Pourquoi suis-je évangélique ?
Prédication prononcée par la pasteure Florence Blondon à l'Église protestante unie de l’Étoile Le 9 mai 2021
Exode, chapitre 31
12L'Éternel parla à Moïse et dit : 13Toi, parle aux Israélites et dis-leur : Vous observerez absolument mes sabbats, car ce sera un signe entre vous et moi, dans toutes vos générations, grâce auquel on reconnaîtra que je suis l'Éternel qui vous sanctifie. 14Vous observerez le sabbat, car il sera saint pour vous. Celui qui le profanera sera puni de mort ; toute personne qui fera quelque ouvrage ce jour-là sera retranchée du milieu de son peuple. 15On travaillera six jours ; mais le septième jour ce sera le sabbat, le jour férié, consacré à l'Éternel. Quiconque fera quelque ouvrage le jour du sabbat sera puni de mort. 16Les Israélites observeront le sabbat ; ils célébreront le sabbat dans toutes leurs générations, comme une alliance perpétuelle. 17Ce sera entre moi et les Israélites un signe qui devra durer à perpétuité ; car en six jours l'Éternel a fait les cieux et la terre, et le septième jour il a cessé son œuvre et il s'est reposé.18Lorsque l'Éternel eut achevé de parler à Moïse sur le mont Sinaï, il lui donna les deux tables du Témoignage, tables de pierre écrites du doigt de Dieu.
Évangile selon Marc, chapitre 2
23Il arriva un jour de sabbat que Jésus traversa des champs de blé. Ses disciples, chemin faisant, se mirent à arracher des épis. 24Les Pharisiens lui dirent : Vois, pourquoi font-ils ce qui n'est pas permis un jour de sabbat ? 25Jésus leur répondit : N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans le besoin et qu'il eut faim, lui et ses gens ? 26Comment il entra dans la maison de Dieu du temps du souverain sacrificateur Abiathar, mangea les pains de proposition, qu'il n'est permis qu'aux sacrificateurs de manger, et en donna même à ses gens.27Puis il leur dit : Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat, 28de sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat.
2e Lettre de Paul aux Corinthiens, chapitre 3
2Vous êtes notre lettre, écrite dans nos cœurs, connue et lue de tous les hommes. 3Vous êtes manifestement une lettre de Christ, écrite par notre ministère, non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs. 4Telle est l'assurance que nous avons par le Christ auprès de Dieu. 5Non que nous soyons par nous-mêmes capables de concevoir quelque chose comme venant de nous-mêmes, mais notre capacité vient de Dieu. 6Il nous a aussi rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'Esprit ; car la lettre tue, mais l'Esprit fait vivre.
Prédication
Plusieurs personnes nous interrogent lorsqu’elles observent que sur le fronton du temple, au-dessus de la porte centrale, il est inscrit « Église Évangélique de l’Étoile ». Certains de nos paroissiens souhaiteraient supprimer cette inscription qui pourrait prêter à confusion. En effet, nous ne sommes plus aujourd’hui une communauté que l’on qualifie « d’évangélique ». Pour ma part, je trouverais dommage de gommer ainsi cette appellation, qui est celle choisie lors de la construction du temple en 1873. La première raison de cette position, c’est mon attachement à l’histoire du lieu, et tout comme je n’aime pas les mouvements qui cherchent à déboulonner les statues, il serait bien dommage d’effacer ainsi cet élément du temple.
Mais la raison principale, c’est mon attachement à cet adjectif « évangélique ». Car tous les chrétiens sont évangéliques, c’est-à-dire que nous nous réclamons de la bonne nouvelle, c’est le sens du mot Évangile proclamé par Jésus-Christ.
Aujourd’hui, on a accolé cet adjectif à certaines églises protestantes qui le revendiquent presque comme un bien propre. C’est également une étiquette qui pourrait définir un courant théologique au sein du protestantisme. Et, je me méfie des étiquettes : libéraux, orthodoxes, évangéliques, pentecôtistes… Comme si tout se jouait non dans la complémentarité, mais dans les oppositions. Chacun pensant détenir « la Vérité », et de ce fait exclut les autres. Ce qui n’est pas très évangélique ! Il s’agit aujourd’hui de redonner tout son sens à ce mot, et revendiquer : « oui, je suis évangélique ! »
Car personne, aucune église, communauté, n’a le monopole de la lecture de la Bible ! C’est d’ailleurs le reproche qui nous est fait par quelques « évangéliques », lorsque nous prenons des positions éthiques en faveur de la bénédiction des couples homosexuels, sur la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, sur la fin de vie….
