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Vin nouveau ou vieux vin pour Jésus ?

Prédication prononcée le 6 décembre  2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot

 

« Il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves, parce que si on le met dans de vieilles outres, les outres craquent, le vin est perdu, et les outres aussi » nous dit Jésus... L’interprétation habituelle de cette petite parabole est de la comprendre comme une critique de l’ancienne religion des pharisiens qui serait les vieilles outres par rapport au vin nouveau qui serait le message du Christ, cet évangile, radicalement neuf, comme un vin pétillant. Ce vin on le trouve souvent évoqué dans l’Evangile, depuis celui qui est servi en dernier lors des noces de Cana jusqu’au vin de la Cène et celui promis par Jésus quand il dit qu’il le boira « nouveau » avec nous dans le Royaume. Dans la tradition juive, on parle du « vin de la Torah », là, Jésus nous donne une nouvelle révélation, un vin nouveau, une nouvelle manière de vivre sa religion et sa relation à Dieu. Le message de Jésus dans notre parabole serait donc qu’on ne peut pas accueillir la nouveauté radicale de son Evangile dans des vieux rites et des vieilles religions. Il faut faire « toute chose nouvelle » ainsi que le dit l’Apocalypse (Apoc 21:5) et renouveler aussi radicalement la religion en abandonnant le cadre du judaïsme.

Cela va avec le contexte : on voit juste avant notre parabole les critiques faites aux disciples de Jésus qui ne respectent pas les prescriptions juives de l’Ancien Testament, comme le jeûne ou les ablutions des mains. Les pharisiens voudraient donc imposer leur vieille religion même à ceux qui découvrent le Christ, mais Jésus s’y oppose. Il dit : « quand l’époux est là, ils ne peuvent pas jeûner ». L’essentiel pour lui est la présence de l’époux (qui est le Christ), et donc pour l’instant, on ne doit pas imposer de vieilles règles parce que ça tuerait la joie de la découverte du Christ. Dans ce cas, les vieilles règles seraient les vieilles outres (les vieilles pratiques), et il n’y aurait pas à imposer des rites anciens à ceux qui découvrent la joie de la présence du Christ. Ce serait ainsi une manière de dire qu’il faut abandonner le ritualisme de l’Ancien Testament, ainsi que les lois juives pour accueillir la merveille bouillonnante de l’Evangile. Le ritualisme risquant de tuer le ferment de vie qui se trouve dans la prédication du Christ.

On peut sortir de cette lecture étroite en disant qu’il ne s’agit pas là d’une simple opposition entre l’Ancien et le Nouveau Testament, l’Évangile n’est pas là pour donner des leçons aux juifs ou les traiter de vieilles outres rassies. Ce vin nouveau peut faire référence à la foi nouvelle des nouveaux convertis. Quand on est dans la découverte de la nouveauté de la foi, il ne faut pas tuer cette spontanéité joyeuse par des rites ennuyeux, il faut faire preuve d’un peu de souplesse.

Parce qu’en effet les outres neuves ont la particularité d’être souples, contrairement aux vieilles qui se durcissent. C’est pourquoi le vin nouveau, qui continue à fermenter, risque de gonfler et de faire craquer les vieilles outres qui auraient perdu leur élasticité. Il y aurait donc dans notre texte non pas tellement une opposition du Nouveau Testament par rapport à l’Ancien, mais une invitation à la souplesse : ne pas tomber dans un rigorisme religieux, un intégrisme de pratique qui imposerait des règles, des rites, des croyances ou des dogmes immuables qui pourraient tuer l’esprit. « N’éteignez pas l’esprit » (1 Thess. 5 :19) dit régulièrement l’Écriture, ce feu de l’esprit qui est essentiel.

Mais Jésus donc serait-il contre toute règle, rite ou pratique ? Non, il ne dit pas qu’il ne faille jamais jeûner. Mais que les disciples jeûneront « quand l’époux leur sera enlevé ». Il n’est donc pas question d’abandonner toute pratique, mais de les garder pour les temps opportuns. Or l’époux, évidemment, c’est le Christ, ce qui signifie que tant qu’on est dans la présence de Dieu, dans la foi, la pratique ne sert à rien, il suffit juste de vivre pleinement cette présence, et cela même dans sa vie quotidienne en ne se privant pas de manger avec les autres. Par contre, quand l’époux est enlevé, c’est-à-dire dans les moments où le croyant se sent loin de Dieu ou du Christ, quand la foi faiblit, alors il est essentiel de retrouver des rites, parce que le rite permet de structurer une foi qui s’étiole et de lui donner une consistance. On trouve ça aussi dans les grandes paraboles où le maître s’en va, toutes ces paraboles de l’absence de Dieu qui montrent que les rites et la pratique, les dogmes, la discipline spirituelle sont utiles dans les moments d’absence de Dieu, et peuvent permettre de maintenir une foi chancelante.

