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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Tu es Petrus: la primauté de Pierre

Prédication prononcée le 17 mars 2013, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ». Ce verset a été utilisé, surtout au moment de la Réforme pour justifier la primauté de Pierre, et celle du Pape dans l’Eglise. C’est ce verset qui est inscrit en lettres d’or dans la coupole de la basilique St Pierre à Rome. Il est vrai que le verset est explicite, mais les protestants ont toujours su trouver des solutions pour y échapper.

La première, sans doute la plus malhonnête, est de remettre en cause l’authenticité du propos. Il est vrai qu’il y a de très nombreuses variantes dans le texte original à cet endroit, que seul Matthieu rapporte ces paroles qui, si elles avaient été importantes n’auraient pas été oubliées dans les autres évangiles. Cela fait dire à certains exégètes que ce n’est qu’un ajout tardif, sans doute pour justifier a posteriori quelque chose de déjà discutable qui était la prétention de l’évêque de Rome à tout diriger. Mais au risque d’être naïf, on peut croire que le texte a sa cohérence ainsi comme nous allons le voir, et que ces propos sont certainement authentiques.

Ensuite, les protestants ont dit, que même si cette primauté pouvait concerner Pierre, rien ne dit qu’elle ait pu être transmissible. Ce qui est remis en cause, ce n’est donc pas la primauté de Pierre, mais celle de la succession apostolique. Certes Jésus dit à Pierre : « tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le ciel », ce qui peut faire penser à une sorte d’infaillibilité, mais il serait faut de l’interpréter ainsi, d’autant que Jésus dira peu après (en Matt. 18:18) la même chose non plus pour Pierre seulement, mais pour tous les disciples.

Enfin, l’histoire elle-même dément l’idée qu’il y aurait là l’institution d’un rôle particulier donné à Pierre dans l’Eglise. Les Actes de Apôtres, nous montrent l’Eglise primitive et on voit que Pierre n’en est pas du tout le chef. Le chef de la première communauté chrétienne, c’est Jacques, le frère du Seigneur, c’est devant lui que Pierre doit rendre des comptes, c’est lui qui tranche, c’est lui qui décide. Pierre, certes est montré comme ayant du charisme, une fougue particulière, mais il n’a pas de statut privilégié dans l’Eglise primitive. Il faut donc penser que les premiers chrétiens en tout cas n’avaient pas compris ces propos du Seigneur comme une institution. Certainement, le sens est ailleurs et c’est ce qu’il faut chercher.

Sans doute que la clé de la question est que Jésus ne convoque pas Pierre pour l’établir devant tout le monde comme chef, mais il lui dit quelque chose dans un contexte particulier : quand il confesse sa foi. Jésus demande à ses disciples ce que l’on dit de lui, Pierre alors dit cette magnifique confession de foi : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant », et c’est alors que Jésus, en quelque sorte, lui dit : « tu as raison Pierre, voilà la pierre sur laquelle je bâtirai mon Eglise », c’est-à-dire que le fondement de toute l’Eglise, ce n’est pas une personne, mais quelqu’un qui confesse sa foi.

La preuve de cela se trouve quelques versets plus loin : Pierre ensuite, veut inciter Jésus à renoncer à sa mission en privilégiant son confort personnel, et Jésus lui dit le célèbre « vade retro Satanas » (v.23) : « arrière de moi Satan ». Pierre se trouve ainsi traité de «Satan ». Mais on ne peut penser que Jésus là établisse une identification personnelle entre Pierre et Satan. Pierre n’est pas Satan en soi pour toujours, ou alors il faudrait penser que l’Eglise qui se fonde sur lui serait une Eglise satanique ! Dans les deux cas, les propos de Jésus ne visent pas à faire une identification ontologique entre Pierre comme personne et le fondement de l’Eglise, pas plus qu’avec Satan lui-même, mais que ce que dit Jésus, il ne le dit que par rapport à une situation : Pierre est Satan quand il veut faire renoncer Jésus à sa mission, et il est pierre de fondation de l’Eglise quand il confesse sa foi.