Lorsque nous avons mis en ligne une vidéo où j’affirme que l’homosexualité n’est pas un péché, avec des arguments bibliques, cela a suscité de nombreux commentaires parfois injurieux : « Madame, vous divaguez ! Vous irez en enfer avec vos amis homosexuels… »
Alors que, au contraire, toute ma réflexion, mon éthique s’enracine là au cœur de ces écritures si complexes et si riches. Probablement, je m’égare parfois, mais ne faut-il pas prendre ce risque face à cette Parole qui nous a été transmise au cours des âges ? Le risque de l’interprétation, car la Bible ne peut se résumer à un ou deux, et même dix versets !
Et il faut bien reconnaitre qu’il est souvent difficile de s’y retrouver dans cette Bible qui est faite de livres bien différents, de genres littéraires bien différents : des récits, des lois, des poèmes, des proverbes….et de tant de contradictions !
Dans les passages sur le sabbat que j’ai convoqués (il y en aurait bien d’autres), on pourrait voir une contradiction entre Ancien Testament et Nouveau Testament, mais c’est bien plus complexe. Car nous sommes monothéistes, notre Dieu est celui de l’Ancien et du Nouveau Testament. Et au sein de chaque corpus, il y a des tensions, des évolutions, des oppositions, de la réinterprétation, des réécritures. C’est le cas de l’histoire de la royauté en Israël qui nous est rapportée dans les livres de Samuel et des Rois, mais également dans les livres des Chroniques. Si de nombreux récits sont similaires, les Chroniques ont gommé tous les passages un peu scabreux du roi David, lissant ainsi ce personnage si important dans le judaïsme. Le David des Chroniques est bien plus une figure sacerdotale, un prêtre, qu’une figure royale, voire guerrière. Et ce qui est très riche, c’est que les éditeurs de la Bible hébraïque ont choisi de garder les deux récits, de donner la parole à des courants théologiques différents, parfois opposés. C’est aussi ce qui se passe dans le Nouveau Testament qui a conservé les quatre évangiles qui sont loin d’être similaires.
Nous pouvons également être étonnés par la position de Paul sur le célibat. Au début, il conseille de plutôt rester célibataire (1 Cor 7,8-9), plusieurs années plus tard il parait acquis que les responsables d’églises se marient, qu’ils sont père de famille (1Tim 3). Comment comprendre cela ? Simplement, le contexte entre les deux écrits n’est plus le même. Dans un premier temps, les chrétiens attendent un retour imminent du Christ, donc l’urgence est de convertir le plus rapidement possible un maximum de personnes. Le retour du Christ tardant, il faut penser à s’installer, et donc fonder une famille pour témoigner que les chrétiens sont exemplaires. Ainsi, les écrits bibliques sont contextuels. Loin d’être un livre de recettes, la Bible nous permet d’affronter différentes situations, tout comme les auteurs l’ont fait.
Car, il ne s’agit jamais uniquement de lire, mais bien d’interpréter, de comprendre le contexte de l’énonciation. Il ne s’agit pas de faire un choix entre des propositions divergentes, mais de maintenir la tension et de comprendre ce qui fait sens pour moi aujourd’hui, dans une situation donnée. Il s’agit de savoir interpréter, c’est ce que Jésus pose dans ce dialogue avec un spécialiste de la loi :
25Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? 27Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. 28Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. (Luc 10)
Il pose bien deux questions dont : « Comment lis-tu ?: Il ne s’agit pas de savoir par cœur, en tout cas pas uniquement, mais également de comprendre le sens. Et, même Jésus semble se contredire. Entre ces deux discours : « 27Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne cède pas à la lâcheté » (Jn 14), et « 34 Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. 35Car je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère, 36et l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison. » (Matthieu 10). Jésus le sait, sa venue va provoquer des clivages, voire des conflits violents jusqu’au sein des familles. Pour autant, il nous offre sa paix, cette paix de cœur, le calme dans nos existences, qui nous permettent d’affronter le monde, sa violence, les deuils. C’est le message de Jésus à ses disciples alors qu’il va les quitter. Il sait leur désarroi, et il leur promet l’Esprit. Cet esprit qui nous console, et nous offre la paix. Et c’est aussi l’esprit qui nous ouvre au discernement. Cet esprit qui, comme le dit Paul, nous fait vivre, alors que lorsque nous nous attachons à la lettre, cela tue. C’est ce que Jésus fait tout au long de son enseignement. Il n’a de cesse d’être provoqué et également d’être provocant.