Mais en fait est-il possible que le Christ soit vraiment enlevé ? La réponse à mon avis, c’est non. Jésus a dit lui-même : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matt. 28:20). Il n’y a donc pas un moment où l’époux sera enlevé. La réponse de Jésus peut ainsi être vue comme d’une force extrême : quand sera-t-il le temps d’être dans une religion de rites et de pratiques ? Réponse : jamais. C’est une critique très forte de la religion d’observance : les rites sont faits pour ceux qui n’ont pas la foi ! Ce que disent d’ailleurs certains juifs en affirmant qu’il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour être juif, mais qu’il suffit d’appliquer la Loi. Mais pour Jésus précisément, la religion n’est pas une pratique, c’est vivre dans la présence de Dieu, c’est la foi. La religion, c’est comme le vin nouveau que l’on partage : joie d’un dynamisme pétillant et non pas appliquer des rites étroits, mais se réjouir avec d’autres d’une belle et grande nouvelle.

Il ne sera donc jamais temps de jeûner. Il ne sera jamais opportun de revenir dans les vieilles pratiques rituelles ou de valoriser les vieilles outres ou les vêtements pourris.

Certes, nous sommes là dans quelque chose de fondamental dans la prédication du Christ. Mais cette explication ne peut prétendre expliquer totalement notre texte. On y voit en effet que Jésus a une grande attention à l’égard des outres même anciennes. Quand il dit de ne pas verser le vin nouveau dans les vieilles outres, ce n’est pas seulement pour dire que cela perdrait le vin nouveau, mais aussi parce qu’alors les vieilles outres seraient perdues. Et il semble le déplorer. Il ne dit pas : elles seront déchirées et ce sera très bien parce qu’on va garder le vin nouveau tout seul dans de nouvelles outres bien souples. Pourquoi donc se préoccupe-t-il des vieilles outres ?

Une idée peut-être qu’il était trop simple d’assimiler les vieilles outres aux vieux rites. Jésus certainement n’a pas grand souci de sauvegarder les vieux rites, mais il peut y avoir un passage de l’outre en tant que vieille religion à la personne elle-même. En fait les outres, ce sont nous ! Nous sommes les réceptacles de l’esprit de Dieu cet esprit bouillonnant demeure en nous. Et donc Jésus se préoccupe de nous et nous dit, qu’il faut que nous soyons en mesure d’accueillir cet esprit. Faites ainsi attention que si vous êtes comme une vieille outre sans souplesse, pétris de rigueurs et de principes, vous serez incapables d’accueillir la nouveauté du message du Christ et de l’Évangile. Cela vous fera craquer et vous perdrez tout.

Et donc si vraiment vous êtes des vieilles outres, il y a deux solutions : soit vous vous contentez de vin ancien, alors vous avez votre petite religion qui vous convient, et vous n’êtes pas obligés de chercher plus loin. Mais c’est peut-être dommage aussi, c’est se priver de ce vin nouveau absolument incroyable, de ce vin pétillant de ce vin de vie du Christ. Et puis une vieille outre, un vieux vêtement, cela n’a pas beaucoup d’avenir, ça peut craquer à tout moment. Et si ça vous convient à vous, vos enfants, eux, n’en feront rien. Après vous, vos vieux vêtements élimés, ils les mettront à la poubelle quand vous serez morts. La question est donc aussi celle de la transmission. Pour pouvoir transmettre quelque chose, il ne faut pas être trop rigide avec les autres, il faut apprendre à s’adapter, à écouter, il faut de la souplesse, de la tolérance, c’est essentiel, si ce n’est pour soi, au moins pour les autres.

