Qu'est-ce que le péché originel?
Prédication prononcée le 30 septembre 2018, au temple de l'Étoile à Paris,
par les pasteurs Louis Pernot et Florence Blondon
Le péché originel est l’histoire bien connue d’Adam et Eve qui mangent du fruit de l’arbre défendu : l’arbre de la connaissance du bien et du mal que Dieu leur avait interdit de manger. Cette histoire bien connue connaît une multitude d’interprétations que l’on peut revisiter toujours avec intérêt.
1. L’interprétation la plus classique et la plus discutable est de voir là un péché d’origine historique qui aurait été fait par Adam et Eve et dont la culpabilité rejaillirait sur chacun de nous depuis l’origine. Nous serions ainsi tous coupables de ce péché originel même sans l’avoir commis nous mêmes. Il s’agirait en quelque sorte d’une sorte de culpabilité héréditaire.
Cela peut sembler curieux, mais c’est bien ainsi que la prédication chrétienne, en particulier au Moyen-Age présentait les choses. On le voit en particulier dans la doctrine du baptême. A l’origine, dans le baptême, dans la continuité du baptême de Jean Baptiste, il y avit une dimension d’absolution, de pardon des péchés. Le baptisé était comme purifié, lavé de sa faute par l’eau qu’il recevait lors du baptême qui elle symbolisait la grâce. Mais lorsqu’on baptise un tout petit bébé, peut-on penser qu’il ait quelque péché à se faire pardonner ce petit amour ? Oui disaient les théologiens médiévaux, le baptème permettait de le laver de la culpabilité du péché originel. Cette doctrine est terrible et heureusement qu’on peut avoir aujourd’hui une autre compréhension du baptême des enfants, sinon, on pourrait comprendre que les parents s’en passent !
Mais donc non, il y a bien sûr des fautes dont les enfants payent parfois les conséquences, mais il n’y a pas de culpabilité héréditaire, les enfants ne sont pas coupables des fautes de leur parents. Il est déjà difficile d’assumer ses propres erreurs pour que l’on nous inflige en plus d’être coupables de ce que nous n’avons pas fait. Curieusement, c’est aujourd’hui la société civile qui prend le relais de cette attitude culpabilisatrice, puisqu’il est devenu une habitude de demander pardon pour des fautes des générations passées. Les chrétiens demandent pardon pour les croisades, les français pour la colonisation, les catholiques pour la saint Barthélémy etc. Ce peut être sympathique, mais c’est rester dans l’idée que nous pourrions être coupables des fautes de nos ancêtres, alors que nous n’y sommes pour rien évidemment ! Donc une fois pour toute, ce n’est pas moi qui ai massacré des catholiques, je n’ai colonisé personne, je n’ai pas déporté de juifs pendant la guerre et ce n’est pas moi qui a cassé le vase de Soisson !
On pourrait néanmoins récupérer cette doctrine de l’hérédité du péché originel dans l’idée non pas d’une culpabilité, mais d’une imperfection congénitale et héréditaire. Nous naissons tous entachés d’une imperfection fondamentale. Nous sommes mêmes tous non pas pécheurs dès notre enfance, mais enclins au mal et à la violence dès notre naissance, certainement. Cela est même vrai pour tout ce qui est au monde, tout objet, si beau soit-il a quelque part une imperfectin, un défaut qui peut sembler insupportable à celui qui est toujours en quête de perfection. Mais il faut assumer cela : la perfection n’est pas de ce monde, et cette imperfection originelle touche tout et tout le monde. Et cela n’est pas pour nous culpabiliser encore plus, mais au contraire pour nous déculpabiliser : nous faisons des fautes, certes, mais en fait ce n’est peut être pas complètement de notre faute : nous sommes imparfaits dès l’origine et incapables du tout bien par nous mêmes. A cela le baptême ne change rien ! Sauf qu’il nous rappelle qu’au delà de notre propre imperfection, il ya une grâce plus forte que notre péché qui nous est offerte inconditionnellement !
