La parabole des vignerons
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Prédication prononcée le 20 septembre 2015, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
L’enseignement de Jésus passe parfois par un certain nombre de « paraboles » qui sont des comparaisons tirées de la vie courante pour expliquer comment fonctionne le « royaume de Dieu », c’est-à-dire tout ce qui concerne la relation à Dieu : ce que Dieu attend de l’homme, ce que l’homme peut attendre de Dieu, et comment vivre bien avec Dieu et avec nos frères et sœurs selon sa volonté.
La méthode de lecture est simple : dans chaque parabole, il faut trouver où est Dieu et où nous sommes nous. Dans celle des vignerons, c’est facile, Dieu, comme souvent, est le maître, et nous, nous sommes les vignerons. A partir de là, cette parabole nous donne des enseignements tout à fait essentiels sur l’essence même de la vie chrétienne.
Le premier enseignement, tout simple mais considérable, c’est que Dieu a besoin de nous, comme le maître a besoin d’ouvriers. Nous pouvons travailler pour lui, faire des choses pour l’aider, œuvrer avec lui, coopérer à travailler à un monde meilleur. La chose n’est pas évidente, dans une conception classique de Dieu où il serait tout-puissant, omniscient, faisant en sorte que c’est toujours sa volonté qui se réalise, faisant les guerres ou les paix, imposant la maladie ou donnant la guérison, l’homme est presque de trop. Pourquoi agir alors puisque Dieu pourrait tout faire lui-même mieux que nous ? Ici, l’homme a un rôle réel dans le monde parce que Dieu ne peut pas tout faire tout seul.
D’ailleurs il est curieux de constater que dans cette parabole comme dans un bon nombre de grandes paraboles de l’Evangile, le maître s’en va, il est absent. Cela est difficile à expliquer, parce que nous avons la promesse que, bien sûr, Dieu reste toujours avec nous et ne nous abandonne jamais, comme le Christ ressuscité disant : « Je suis avec vous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matt. 28:20). Donc Dieu, bien sûr n’est jamais absent, il est toujours à nos côtés pour nous aider, nous soutenir, nous accompagner. Mais on peut comprendre cette apparente absence du maître de plusieurs manières.
La première, c’est que, même si, bien sûr, Dieu ne nous abandonne jamais, il arrive que nous ayions l’impression qu’il n’est pas là. Le problème ce n’est donc non pas lui qui se serait éloigné, nous qui ne saurions pas sentir sa présence. Et ce peut être de manière temporaire, notre foi n’est pas forcément toujours au meilleur, et il arrive que nous ayions l’impression d’être loins de Dieu, que sa présence ne nous touche plus. Ou alors d’une manière plus chronique, certaines personnes n’ont pas le sentiment de la présence de Dieu, ont du mal à prier ; ce peut-être par nature, par éducation ou peu importe, c’est un fait. Le point positif de notre parabole, c’est qu’elle ne culpabilise pas ce genre de situation, elle donne juste une solution : que faire dans ce cas là ? La réponse, c’est : agissez, et œuvrez, faites la volonté de Dieu. Or sa volonté, elle est proposée explicitement dans l’Evangile et la prédication du Christ, c’est de travailler pour un monde meilleur, apporter de la paix, de la fraternité, de la justice, de l’amour... C’est ainsi d’ailleurs qu’un bon nombre de chrétiens aujourd’hui ne sont pas de grands mystiques, ou disent que, pour eux, leur foi en Dieu, se résume à croire dans des « valeurs ». Pourquoi pas. Croire que l’enseignement du Christ nous donne un idéal que l’on peut prendre pour soi, vouloir le suivre, vivre l’Evangile, c’est être authentiquement chrétien.
Et l’autre solution, c’est peut-être d’inciter à envisager sa vie parfois comme si Dieu était absent. Certes, le sentiment de la présence de Dieu est une chose douce et bonne, mais il ne faut pas en rester là, sinon on ne ferait rien. Il ne faut pas s’enfermer dans la foi ou une sorte de dépendance infantile à Dieu, il faut apprendre à s’autonomiser, et à ne pas toujours vivre sous une présence obsédante de Dieu. Et même, peut-être, pour ce qui est de l’action dans le monde, il faut faire comme si Dieu n’existait pas. Il faut cesser d’attendre des interventions divines, pour agir soi-même, en responsable de ce monde, et faire ce qu’il veut que nous fassions. Ainsi, nous voudrions un monde avec plus de paix, de fraternité, de justice, il ne s’agit pas tant tant de le demander à Dieu dans prières que de nous mettre nous-mêmes au travail pour l’apporter, à notre niveau, dans ce monde.
