Louez l'Eternel sur le luth à 10 cordes
Prédication prononcée le 10 février 2013, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Maintes fois il est écrit dans le psautier qu’il faut louer l’Eternel sur le luth à dix cordes, comme dans le Psaume 33:2 « Louez l’Eternel sur la harpe, sur luth à 10 cordes chantez le » Que peut bien signifier cette injonction curieuse ?
Si l’on faisait une lecture fondamentaliste de la Bible, alors il faudrait en conclure que chacun devrait s’acheter un luth à 10 cordes et apprendre à en jouer, ce que personne ne fait. Etant moi même luthiste (Cf http://louispernot.com/Fr) je serais l’un des rare à pouvoir louer l’Eternel correctement ! Cela est bien sûr absurde et il faut donc chercher un autre sens.
L’idée, tout d’abord de louer Dieu sur des instruments de musique est très présente dans les Psaumes, en particulier dans le dernier, le Psaume 150 qui n’est qu’une liste d’instruments sur lesquels il faut louer Dieu. On peut comprendre cette idée : la louange ne passe pas forcément par de la parole articulée et intellectuelle, elle peut passer par des « soupirs inexprimables » comme le dit Paul (Rom. 8:26). Tout n’est pas exprimable par du discours rationnel, ou des belles formules bien construites, la prière peut aussi être de l’ordre de l’état d’esprit, du sentiment, du ressenti, intellectuel, affectif ou émotionnel. Ce n’est pas un hasard sans doute si c’est justement le dernier des Psaumes qui insiste sur ce point : après ce recueil de 150 prières qui sont des plus belles et des mieux construites, on veut nous dire que toute la louange de Dieu n’est pas enfermée là dedans, dans ces formules, mais qu’on peut la prolonger infiniment, en allant au delà des mots, au delà des paroles.
Alors certainement tout le monde ne sait pas jouer d’un instrument, et tous ne sont pas sensibles à la musique, mais le propre de celui qui joue d’un instrument est de faire du beau, de l’harmonie, et d’essayer d’atteindre la perfection dans la pièce qu’il va jouer. On peut donc louer Dieu simplement en faisant de belles choses, chaque fois que l’on fait du beau, de l’harmonie. L’artisan qui met tout son cœur dans son œuvre loue Dieu, et chacun, dans son métier peut louer Dieu : que ce soit le fonctionnaire ou le sportif, le balayeur ou le chef d’entreprise, chacun peut faire de son travail une œuvre d’art s’il le fait de tout son cœur le mieux possible pour créer du beau et de l’harmonie. Cela est assez révolutionnaire, parce que cela montre qu’il n’est pas nécessaire d’aller dans une église, de participer à un sacrement, à une liturgie, de se mettre dans une position particulière de prière, ou de faire un acte religieux pour louer Dieu. Chacun peut louer Dieu même dans sa vie de tous les jours, à tout moment et partout, c’est une question d’état d’esprit.
Mais pourquoi le Psaume spécifie-t-il que l’instrument doit avoir 10 cordes ?
Les commentateurs savants nous disent que c’est sans doute parce que historiquement le luth d’alors avait 10 cordes. Cela n’a aucun sens. S’il tous les luths avaient 10 cordes alors, on ne spécifierait pas, ça irait de soi, et la Bible ne parle jamais pour ne rien dire. Il faut donc se demander pourquoi « 10 ». La meilleure règle d’interprétation de l’Ecriture est que « la Bible explique le mieux la Bible ». C’est donc dans l’Ecriture elle-même qu’il faut chercher ce que signifie le nombre 10. La réponse n’est pas compliquée, cela renvoit aux « dix commandements », les « dix paroles » comme disent les juifs. Mais un luth n’a que faire des 10 commandements, ceux-ci ne valent que pour nous. C’est donc qu’en fait, c’est de nous qu’il s’agit. Le luth, c’est moi, et jouer sur le luth à 10 cordes veut dire que nous devons jouer notre vie sur les 10 commandements, ou plus largement sur la Parole de Dieu, sur les idéaux évangéliques que Jésus nous a enseignés. Tout cela nous est donné pour que nous les prenions et que nous les vivions, notre vie doit être mise en œuvre, mise en mouvement par l’idéal de l’Evangile, elle peut être une caisse de résonnance pour la parole de Dieu si nous la vivons, et alors toute notre vie peut devenir une musique, une harmonie qui contribue au bien, au beau, à l’harmonie et à la paix du monde. La preuve, elle est dans le psaume lui-même, au verset suivant il est dit : « Oui, elle est droite la parole du Seigneur » Bien sûr qu’elle est droite, est qu’est-ce qui est plus droit qu’une corde tendue ? C’est bien sur la Parole de Dieu qu’il faut jouer sa vie.
