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Les vignerons et la pierre d'angle

Parabole des vignerons

Prédication prononcée le 1er août 2021, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot

Les paraboles

L’enseignement de Jésus passe parfois par un certain nombre de « paraboles » qui sont des comparaisons tirées de la vie courante pour expliquer comment fonctionne le « royaume de Dieu », c’est-à-dire tout ce qui concerne la relation à Dieu : ce que Dieu attend de l’homme, ce que l’homme peut attendre de Dieu, et comment vivre bien avec Dieu et avec nos frères et sœurs selon sa volonté.

La méthode de lecture est simple : dans chaque parabole, il faut trouver où est Dieu et où nous sommes nous. Dans celle des vignerons, c’est facile, Dieu, comme souvent, est le maître, et nous, nous sommes les vignerons. A partir de là, cette parabole nous donne des enseignements tout à fait essentiels sur l’essence même de la vie chrétienne.

Premiers enseignements

Le premier enseignement, tout simple mais considérable, c’est que Dieu a besoin de nous, comme le maître a besoin d’ouvriers. Nous pouvons travailler pour lui, faire des choses pour l’aider, œuvrer avec lui, coopérer à travailler à un monde meilleur. La chose n’est pas évidente, dans une conception classique de Dieu où il serait tout-puissant, omniscient, faisant en sorte que c’est toujours sa volonté qui se réalise, faisant les guerres ou les paix, imposant la maladie ou donnant la guérison, l’homme est presque de trop. Pourquoi agir alors puisque Dieu pourrait tout faire lui-même mieux que nous ? Ici, l’homme a un rôle réel dans le monde parce que Dieu ne peut pas tout faire tout seul.

D’ailleurs il est curieux de constater que dans cette parabole comme dans un bon nombre de grandes paraboles de l’Evangile, le maître s’en va, il est absent. Cela est difficile à expliquer, parce que nous avons la promesse que, bien sûr, Dieu reste toujours avec nous et ne nous abandonne jamais, comme le Christ ressuscité disant : « Je suis avec vous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matt. 28:20). Donc Dieu, bien sûr n’est jamais absent, il est toujours à nos côtés pour nous aider, nous soutenir, nous accompagner. Mais on peut comprendre cette apparente absence du maître de plusieurs manières.

Explications de l’absence de Dieu

La première, c’est que, même si, bien sûr, Dieu ne nous abandonne jamais, il arrive que nous ayions l’impression qu’il n’est pas là. Le problème ce n’est donc non pas lui qui se serait éloigné, mais nous qui ne saurions pas sentir sa présence. Ce peut être de manière temporaire, notre foi n’est pas forcément toujours au meilleur, et il arrive que nous ayions l’impression d’être loin de Dieu, que sa présence ne nous touche plus. Ou alors d’une manière plus chronique, certaines personnes n’ont pas le sentiment de la présence de Dieu, ont du mal à prier ; ce peut-être par nature, par éducation ou peu importe, c’est un fait. Le point positif de notre parabole, c’est qu’elle ne culpabilise pas ce genre de situation, elle donne juste une solution : que faire dans ce cas là ? La réponse, c’est : agissez, et œuvrez, faites la volonté de Dieu. Or sa volonté, elle est proposée explicitement dans l’Evangile et la prédication du Christ, c’est de travailler pour un monde meilleur, apporter de la paix, de la fraternité, de la justice, de l’amour... C’est ainsi d’ailleurs qu’un bon nombre de chrétiens aujourd’hui ne sont pas de grands mystiques, ou disent que, pour eux, leur foi en Dieu, se résume à croire dans des « valeurs ». Pourquoi pas. Croire que l’enseignement du Christ nous donne un idéal que l’on peut prendre pour soi, vouloir le suivre, vivre l’Evangile, c’est être authentiquement chrétien.

