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"Suis-moi et tu seras pêcheur d'hommes"

Prédication prononcée le 6 juin 2021, au temple de l'Étoile à Paris,
par les pasteur Florence Blondon et Louis Pernot pour le jour des confirmations

 

FB
Jésus aime utiliser des images pour parler du croyant et du rôle qu’il peut avoir dans sa relation à Dieu et aux autres. Mais on peut ne pas aimer cette image du pêcheur quand il appelle les apôtres à sa suite et qu’il dit à Pierre : « suis-moi et je ferai de toi un pêcheur d’hommes ». Le pêcheur utilise un filet, or le filet est plutôt négatif dans toute la Bible, c’est signe d’emprisonnement. Les références sont innombrables, et dans près de 50 fois dans l’Ancien Testament, le filet, c’est toujours le piège, la mort. Et puis être pêcheur, et prendre les hommes dans des filets, est-ce vraiment le rôle que veut nous confier le Christ, individuellement, ou en Eglise. Avons nous envie dans notre relation à Dieu d’être pris dans un filet ? Et quant à nous, nous n’avons pas à enfermer les gens dans des filets, ni les prendre de force. Vraiment, à première vue, cette image est incompréhensible et ce passage bien peu inspirant, il ne donne pas envie d’en faire son programme.

LP
Certes, on a le droit de ne pas aimer un texte dans la Bible. Tout n’est pas forcément merveilleux, et évidemment qu’on peut laisser de côté certains passages de l’Ancien Testament, et même du Nouveau dont on peut penser que le message est négatif, ou à première vue contradictoire avec la Bonne Nouvelle qu’on trouve dans la prédication du Christ. Ce n’est pas trahir la Bible, mais plutôt chercher une cohérence générale, et par respect pour l’Écriture, un passage isolé qui semble dire le contraire de l’ensemble doit être, au moins provisoirement, mis de côté.

Après, il faut toujours chercher le positif. Un esprit chagrin peut toujours interpréter tel ou tel passage négativement. Et surtout quand il est question d’une comparaison, tout peut être pris bien ou mal, et puis il ne faut certainement pas pousser les paraboles au bout dans tous les domaines au risque de leur faire dire le contraire de ce qu’elles voulaient illustrer. L’allégorie est dangereuse bien sûr. Les Réformateurs s’en méfiaient en disant qu’elle était comme un « nez de cire » auquel on peut donner une forme ou une autre, et ils incitaient à n’y voir que des illustrations d’idées que l’on trouverait exprimées clairement ailleurs dans l’Evangile.

Ainsi quand Jésus se dit le bon berger, et qu’il nous compare à des brebis, l’image est belle, mais un esprit critique pourrait dire que les chrétiens ne sont pas des moutons. Ou quand Jésus surnomme Simon : « Pierre ». Est-ce positif ? Oui sans doute, mais un esprit négatif pourrait dire aussi que la pierre, c’est ce qui fait chuter, c’est la pierre de lapidation qu’on envoie sur quelqu’un pour le tuer... ou qu’une pierre, ce n’est quand même ni très intelligent, ni très autonome !

Il faut donc ne pas s’arrêter au négatif et chercher le positif que Jésus a voulu nous transmettre par cette image. Et c’est possible. L’image du berger représentant Dieu est magnifique, la brebis perdue est bouleversante, et le rocher de la confession de foi de Pierre est le socle le plus solide et essentiel qui soit pour l’Eglise.

Pour trouver le sens d’une comparaison, la méthode est d’abord de chercher ce que tout cela pouvait signifier dans la symbolique biblique habituelle. Or ici la réponse est assez simple : pour la Bible, la mer, c’est la mort, l’épreuve, l’obscurité, c’est le lieu où l’on ne peut pas respirer, il n’y pas de « souffle » pas d’esprit, la vie y est impossible. Or il y a des hommes qui sont ainsi dans le noir, dans l’épreuve et la difficulté, et en tant que disciples du Christ, nous avons la mission d’aller les chercher, de les ramener à la lumière, à la surface pour les aider et les sauver.

FB
Mais néanmoins, dira-t-on, quand on amène un poisson à la surface, il meurt, on ne peut pas dire que ça le sauve !

LP
Certes. Peut-être ne faut-il, là encore, ne pas pousser la parabole au bout de ses détails, et se contenter de la bonne nouvelle que nous avons trouvée.

Mais peut-être est-il possible de penser qu’il ne s’agit pas là d’un aspect collatéral de la parabole, mais que cela fait partie du message. En effet, les poissons qui sont péchés, certes vont mourir, mais pas pour rien, pour servir de nourriture aux autres. Et cela n’est pas du tout étranger au message de Jésus, lui qui est mort pour nous et qui s’est donné en nourriture pour nous. Il a dit de lui-même dans le discours sur la pain de vie dans l’évangile de Jean : « je suis le pain vivant descendu du ciel... mon corps est vraiment une nourriture, et celui qui me mange vivra éternellement » (Jean 6:51). Dans le même sens, il dira lors de son dernier repas : « Prenez et mangez, ceci est mon corps » (Matt. 26:26) en tendant le pain. Il dira alors « faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22:19). Nous sommes donc invités nous aussi à donner notre vie à manger pour les autres.