Cela touche aussi à une question d’extrême importance, à savoir : quelle est la fonction de notre vie, à quoi sert-elle ? Ce que nous voyons là est que sa fonction première, c’est de faire du beau et de l’harmonie dans ce monde. Il ne faut pas se tromper, sur ce point, ce serait aussi absurde et ridicule que celui qui aurait en sa possession un luth magnifique et qui l’utiliserait comme une raquette de tennis, ou même simplement pour se chauffer en en faisant du petit bois dans sa cheminée, pour le confort de l’instant. Notre vie en elle-même n’a de sens que pour faire résonner une conviction, quelque chose en quoi l’on croit, un idéal une dimension spirituelle. Si cela manque, alors notre vie ne devient que la caisse de résonnance du brouhaha du monde, pénible comme un hall de gare qui résonne. Et inversement, si nous n’avions pas cette vie physique, la parole de Dieu ne pourrait être perceptible dans ce monde matériel. Une corde seule sans la caisse en bois est absolument inaudible, comme l’action du Dieu créateur n’est vraiment perceptible qu’en nous. C’est donc dans la synergie entre la corde de l’esprit et le corps de l’instrument que la puissance créatrice, la force de vie de Dieu devient perceptible dans ce monde pour y apporter le bien et le beau qui lui manque. C’est aussi le message de toute la théologie classique qui a enseigné que le Christ était le point de rencontre et d’union entre l’homme et Dieu, et que le cœur de la chose est le centre de la croix où les deux branches horizontale du matériel, et verticale du spirituel se croisent. Reste à savoir quel jeu de cordes nous voulons tendre sur notre vie, de mauvaises cordes feront de la mauvaise musique, le choix du chrétien est de croire que l’Evangile nous offre les plus belle cordes qui soient permettant de faire quelque chose de précieux et d’immortel.
Mais ce n’est pas tout, et si l’on regarde de près le texte, on trouve encore d’autres choses qui précisent tout cela.
Le luth, en hébreu se dit : « NéBeL », or ce mot signifie normalement : « sot » et « seau », dans les deux sens du terme, un seau, une outre vide, un vase, et aussi un sot, la sottise, la stupidité. En soi, le mot n’est donc pas très positif, mais il confirme bien ce que nous avons trouvé en ce que cela représente notre vie physique. En effet, nous sommes tous, dans le fond, un peu sots, et nous ne pouvons prétendre par nous-mêmes à être des merveilles du monde. Et notre vie est creuse, elle n’a pas grand sens, tout dépend de ce que nous y mettons, de quoi elle se remplit. Et si nous n’y mettons pas l’essentiel qui est l’amour, alors, nous dit Paul, elle devient « comme un bronze qui résonne, une cymbale qui retentit », bref, un instrument qui rend un son indistinct et juste bruyant. Notre vie, c’est une caisse de résonnance exprimant ce qu’on y met, elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi.
Et puis « NéBel » vient du verbe « NaBaL » qui signifie « périr », « se flétrir », « s’épuiser », « se faner ». Là encore c’est bien le propre de notre vie physique qui est, par nature périssable, c’est pourquoi nous ne pouvons miser sur elle, fleur passagère qui brille un temps et n’a aucune durabilité. Tout ce qui compte, c’est ce dont on la remplit, ce qui est à l’intérieur. Elle peut être remplie de belles choses, de mauvaises, ou de rien. La Bible, elle, nous incite à utiliser notre vie pour faire le bien, à la voir non pas comme une valeur en soi qu’il faudrait préserver, mais comme un outil, un instrument au service d’une réalité qui la dépasse, pouvant faire une musique éternelle plutôt qu’un mauvais bruit.
Nous avons la même idée avec l’instrument souvent cité conjointement au luth : la harpe. Le premier joueur de harpe dans la Bible est Jubal : fils de Caïn (Gen. 4 :21). La harpe n’est donc pas du tout positive fondamentalelemnt, Caïn, c’est le matérialisme pur, l’égoïsme, la violence, tout ce qui fait la base de la nature humaine n’en déplaise à Rousseau. Or cette même harpe, dans des mains inspirées comme celles de David deviendra plus tard capable de faire le plus grand bien, comme de calmer les fureurs du roi Saül. Ce qui compte, c’est la manière de s’en servir, et de jouer notre vie sur les cordes du cœur (les deux mots se disent pratiquement de la même manière en latin) et non pas de la violence.
