Skip to main content
56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

Le bon ou le mauvais exemples des Mages volages

Ecouter la version audio Conf MP1

Prédication prononcée le 4 janvier 2015, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

 

  Les Mages ont une grande importance dans la religion chrétienne. D’abord l’évangile de Matthieu leur consacre la moitié d’un chapitre, ce qui est beaucoup, et puis c’est la première chose qu’il nous dit concernant le Jésus qui vient de naître. La tradition chrétienne va même leur donner aussi une place considérable avec l’Epiphanie. On leur attribue un dimanche entier de fête. C’est un cas unique, il n’y a pas beaucoup de monde, à part Marie qui ait droit qu’un dimanche de l’année leur soit consacré.

Mais ce qui est curieux, c’est que ces mages apparaissent au début de l’évangile, ils adorent le Christ, puis ils repartent, rentrent chez eux, et on ne les revoit plus, il n’en est plus fait mention nulle part dans les évangiles. C’est décevant, on présente habituellement les Mages comme des exemples, exemple de païens qui découvrent le Christ et viennent l’adorer, on aurait voulu qu’ils soient bien exemplaires, que cette découverte change leur vie, qu’ils deviennent fidèles, qu’ils restent à la suite du Christ, qu’ils le prêchent ensuite ; mais non, ils s’évaporent, on ne les voit plus, ils ne sont pas présents à la Croix, et n’ont aucun rôle apparemment dans l’Eglise naissante. Cela n’est pas tout à fait exemplaire, il faut bien le dire.
Alors la tradition chrétienne a essayer d’enrichir l’histoire des Mages pour ajouter ce qui semble leur manquer, on a dit des choses sur eux, on ajouté leurs noms : Gaspar, Balthasar et Melichior (à partir de la fin du Ve s.).

Certains contes ont même voulu qu’un des Mages soit finalement présent au pied de la croix. Et au Moyen-Age, pour annuler ce scandale de ces Mages volages, on a voulu dire qu’ils étaient devenus en fait martyrs et évêques. C’est ainsi qu’on peut voir à la cathédrale de Cologne en Allemagne une châsse avec les prétendus restes des Mages qui est présentée comme relique pour l’adoration des fidèles.

Mais donc si l’on veut s’en tenir au texte biblique, il faut bien admettre que les Mages sont simplement des gens qui sont venus de loin, qui ont reconnu le Messie, l’ont adoré, puis sont repartis, il faut bien admettre que les Mages aient disparus bel et bien. Cela doit nous inviter à repenser notre conception de l’Eglise, de ce qu’est être fidèle et de la manière avec laquelle nous sommes invités à adorer le Christ.

 

Les Mages, tout d’abord, s’ils ne sont pas nécessairement exemplaires, ne sont pas mauvais, et ils doivent nous rendre plus tolérants à l’égard d’une certaine catégorie de fidèles de passage dans nos Eglises. Nous connaissons tous, en effet dans nos églises des gens qui viennent, font une véritable démarche, découvrent le Christ, parfois demandent à être baptisés adultes, s’engagent, et puis un jour ou l’autre disparaissent, s’évaporent en quelque sorte. Nous avons tendance à considérer que c’est un échec, pour eux, et pour nous, mais, après tout, peut-être pas. Ils sont comme les Mages, ils rentrent chez eux, « par un autre chemin », c’est-à-dire qu’ils ont reçu quelque chose, ils ont été transformés d’une certaine manière, et il n’y a pas nécessairement de trahison, d’échec ou de manquement. Chacun a sa route, et cette route peut passer un temps par l’Eglise, et ce temps peut être une part importante de ce chemin sans nécessairement être tout le chemin de toute une vie.

Les Mages nous contraignent à élargir notre conception de l’Eglise, à voir qu’il n’y a pas qu’une manière d’être un « bon croyant », l’objectif n’est pas forcément que chacun soit toute sa vie collé à l’Eglise ou au Christ, ce peut être un passage. Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est que ce passage soit positif, et que ceux qui s’éloignent de l’Eglise plus ou moins après y avoir été très investis puissent le faire sans culpabilité, sans sentiment d’échec ou d’abandon, mais avec reconnaissance. Ils ont fait un bout de chemin avec le Christ, c’est déjà pas mal, ce peut même être énorme, on peut croire que ceux qui ont fait cette découverte, même s’ils sont allés continuer leur chemin d’une autre manière ne seront plus les mêmes. A nous de faire en sorte que ce passage reste pour eux un bon souvenir, de quelque chose de fraternel, de positif d’ouvert, et qu’ils n’en partent pas comme s’ils se libéraient d’un carcan idéologique, ou d’une morale pesante, mais comme ayant accompli quelque chose d’important, et compris des réalités essentielles leur ayant ouvert des portes et des chemins nouveaux.