L’épisode où il traverse à travers champs avec ses disciples fait suite à deux controverses : la première (14-17) concerne les personnes avec qui on est autorisé de manger, puisque lui et ses disciples s’assoient à la table des collecteurs d’impôts et des pécheurs. La deuxième (18-22) concerne le jeûne, car contrairement aux disciples de Jean-Baptiste, les disciples de Jésus ne pratiquent pas le jeûne. Et enfin dans l’épisode qui suit, à nouveau une controverse sur le sabbat à propos d’une guérison. Il serait trop facile là encore d’opposer le Nouveau et l’Ancien Testament. Car Jésus est un juif pratiquant ; il connait parfaitement les Écritures, il va à la synagogue pour le sabbat. Et n’a-t-il pas dit : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir » (Mt 5,17) ? Alors comment comprendre cet épisode ? Peut-être qu’en nous intéressant aux incohérences nous trouverons des pistes : pourquoi les disciples arrachent-ils les épis ? Pour manger ? Ils viennent de manger avec les pécheurs et les collecteurs d’impôts. De plus, nous avons appris qu’ils ne respectaient pas le jeûne. Et, la référence à laquelle Jésus fait allusion n’a pas grand-chose à voir avec le sabbat (1 Sam 21,2-7). Du coup la conclusion, elle, en est étonnante : « le sabbat a été fait pour l’homme mais non l’homme pour le sabbat. »
La bonne traduction serait plutôt : « Le sabbat est advenu pour l’homme », ou encore « a été créé pour l’homme. » Ce verbe nous renvoie au récit de création, à la Genèse, rappelant l’importance de l’humain pour Dieu, on est dans le temps du « Tov » du beau et du bon. Cela donne une toute autre interprétation du sabbat. Dans les dix Paroles, le commandement du sabbat fait référence soit au septième jour, où Dieu se repose (Ex 20,9-11), soit à la mémoire d’un peuple qui a connu l’esclavage en Égypte (Dt 5,13-15). Mais quelle que soit la version, le sabbat est lié au dessein bénéfique de Dieu en faveur de l’humanité et de son peuple. L’emploi du même verbe au tout début de notre récit, traduit par « il arriva », donne un caractère intemporel à ce récit. Mais surtout ce texte nous amène ailleurs que dans cette simple controverse autour du sabbat, cette question du sabbat qui n’a de cesse de revenir dans les quatre Évangiles.
Un petite excursus : j’ai choisi ce texte pour illustrer mon propos, en pensant que le thème principal était bien cette question. Et j’ai découvert que ce qu’on appelle communément « la pointe » du récit était autre. C’est là le danger de se servir d’un seul passage pour illustrer nos convictions, et surtout cela nous montre combien le texte biblique est riche, combien il est complexe et exigeant. Le texte n’est pas un prétexte ! Lire la Bible est toujours une aventure qui nous déroute.
Ici, ce qui se joue, c’est la question de l’identité de Jésus. Jésus prend les pharisiens au mot, et donc il a recours aux écrits. Les pharisiens, qui se croient détenteurs de la loi et de son application, des champions de l’orthopraxie ! Mais, Jésus choisit pour leur répondre, non pas un texte issu de la Torah, mais un récit dans les livres prophétiques. Et les prophètes sont les interprètes de la loi par excellence. En choisissant ce récit qui n’aborde pas le thème du sabbat, Jésus se présente comme un nouveau David. David, qui ne respectait pas toujours les règles, et pourtant le Messie sera dans la lignée de David. Jésus se dévoile non pas comme un successeur de Jean-Baptiste, mais bien comme le Messie. Donc, comme David, il peut prendre de la distance par rapport à une loi figée. Certaines situations nous amènent à faire des choix, la stricte application de la loi au risque de la vie, ou bien choisir la vie au risque de mettre la loi à distance ? Jésus, comme David, devra affronter bien des combats, il ne prendra pas l’épée de Goliath (comme David dans notre épisode), mais sa parole, son enseignement, son interprétation des écritures.
En fait, Jésus prépare l’épisode suivant : la guérison un jour de sabbat. La vie est plus forte que le rite. Quoi de plus sabbatique que de donner la dignité à un homme ? Le sabbat, c’est le jour où l’humain découvre sa dignité, c’est le jour où il se découvre libéré, ou il libère l’autre.
Sabbat ou pas sabbat ?
Le premier texte sur le sabbat que j’ai choisi est assez épouvantable, d’ailleurs il n’a probablement jamais été appliqué, cette mise à mort est improbable. Mais pourquoi ne pas en faire une lecture plus spirituelle ? Lorsque nous ne sommes pas capables de faire sabbat, est-ce que nous ne nous coupons pas de la vie, des autres, de Dieu ?
Jésus est dans les synagogues le jour du sabbat, il en redonne le sens. En prenant nettement ses distances par rapport aux pratiques légalistes et mortifères de certains groupes de juifs, Jésus va, non pas arracher les épis, mais arracher le sabbat à ce qui l’enferme, ce qui lui faire perdre son sens. Il lui redonne son authentique signification, bien présente dans l’Ancien Testament à la fois dans les textes législatifs, mais également narratifs. Pourtant, il faut bien admettre qu’en recentrant le sabbat sur son sens, il va relativiser l’institution. Et, les chrétiens ne respecteront pas le sabbat, ils choisiront le dimanche, c’est-à-dire le premier jour de la semaine, le jour de la résurrection et de la vie. Quel beau programme pour la semaine lorsque la commence dans la lumière de la Vie !
Florence Blondon
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