2. Une autre interprétation traditionnelle extrêmement courante est de penser qu’il s’agit là d’un interdit d’ordre sexuel qu’Adam et Eve auraient transgressé. Autrement dit, le péché originel aurait été qu’ils couchent ensemble. Cette interprétation sexuelle du péché originel est tout à fait détestable en ce qu’elle tend à culpabiliser la sexualité et à la mettre du côté du péché. On comprend que l’Eglise au Moyen-Age ait souvent défendu cette thèse. Il y a quelques argumens pour penser que c’est bien de cela qu’il s’agit : Adam et Eve sont tous deux nus, et après ils s’habillent, et bien sûr que peuvent faire un homme et une femme tous seuls et tous nus ensemble ??? Ensuite l’arbre défendu est dit à voir avec la « connaissance », or le verbe « connaître » dans la Bible signifie aussi avoir des rapports sexuels. Et les psychanalystes ont évidemment aussi remarqué que dans l’histoire apparaissait un serpent qui est un symbole sexuel bien connu. Mais en fait rien dans le texte ne permet de dire que c’est de cela qu’il s’agit, et on peut penser que c’est une fausse piste. Mais il ne faudrait pas l’écarter tout de même, en effet, les textes antiques babyloniens et egyptiens comportent des récits originels très proches des textes bibliques où se trouvent explicitement une dimension sexuelle, mais elle est en général alors regardée positivement, comme faisant passer de l’animaleté à l’humanité.
3. Pour essayer de trouver une justification moderne à ce texte antique, certains ont voulu y voir le récit du passage de l’animal à l’homme. Il est vrai que cela concorde assez bien. Au départ Adam et Eve sont comme des animaux : nus sans en avoir de honte, ils n’ont pas conscience du bien et du mal et vivent dans une sorte d’insouciance béate. Ce que nous appelons « péché originel » n’en est pas un, et d’ailleurs le mot « péché » ne se trouve pas dans notre texte, mais n’apparaît pour la première fois dans la Bible que dans le récit de Caïn et d’Abel. Ce dont il s’agit donc c’est du passage à la conscience réfléchie, de prendre conscience du bien et du mal et d’avoir la liberté de choisir. L’interdiction de Dieu ne serait pas alors dans ce contexte une interdictin absolue, mais plutôt une volonté de freiner l’accès à cette liberté qui est certes bonnes, mais qui mettait aussi l’homme en danger de mort. En effet, l’humain a le choix de faire volontairement un mal qui peut être dangereux pour les autres, et même pour lui. Il peut choisir librement la vie ou la mort, ce qui est dangereux si cette liberté n’est pas associée à une sagesse qu’il faut du temps à aquérir. Dieu se montre alors un peu dans la situation de parents d’aujourd’hui qui sont heureux de voir leurs adolescents s’autonomiser, mais qui, dans un premier temps les couvrent d’interdictions et de limitations pour les protéger en pensant qu’ils ne sont peut-être pas encore prêts à vivre totalement de cette liberté.
Cette lecture fonctionne assez bien, mais il faut dire qu’elle n’a pas grand intérêt. C’est ce qu’on appelle d’une manière péjorative du « concordisme » : essayer de chercher dans les textes anciens des choses qui se rapprocheraient d’une connaissance que nous avons par ailleurs par la science d’aujourd’hui. Mais donc si nous voulons en savoir plus sur le passage de l’animal à l’homme il vaut mieux lire les textes de nos grands chercheurs en biologie que dans des textes vieux de plusieurs milliers d’années qui évidemment n’en savaient pas autant que nous sur le déroulement concret de l’évolution !