Les autres instruments cités dans les Psaumes sont du même ordre : l’orgue du Psaume 150 (v. 4) (parfois traduit par « chalumeau») se dit « OuGaV » or ce mot vient de « AGaV » qui signifie l’amour physique, impudique, se dit pour prendre un amant ou une maîtresse. Le français nous offre, curieusement, la même proximité entre « orgue » et « orgasme ». Même l’amour physique peut devenir bon s’il est fait en rendant grâces à Dieu, s’il est fait en y jouant les cordes de l’Evangile, c’est-à-dire dans un esprit de service, de don de soi, d’amour, de respect et de considération de l’autre. Chaque geste de notre vie quotidienne, même les plus triviaux peuvent devenir des geste à la gloire de Dieu quand il deviennent un lieu où l’on y vit l’Evangile. Ainsi Paul dira : « Quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (Col 3 :17). Tout c’est tout, Paul ne dit pas « quoi que vous fassiez, sauf manger, sauf faire l’amour, sauf boire, sauf danser, sauf se distraire... », mais « tout ».
D’ailleurs, le christianisme n’est pas une religion de l’ascétisme et du refus du plaisir, il n’y a pas d’opposition du corps et de l’esprit, les deux peuvent se servir l’un l’autre, il n’y a pas à sacrifier l’un pour avoir l’autre. Jésus lui-même est montré comme mangeant et buvant, vivant pleinement . Etre dans le monde, c’est accepter d’avoir des joies et des peines. La musique donne cela, la musique, elle peut être triste ou gaie, elle provoque des sentiments, elle peut être active ou reposante, pudique ou lascive, tant qu’elle est harmonieuse, toute musique est bonne. Jésus lui-même est montré se réjouissant et pleurant comme sur la mort de son ami Lazare. Il ne demande pas l’ataraxie qui serait de vivre sans joie et sans peine, au contraire, il condamne ceux qui disent que la religion, ce n’est ni de pleurer ni de danser : « Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé; nous vous avons chanté des complaintes, et vous n’avez pas pleuré. » (Luc 7 :32). Il faut accepter de pleurer les choses tristes, de danser de joie, de vivre pleinement dans ce monde comme Christ l’a fait... et de le faire toujours en y louant Dieu, et surtout en y jouant la partition de l’Evangile, en vivant chaque chose comme un lieu où peut se vivre l’idéal de l’Evangile d’amour, de service, de préoccupation de son prochain et de paix. Cela change tout. Chaque moment de notre vie, chaque chose, heureuse ou triste, chaque joie, chaque peine peut être le lieu de la grâce de Dieu quand il est vécu d’une certaine manière comme le lieu où peut résonner une parole de vie, et une façon de donner de l’amour.
Aller plus loin dans le texte lui-même permet de préciser encore cela. Nous avons dit que « dix » renvoyait aux dix commandements, or « dix » se dit « ‘aSoR » en hébreu, mot qui vient du verbe ‘aSaR qui signifie : riche, aisé. Et le texte ne dit pas de louer Dieu sur le « luth à dix cordes », mais simplement sur le « luth-dix», ce sont les traducteurs qui ajoutent le mot « corde » pour essayer de donner du sens à l’expression. Si donc « luth » veut dire « vide », « vain », et « dix » signifie « riche », louer Dieu sur le Luth-Dix, pourrait se traduire : sur la vaine richesse, la richesse injuste. Voilà qui nous renvoit à la célèbre parabole de Jésus dite de l’intendant infidèle. Jésus conclue par : « Faites vous des amis avec les richesses injustes » (Luc 16 :9), or ces richesses injustes, ce ne sont pas les biens que nous aurions acquis d’une façon malhonnête, mais toutes les richesses imméritées. Ce sont toutes les chances, les joies de notre vie tout ce dont nous profitons alors que finalement c’est plutôt une chance. Ces chances de notre vie, ce que nous pouvons en faire de mieux, c’est de les transformer en richesses relationnelles, en amitié, en amour, c’est là la seule richesse vraiment précieuse ici bas. La relation à l’autre, l’amour, voilà la richesse qui n’est pas vaine, tout le reste ne vaut pas grand chose. Il n’y a donc pas à culpabiliser d’avoir des richesses, aussi vaines soient elles, elles peuvent être converties en autre chose, et elles peuvent être des lieux où l’Evangile est joué.