Et ce qu’est la vigne ? L’outil qui nous est confié pour produire du fruit, dans doute notre vie. Et c’est bien là le seul sens de notre vie : produire du fruit, donner à d’autres, transmettre. C’est le sens de la vie biologique pour les animaux, depuis la reproduction sexuée, aucun individu animal n’a de valeur éternelle, il s’inscrit dans une chaîne qui elle a du sens, et son rôle, c’est de transmettre la vie. Pour nous humains, la dimension animale n’est pas tout, notre mission, c’est de transmettre, de donner aux autres de nous mêmes des réalités d’ordre humaines ou spirituelles, en tout cas non matérielles. Et cela, nous pouvons toujours le faire quelle que soit notre situation, où que nous soyons, donner et transmettre... que ce soit dans notre famille, au travail, dans notre maison de retraite ou même à notre voisin dans une chambre d’hôpital...
Ainsi donc, nous devons labourer la vigne du Seigneur... mais pour porter quels fruits plus précisément ? Puisqu’il s’agit ici d’une vigne, c’est que nous sommes invités à faire pousser du raisin pour produire du vin. Or le vin dans la Bible, c’est le symbole de la joie et de la fête, un peu comme le champagne aujourd’hui. Voilà donc ce que Dieu attend de nous, c’est que nous apportions dans ce monde de pleines grappes de joie, de bonheur et de bien-être. Et ce pour nous, bien sûr, mais aussi pour en avoir à redistribuer aux autres. C’est là une vocation merveilleuse, c’est le sens que nous devons donner à notre vie : être des porteurs de joie. Et cet idéal a l’avantage d’être très concret : qu’il faille aimer notre prochain, nous le savons, mais personne ne sait très bien ce que cela veut dire concrètement. Apporter de la joie au monde, faire plaisir, donner du bonheur, c’est un programme tout à fait facile à comprendre, et sans doute essentiel.
Paul élargira cela en donnant la liste des « fruits de l’Esprit », ce que nous sommes supposés donner dans le monde : « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi » (Gal. 5:22).
Et puis Dieu, laisse les vignerons ; bien sûr, ils peuvent consommer autant qu’ils veulent de ce qu’ils font pousser, nous pouvons donc profiter de la vie, de la terre que Dieu nous confie, mais il revient de temps en temps rappeler qu’il serait bien de ne pas tout garder pour soi, mais de partager avec les autres. La parabole dit que c’est Dieu qui veut avoir une « part des fruits de la vigne ». Sans doute faut-il comprendre ici Dieu comme représentant l’universel, les autres en quelque sorte. Comme le Christ dit que les deux commandements d’ « aimer Dieu de tout son cœur » et d’ « aimer son prochain comme soi-même » (Matt. 22:39) sont semblables. Ici donc l’exigence, c’est de ne pas travailler pour son seul plaisir, mais d’en avoir à redonner aux autres. Et la sanction sinon, c’est que les vignerons seront chassés de la vigne. Ce n’est pas que Dieu punisse, mais c’est pour indiquer une conséquence inéluctable : le seul moyen d’avoir de la joie soi-même, du bonheur, de l’amour, c’est d’en donner aux autres. Celui qui veut tout pour soi ou qui ne voit sa vie que par rapport à soi s’exclue de la logique de l’amour et de la joie, et finit par ne plus rien pouvoir recevoir.
Pour rappeler cela, le maître envoie des serviteurs. Sans doute qu’historiquement il s’agit des prophètes, qui ont souvent été maltraités et mis à mort. Mais il ne s’agit pas que de l’histoire d’Israël, c’est une réalité d’aujourd’hui que le monde n’aime pas qu’on le rappelle à l’ordre, ni qu’on veuille le sortir de son égoïsme. Pour nous, ces « serviteurs » peuvent être les pasteurs, les prêtres, ou toute personne qui nous rappelle à l’amour, au service, au don, au pardon, et il est certain que sans les mettre à mort, nous avons tendance à préférer les mettre de côté pour ne pas avoir à les écouter.