4. Certains historiens quant à eux affirment qu’il faut lire ces récits comme des textes étiologiques, c’est-à-dire inventés pour donner une origine, comme une explication de choses que l’on ne sait pas vraiment expliquer. Ainsi pourquoi la femme doit-elle souffrir lors de l’accouchement ? Mystère, et pourquoi l’homme doit-il se fatiquer pour gagner son pain ? Mystère aussi. Comment se fait-il qu’il y ait des animaux comme les serpents n’ayant pas de pattes ? On ne le sait pas. Alors on invente une histoire qui permet de donner une explication, et montrer que tout cela est bien voulu par Dieu. Il s’agirait alors de mythes comblant une ignorance scientifique d’une société primitive. Il se peut que ces textes jouent aussi ce rôle, mais on ne saurait penser qu’ils n’ont que cette fonction, ou alors ils n’auraient plus rien à nous dire. Mais en fait au delà du récit étiologique, il y a bien sûr un sens théologique qui permet de comprendre le sens de ce que nous vivons, et cela reste évidemment valable parce que le discours scientifique décrit, explique par des relations de causes et d’effets dans l’histoire, mais ne permettent pas d’aborder la question du sens de ce que l’on expérimente en tant qu’humain.
5. On peut enfin prendre cette histoire qui est un mythe comme parlant non pas d’un hypothétique passé historique, mais comme parlant de l’expérience que chacun de nous pouvons faire. Autrement dit, Adam et Eve ne sont pas des personnages ayant existé autrefois et dont nous subirions les conséquences de leur faute, mais il sont les archétypes, de ce que nous sommes. Adam et Eve, c’est nous aujourd’hui, ici et maintenant. Il faut alors comprendre le mot « originel » non pas dans un sens chronologique, d’un péché qui serait historiquement à l’origine de nos souffrances, mais dans le sens de la cause à l’effet : notre histoire nous montre quel est le péché qui est à l’origine de tout péché, le péché fondamental, le plus grave sans doute et en fait le seul véritable péché. Or celui-ci, on l’entend dans la bouche du serpent, puis dans celle même de Dieu, c’est de vouloir se prendre pour Dieu, de se condisérer comme la chose la plus importante au monde, comme le centre de tout et chercher en soi-même le critère de la vérité et du discernement entre le bien et le mal. On le voit dans l’histoire, Eve mange du fruit, elle le trouve bon et agréable pour elle, alors elle déclare que c’est bien pour tout le monde. Ce qui est interdit ou dangereux, ce n’est pas de savoir discerner ce qu’est le bien et le mal, ça c’est évidemment tout à fait positif et souhaitable, mais c’est de décider par soi-même ce qu’est le bien et le mal. Or aucun de nous n’est l’absolu et l’universel, et la question du bien et du mal ne se fait pas par rappor tà nous, mais par rapport à l’universel, par rapport au monde, aux autres et à Dieu.
Le péché, c’est donc de se prendre pour le centre de tout, et cela a des conséquences graves. En effet, quand on se prend pour Dieu, alors tout devient insupportable, nos propres échecs sont inexplicables, toute contrariété prend des propostions infinies, et tout va de travers, parce que précisément, aucun de nous n’est le centre du monde. Les punitions évoquées dans le texte ne sont pas vraiment des punitions, mais plutôt une mise en garde sur ce qu’entraîne automatiquement une attitude dangereuse comme celle incarnée par Adam et Eve. Ainsi la femme qui enfante, si elle ne pense qu’à elle trouvera que c’est là une douleur insupportable, mais si elle s’oublie pour penser à l’enfant qu’elle met au monde, alors elle dira que c’est le plus beau jour de son existance parce qu’elle a donné la vie. Celui qui travaille pour faire une œuvre, ou pour rendre un service, s’il ne regarde que par rapport à lui ne pensera qu’à sa fatigue ou à la peine qu’il s’est donné à la sueur de son front. S’il regarde à ce qu’il a accompli ou au bonheur qu’il a donné alors il sera plein de joie.
