Comment lutter contre le mal: la maison vide et les sept démons
Prédication prononcée le 18 janvier 2015, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Comment lutter contre le mal qui est en soi, dans l’homme en général, ou dans la société ? L’Evangile nous donne quelques pistes de réfléxion à partir des paroles de Jésus sur ce qu’il dit sur la manière de « chasser les démons ». Dans le langage de l’Evangile, en effet, il faut comprendre que ce qui est appelé « démon » représente le mal sous toutes ses formes, tout ce qui menace l’homme, son équilibre, son bonheur, sa paix, sa capacité à agir positivement dans le monde.
La première chose qu’enseigne Jésus, c’est qu’on ne peut pas chasser un démon par le prince des démons (Beelzebul) mais qu’il faut agir par « le doigt de Dieu ».
Cela veut dire qu’on ne doit pas répondre au mal par le mal, opposer la violence à la violence, le mensonge au mensonge.
Certes, parfois, dans l’urgence, la force peut être légitime et même nécessaire pour défendre le plus faible, et la police empêche ceux qui viennent tuer avec des armes de guerre en les tuant avec des armes de guerre. Et heureusement qu’elle est là. Mais cela n’enlève pas le mal, ça ne fait que l’empêcher de nuire provisoirement. Il faut évidemment ensuite faire une action de fond d’une autre nature et beaucoup plus complexe. Les méthodes brutales d’action contre le mal risquent toujours de générer à plus ou moins long terme du ressentiment, du désir de vengeance, de la haine même, et finalement risquent de renforcer les démons dont a voulu limiter l’effet.
De même, par rapport à nos propres démons intérieurs, agir par la force, en s’imposant à soi-même une morale rigide, des méthodes comportementalistes, peuvent masquer provisoirement les problèmes, mais si le démon intérieur n’est pas surmonté, il continuera à faire un mal souterrain et à redevenir un jour vainqueur, ou, au moins, à dévaster l’intérieur de l’être par le refoulement, la culpabilité ou tout symptôme désagréable pour soi et pour les autres.
Jésus a dit sans cesse que les mauvais fruits d’un arbre ne sont là que parce que l’arbre est mauvais, et que ce n’est pas en empêchant de force un mauvais arbre de donner des mauvais fruits qu’on le rendra bon.
Ce qu’invoque Jésus pour réagir positivement, c’est « le doigt de Dieu » c’est-à-dire sa puissance créatrice. Il faut trouver quelque chose de neuf, inventer une solution nouvelle qui fasse sortir de la seule réplique enfantine du « c’est celui qui dit qui est », ou de la loi du Tallion : « œil pour œil et dent pour dent ». Et toute situation mauvaise doit être traitée non pas comme un champ de bataille pour essayer d’enlever le mal qui perturbe afin de revenir comme avant, mais comme un lieu de création nouvelle, il faut trouver un nouvel équilibre, inventer une situation nouvelle où le mal n’a plus de raison d’être, ou pour intégrer le mal et s’appuyer dessus.
C’est ainsi qu’on peut comprendre le célèbre et difficile « si on te frappe sur la joie droite, tend aussi l’autre », non pas comme un appel à la passivité ou à encourager le méchant à continuer son mal, mais à lui tourner un autre visage que celui qui a subi la violence, à se présenter autrement pour essayer de rompre le cercle vicieux du ping-pong conduisant à une escalade de la revanche.
C’est donc cela qu’il faut : lutter contre le mal par quelque chose de neuf qui permet de se placer d’une autre manière, inventer pour trouver une solution qui fasse sortir « par le haut ».
Il y a ensuite un autre danger contre lequel Jésus nous met en garde, c’est que le mal provisoirement chassé revienne en pire, et c’est l’histoire du démon chassé de la maison et qui revenant la trouve vide, il revient alors s’y installer avec sept autres démons pires que lui. L’idée semble être qu’on ne doit pas tant vouloir retirer le mal que d’essayer de le remplacer par du bien, il ne faut pas vouloir s’opposer frontalement au mal, ni le remplacer par du vide, parce qu’on ne détruit pas le mal en ce faisant, et on lui garde une place royale pour qu’il revienne. Comme le dit la sagesse populaire : « chassez le naturel, il revient au galop ». L’action peut fonctionner, mais elle est de courte durée, parce que la nature a horreur du vide. Il faut donc, au contraire, remplir sa vie de bien pour que le mal n’ait même pas de place pour être, et il ne faut pas tant agir négativement en retirant, ôtant, interdisant, contraignant, mais positivement que positivement en donnant la place au meilleur possible pour que le mal soit poussé dehors.