Sans doute y a-t-il là un des enseignements les plus fondamentaux de l’Evangile, le secret de la vie consacrée : sortir du fond de nous-mêmes pour aller nous donner aux autres. Et quand on est dans l’épreuve, dans le noir, il ne sert à rien de rester dans le marasme, mais nous avons un appel à remonter à la surface pour aller vers les autres. Rester dans le fond de la mer ne sert à personne, ni à nous, ni aux autres. Et ce n’est même pas une action volontariste qui nous est demandée. Le poisson de remonte pas de lui-même, mais il doit juste se laisser prendre par Dieu qui le remonte à la surface.

Et c’est aussi ce que nous pouvons prêcher aux hommes... à tous ceux qui se trouvent dans la difficulté, l’épreuve, le découragement, l’absence d’espérance. Ceux qui vivent leur vie comme menacée par toute sorte de monstres des profondeurs, quoi que soit ce que nous pouvons mettre sous cette image. En tant qu’envoyés du Christ, nous n’avons pas à les rassurer en leur disant de rester patiemment dans leur situation insupportable, mais d’accepter de se laisser prendre par Dieu pour aller se donner soi-même aux autres. La solution de la vie, c’est de quitter son égoïsme, de ne plus chercher son propre intérêt, mais de s’oublier soi-même pour se donner aux autres. Ainsi que l’a dit Jésus : « Quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera.» (Marc 8:35).

Cet aspect paradoxal de la parabole n’est donc peut-être pas si collatéral qu’il pourrait y paraître. Nous sommes juste appelés à suivre le Christ, à porter notre croix comme il a porté la sienne, lui qui est l’image même du poisson ainsi que tous les premiers chrétiens l’ont représenté.

FB
Jésus a en effet été vu dans les premiers temps du Christianisme comme le poisson par excellence. On sait qu’il y a là un acrostiche : IChThUS en grec forme les premières lettres de la phrase : « Iesus Christus, Theou Uios, Sotèr », soit : « Jésus Christ, fils de Dieu, sauveur ». Cette représentation de Jésus en poisson est même antérieure à celle de la croix qui n’apparaît que quelques siècles plus tard.

Le poisson a une bonne image dans le judaïsme, en effet, il est l’animal qui parvient à vivre dans un milieu de mort où normalement la vie est impossible. Comme le Christ ressuscitant des morts. Ensuite, il paraît qu'il n'a pas de paupière, l'œil toujours ouvert, il est totalement tourné vers la lumière. Et enfin, le poisson en hébreu se dit DaG, un des rare mots de deux lettres en hébreu qui est l’anagramme de GaD, la coriandre évoquée en Exode 16:31 pour parler du goût de la manne. Ce pain du ciel donné par Dieu pour qu’on le mange afin de vivre. Et GaD encore, signifie le bonheur. (C’est d’ailleurs devenu un prénom). Voilà ce que Dieu peut faire revenir à la surface : le bonheur, la joie dont nous avons besoin.

Cette image du croyant comme pêcheur est donc tout à fait originale, et même neuve. On parle souvent du berger dans la Bible, du croyant comme brebis, mais rarement du pêcheur. Mais voilà, même s’il ne s’agit pas de vraiment prendre des personnes au piège de son filet, l’apôtre est appelé, en bon pédagogue, à chercher en tout homme la meilleure part, ce qui est vivant en lui, ce qui est tourné vers la lumière, et à le ramener à la surface, afin de donner de la vie au monde. C’est une double vocation, comme par rebond, une vocation à la vocation que le Christ nous propose là. Et pas seulement à Pierre, à chacun qui voudrait être son disciple.

LP
Mais on pourrait aussi s’intéresser au contexte de l’appel du Christ à Pierre, il n’appelle en effet pas n’importe qui à être « pêcheur d’homme », mais Pierre, et précisément, nous dit le texte, parce qu’il était pêcheur de poissons à la base. Jésus ne demande donc peut-être pas à tout le monde d’être « pêcheur d’homme », mais de transposer son métier au service de Dieu et des hommes, de partir de ce que l’on sait faire au quotidien pour le faire autrement, et d’une manière spirituelle.

Cela peut s’entendre de deux manières différentes.

Soit on peut le voir comme une image : ce que l’on sait faire au quotidien, on peut le prendre comme la parabole de ce que nous devons faire spirituellement. Ainsi au banquier, on pourrait dire : « tu travailles pour des richesses matérielles, accumule plutôt des richesses spirituelles : cherche « les trésors du Ciel où les voleurs ne percent ni ne dérobent » (Matt. 6:20). Si tu veux être riche, sois le pour Dieu en amour et miséricorde plutôt qu’en billets de banque ». A l’élève qui étudie, on pourrait dire : « tu apprends beaucoup de choses, et c’est bien, mais apprends donc l’amour de Dieu, le pardon et le service plutôt que les tables de multiplications et tu seras le plus savant de la terre ». Et à celui qui passe des concours : « tu veux être le meilleur ? Alors tâche d’être le premier en générosité et en bonté plutôt qu’en mathématiques », que tu puisses dire : je cours vers le but pour obtenir le prix de la vocation céleste de Dieu en Christ-Jésus ». (Phil. 3:14)

