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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

La nouvelle naissance: dialogue entre Jésus et Nicodème

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Prédication prononcée le 7 février 2016, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Le récit du dialogue entre Jésus et Nicodème est souvent utilisé pour les baptêmes. Il y est en effet question de naître d’eau et d’esprit, et donc le lien est vite fait.

Mais on peut penser qu’en fait, ce rapprochement hâtif est un contresens.

D’abord pour les baptêmes d’enfants, on ne peut pas dire que le petit bébé baptisé « naisse de nouveau » lors de son baptême, il n’y a pas pour lui un « avant » et un « après », il est bien le même avant et après son baptême, il ne naît pas à une vie nouvelle. De toute façon, le baptême n’est qu’un signe, qui n’opère rien, il dit quelque chose d’existant qui est la grâce de Dieu. Par le baptême, les parents montrent qu’ils sont convaincus que leur enfant est sous la grâce de Dieu, qu’il est aimé par Dieu. C’est pourquoi nous baptisons les enfants petits, parce que nous pensons que Dieu n’attend pas que nous soyons grands beaux et forts pour nous aimer, il nous aime a priori dès notre naissance. Tout cela est bien beau et sympathique, mais n’a aucun rapport avec le dialogue entre Jésus et Nicodème.

On pourrait trouver plus de liens avec le baptême d’adulte : en effet, celui qui se convertit au Seigneur, on peut dire que sa vie change, qu’il naît à une vie nouvelle. Ainsi entend-on parfois, surtout et surtout dans les milieux évangéliques, des témoignages de conversions, de personnes qui étaient violentes, égoïstes, droguées, malhonnêtes et qui se convertissent à Jésus, et alors leur vie change du tout au tout. Ou encore, parce que tout les chrétiens n’ont pas été drogués ou voleurs, certains témoignent que grâce à la découverte du Christ leur vie a changé, parce qu’ils laissent derrière eux la tristesse, l’angoisse, une vie sans relief, pour vivre renouvelés dans l’espérance, la paix, l’accomplissement deux même. C’est ainsi que fonctionnent certains chrétiens qui vivent une conversion au Christ comme une rupture radicale. Ils s’appellent eux mêmes dans les milieux anglo-saxons les born again, ce qui se dit en français les « nés de nouveau » (puisque les « re-nés » est difficile à dire). Mais si cela correspond à l’expérience de certains, cela pose beaucoup de problèmes.

D’abord parce que tout le monde ne vit pas sa foi comme une rupture. Certains sont nés dans des familles chrétiennes, et ont toujours eu plus ou moins la foi, parfois plus, parfois moins, mais sans pouvoir dire quand cette foi a débuté. A un moment donné, ils peuvent dire que oui, ils se sentent chrétiens, et même, peut-être dire qu’ils ont fondé leur vie sur le Christ, donné leur vie au Christ, mais à quel moment se sont-ils convertis ? Impossible de le dire. Ils sont un peu comme Obélix qui est tombé dans la marmite de potion magique étant petit, et dont les effets de celle-ci sont permanents. Ainsi ceux qui ont vécu leur conversion comme un événement peuvent dater cette conversion, ils parlent d’un « baptême du saint Esprit », expérience mystique profonde, et peuvent avoir tendance à douter le foi de ceux qui ne font pas ce type d’expérience de rupture. Pourtant certains sont bel et bien convertis tout de même.

Aussi est-il délicat de dire que ce dialogue de Jésus et de Nicodème parlerait d’une expérience mystique qui n’est pas le fait de tout le monde, et que tous ne sont pas appelés à vivre. Tout texte de la Bible doit parler de chacun, aussi, faut-il penser que cette lecture est une fausse piste, et qu’il faut trouver autre chose.

Et puis de toute façon, ce serait une erreur de penser la conversion à Jésus Christ comme un événement unique dans la vie de quelqu’un. Qui peut dire qu’il soit devenu suffisamment chrétien, suffisamment bon, spirituel et plein d’amour qu’il n’ait plus besoin de se convertir ? La conversion n’est pas un acte unique, ou passé, elle est toujours à refaire. Comme notre église « réformée » qui est pourtant aussi « toujours en réforme », le chrétien est quelqu’un de converti qui doit toujours à convertir. Sans cesse nous devons nous renouveler, nous rapprocher du Christ, convertir la part de nous-mêmes qui s’échappe vers l’égoïsme et le matérialisme. Sans cesse nous devons renaître, renouveler notre être, confesser notre imperfection, notre péché, et nous repentir, c’est-à-dire à nous convertir à nouveau. Le monde ne se divise pas en deux, entre les convertis et les non convertis, comme si les uns étaient des nouvelles créatures accueillies dans le Royaume de Dieu et les autres des affreuses choses promises à la mort ignominieuse.