Le christianisme n’est pas une secte, on peut y entrer et en sortir sans question, il n’y a pas de nécessité morale ou religieuse à y rester comme enfermé toute sa vie, chacun est libre.

 

Et on peut aller plus loin, parce qu’il n’est pas seulement question de ceux qui feraient un passage unique  par l’Eglise, mais ces Mages représentent chacun de nous qui passons notre temps à nous rapprocher du Christ et à nous en éloigner, à aller à l’Eglise, et à revenir chez nous, ne serait-ce que pour notre vie de famille, notre travail etc...

Et donc le Mages ne nous montrent pas seulement que l’attitude du chrétien de passage n’est pas si grave que ça, mais ils nous disent comment nous devons être idéalement des disciples du Christ, ils peuvent être précisément un modèle. Ils nous disent que le but du Christianisme n’est pas de rester tout le temps collé au Christ sans jamais le quitter. Le but, ce n’est pas de quitter son monde de s’arracher à ce que l’on est pour ne vivre que pour le Christ, mais c’est d’accepter de se déplacer pour aller voir autre chose que l’on trouve en Christ, se laisser dépayser par le Christ, cheminer vers lui, pour revenir chez soi un peu transformé.

L’idéal de la vie religieuse d’après l’exemple des Mages n’est donc pas celui des moines dans un monastères qui n’ont plus de «chez eux» dans le monde, qui perdent même leur propre identité, mais le laïque qui le reste, et va régulièrement voir le Christ pour l’adorer, puis revient chez lui à sa vie dans le monde. Le bon religieux, c’est la mère ou le père qui s’occupe de sa famille, c’est celui qui s’engage pour une cause dans ce monde, c’est le travailleur qui doit vivre dans son milieu difficile et profane, mais se déplace de temps en temps pour aller à la rencontre du Christ. Nous vivons tous dans des milieux qui ne sont pas toujours très chrétiens, il faut bien le dire, et nous avons des préoccupations profanes qui nous prennent beaucoup, cela n’est pas un péché, et il n’y a pas à y renoncer. Juste aller de temps en temps voir le Christ là où il est.

Les Mages viennent d’un monde très païen, éloigné du Christ, ils sont même montrés astrologues, c’est normalement une abomination pour la Bible. Mais on ne leur demande jamais de renoncer à être ce qu’ils sont. Ils vont vers le Christ comme ils sont, et reviennent ensuite chez eux, un peu transformés, certes, mais quand même comme ils sont. Nous devons comprendre donc que tous nous pouvons venir au Christ comme nous sommes, même avec nos faiblesses, nos petites idolâtries, nos travers, notre péché, rien n’est un problème, le Christ nous accueille tous.

Ce devrait être la devise de l’Eglise du Christ, malheureusement reprise par une chaîne de restauration rapide : «venez comme vous êtes». Tout le monde est bienvenu, rien n’est un problème, et on ne demande à personne de se déguiser en « bon chrétien » ni en autre chose que ce qu’il est, ni d’avoir une autre vie que chacun a, juste de revisiter sa vie à la lumière du Christ afin de l’habiter un peu différemment.

C’est d’ailleurs ainsi que le Christ s’est comporté dans tout l’Evangile, il n’a jamais refusé de manger avec les prostituées, les pécheurs, les péagers qui collaboraient avec les envahisseurs romains, ni même les pharisiens qu’il n’aimait pourtant pas beaucoup a priori. Mais chacun est invité à venir vers le Christ, sans condition préalable, chacun est bienvenu quel qu’il soit, quelle que soit sa foi, ses doutes, sa non foi, sa culture, son appartenance ou sa non appartenance. Et toute Eglise qui se réclame du Christ ne peut que faire de même, et accueillir dans ses pratiques, ses sacrements et sa table sainte tous ceux qui font la démarche de venir vers elle sans restriction, et sans question de savoir si la personne est mariée, divorcée, homosexuelle ou non, baptisée rituellement dans une Eglise ou une autre ou pas du tout !