Dans le judaïsme, on trouve un peu la même idée, certains disent que pour être juif, il n’est pas nécessaire de croire en Dieu, il suffit d’appliquer les commandements. Nous chrétiens n’avons pas d’autre commandement que celui de l’amour, et on pourrait dire qu’en fin de compte être chrétien n’est pas nécessairement être un grand mystique, ou d’être bouleversé par le sentiment de la présence ou de l’amour de Dieu, mais simplement d’agir dans le sens de l’enseignement du Christ dans l’Evangile : aimer, servir, pardonner, donner sa vie pour les autres et pour leur bonheur.

L’autre solution pour expliquer cette absence de Dieu dans la parabole, peut être d’inciter à envisager sa vie parfois comme si Dieu était absent. Certes, le sentiment de la présence de Dieu est une chose douce et bonne, mais il ne faut pas en rester là, sinon on ne ferait rien. Il ne faut pas s’enfermer dans la foi ou une sorte de dépendance infantile à Dieu, il faut apprendre à s’autonomiser, et à ne pas toujours vivre sous une présence obsédante de Dieu. Et même, peut-être, pour ce qui est de l’action dans le monde, il faut faire comme si Dieu n’existait pas. Il faut cesser d’attendre des interventions divines, pour agir soi-même, en responsable de ce monde, et faire ce qu’il veut que nous fassions. Ainsi, nous voudrions un monde avec plus de paix, de fraternité, de justice, il ne s’agit pas tant de le demander à Dieu dans nos prières que de nous mettre nous-mêmes au travail pour l’apporter, à notre niveau, dans ce monde.

Qui profite des fruits de la vigne ?

Et ce qu’est la vigne ? Notre propre vie sans doute, l’outil qui nous est confié pour produire du fruit, dans toute notre vie. Cette vie nous est confiée, nous devrons la rendre un jour ou l’autre, d’autres vivront à notre suite, et nous, qu’en faisons-nous pendant que nous en avons la disposition ? La proposition de l’Evangile, c’est de produire du fruit. Et pas n’importe quels fruits, non pas des fruits infects comme le dénonce Esaïe 5, mais les fruits de l’Esprit présentés par Paul : « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi » (Gal. 5:22).

Plus précisément, dans notre récit, puisqu’il s’agit d’une vigne, les fruits sont du raisin, pour faire du vin. Or le vin dans la Bible, c’est le symbole de la joie et de la fête, un peu comme le champagne aujourd’hui. Voilà donc ce que Dieu attend de nous, c’est que notre vie produise de la joie.

Cette joie, elle n’est pas refusée aux vignerons, ils peuvent s’en rassasier autant qu’ils veulent. Nous avons le droit de profiter de la vie et des joies qu’elle peut nous procurer. Mais il est dit que Dieu vient de temps en temps rappeler qu’il serait bien de ne pas tout garder pour soi, mais de partager avec les autres. La parabole dit que c’est Dieu qui veut avoir une « part des fruits de la vigne ». Sans doute faut-il comprendre ici Dieu comme représentant l’universel, les autres en quelque sorte. Comme le Christ dit que les deux commandements d’ « aimer Dieu de tout son cœur » et d’ « aimer son prochain comme soi-même » (Matt. 22:39) sont semblables. Ici donc l’exigence, c’est de ne pas travailler pour son seul plaisir, mais d’en avoir à redonner aux autres.

Voilà ce à quoi Dieu nous appelle : que nous apportions dans ce monde de pleines grappes de joie, de bonheur et de bien-être. Et ce pour nous, bien sûr, mais aussi pour en avoir à redistribuer aux autres. C’est là une vocation merveilleuse, c’est le sens que nous devons donner à notre vie : être des porteurs de joie. Et cet idéal a l’avantage d’être très concret : qu’il faille aimer notre prochain, nous le savons, mais personne ne sait très bien ce que cela veut dire concrètement. Apporter de la joie au monde, faire plaisir, donner du bonheur, c’est un programme tout à fait facile à comprendre, et sans doute essentiel.