Donc non, finalement, on ne peut pas prendre cette conversion du baptême d’adulte comme clé de lecture de notre texte, il faut trouver autre chose.

Une solution possible est la suivante.

Tous : on naît de chair et de sang, comme n’importe quel animal ou mammifère. Pour être pleinement humain, il faut quelque chose de plus, une autre dimension à laquelle il faut accéder. On peut l’appeler celle de l’esprit, du spirituel, ou de tout ce qui fait qu’on est plus qu’un animal : dimension de l’amour, de l’esprit, de l’art, du don de soi, de l’élévation d’âme comme on disait autrefois. Et on peut penser que l’Evangile est précisément la direction vers laquelle aller pour trouver cette dimension de l’au delà de l’animal, la recette pour ne pas vivre comme une bête : l’amour, le don de soi, le pardon, le service, la gratuite, l’humilité, la douceur...

Donc finalement, cela n’est pas sans rapport avec ce que l’on veut signifier lors d’un baptême d’enfant, les parents qui baptisent un tout petit bébé en particulier veulent affirmer que ce petit bout d’homme n’est pas seulement un tube digestif, mais qu’il a une autre dimension qui est celle du spirituel. Et baptiser un enfant, c’est s’engager à prendre garde à cette dimension, affirmer qu’on prendra soin du corps de l’enfant, pour lui donner à manger, le soigner et tout ce qu’il faut, mais qu’en plus il faudra prendre en considération cette autre dimension pour, elle aussi, la soigner et la nourrir. Pour le corps, c’est facile, il faut une nourriture saine, du sport, des soins, et pour l’esprit, la nourriture, c’est de l’amour, de la parole, des valeurs. Et c’est ainsi que le baptême d’un enfant, c’est dire qu’on veut fonder une vie sur l’amour, et aussi lui transmettre des valeurs essentielles pour l’orienter et l’aider à se construire comme un être humain accompli. C’est dire à un enfant qu’il est aimé et qu’on veut lui transmettre un message de vie comme celui qui se trouve dans l’Evangile.

Et cette dimension spirituelle de l’être humain, c’est sa valeur la plus profonde, cette part invisible et transcendante qu’on appelle « vie éternelle ». Parce qu’en effet, la vie éternelle, ce n’est pas pour Jean une sorte de vie après la mort, dans cet évangile, Jésus ne promet pas à ceux qui croient en lui qu’ils « auront » la vie éternelle, mais il dit qu’ils « ont » la vie éternelle, c’est un fait, pas une promesse. La vie éternelle, c’est cette dimension de notre vie, qui s’agrège petit-à-petit sur notre vie physique, qui la dépasse, qui est de l’ordre de la transcendance, et qui est au delà du fait qu’on soit riche ou pauvre, jeune ou vieux, malade ou en bonne santé, et finalement tellement au delà du corps animal qu’elle traverse la mort pour être éternelle.

On peut même ainsi prouver l’existence de cette vie éternelle : l’axiome de base, c’est qu’il existe une dimension non animale dans l’être humain, quelque chose qui n’est pas lié à la matière, du non physique. Cela peut être de l’ordre de l’esprit, ou simplement de l’amour qui est, bien sûr, une réalité que la physique ne sait pas mesurer, ni l’économie valoriser. Or, on sait que scientifiquement, le temps est lié à l’espace, sans espace, sans matière, il n’y a pas de temps, le temps est une dimension de l’espace. Et donc si il y a quelque chose en nous qui échappe à l’espace alors cette dimension échappe au temps. C’est cela l’éternel, non pas ce qui dure très longtemps, (ça c’est ce que les philosophe appellent « sempiternel »), mais ce qui est hors du temps.

Donc on naît comme un animal, puis apparaît cette dimension spirituelle qui s’agrège à la dimension biologique qui est la première, et qui grandit jusqu’à devenir considérable, et cette dimension échappe au temps, c’est-à-dire que la mort peut tuer le corps, mais que cette dimension demeure.