La sainteté ne s’obtient pas par une quelconque de démarche héroïque de sa vie, en s’imposant toute sorte de restrictions ou interdictions, mais en se remplissant d’amour. D’ailleurs le Christ donne peut de commandements négatifs, il ne dit pas tant : « tu ne tueras pas », ou « tu ne te vengeras pas », mais plutôt : « tu aimeras », « tu pardonneras ». Si l’être était focalisé par une dynamique positive, alors il n’y aurait même plus besoin de contrainte. C’est ce qu’a compris saint Augustin quand il dit son célèbre : « aime et fais ce que tu veux ». Si ta vie est pleine d’amour, alors il n’y aurait plus rien de mal contre quoi il faudrait lutter.
Et si cela est vrai pour notre vie personnelle, il y a aussi certainement quelque chose qui peut s’appliquer à la société. Si il y a un problème aujourd’hui de dérives intégristes, certains disent que cela montre que les religions sont mauvaises et qu’il faudrait les supprimer. Mais on ne lutte pas contre les dérives perverses de la religion par l’absence de religion. On n’évite pas une idéologie mauvaise par le vide en la remplaçant par rien. Il faut quelque chose à la place qui soit constructif et positif, faute de quoi la pire des idéologies aura la voie facile pour revenir s’installer dans les esprits vacants. Il est un fait d’ailleurs que beaucoup des terroristes ou assassins radicaux ne sont pas tant des religieux modérés qui se seraient radicalisés, que des personnes n’ayant eu aucun enseignement religieux et qui sont passés directement de l’état « rien » à l’état « radical » sans passé par l’étape « modérée ».
L’athéisme, ou plutôt l’absence de religion ou d’idéologie n’est pas une solution à la dérive des religions, et ce pour plusieurs raisons.
La première, c’est qu’il existe un désir religieux fondamental chez un certain nombre d’être humains. Or si on ne propose pas aux enfants une religion rationnelle, mesurée et tolérante pour donner un cadre à ce sentiment, ils risquent de chercher ce cadre dont ils ont besoin auprès du premier prédicateur déséquilibré venu. Quelqu’un qui n’a eu aucune instruction religieuse ou idéologique est évidemment une proie facile pour une idéologie primitive. C’est ce qu’exprimait le curé d’Ars en disant de ses fidèles : « supprimez le prêtre et en quelques années, ils adoreront les bêtes ». Une instruction religieuse intelligente, raisonnable, tolérante est le meilleur rempart contre les superstitions et les pensées radicales. Il faut proposer aux enfants dès leur plus jeune âge une possibilité de vivre leur sentiment religieux, ou leur désir de transcendance d’une manière subtile et réfléchir, en apprenant à discuter avec d’autres, à examiner, à avoir un regard critique, une vision dialectique bienveillante.
Et puis beaucoup des problèmes des comportements dangereux que nous observons sont sous tendus par des questions idéologiques, or, si on peut empêcher un terroriste de nuire par la force, on arrête pas une idéologie par des balles de fusil. Pour lutter contre une idéologie, il faut une idéologie. Or, même si elles ne sont pas les seules, le sens même des religions est de travailler à ce niveau, d’instruire les gens, de les inciter à réfléchir sur ce en quoi ils croient. Les religions ont donc un grand rôle à jouer pour enseigner à chacun la tolérance, la fraternité, le pardon, la paix et l’amour. Et pour montrer dès leur jeune âge aux enfants qu’on peut parler, discuter, questionner de tout ça, et que la question des idéaux, de la foi et de la spiritualité est une question complexe se refusant à toute simplification, ou à tout enfermement doctrinal, dogmatique ou sectaire.
Dans tous les cas, plutôt que de vouloir supprimer, enlever, il vaut mieux remplir par du positif pour que petit-à-petit le bon chasse le mauvais, et il vaut mieux chercher à mettre du bien dans sa vie que de vouloir de force enlever le mal.