Et nous-mêmes pouvons être aussi un peu les deux, comme Pierre nous sommes parfois quelqu’un qui confessons notre foi, alors nous sommes une pierre qui participe à la construction de l’Eglise, et inversement, nous-mêmes pouvons devenir des diables, des destructeurs lorsque nous privilégions notre convenance personnelle et notre confort par rapport à notre mission de servir et de donner notre vie pour les autres.

Ces deux aspects de Pierre ces deux facettes de l’humanité du disciple, toutes deux citées en latin : « Tu es Petrus » et « Vade retro Satanas » sont mises juste l’une contre l’autre dans le texte et s’opposent fondamentalement comme le recto et le verso d’une même personnalité, comme les deux tendances de tout être humain.

Le diable, c’est celui qui, étymologiquement, éparpille, disperse, ce qui s’oppose à celui qui construit, et les propos même de Jésus s’opposent : quand Pierre confesse sa foi, il lui dit « Tu es heureux... car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont appris cela, mais mon père qui es dans les Cieux », et quand Pierre dit une bêtise, il dit absolument le contraire : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».

Les deux sont donc les semblables opposés, et comme Pierre, nous sommes la pierre qui construit l’Eglise quand nous confessions notre foi, et devenons des diables quand voulons privilégier nos propres confort et convenance personnelles avant notre mission de servir et de donner notre vie. Le « tu es Petrus » et le « vade retro satanas » se modèrent l’un l’autre, aucun homme (à part le Christ) n’est totalement mauvais ni totalement bon, et chaque homme d’Eglise en particulier, fut-il pape doit se rappeler ça avec humilité, aucun n’est infaillible, ni ne peut prétendre être investit d’une sorte d’autorité absolue sur les siens, mais chacun doit se remettre en cause humblement comme pouvant toujours devenir un Satan à un moment ou à un autre.

Quand à l’Eglise, elle est construite, donc, sur une confession de foi, et elle est menacée d’éclatement dès que quelqu’un veut privilégier son petit confort et sa convenance personnelle, ça c’est vrai. Et plus particulièrement doit-elle être construite sur cette belle confession de foi de Pierre : « Tu es le Christ, le fils du dieu vivant ». Cette confession de foi, on la retrouve dans d’autres passages de l’Evangile, et c’est là dessus que l’Eglise doit être édifiée. L’Eglise ne doit donc pas être construite sur le Symbole des Apôtres, ou sur la confession de foi de tel ou tel concile, pas plus que sur une notion de Trinité qui n’apparaît qu’au 3e ou 4e siècle, la pierre de fondation de l’Eglise, c’est : « Jésus est le Christ, le fils du Dieu vivant ».

Dire que Jésus est le Christ, c’est dire qu’il est le Messie, donc à la fois pour nous Roi, prêtre et prophète. Il est notre foi parce qu’il est celui que nous voulons servir, il est prêtre parce que lui seul est celui qui nous met en présence de Dieu, et prophète parce qu’il est celui qui nous donne la parole de Dieu qu’il incarne.

Dire qu’il est fils de Dieu, c’est dire qu’il n’est pas Dieu, mais qu’il vient en son nom, qu’il est son serviteur, son représentant, celui qui incarne la réalité abstraite de Dieu.

Et affirmer que Dieu est vivant, c’est dire qu’il n’est pas une réalité morte, un idéal intellectuel, mais une réalité dynamique, une source de créativité nouvelle et de vie dans le monde.

Et pour celui qui confesse ainsi sa foi, tout change, son existence bascule dans une autre dimension, c’est ce qu’indique le Christ dans ce qu’il dit à Pierre.

