions en nous mêmes et que nous devenions nous mêmes ce en quoi nous croyons. Que cette parole devienne notre propre nature, et ainsi même qu’accueillant Dieu en nous nous devenions toute proportion gardée des dieux.
Et d’ailleurs cette lumière est encore plus importante qu’on ne le croit. On peut le voir par le mot « chandelier » qui est utilisé là dans le texte. « Chandelier », cela se dit en hébreu par un mot bien connu : « ménorah ». Ce à quoi il est fait allusion, c’est au chandelier sacré du temple de Jérusalem. On lit dans l’Exode qu’il avait été fait commandement de fabriquer ce chandelier à sept branches pour le mettre devant l’Arche d’alliance afin qu’il l’éclaire. Ici le Christ fait un renversement essentiel : il dit bien qu’il faut allumer le chandelier, mais pas pour éclairer l’Arche ou Dieu, mais pour éclairer les hommes. La question n’est donc pas de savoir ce qu’il faut faire pour plaire à Dieu, mais de savoir ce que l’on peut faire pour éclairer les hommes. Or trop souvent dans les catéchismes chrétiens, on a pu dire aux enfants que s’ils faisaient des bêtises, il faisaient de la peine au bon Dieu, ou à Jésus. C’est une piste culpabilisatrice dangereuse, une bêtise n’est néfaste que par les conséquences qu’elle a. La morale même cesse d’être un impératif catégorique universel qui tomberait sur l’humanité pour s’imposer à elle, pour devenir une éthique de la responsabilité, une morale empirique qui cherche à faire le bien non par rapport à des principes éternels, mais par rapport à celui qui se trouve en face de soi. Autrement dit, le mal n’est mal que s’il fait du mal. Paul ira aussi dans ce sens quand on lui demande ce qu’il est autorisé ou interdit de faire pour des motifs religieux, il répond : « tout est permis mais tout n’est pas utile... tout est permis mais tout n’édifie pas » (1 Cor 10 :23). Autrement dit, il n’y a rien d’interdit en soi, la seule question est de savoir si ce que l’on fait est utile ou non, si ça construit ou détruit.
Cela dit, les juifs dans leur tradition en étaient arrivés à la même idée, il est dit dans le Talmud que le Temple était construit de telle sorte que les fenêtres n’étaient pas tant faites pour faire entrer la lumière dans le Temple comme pour une maison normale, mais pour que la lumière du chandelier sacré puisse être vue de tous afin de les éclairer.
Mais Jésus va plus loin encore puisque d’après Matthieu, il nous identifie nous-mêmes à la lampe, à ce chandelier tellement sacré qu’il était même interdit de le reproduire, et même d’en faire d’autres avec 7 branches. (C’est pourquoi d’ailleurs le chandelier de Hanouka a 9 branches et non pas 7). Nous sommes donc nous-mêmes ces porte-lumières de la présence divine, Nous sommes cet intermédiaire entre Dieu et les hommes, chargés d’être éclairés par Dieu pour éclairer les hommes. Cela c’est ce que nous appelons le « sacerdoce universel », chacun est prêtre, c’est-à-dire son propre intermédiaire entre Dieu et lui, et c’est aussi ce que dit Paul quand il affirme que nous sommes le temple du saint Esprit. Chacun de nous est appelé à être la ménorah sacrée de Dieu, et à être un photophore divin.
Mais donc il faut veiller à ce que cette lumière comme celle dans le temple, et comme celles de Hanoukah ne s’éteigne pas, qu’elle reste constamment allumée, et l’Evangile nous dit les deux principales menaces de cette lumière : le boisseau, ou comme le dit Luc, le vase ou le lit.
Qu’un récipient puisse éteindre la lumière, on le comprend, si on le pose dessus, la flamme sera invisible et sera ensuite étouffée. Mais mettre une flamme sous un lit, ne l’éteindra pas, cela risque surtout de mettre le feu à la paillasse ! Si on en reste à cette remarque un peu triviale, on peut dire que cela dénoncerait les deux dangers principaux qui nous guettent en rapport avec cette Parole de feu qui nous est donnée : l’une c’est de l’étouffer, de l’oublier et qu’elle s’éteigne, et l’autre c’est qu’elle mette le feu à toute la maison. La foi est une puissance très grande, certes il serait dommage de la mettre de côté, mais il ne faut pas non plus qu’elle détruise tout. La foi doit être à sa juste place dans notre vie, et Dieu doit y être présent, mais sans envahir tout l’espace au risque de ne plus vivre, ni même d’être en mesure d’éclairer qui que ce soit. Ce sont les deux risques extrêmes de l’indifférence et de l’intégrisme, tous deux ravageurs. Il nous faut nous tenir entre les deux, et mettre la lumière à sa juste place sur un chandelier pour que la flamme éclaire juste ce qu’il faut sans détruire la réalité qu’elle doit éclairer.