Alors finalement le maître choisit d’envoyer son propre fils. Évidemment il s’agit là de Jésus, le « fils de Dieu ». Et certes, Jésus est venu pour nous inviter à tourner notre vie vers les autres, à donner, et à participer à la création d’un monde meilleur en étant ouvrier avec lui au service d’un idéal d’amour et de grâce. Mais nous avons là au passage une leçon christologique essentielle. On a souvent enseigné dans les catéchismes que Dieu avait envoyé son fils « pour qu’il meure sur la croix », comme si la mort de Jésus était le but de sa venue. Mais ici, nous voyons que c’est faux. Le fils n’est pas envoyé pour que les ouvriers le tuent, mais pour délivrer un message. Le maître ne dit pas : « je vais envoyer mon fils, les ouvriers le tueront et j’aurai réussi mon projet », mais il dit son but : « ils écouteront mon fils ». Ainsi le but de la venue du Christ sur terre n’est pas qu’il meurt, ce n’est pas la croix, comme si sa mort pouvait en elle-même avoir quelque chose de positif, mais le but donc c’était de faire passer, de proclamer son évangile. D’après la parabole, si le fils est tué, c’est parce que les hommes n’ont pas voulu l’écouter. La mort du serviteur, comme la croix du Christ, n’est en fait que l’échec de sa mission.
Mais Dieu est un malin, et il ne reste pas sur les échecs. Il saura retourner la situation et faire de cette mort le point de départ d’une ère nouvelle. C’est d’ailleurs le secret de toute vie avec Dieu que de savoir rebondir à partir de ses échecs, de ses épreuves pour les utiliser comme tremplins pour aller plus loin et repartir vers une vie nouvelle.
Et puis, même si la mort de Jésus n’était pas, en tant que telle, voulue par Dieu, cette parabole a tout de même été dite avant que Jésus ne meure, on peut donc penser que Jésus avec Dieu savait très bien comment finirait son histoire, il savait que son rejet et sa mort étaient inéluctables, et il l’a assumé pleinement comme quelque chose de nécessaire pour aller au bout de sa mission. La mort de Jésus n’était donc peut-être pas le but, mais elle était prévue.
Et puis, si Dieu compte sur nous pour cultiver le monde et notre vie, et faire en sorte que tout cela donne de bons fruits, pour nous et pour les autres, il ne nous laisse pas sans ressource. Non seulement il offre la vigne aux vignerons, mais en plus il leur donne trois choses essentielles : il l’entoure d’une haie, il bâtit une tour, et creuse un pressoir.
La haie est une haie de protection pour éviter que les maraudeurs ou les bêtes sauvages ne viennent grappiller les raisins. C’est vrai aussi dans notre vie, nous ne sommes pas vraiment seuls, livrés à un monde difficile, mais nous pouvons mettre notre confiance et notre espérance en Dieu, il nous protège. La foi elle-même est une aide, elle permet d’avoir un havre de paix et de tranquillité avec l’intimité de la présence de Dieu dans un monde d’épreuves et de violence. La foi est une aide dans les difficultés de la vie, on le dit et c’est vrai. Il y a une manière se de replier dans l’intimité de Dieu comme dans une bulle protectrice. Dieu est pour le croyant, ainsi que le disent les Psaumes, un bouclier, une haute retraite, une forteresse bien gardée. Sans elle et sans Dieu, nous serions exposés sans défense à la violence, à la dureté d’un monde hostile et souvent blessant. Mettre son espérance en Dieu, c’est compter précisément sur cet amour que rien ne peut détruire.
La tour est une tour de guet, elle devait permettre de monter voir de plus haut pour veiller. C’est là aussi une démarche du croyant dans la foi, par sa recherche, sa prière, sa méditation des textes : s’élever au dessus du quotidien, au dessus du monde matériel pour voir les choses de plus haut. Il s’agit de prendre de la hauteur dans une démarche spirituelle, permettant de relativiser tout ce qui peut arriver dans ce monde, et aussi de pouvoir anticiper les difficultés de la vie avant qu’elles ne nous frappent comme le veilleur voit arriver de loin l’ennemi et peut s’y préparer. Et puis dans la foi on s’élève du matériel vers le spirituel, et le matériel lui-même est rendu à sa juste place.