Voilà, le péché originel. Le contrepoison, c’est de s’oublier soi-même pour se donner aux autres, c’est de penser à ce que l’on fait et non à sa propre peine ou à ses soucis personnels. C’est de se considérer non pas comme étant à son propre service, mais comme étant au service d’un plus grand que soi, alors on est tout pleinement dans le jardin des délices toute sa vie !
6. Enfin à la lecture du récit, on peut penser que l’erreur fondamentale d’Adam et Eve, et ce qui est peut-être justement le propre du péché originel, c’est de se tromper sur Dieu. Leur erreur est avant tout théologique. Ils se faisaient une idée fausse de Dieu, ce qui les a amenés à une action fausse, une mauvaise manière de se positionner par rapport à lui, et par rapport au monde. Ainsi ils pensaient Dieu comme un Dieu jaloux voulant garder pour lui la connaissance du bien et du mal pour dominer et garder le pouvoir. Ils pensaient que Dieu voulait conserver tout le pouvoir pour lui en laissant l’homme dans un état inférieur, et cela en conservant avant tout la connaissance et le savoir. Mais c’est cela qui est faux. Et il faudra à Adam et Eve de sortir du Jardin pour comprendre vraiment qui est Dieu. Quand ils ont péché, ils ont peur de Dieu, ils se cachent, ils se justifient en reportant la faute sur un autre. Mais justement, Dieu ne leur veut jamais de mal, il ne les tue pas, il les cherche, mais pas pour les punir. Adam et Eve avaient donc tout à apprendre sur Dieu lui-même. Et peut-être que l’erreur la plus fondamentale dans notre relation avec Dieu et avec les autres, c’est de toujours soupçonner la volonté de mal de l’autre, et ne pas assumer sa propre responsabilité.
Maintenant, le nouveau Testament, et Paul en particulier nous montre que quel que soit exactement l’interprétation que l’on donne au péché originel, si le mal est venu par un homme Adam, le salut nous est apporter par un homme : Jésus Christ qui, lui au lieu de nous exclure du jardin des délices, nous y fait entrer, et par grâce !
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Genèse
2.15L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. 16L’Éternel Dieu donna ce commandement à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; 17mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.
25L’homme et sa femme étaient tous les deux nus et n’en avaient pas honte.
3 1Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? 2La femme dit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. 3Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez. 4Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez pas du tout ! 5Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal.
6La femme vit que l’arbre était bon à manger, agréable à la vue et propre à donner du discernement. Elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea.
7Les yeux de tous deux s’ouvrirent ; ils prirent conscience du fait qu’ils étaient nus. Ils se firent des ceintures avec des feuilles de figuier cousues ensemble. 8Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. L’homme et sa femme allèrent se cacher devant l’Éternel Dieu, parmi les arbres du jardin. 9L’Éternel Dieu appela l’homme et lui dit : Où es-tu ? 10Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, parce que je suis nu ; je me suis donc caché.
11l’Éternel Dieu dit : Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? 12L’homme répondit : C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé. 13Alors l’Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a induite en erreur, et j’en ai mangé.
14L’Éternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, Tu seras maudit entre tout le bétail Et tous les animaux de la campagne, Tu marcheras sur ton ventre Et tu mangeras de la poussière Tous les jours de ta vie. 15Je mettrai inimitié entre toi et la femme, Entre ta descendance et sa descendance : Celle-ci t’écrasera la tête, Et tu lui écraseras le talon.
16Il dit à la femme : Je rendrai tes grossesses très pénibles, C’est avec peine que tu accoucheras. Tes désirs (se porteront) vers ton mari, Mais il dominera sur toi.
17Il dit à l’homme : Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger, Le sol sera maudit à cause de toi ; C’est avec peine que tu en tireras ta nourriture Tous les jours de ta vie, 18Il te produira des chardons et des broussailles, Et tu mangeras l’herbe de la campagne.
19C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, Jusqu’à ce que tu retournes dans le sol, D’où tu as été pris ; Car tu es poussière, Et tu retourneras à la poussière.