Cela est bien. Pourtant, on voit dans l’Evangile que Pierre ne cessera pas d’être pêcheur de poissons pour autant. Il continue d’avoir des barques, et jusqu’à la résurrection, il part pêcher de vrais poissons, même que Jésus va l’y aider par la pêche miraculeuse (Jean 21). Il ne s’agit donc pas d’abandonner son activité matérielle pour la remplacer par une autre, spirituelle, mais de garder son métier et de le faire autrement. On peut, en effet, être pêcheur de poissons, mais de ne pas faire cette activité un but en soi, mais de la faire pour le service des hommes et de Dieu.

Ainsi au maçon, on pourrait dire : « tu construis des maisons, mais que ce que tu fais ne soit pas seulement des tas de pierres, mais que cette maison soit au service de celui qui va l’habiter ». De même que l’architecte ne cherche pas à faire dans son travail une œuvre spectaculaire, quelque chose pour le valoriser ou au service de sa propre gloire, même pas quelque chose de « joli », mais que la priorité soit pour ceux qui habiteront cette construction. Au médecin, on dira de ne pas soigner les gens comme n’étant que des corps que l’on pourrait mettre en ordre comme un mécanicien réparerait une voiture, mais d’avoir une vraie attention à la personne qui habite ce corps, parce que « la vie est plus que le corps » (Matt. 6:25). On pourrait multiplier les exemples, et dans chaque cas et pour chacun, inciter à chercher comment, ce que vous faites, que ce soit un métier, ou une simple activité, puisse être fait dans l’attention aux autres afin de leur apporter quelque chose. C’est une invitation à ne pas rester dans l’activisme pur, mais à prendre toute activité comme lieu possible de la mise en pratique du commandement ultime d’amour du prochain d’attention, de service et de don. Celui qui fait ainsi son métier continuera à le faire, mais cette différence de visée changera tout dans sa manière de faire.

Cette petite leçon, le pasteur peut se l’appliquer à lui-même. Il y a aussi pour la personne d’Eglise le danger, la tentation de devenir serviteur de l’Eglise plus que des hommes et des femmes qu’il va rencontrer. Le pasteur, évidement, administre des sacrements, fait des rites, préside des mariages, des baptêmes, il enseigne des doctrines. Mais le Christ lui dit : « suis-moi, tu seras pasteur pour les hommes et les femmes qui seront là ». L’important, ce ne sont pas les rites en soi, pas le rigorisme de la pratique, ni même de la juste doctrine. L ’important, ce n’est pas de servir l’Eglise, mais d’être le berger de ceux qui sont là, des hommes et des femmes qui ont besoin d’écoute, d’accueil, d’une parole de réconfort, de grâce, de paix et de vie. Là est l’essentiel. Et cela ne concerne pas que les pasteurs, mais toute l’Eglise. Que notre Eglise soit accueillante, ouverte, qu’elle accompagne, écoute, console et puisse dire tout l’amour de Dieu. Peu importe même la discipline de l’Eglise, la rigueur des dogmes ou que notre pratique soit comme ceci ou comme cela. L’Eglise est là pour accueillir.

C’est pour cela que nous, dans notre paroisse, nous accueillons très largement et facilement celui qui vient, que ce soit pour un baptême, un mariage, ou un service funèbre. Chacun est bienvenu comme il est et accueilli. C’est pour cela aussi que nous ne mettons pas trop de pression sur les jeunes qui veulent confirmer l’alliance de leur baptême parmi nous. Pas besoin d’avoir une foi parfaite, ou de tout savoir, il n’y a pas d’examen permettant de valider ce qui devrait être un minimum de foi ou d’engagement. La porte de l’Eglise est ouverte à tous ceux qui veulent bien considérer qu’elle est ouverte pour eux. Pour reprendre l’image du filet du pêcheur, le filet ne fait pas le tri entre les gros poissons et les petits, même pas entre les bons et les mauvais. Tous sont au bénéfice de cette main tendue par Dieu qui nous prend comme nous sommes pour nous faire monter vers le haut, vers la lumière et vers la vie.

Florence Blondon et Louis Pernot

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Marc 1:14-20

14Après que Jean eut été livré, Jésus alla dans la Galilée ; il prêchait la bonne nouvelle de Dieu 15et disait : Le temps est accompli et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle.
16En passant le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, frère de Simon, qui jetaient leurs filets dans la mer ; en effet ils étaient pêcheurs. 17Jésus leur dit : Suivez-moi et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. 18Aussitôt ils laissèrent leurs filets et le suivirent. 19En allant un peu plus loin, il vit Jacques, (fils) de Zébédée, et Jean, son frère, qui étaient aussi dans une barque et réparaient les filets. 20Aussitôt, il les appela ; ils laissèrent leur père Zébédée dans la barque avec ceux qui étaient employés, et ils le suivirent.

Quel pain quotidien pouvons nous attendre de Dieu?

Marc 1:14-20