Mais on peut aller plus loin. En effet le texte de Matthieu dit bien qu’il s’agit de mettre éventuellement la lumière sous un boisseau. Certaines traductions replacent le mot par « seau », mais c’est bien « boisseau » qui est écrit. Or ce terme n’est certainement pas choisi par hasard, il a un sens. En effet, le boisseau n’est pas n’importe quel récipient, c’est une mesure de volume, servant à compter une quantité de grains, cette mesure correspond à un peu plus de 10 litres. Voilà le premier danger qui menace la lumière divine : l’excès de mesure, de règle, de contraintes, de jugements. Sans doute Jésus a-t-il là dans sa visée les pharisiens, extrémistes de la loi, des obligations, et trop de rigorisme, de normes et de critères de jugement stérilisent tout, cette pratique en vient même à tuer ce qu’il y a de vivant, d’éclairant dans la parole de Dieu et dans la pratique de la religion, la foi n’est plus une lumière, mais une obéissance aveugle à des règles et des exigences. Certainement y a-t-il là un danger, et ce ne sont pas seulement les pharisiens qui en étaient menacés, ce danger nous rattrape sans cesse lorsque nous voudrions que tout rentre dans des cases, des dogmes des règles morales. Or la foi c’est la vie, l’esprit s’oppose à la lettre, et la liberté des enfants de Dieu ne peut s’épanouir dans une obéissance aveugle.Luc ne met pas le mot « boisseau », mais à la place il met le mot « vase ». Mais le sens en est à peu près le même. En effet, dans la Bible, les vases renvoient aux vases sacrés qui servaient aux rites du temple. On les voit apparaître dans les Noces de Cana avec les vases servant à la purification des juifs. Ce qui est pointé du doigt là, c’est donc l’intégrisme aussi, mais sous sa forme ritualiste. Le rite, la soumission à des obligations religieuses risque aussi d’obscurcir la lumière de la parole vivante de Dieu. Le rite, la pratique religieuse n’est pas la lumière, et ne doit jamais se substituer à elle, elle est bonne si elle sert la lumière, mais si elle la recouvre alors elle l’étouffe.
Quant au lit, il doit s’agir de l’opposé : le lit, c’est le repos, le sommeil. Et c’est l’autre danger : le laisser-aller, l’indifférence et la passivité. C’est un danger grave également, il a été stigmatisé sous le nom de « paresse » dans les sept péchés capitaux, paresse qui n’a rien voir avec le fait d’aimer se reposer, mais qui est de faire de l’absence d’action un principe et un programme. On peut recevoir de la lumière, mais si on ne fait que la consommer, la prendre pour soi même sans à un moment donné vouloir se mettre debout pour aller transmettre cette lumière à d’autres, la lumière reçue, elle-même s’éteint.
La question n’est donc pas toujours seulement de savoir quelle source de lumière, de bonheur ou de vie on a, mais ce que l’on en fait, Dieu donne sa lumière à tous, mais il nous appartient de veiller à ne pas l’étouffer par l’un ou l’autre des excès que nous avons montré, et, au contraire à faire vivre cette lumière en la transmettant.
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Matthieu 5:14-16
C’est vous qui êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. 15On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos œuvres bonnes, et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Luc 8:16-18
16Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase, ou ne la met sous un lit ; mais il la met sur un chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière. 17Car il n’est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive venir au grand jour. 18Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez.
Esaïe 58:6-14
6Voici le jeûne que je préconise : Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens du joug,
Renvoie libres ceux qu’on écrase, Et que l’on rompe toute espèce de joug ;
7Partage ton pain avec celui qui a faim Et ramène à la maison les pauvres sans abri ; Si tu vois un homme nu, couvre-le,
Et ne te détourne pas de celui qui est ta (propre) chair. 8Alors ta lumière poindra comme l’aurore, Et ta guérison germera promptement ;
Ta justice marchera devant toi, Et la gloire de l’Éternel sera ton arrière-garde.
9Alors tu appelleras, Et l’Éternel répondra ;
Tu crieras, Et il dira : Me voici !
Si tu éloignes du milieu de toi le joug, Les gestes menaçants
Et les discours de rien du tout,
10Si tu offres à l’affamé Ce que tu désires toi-même, Si tu rassasies l’appétit de l’indigent,
Ta lumière se lèvera sur les ténèbres, Et ton obscurité sera comme le midi.
11L’Éternel te guidera constamment, Il te rassasiera dans les lieux arides Et redonnera de la vigueur à tes membres.
Tu seras comme un jardin arrosé, Comme un point d’eau dont les eaux ne déçoivent pas.
12Grâce à toi, l’on rebâtira sur d’anciennes ruines, Tu relèveras les fondations des générations passées ;
On t’appellera réparateur des brèches, Celui qui restaure les sentiers, Qui rend (le pays) habitable.
13Si tu retiens ton pied pendant le sabbat, Pour ne pas faire ce qui te plaît en mon saint jour, Si tu qualifies le sabbat de délicieux,
De (jour) saint de l’Éternel, de glorieux, Et si tu le glorifies En ne suivant pas tes voies, En ne te livrant pas à ce qui te plaît, Ni à de (vains) discours,
14Alors tu feras de l’Éternel tes délices, Et je te transporterai sur les hauteurs du pays,
Je te nourrirai de l’héritage de Jacob, ton père ;