Et cela nous concerne aussi nous, pour ce qui est de notre propre équilibre moral et spirituel. Les événements violents ou haineux du monde nous remplissent de sentiments négatifs, de crainte, de jugements, de ressentiments, voire de désirs de vengeance. Et pour chasser ces pensées mauvaises et délétères qui nous sont imposées par les nouvelles du monde que nous recevons sans cesses, il ne suffit pas d’essayer d’y faire barrage en disant : « pas de haine », « pas de récupération », « pas d’amalgame », « pas de crainte ». Ce qu’il faut, c’est se remplir de positif, de confiance, de joie, d’espérance et d’amour. Il faut nourrir son âme avec du bien, du positif plutôt que de tenter de lutter contre les idées morbides. Or, les chrétiens ont la chance d’avoir une source extraordinaire de joie, d’espérance, de paix, de confiance, c’est l’Evangile qui est mot-à-mot une « bonne nouvelle ». Cet enseignement du Christ est une nourriture pour nos âmes, c’est un pain de vie pour faire passer le poison que nous distille sans cesse les médias. Pour rester en équilibre, il faudrait donc passer autant de temps à lire la Bonne nouvelle de l’Evangile que nous en passons à nous laisser démoraliser par les actualités médiatiques, faute de quoi nous risquons d’être entraînés dans le tourbillon démoniaque de toute sorte de mal.
Mais c’est la même chose en fait dans notre société, on voit que les personnes qui dérivent ont manqué de tout, ce sont le plus souvent des gens qui n’ont pas eu d’amour, pas de parents, pas d’éducation, pas de diplômes, pas de métier, pas d’avenir, rien, rien et rien, que du vide et du vide. Et on peut toujours essayer de chasser les démons, mais tant qu’il y aura du vide, il y aura cet espace d’aspiration pour toute sorte de démons les pires.
Alors dans la société, il y a de nombreux acteurs pour tenter de combler ces vides, il y a l’école, bien sûr, les acteurs sociaux, et on sait que c’est important, mais là encore, les acteurs religieux peuvent avoir un rôle privilégié. Napoléon lui-même en avait bien conscience, lui qui avait voulu que les prêtres et les pasteurs soient payés par l’état parce que disait-il « un prêtre remplace sept policiers ». Et tout simplement parce que la religion peut être une nourriture, et positive, si elle rempli son rôle, non pas pour empêcher, interdire, éliminer ou excommunier, mais pour nourrir, remplir ses fidèles de bonnes choses, d’amour, d’espérance, de considération et de patience.
Et il est un fait que la foi peut nourrir l’être même dans les domaines où il peut se trouver dans un vide dangereux ou une absence cruelle de par sa situation matérielle.
Et même à celui qui manque d’amour ou de parents, elle donne la possibilité de vivre d’un amour inconditionnel, de se savoir être aimé par un Dieu de tendresse. Ainsi que le dit le Psaume 27 : « même si mon père et ma mère m’abandonne, l’Eternel me reçoit ». L’amour est la base nécessaire pour vivre, à tout âge, et celui qui en manque ne peut pas vivre normalement en paix avec lui-même et avec les autres. Si l’on a la chance d’être nourri dans ce sens par ses proches, ses parents, ou d’autres, tant mieux, mais sinon, s’il y a un lieu où l’on se le laisse rappeler avec force que l’on est aimé, inconditionnellement, c’est bien dans l’Evangile, et c’est bien dans la prédication de l’Eglise. N’ayez pas peur vous êtes aimé.
Et même à celui qui a des difficultés d’intégration dans une société impitoyable et dure, l’Eglise peut offrir une communauté chaleureuse d’amis, de frères et de sœurs avec qui il est possible de vivre en paix en se sentant accueilli chez soi.
Ou encore à l’enfant qui manque de cadre, de valeurs, d’idéal, là encore, l’Eglise donne un cadre, un cadre intelligent, mais ferme. L’Evangile, c’est la grâce, mais aussi une direction, un idéal, une ligne de conduite. Et chacun doit avoir ce cadre faute de quoi il risque d’en chercher un ailleurs qui sera peut être dangereux pour lui et les autres.