Mais on pourrait aussi traduire encore autrement, parce que si « NéBel » veut dire « vide », et « ‘aSOR » : « riche », alors nous pourrions dire qu’il faut jouer sa vie sur la richesse des vides. Or, dans notre vie, il n’y a pas que des chances, il y a aussi des vides, des manques, des deuils, des frustrations et des épreuves. Et cela aussi peut être le lieu où quelque chose de beau et d’éternel peut être joué. Peut être même que ces manques peuvent être des chances, parce que c’est dans les temps de silence, d’inaction, de manque précisément que nous pouvons apprendre à trouver l’essentiel dans notre vie. Le Christ lui-même, dans les Béatitudes ne dira pas « heureux ceux qui sont riches », mais « heureux les pauvres », non pas « heureux ceux qui ont la paix », mais « ceux qui procurent la paix », non pas « ceux qui sont joyeux », mais « ceux qui pleurent », non pas « ceux qui sont rassasiés », mais « ceux qui ont faim et soif » (Matt. 5:1-9). Une vie bourrée de tout ne pourrait plus laisser de place, ni pour l’autre, ni pour aucune découverte. Un luth plein, que ce soit de chaussettes sales, ou même de billets de 500€ ne sonne pas. C’est pourquoi il faut laisser des espaces dans notre vie, des temps d’inaction, de prière, de quête, et même les temps d’épreuves qui sont des vides imposés peuvent devenir les lieux d’attente de quelque chose qui nous dépasse, du spirituel, ou de l’amour et la possibilité d’accueillir cela, et aussi le lieu où va résonner une parole créatrice pour soi et pour le monde. C’est pourquoi aussi il faut donner : donner pour l’autre, et même pour soi, pour s’appauvrir, pour manquer. Jésus, dans l’Evangile, valorise le don de la veuve non pas parce qu’elle aurait donné peu parce qu’elle avait peu, mais parce « elle a donné tout ce qu’elle avait pour vivre » (Luc 21:4), contrairement au riche qui n’a donné que son superflu.
Ainsi, tout peut être richesse, que ce soit les pleins, ou les vides, tout peut devenir le luth sur lequel on joue une parole de vie et d’amour.
Il faut louer Dieu en jouant sur notre vie sa parole, en travaillant à faire résonner en nous sa parole, et quand on fait cela, on crée de la joie, du beau, du bien, de l’harmonie, pour soi, pour le monde, et pour l’Eternité.
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Psaume 33:1-5
1Justes, poussez des cris de joie en (l'honneur) de l'Éternel !
La louange convient aux hommes droits.
2Célébrez l'Éternel avec la harpe,
Psalmodiez en son (honneur) sur le luth à dix cordes.
3Chantez-lui un cantique nouveau!
Jouez bien de vos instruments en l'acclamant.
4Car la parole de l'Éternel est droite,
Et toute son œuvre (s'accomplit) avec fidélité ;
5Il aime la justice et le droit ;
La bienveillance de l'Éternel remplit la terre.
Luc 16:1-12
1Jésus dit aussi aux disciples : Il y avait un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. 2Il l'appela et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance car, tu ne pourras plus être mon intendant. 3L'intendant se dit en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m'ôte l'intendance (de ses biens) ? Piocher la terre ? Je n'en ai pas la force. Mendier ? J'en ai honte. 4Je sais ce que je ferai, pour qu'il y en ait qui me reçoivent dans leurs maisons, quand je serai relevé de mon intendance. 5Alors il fit appeler chacun des débiteurs de son maître et dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? 6Cent mesures d'huile, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi vite, écris : Cinquante. 7Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet et écris : Quatre-vingts. 8Le maître loua l'intendant infidèle de ce qu'il avait agi en homme prudent. Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière.
9Et moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles vous feront défaut. 10Celui qui est fidèle en peu de choses est aussi fidèle dans ce qui est important, et celui qui est injuste en peu de choses est aussi injuste dans ce qui est important. 11Si donc vous n'avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera le (bien) véritable? 12Et si vous n'avez pas été fidèles dans ce qui est à un autre, qui vous donnera ce qui est à vous?