Il y a donc une seule chose à faire : devenez vous-mêmes des outres neuves. Ce n’est pas une question de religion, mais de façon d’être. Et il n’y a aucun déterminisme, comme dans la parabole du Semeur, il y a la bonne terre qui reçoit et multiplie les dons de Dieu, et la pierraille qui dessèche tout. Mais cela nous invite à choisir d’être bonne terre. De même nous pouvons choisir de travailler à ne pas rester de vieilles outres, et à être toujours des outres neuves. Travaillez votre souplesse d’esprit, votre capacité d’accueil, votre capacité à recevoir ce qui n’est pas de vous ou de vos habitudes. Laisser agir l’esprit en vous, soyez disponibles et frais à accueillir la vie, sinon vous êtes condamnés à craquer. Quand Jésus dit qu’il ne faut pas mettre le vin nouveau dans de vieilles outres, ce n’est pas pour que nous nous résignions à laisser perdre ce vin nouveau si nous sommes de vieilles outres. Le vin nouveau est le vin de la vie et donc soyez des nouvelles outres pour accueillir le Royaume de Dieu avec des yeux d’enfant... Pas avec les yeux de celui qui croit tout savoir et n’avoir plus rien à découvrir.


Mais cela ne rend encore pas totalement compte du texte. Les vieilles outres et le vieux vin sont, là encore, déconsidérés. Or il semble que Jésus soit soucieux non seulement des vieilles outres, mais aussi du vieux vin. Ainsi y a-t-il dans la version de Luc, ce verset qui conclut la parabole : « personne, après avoir goûté du vin vieux n’en veut du nouveau parce qu’il dit : c’est le vieux qui est bon ». Ce verset semble dire le contraire de tout ce qui précède. Après avoir valorisé le vin nouveau, voilà que tout à coup Jésus affirme que le bon vin, c’est le vieux et non le nouveau. Certains commentateurs disent que c’est ironique : les traditionnalistes sont persuadés qu’il n’y a rien de bon dans la nouveauté. D’autres disent que ce verset aurait été mis là par erreur, Jésus aurait dit cela dans un autre contexte, et l’éditeur de Luc aurait juste mis bout à bout des versets parlant de vin, mais disant des choses sans rapport. Mais ce serait sous-estimer la valeur de l’évangile de Luc. Et vraiment non, le vin vieux est tout à fait valorisé dans la Bible, comme en Esaïe 25:6 : « L’Éternel des armées prépare à tous les peuples, sur cette montagne, Un festin de mets succulents, Un festin de vins vieux, De mets succulents, pleins de moelle, De vins vieux, clarifiés ». Et l’évangile de Thomas, qui utilise des sources évangéliques souvent plus anciennes encore que celles de nos évangiles canoniques, va dans ce sens en complétant le passage par une attention toute particulière non seulement aux vieilles outres, mais aussi au vin vieux : « on ne met pas du vin vieux dans une outre neuve, de peur qu’elle ne le gâte » (Log. 47). Ainsi Jésus ne dit pas de mal du vieux vin, bien au contraire, et il ne parle pas en mal d’un vieux vin qui serait celui d’un judaïsme obsolète, ou de la Loi juive et des vieux rites, mais il loue le vieux vin plein de qualité.

Il faut donc comprendre qu’il y a un « en même temps ». Certes le vin nouveau est extraordinaire, mais en même temps, le vin vieux a une grande qualité : le vin, comme la foi, en prenant de l’âge, gagne une douceur une rondeur, une pureté absolument extraordinaires. Et il faut bien dire aussi qu’il y a des imperfections dans le vin nouveau, il peut être brutal, incontrôlé, on ne sait pas où il va, il peut bien ou mal tourner. Le vieux vin, il est stabilisé, purifié, clarifié. Par ailleurs, le vin nouveau est appelé à vieillir, et il est possible qu’il puisse bien vieillir, c’est même un gage de sa qualité. Le vin nouveau qui ne sait pas vieillir n’est que de la piquette sans intérêt, comme ceux qui découvrent la foi avec enthousiasme et qui s’en lassent aussi vite. La vraie merveille, c’est le vin plein de vie qui a trouvé son équilibre. Et donc si vous avez goûté ce qu’est ce vin nouveau devenu vieux, vous pouvez dire qu’il n’y a rien de plus merveilleux qu’une foi qui s’est intégrée et qui ne fait plus qu’un avec l’existence. On peut lire là une invitation à laisser vieillir son vin nouveau pour qu’il acquiert cette tendresse et cette douceur, comme une foi pleine de force et en même temps de rondeur, une foi durable, stable et sûre. Quelle merveille !