La première chose est une promesse personnelle : « Tu es heureux ». Confesser une foi juste est une source de bonheur, et ce bonheur est celui des Béatitudes, un bonheur dynamique, la foi c’est un idéal qui met en marche, une façon de se tourner vers autre chose que soi même pour se laisser attirer par ce but qui n’est pas soi-même. Cette démarche offre une décharge extraordinaire puisque je n’ai plus besoin moi de tout réussir pour avoir le bonheur, mais je peux sortir de ma prétention égocentrique pour m’en remettre à quelque chose de plus grand que moi et en qui je met ma confiance. L’explication du processus, elle est donnée par le Christ lui-même, « car » dit-il, « ca n’est pas la chair et le sang... ». Le bonheur promis il se trouve en allant au delà du matériel, en se considérant autrement que seulement dans sa dimension de chair et de sang, mais dans celle du spirituel. C’est aller au delà du visible, trouver dans sa vie une dimension autre qu’animale, biologique et mortelle pour se tourner vers la transcendance, comprendre que notre mission se trouve ailleurs qu’en nous-mêmes.

La deuxième promesse est que confesser ainsi sa foi permet de construire une Eglise, c’est-à-dire une communauté. Il n’est, en effet, pas question là d’institution, avec ses pasteurs, ses synodes, ses prêtres, ses évêques ou ses papes, mais d’une communauté quelle que soit son organisation. La dimension communautaire du christianisme est essentielle, il s’agit de sortir de son égoïsme pour trouver un lien avec les autres. La communauté est déjà une richesse, en tant qu’elle est une aide, un support, un soutien, une façon de vivre avec les autres et un lieu privilégié de l’exercice de l’amour fraternel et de la solidarité, mais plus que cela, savoir se penser en communauté, c’est sortir de son égocentrisme pour se centrer sur un autre que soi qui est Dieu, et aller vers les autres. C’est se comprendre non pas comme une entité isolée et indépendante, mais comme un être de relation, et en relation avec d’autres se donner un but, un objectif qui nous dépasse, une raison d’être transcendante et absolue qui est l’essentiel et que l’on appelle Dieu.

La confession de foi permet de sortir de son égocentrisme. Le centre de ma propre vie, ce n’est donc pas moi, mon plaisir, ma tranquillité, mais le Christ, Dieu, la transcendance, l’Evangile et la mission qui nous y est donnée. Or je partage ce centre avec des frères et des sœurs. Se comprendre comme étant un être communautaire, c’est sortir de soi par une démarche ek-statique pour se considérer comme une partie d’un tout dont le centre est ultime et nous dépasse infiniment.

La pensée de l’Inde a poussé cette idée très loin en incitant ses fidèles à cesser de voir leur existence comme individuelle pour se fondre dans le grand tout. L’image qu’elle donne est celle de la bouteille remplie d’eau de mer et plongée dans la mer. Tant qu’il y a un bouchon, il y a un dedans et un dehors. Mais si on enlève le bouchon, l’eau circule et il n’y a plus ni dedans ni dehors, c’est le but de la mystique de l’Inde, comprendre que le moi n’est qu’une illusion et une source de souffrance.

Le christianisme ne va pas si loin, il défend la valeur de l’individu, mais il enseigne dans le même sens l’amour, c’est-à-dire l’ouverture à l’autre et la solidarité qui fait que chaque être doit se penser relié aux autres, comme le membre d’un seul corps.
La troisième promesse est que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre cela, autrement dit, ce sera une manière de dépasser la mort, d’accéder à la vie éternelle. Or précisément, l’éternité ne peut être obtenue qu’en allant au delà de notre petite vie biologique, en accrochant notre vie à autre chose qu’à elle même, à un point fixe, un point de repère, une ancre immuable et éternelle. C’est ça la démarche de la foi en Dieu. Et cette démarche va de pair avec celle de la sortie de soi pour s’investir dans une dimension relationnelle et communautaire, de vivre pour les autres.