Et enfin, à celui qui manque cruellement de considération, l’école fait ce qu’elle peut, mais elle peut aussi aggraver la chose, parce que celui qui est en échec scolaire, celui qui ne parvient pas à s’adapter aux exigences de l’enseignement, il se trouve renvoyé à une image extrêmement dégradée de lui-même. Et à celui-là encore, l’Evangile dit une bonne nouvelle : quelque soit votre niveau social, votre degré de réussite scolaire ou professionnelle, Dieu, lui, vous regarde comme la prunelle de ses yeux, il vous voit comme des rois, comme des prêtres, Et nous voyons un Jésus qui s’intéresse aux plus petits, aux exclus, et qui dit que bien souvent, le plus petit parmi les hommes peut être le plus grand dans le Royaume de Dieu.
Et l’Evangile peut même permettre à celui qui ressent le besoin de se réaliser, d’avoir une mission utile, forte et héroïque de d’exprimer. L’Evangile dit à chacun qu’il peut devenir un héro, parce que Dieu l’engage pour combattre pour lui, pour un monde meilleur, pour faire grandir la fraternité, la paix et combattre contre les injustices, les violences et les souffrances dans ce monde. Chacun est appelé à devenir un soldat du Christ, un héro pouvant changer le monde.
Donc certainement, le message de l’Evangile peut nous nourrir dans toutes les dimensions de notre être, il peut donner à chacun tout ce dont il a besoin. Pour vivre, il faut être nourri, faute de quoi, on dépérit ou on devient dangereusement agressif. Il faut donc que nous mêmes, et chacun de nous soit nourri dans toutes les dimensions de son être. Certes on peut compter sur les autres pour nous donner ce dont nous avons besoin, mais c’est dangereux, aléatoire, et souvent imparfait, source de frustrations.
Et cette nourriture, nous la demandons tous les jours à Dieu dans le Notre Père : « donne nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Et nous croyants, nous avons la meilleure des nourritures : elle est en Jésus, il nous suffit de manger le Christ, car dit-il : « je suis le pain de vie, et celui qui me mange vivra éternellement, mon corps est vraiment une nourriture, et mon sang vraiment une boisson ».
En Christ, nous avons l’amour inconditionnel, même quand ceux qui nous aiment nous blessent. En lui nous avons le pardon, même quand nous sommes exposés à la rancœur, au ressentiment ou à l’injustice de ceux qui nous en veulent injustement, nous avons le pardon, même quand nous avons tendance à nous sentir coupables. En lui nous avons la paix, la paix dans le cœur, même si notre pays ou notre monde est en guerre. En Christ nous avons l’espérance et la confiance, même quand tout nous porte à la crainte ou à l’angoisse, il nous libère. Il nous reconstruit, nous valorise, même quand nous pourrions nous sentir dévalorisés ou perdre confiance en nous-mêmes, par l’Evangile, nous avons un projet, une mission, quand nous risquerions de nous sentir inutiles...
N’ayez pas peur, vous avez en Christ un puissant sauveur, et il vous avez en lui tout ce qu’il vous faut pour vivre heureux, en paix, aimé, reconnu et sauvé.
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Luc 11:14-24
Jésus chassait un démon qui était muet. Lorsque le démon fut sorti, le muet parla, et les foules furent dans l’admiration. Mais quelques-uns dirent : C’est par Béelzébul, le prince des démons, qu’il chasse les démons. Et d’autres, pour le mettre à l’épreuve, lui demandaient un signe venant du ciel.
Comme il connaissait leurs pensées, il leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté et les maisons s’écroulent l’une sur l’autre. Si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume subsistera-t-il, puisque vous dites que c’est par Béelzébul que je chasse les démons ? Et si moi, je chasse les démons par Béelzébul, vos fils, par qui les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. 20Mais, si c’est par le doigt de Dieu que moi je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous.
Lorsqu’un homme fort et bien armé garde sa propriété, ses biens sont en sûreté. Mais, si un plus fort que lui survient et s’en rend vainqueur, il lui enlève toutes les armes dans lesquelles il se confiait, et il distribue ses dépouilles. Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse.
Lorsque l’esprit impur est sorti de l’homme, il traverse des lieux arides, cherche du repos et, comme il n’en trouve pas, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti ; et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Puis il s’en va et prend sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils entrent et s’établissent là, et la dernière condition de cet homme devient pire que la première.