Mais attention, ce vin vieux il ne faut pas le mettre non plus dans des nouvelles outres. La nouvelle outre, nous l’avons dit, c’est la souplesse, l’arrangement, l’absence de règle. Cela peut convenir à l’enthousiasme de la foi neuve, mais méfiez-vous quand votre foi commence à être une habitude, ne comptez pas trop sur elle seule, il faut se donner des moyens pour la conserver et la structurer sans qu’elle se gâte. La souplesse et la liberté sont bonnes lorsque la foi est bouillonnante. Mais si la foi stabilisée ou ancienne est bonne, douce et agréable, il faut prendre garde de la conserver comme il faut. Et pour cela il faut de la rigueur, des règles pour la structurer, sinon, elle risque de perdre toute substance. Il est bon alors d’avoir une discipline de prière, de structurer sa vie spirituelle : je vais au culte, je prie, je lie la Bible, et pas seulement quand j’en ai envie ou quand ça me passe par la tête. Alors même la tradition devient une aide. Nous devons avoir suffisamment de vieille pratique huguenote ou de tradition pour ne pas laisser perdre ce vieux vin qui est en nous qui est si doux et merveilleux. Mais en même temps il faut conserver suffisamment de souplesse pour savoir accueillir sans cesse en nous ce qu’il y a de nouveau voire de dérangeant, de pétillant dans l’Evangile.

[En fait, cela est comme dans l’éducation, il faut avoir suffisamment de rigueur pour éduquer mes enfants afin qu’ils ne partent pas dans n’importe quel sens, et en même temps suffisamment de souplesse pour ne pas les perdre, ne pas rompre le lien. La foi pour être transmissible doit être à la fois forte et souple. Si elle est pour moi, vieille outre, une rigueur et un cadre solide, il est essentiel que je ne cherche pas à imposer cela à mes enfants qui sont pleins de vin nouveau. Je dois admettre que la foi de mes enfants ne sera pas ma foi et aujourd’hui, comme moi je ne prêche pas comme prêchait le pasteur Bersier il y a 100 ans à l’Etoile quand bien même il y a une continuité.]

Et c’est dans ce « en même temps » que cette parabole comme beaucoup d’autres peut et doit être comprise : il n’y a pas d’un côté les vieilles outres, et de l’autre les nouvelles, d’un côté, les juifs et de l’autre les chrétiens, ou d’un côté les vieux chrétiens et de l’autre les nouveaux convertis. Mais il y a en nous des moments où la foi est vive, bouillonnante, intrigante, dynamique... il faut la laisser s’exprimer, et d’autres moments où notre foi est plus sage... il faut la structurer. Mais moi qui aime les grands vins, je vous le dis, un très grand vin primeur vieillit bien ! Et un grand vin, même vieux, reste plein de verdeur, c’est l’idéal que nous devons avoir. Mais celui-ci doit être conservé avec le plus grand soin. Prenez soin de votre foi, de votre relation à Dieu, pour qu’elle ne se perde pas, et qu’elle soit aussi toujours neuve tout en étant merveilleusement stabilisée, tranquillisée, pour donner à la fois plein de vie, de nouveauté, et de paix et de confiance.

Louis Pernot

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Luc 5:33-39

33Ils lui dirent : Les disciples de Jean, comme ceux des Pharisiens, jeûnent fréquemment et font des prières, tandis que les tiens mangent et boivent. 34Jésus leur dit : Pouvez-vous faire jeûner les amis de l’époux pendant que l’époux est avec eux ? 35Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront en ces jours-là. 36Il leur dit aussi une parabole : Personne ne déchire d’un habit neuf un morceau pour le mettre à un vieil habit ; autrement, il déchire l’habit neuf et le morceau qu’il en a pris n’est pas assorti au vieux. 37Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement le vin nouveau fait rompre les outres, il se répand, et les outres sont perdues ; 38mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves. 39Et personne, après avoir bu du vin vieux, n’en veut du nouveau, car il dit : Le vieux est bon.

Evangile de Thomas Log. 47

Jésus a dit:
il n’est pas possible qu’un homme monte deux chevaux ou qu’il bande deux arcs
et il n’est pas possible qu’un serviteur serve deux maîtres car il honorera l’un et outragera l’autre
Un homme qui boit du vieux vin ne désire pas aussitôt boire le vin nouveau.
Et le vin nouveau n’est pas mis dans de vieilles outres de peur qu’elles ne se fendent
et le vieux vin n’est pas mis dans une outre neuve pour qu’il ne se gâte pas
et un vieux tissu n’est pas cousu à un vêtement neuf car une déchirure se produirait.

Quel pain quotidien pouvons nous attendre de Dieu?

Luc 5:33-39