On pourrait comparer cela à une fusée à plusieurs étages. Le lanceur, c’est notre vie physique, et sur cette vie physique est greffée une autre dimension spirituelle. Au bout d’un certain temps, le lanceur épuise son carburant, et alors retombe sur le sol, mais la partie supérieure de la fusée reste en l’air et continue sa course, comme un satellite qui va tourner infiniment. L’important, ce n’est pas le lanceur, mais le satellite précieux qu’il porte. Le lanceur peut être beau et joli, tant mieux, il n’est pas l’essentiel, mais sans lui... rien ne serait lancé. C’est d’ailleurs bien ce que dit Paul quand il parle de la résurrection, qui est pour lui l’équivalent de cette « nouvelle naissance », c’est-à-dire l’irruption de cette dimension spirituelle, le point de passage du biologique au spirituel, là aussi quelque chose que Paul décline au passé et pas au futur pour une autre vie éventuelle : «Semé corps terrestre, on ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps terrestre, il y a aussi un corps spirituel... Mais le spirituel n’est pas le premier, c’est ce qui est terrestre; ce qui est spirituel vient ensuite.» (1Cor 15:44)

Reste alors la méthode : comment accéder à cette dimension nouvelle de la vie ?
On trouve la réponse dans un dans jeu de mot présent dans le texte grec : quand Jésus dit qu’il faut naître « de nouveau », le « de nouveau » est dit par le mot grec« ἄνωθεν » qui a un double sens puisqu’il signifie aussi et surtout : « d’en haut ». Il faut donc naître d’en haut, c’est-à-dire de Dieu. Il faut donc comprendre que la source de cette vie spirituelle, elle est en haut, il faut aller chercher tout ce qui n’est pas du ras de terre pour se tourner vers lui et y chercher la source de sa vie spirituelle. Le but n’est donc pas présenté comme de devoir s’élever progressivement vers du plus spirituel, mais de recevoir. Ainsi l’image de la fusée n’est pas totalement juste, puisqu’il s’agit plutôt de se rendre disponible et d’accueillir une nouvelle dimension dans notre vie, de faire de la place pour autre chose que ce qui nourrit le ventre et satisfait le corps.

Ensuite Jésus dit qu’il faut « naître d’eau et d’esprit ». Donc d’abord : naître d’eau. Cela ne concerne pas le fait de se soumettre à un geste liturgique, fût-il un sacrement. L’eau est là un symbole bien sûr, sinon, quand il est dit qu’il faut aussi être « baptisé de feu », il faudrait se plonger concrètement dans le feu ? C’est absurde. L’eau donc est un symbole et plus particulièrement un symbole de la grâce. Parce que Dieu fait pleuvoir sur les justes comme sur les injustes (Matt. 5:45), et la source d’eau qui désaltère le voyageur assoiffé du désert donne son eau à celui qui vient boire, qu’il soit bon ou méchant. L’eau, c’est cette rosée qui fait du bien à tous et qui est offerte sans condition. Naître de cette eau, cela signifie que le meilleur de notre vie, il doit trouver sa racine dans la grâce de Dieu, dans ce que Dieu nous donne, ce qui est en particulier son amour. Se savoir aimé par Dieu, pardonné, accepté nous permet d’accéder au nouveau monde de la grâce, à une logique qui n’est plus celle du « monde », c’est-à-dire celle du profit, du pouvoir et du matérialisme. C’est d’ailleurs aussi ce qui est signifié lors du baptême d’un petit enfant, on fait pour lui un signe disant cette grâce, et on veut marquer le début de sa vie de cette grâce et de cet amour qui l’accompagne, amour de ses parents, de ses proches, parrain et marraine et aussi amour de Dieu.

Et puis naître de l’esprit, c’est autre chose. L’esprit, c’est le vent (c’est le même mot en hébreu et en grec), c’est la force de Dieu qui donne la vie, la puissance de création. C’est le feu dans lequel aussi nous devons être baptisés (Luc 3:16). Le feu, c’est la puissance qui fait bouillir une marmite, qui fait avancer la machine à vapeur, et même nos moteurs de voiture. De même, le vent c’est cette force qui fait avancer les bateaux sur la mer, ou tourner nos éoliennes. Il faut donc se plonger dans la puissance transformatrice de Dieu. Parce que Dieu n’est pas qu’un amour doux, agréable, il est aussi puissance qui nous bouscule, force qui nous transforme, vent qui nous met en marche, et il faut se laisser transformer par Dieu.
Alors peut-on découvrir cette nouvelle dimension de la vie, et n’être pas qu’un animal né biologiquement, alors on n’est pas seulement né de chair et de sang, mais de Dieu, alors on accède à cet homme nouveau, à cette nouvelle créature, alors on ressuscite avec le Christ à une vie spirituelle qui est le couronnement de la création.

Elle est venue chez les siens, (cette parole de Dieu) et à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. (Jean 1.11–13).

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Jean 3: 1-8

Mais il y avait parmi les Pharisiens un chef des Juifs, nommé Nicodème ; 2il vint de nuit auprès de Jésus et lui dit : Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de la part de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est avec lui. 3Jésus lui répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu. 4Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? 5Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. 7Ne t’étonne pas que je t’aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. 8Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l’Esprit.

Jean 3:1-8