Certains philosophes ont pensé qu’il y avait chez l’homme un désir d’éternité, et qu’une manière de le satisfaire se trouvait naturellement chez l’homme en désirant avoir des enfants. Il est vrai que dans le désir d’enfant il y a certainement celui de dépasser sa propre finitude, qu’il y ait en eux quelque chose qui nous survive, et cela fait que les parents sont prêts même à mourir pour leurs propres enfants, ils décentrent le cœur de leur existence hors de leur égoïsme pour le projeter sur un autre. Cette attitude est très intéressante, parce qu’elle illustre ce que l’Evangile demande à tout chrétien de pouvoir faire avec ses frères. Ainsi, l’Eglise Catholique Romaine a eu une intuition très fine en disant que les prêtres ne devaient pas avoir d’enfants dans la chair, parce que chacun de ses fidèles était en quelque sort son propre enfant. L’erreur certainement est de réserver cela aux prêtres, et de penser que ce n’est possible que si l’on n’a pas d’enfant dans la chair, mais l’idée en soi est juste. Le chrétien doit pouvoir s’investir dans la vie de ses frères, se dé-préoccuper de soi-même pour penser que le centre de sa vie n’est pas lui mais ceux avec qui il vit et pour qui il vit. Le chrétien devrait même, à l’image du Christ être prêt à mourir pour chacun de ses frères. Alors sa vie serait tellement sortie de son égoïsme et de sa finitude qu’elle entrerait dans une autre dimension de la vie qui est la vie éternelle.

Et enfin, la dernière promesse est que pour le croyant confessant ainsi sa foi, tout ce qu’il liera sur Terre sera lié dans le Ciel. Cela n’a rien à voir avec le pardon des péchés, mais trouve son sens dans le fait que la Terre représente le matériel, et le Ciel le spirituel, la Terre le passager, et le Ciel l’éternel. Cela veut dire que celui qui agit non pour soi, mais pour Dieu, non pour lui même, mais aussi pour les autres, alors ses actes cessent d’être des agitations purement matérielles pour prendre une autre dimension éternelle. Ainsi tout acte matériel peut devenir spirituel, tout acte quotidien peut devenir un acte religieux. La moindre chose de sa vie, faite « pour le Seigneur », ou pour les autres, se charge d’une valeur éternelle. C’est ainsi que Paul nous commande : « faites tout pour la gloire du Seigneur ». C’est très important parce que tout acte matériel est nécessairement limité, tout ce que l’on fait, la nature le défait, ou le temps le détruit, ce que l’on fait, il faut le refaire, tout ce que l’on construit sera un jour détruit, et même les enfants que nous mettons au monde finissent par mourir. Si l’on reste dans la matérialisme pur, rien ne mène à rien, rien ne sert à rien et tout se dirige inexorablement vers l’indéterminé et le néant et ne peut être que désespérant. Le seul moyen, c’est de sortir de là, de sortir de cette vision centrée sur le matérialisme et l’égoïsme pour le recentrer sur ce qui est éternel. Ainsi ce que l’on fait dans la foi devient un acte spirituel, et prend une valeur d’éternité, et chaque vie n’est plus vue que comme un mécanisme biologique promis à la mort, mais comme une valeur éternelle promise au salut. Le fait de confesser sa foi comme Pierre nous sauve de la finitude et nous met hors du temps.

C’est ainsi sur cette confession de foi « Jésus est le Christ, le fils du Dieu vivant » que nous pouvons fonder toute notre vie, c’est ce qui devrait être la pierre angulaire pour construire notre existence, et aussi toute notre vie relationnelle et communautaire, la communauté chrétienne ne pouvant ainsi qu’être basée là dessus.

Et cela pour notre plus grand bonheur, nous donnant la possibilité de sortir de notre moi satanique pour nous ouvrir à la communauté, aux autres, à l’autre, à la vie et à l’éternité.

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Matthieu 16:13-23

Jésus, arrivé sur le territoire de Césarée de Philippe, posa cette question à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l'homme ? Ils répondirent: Les uns disent Jean-Baptiste ; d'autres, Élie ; d'autres, Jérémie, ou l'un des prophètes. Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ?

Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus reprit la parole et lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.

Alors il recommanda sévèrement aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ.

Jésus commença dès lors à montrer à ses disciples qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Pierre, le prit à part et se mit à lui faire des reproches en disant : A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne t'arrivera pas. Mais Jésus se retourna et dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.

Matt. 16:13-23