La sanction sinon, c’est que les vignerons seront chassés de la vigne et la vigne confiée à d’autres. Ce n’est pas que Dieu punisse, mais c’est pour indiquer une conséquence inéluctable : le seul moyen d’avoir de la joie soi-même, du bonheur, de l’amour, c’est d’en donner aux autres. Celui qui veut tout pour soi ou qui ne voit sa vie que par rapport à soi et à son propre plaisir, mourra comme un imbécile, d’autres vivront après lui, mais lui ne se sera pas inscrit dans le temps, dans la durée ou la transmission. Au contraire, celui qui fait de sa vie un don, celui qui se préoccupe de ce qu’il apporte aux autres, de ce qu’il transmet, sa vie cesse d’être pour elle seule, mais devient une ouverture sur toutes les vies auxquelles il participe et sa vie entre dans l’éternité.

Les serviteurs et le fils envoyés

Pour rappeler cela, le maître envoie des serviteurs. Sans doute qu’historiquement il s’agit des prophètes, qui ont souvent été maltraités et mis à mort. Mais il ne s’agit pas que de l’histoire d’Israël, c’est une réalité d’aujourd’hui que le monde n’aime pas qu’on le rappelle à l’ordre, ni qu’on veuille le sortir de son égoïsme. Pour nous, ces « serviteurs » peuvent être les pasteurs, les prêtres, ou toute personne qui nous rappelle à l’amour, au service, au don, au pardon, et il est certain que sans les mettre à mort, nous avons tendance à préférer les mettre de côté pour ne pas avoir à les écouter.

Alors finalement le maître choisit d’envoyer son propre fils. Évidemment il s’agit là de Jésus, le « fils de Dieu ». Et certes, Jésus est venu pour nous inviter à tourner notre vie vers les autres, à donner, et à participer à la création d’un monde meilleur en étant ouvrier avec lui au service d’un idéal d’amour et de grâce. Mais nous avons là au passage une leçon christologique essentielle. On a souvent enseigné dans les catéchismes que Dieu avait envoyé son fils « pour qu’il meure sur la croix », comme si la mort de Jésus était le but de sa venue. Mais ici, nous voyons que c’est faux. Le fils n’est pas envoyé pour que les ouvriers le tuent, mais pour délivrer un message. Le maître ne dit pas : « je vais envoyer mon fils, les ouvriers le tueront et j’aurai réussi mon projet », mais il dit son but : « ils écouteront mon fils ». Ainsi le but de la venue du Christ sur terre n’est pas qu’il meurt, ce n’est pas la croix, comme si sa mort pouvait en elle-même avoir quelque chose de positif, mais le but donc c’était de faire passer, de proclamer son évangile. D’après la parabole, si le fils est tué, c’est parce que les hommes n’ont pas voulu l’écouter. La mort du serviteur, comme la croix du Christ, n’est en fait que l’échec de sa mission.

Mais Dieu est un malin, et il ne reste pas sur les échecs. Il saura retourner la situation et faire de cette mort le point de départ d’une ère nouvelle. C’est d’ailleurs le secret de toute vie avec Dieu que de savoir rebondir à partir de ses échecs, de ses épreuves pour les utiliser comme tremplins pour aller plus loin et repartir vers une vie nouvelle.

Et puis, même si la mort de Jésus n’était pas, en tant que telle, voulue par Dieu, cette parabole a tout de même été dite avant que Jésus ne meure, on peut donc penser que Jésus avec Dieu savait très bien comment finirait son histoire, il savait que son rejet et sa mort étaient inéluctables, et il l’a assumé pleinement comme quelque chose de nécessaire pour aller au bout de sa mission. La mort de Jésus n’était donc peut-être pas le but, mais elle était prévue.

La punition de Dieu

Reste le problème de la punition, dans la parabole donc, le maître fait périr les vignerons indignes pour confier la vigne à d’autres. Cela est évidemment difficile à comprendre dans le cadre de ce que nous aimons dans le message de l’Evangile qui semble être celui du pardon, de la grâce et de l’amour, avec une patience infinie de Dieu pour ses enfants. On a voulu interpréter cela comme une illustration de l’histoire du salut : Dieu fait d’abord alliance avec son peuple élu, il envoie des prophètes qui sont malmenés, puis son fils Jésus Christ que les juifs mettent à mort, alors, il leur retire la promesse du salut pour la donner à d’autres : les païens. Sans doute, bien sûr que cette lecture a été faite, et surtout au commencement de l’Eglise. Mais elle ne fait pas sens pour nous, puisqu’aucun de nous n’est un juif du temps de Jésus. A moins de rejeter cette conclusion de la parabole comme n’étant plus pertinente dans notre époque, il faut la réinterpréter, et on le peut.