Le pressoir enfin sert à séparer le bon du mauvais, On y met tout ce que la vigne produit, et ensuite, ce qui ne vaut rien, le « marc », est jeté quelque part, et on ne garde que le bon jus. C’est là un travail de discernement essentiel. Notre vie aussi produit du bon et du moins bon, du bien et du mal. C’est un fait, nous ne faisons pas que des belles choses d’amour et de grâce, il y a aussi ans notre vie du matériel sans intérêt, ou même des fruits de colère, de jalousie, d’égoïsme etc. Et sur ce point, la parabole ne nous culpabilise absolument pas. Il n’est pas question de demander que notre vie ne produise que du bon, mais de savoir faire la part des choses, et de faire en sorte que nous sachions donner le meilleur aux autres, et ne pas les importuner avec le moins bon. Et pour cela, il faut un outil de discernement, savoir reconnaître le bien du mal. C’est une des fonctions de l’Evangile du Christ par lequel nous pouvons savoir les fruits que Dieu attend de nous, et ce que nous pouvons faire de mieux à partir de notre vie. Le Christ lui-même la résumera cet idéal par le « sommaire de la Loi » : l’essentiel, c’est l’amour. L’amour, l’attention à l’autre, l’accueil de l’autre et le don à l’autre sont les critères fondamentaux permettant de savoir ce qu’est le bien. Or ce travail de séparation n’est pas facile parce que le bien et le mal sont toujours mélangés dans notre vie et dans tout choix. Tout bien se fait au prix d’un certain mal qu’on ne peut jamais totalement enlever. La question c’est donc d’optimiser le bien dans nos choix. Et le critère, le crible, c’est l’amour. Tout choix difficile doit être pressé et vu par le critère de l’amour, c’est-à-dire de la préoccupation de l’autre, et l’optimisation du bien. Ainsi toute vie reste un mixte, il n’y a pas d’exigence de sainteté parfaite, juste que notre vie sache distiller quelques gouttes d’amour pour donner aux autres.
Ainsi nous avons ces trois cadeaux de Dieu qui nous accompagnent nous aidant à remplir notre mission, et ces trois «grâces» ne sont en fait rien d’autre que les « vertus théologales » citées par Paul (1 Corinthiens 13:13): la foi l’espérance et l’amour.
- La foi, c’est bien de s’élever au dessus du monde comme dans une tour, s’élever vers Dieu, vers le spirituel.
- L’espérance, c’est la confiance que mettons en Dieu qui nous protège.
- Et l’amour, c’est le critère fondamental de ce que nous sommes appelés à savoir donner à partir de notre existence faite de bien et de mal.
Et ainsi, cette absence de Dieu n’était qu’apparente, il est bien présent dans toute la démarche du croyant qui est invité à travailler à la vigne du Seigneur pour sa plus grande joie, et pour la joie de tous ceux qui se trouent sur son chemin et la joie du monde.
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Matthieu 21:33-41
Écoutez une autre parabole.
Il y avait un maître de maison qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage.
A l’approche des vendanges il envoya ses serviteurs vers les vignerons, pour recevoir les fruits de la vigne. Les vignerons prirent ces serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième. Il envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers ; et les vignerons les traitèrent de la même manière. Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant : Ils respecteront mon fils. Mais, quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : C’est lui l’héritier, venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. Ils le prirent, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? Ils lui répondirent : Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui donneront les fruits en leur saison
Esaïe 5:1-7
Or donc, je chanterai à mon ami
Le chant de mon bien-aimé sur sa vigne.
Mon ami avait une vigne
Sur un coteau fertile.
Il la défonça, ôta les pierres
Et y planta un cépage délicieux,
Il bâtit une tour au milieu d’elle,
Il y creusa aussi une cuve.
Puis il espéra qu’elle produirait des raisins,
Mais elle a produit des fruits infects !
Or donc, maintenant habitant de Jérusalem et homme de Juda,
Soyez juges entre moi et ma vigne !
Qu’y avait-il encore à faire à ma vigne
Que je n’aie pas fait pour elle ?
Pourquoi, quand j’ai espéré
Qu’elle produirait des raisins,
A-t-elle produit des fruits infects ? Or donc, je vous ferai maintenant connaître
Ce que je vais faire à ma vigne.
J’en arracherai la haie,
Pour qu’elle soit broutée ;
Je ferai des brèches dans sa clôture,
Pour qu’elle soit foulée aux pieds.
6Je la réduirai en ruine ;
Elle ne sera plus taillée, ni cultivée ;
Les ronces et les épines y croîtront ;
Et je donnerai mes ordres aux nuées,
Afin qu’elles ne laissent plus tomber la pluie sur elle.
Or, la vigne de l’Éternel des armées,
C’est la maison d’Israël,
Et les hommes de Juda,
C’est le plant qu’il chérissait.
Il avait espéré la droiture,
Et voici la forfaiture ! la justice,
Et voici le cri du vice !