Tout ce qui nous est demandé, dans notre vie profane, c’est de faire le plus souvent possible des visites au Christ : un instant de prière dans la journée, un moment pour s’abstraire de son activité pour lire un passage de la Bible, ou une heure que l’on met à part pour venir à un culte. Et c’est ça le culte : chacun vient avec sa propre histoire qui lui appartient et que personne ne peut juger, et se pose une heure devant le Christ, puis repart chez soi, retrouve les siens, sa vie, ses devoirs ses problèmes, mais chacun revient «par un autre chemin». Et c’est très bien comme ça, c’est ça la vie chrétienne.

 

Et puis ceux qui passent par l’Eglise, que ce soit pour un temps ou régulièrement, non seulement ce passage leur apporte quelque chose, et on peut espérer que dans tous les cas, ce soit bon pour eux, mais en plus ce temps de présence apporte quelque chose à l’Eglise elle-même. C’est le sens des cadeaux offerts par les Mages. On les interprète généralement comme vus du côté de ceux qui offrent, pour dire qu’il est bon de donner, certes, mais on peut aussi lire le texte dans l’autre sens : les Mages ont apporté quelque chose au Christ, ils lui ont donné des présents bien précieux qu’il n’aurait pas eu sinon. Et donc tous ceux qui viennent dans l’Eglise, pour un temps court ou long, répété ou non contribuent à la vie de l’Eglise et donnent beaucoup.

D’abord avec l’or, c’est la contribution matérielle qui permet à l’Eglise de vivre. Tout don même ponctuel est essentiel, et c’est l’ensemble des dons qui fait l’Eglise.

Ensuite avec l’encens, puisque cela représente la prière dans l’Ancien Testament : prière qui monte à Dieu comme l’encens (Ps 141:2). Et il est vrai que tous ceux qui s’assemblent dans l’Eglise l’enrichissent de leur prière tout le temps qu’ils y sont. C’est la communion des saints. Et à un instant donné, la prière de l’Eglise se constitue par la communion de ceux qui s’y trouvent et partagent quelque chose du plus profond d’eux-mêmes.

Et enfin avec la myrrhe utilisée pour embaumer les corps. Nicodème en prend pour préparer le corps du Christ qui ressuscitera (Jean 19:39). Et le corps du Christ, c’est l’Eglise (Gal. 1:24). Et tous ceux qui sont à un moment donnée dans l’Eglise constituent l’Eglise, et participent au corps du Christ.

Chacun donc apporte à l’Eglise et la constitue même selon ses moyens, selon son histoire et son propre parcours sans que personne ne puisse dire quel devrait être le parcours idéal. L’Eglise est simplement faite de ceux qui s’y trouvent, que ce soit pour un temps pour beaucoup, pour voir, ou pour y demeurer. Et chacun apporte quelque chose.

Et comme les Mages, chaque fois que nous donnons au Christ, ou que nous contribuons à constituer l’Eglise en en étant une pierre vivante, nous repartons chez nous un peu moins riches matériellement, mais riches d’une rencontre, d’un cheminement fait qui change notre manière de marcher dans la vie et nous permet même de revisiter notre propre vie pour la vivre différemment.

Et nous sommes tous comme les Mages, des voyageurs, invités à quêter, à chercher, à ouvrir nos yeux, à rencontrer le Christ, puis à revenir chez nous. Et ce nouveau chemin devient un chemin de lumière, de foi et d’espérance, de liberté et de joie, et il fait de nous des prêtres et des rois.

 

Retour à la liste des prédications

Matthieu 2:1-12

Jésus était né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode. Des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem et dirent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer.

A cette nouvelle le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée, car voici ce qui a été écrit par le prophète :
  Et toi, Bethléhem, terre de Juda
  Tu n’es certes pas la moindre
  Parmi les principales villes de Juda ;
  Car de toi sortira un prince,
  Qui fera paître Israël, mon peuple.

Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et se fit préciser par eux l’époque de l’apparition de l’étoile. Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations précises sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille moi aussi l’adorer.
Après avoir entendu le roi, ils partirent.

Et voici : l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait ; arrivée au-dessus (du lieu) où était le petit enfant, elle s’arrêta. A la vue de l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

Matt. 2:1-12