Il faut donc se rappeler que ces vignerons indignes ne sont pas d’autres qui seraient pointés du doigt, mais nous-mêmes en tant que nous n’obéirions pas à la volonté de Dieu et à son exhortation de partager nos richesses avec le plus grand nombre en nous mettant au service d’autrui. Or il ne s’agit pas tant là d’une punition réellement (Dieu ne punit pas je crois), mais de l’expression d’une conséquence inévitable qui adviendrait à celui qui ne vivrait que dans le pur égoïsme, et l’autonomie (au sens philosophique où il serait sa propre loi pour lui-même, ce qui est le péché originel, au lieu de servir Dieu). Et voici : si vous ne vivez que pour vous-mêmes, vous mourrez comme des imbéciles, vous cesserez de vivre comme un animal en ne laissant rien derrière vous. Mais ce n’est pas si grave que ça pour l’humanité finalement, d’autres vivront après vous, et sans vous et vous remplaceront sur Terre. Tant pis pour vous.

A l’inverse, celui qui donne, celui qui sert, laisse une trace, il apporte une contribution indélébile au monde, et parce qu’il transmet, sa mort n’est pas la fin de tout, et il s’inscrit dans l’éternité.

Et c’est là qu’intervient Jésus Christ, ou plutôt son message. L’Evangile est la clé de l’ouverture à l’autre et du dépassement de soi vers l’éternel et le transcendant. Il est la pierre angulaire.

Il est vrai que cette pierre d’angle du message de l’Evangile est rébarbative, il est ainsi rejeté par l’homme naturel : donner, se sacrifier, penser aux autres avant soi et servir n’est pas naturel et nous y répugnons tous. Pourtant ce message d’amour, d’attention à l’autre, de préoccupation du prochain est bien la pierre angulaire de la construction forte et durable de notre vie.

Celui qui trébuche sur cette pierre sans l’accueillir s’y brise, il tombe dans le néant, et si ce message vous tombe dessus, il peut vous écraser. C’est pourquoi il nous est demandé d’en faire la pierre d’angle. Celle que l’on bénissait dans l’antiquité du Moyen Orient, la première pierre posée à partir de laquelle on construisait toute la maison. L’Evangile n’est pas la clé de voûte, celle qu’on mettrait en dernier pour tout tenir, mais bien plutôt la première pierre, c’est la base, la fondation, l’origine, la référence absolue de la construction de toute notre vie qui peut alors s’ouvrir à la vie éternelle.

Quant à Dieu, bien sûr qu’il n’est jamais absent, mais il nous laisse responsables. Il est bien présent dans toute la démarche du croyant qui est invité à travailler à la vigne du Seigneur pour sa plus grande joie, et pour la joie de tous ceux qui se trouvent sur son chemin et la joie du monde.

Louis Pernot

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Matthieu 21:33-44

33Écoutez une autre parabole. Il y avait un maître de maison qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage. 34A l’approche des vendanges il envoya ses serviteurs vers les vignerons, pour recevoir les fruits de la vigne. 35Les vignerons prirent ces serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième. 36Il envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers ; et les vignerons les traitèrent de la même manière. 37Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant : Ils respecteront mon fils. 38Mais, quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : C’est lui l’héritier, venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. 39Ils le prirent, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. 40Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? 41Ils lui répondirent : Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui donneront les fruits en leur saison. 42Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures :
La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient
Est devenue la principale, celle de l’angle ;
C’est du Seigneur que cela est venu,
Et c’est une merveille à nos yeux ?
43C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira les fruits. 44Quiconque tombera sur cette pierre s’y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera.

Quel pain quotidien pouvons nous attendre de Dieu?