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Les vierges sages et les vierges folles

Prédication prononcée le 10 juin 2018, au temple de l'Étoile à Paris,

par la pasteur Florence Blondon

Encore une parabole assez déplaisante et qui va oh combien à l’encontre du message évangélique. Qu’est-ce que ces 10 vierges ou plutôt 10 jeunes filles (parthénos signifie vierge mais avant tout la jeune fille qui n’a pas accouché) qui attendent ainsi l’époux ? Il s’agit assez simplement dans la Palestine de l’époque des demoiselles d’honneur qui sortent pour accompagner l’époux. Mais ces demoiselles-là ne semblent pas vraiment exemplaires, les unes ne prennent pas leur rôle au sérieux et ne s’assurent pas de la réussite de leur mission, et les autres ne sont pas très compatissantes. Et en plus l’époux ne fait pas non plus son travail, il arrive vraiment très, très en retard !!!

 

Par ailleurs, tout l’évangile nous invite au partage à la solidarité, au pardon, et voilà que cinq harpies sont largement récompensées pour avoir renvoyé leurs compagnes de route. Et si l’on fait bien attention l’Évangile nous invite aussi à l’attente, une attente positive, constructive. Je dis cela sur un ton léger, pourtant ce texte est l’exemple même qu’il ne faut probablement pas donner la Bible à lire sans accompagner cette lecture. Au mieux on n’y comprend rien et on referme la Bible définitivement. Au pire on fait une lecture fondamentaliste, qui autorise toutes les dérives. Et là cela donne du chacun pour soi, et tant pis pour les autres ; c’est pire que la fable de la cigale et de la fourmi ; ces vierges-là ne sont pas prêteuses. Vous chantiez ? J’en suis fort aise, eh bien dansez maintenant. Vous n’avez pas d’huile, j’en suis fort aise, eh bien allez donc en chercher que je vous pique la place.

 

Certes on sait bien que dans la vie cela se passe un peu, et même beaucoup comme cela. On peut toujours se prévaloir du côté des sages, se croire avisé, et ne pas partager avec les autres, en toute bonne conscience, car après tout c’est leur faute, ils n’avaient qu’à plus travailler, plus étudier, plus économiser, thésauriser, prévoir, bref c’est un peu de leur faute. Ou bien il y a bien des moments où je me dois d’arriver en premier, en laissant les autres sur le bas-côté.

 

Bon tout cela est un peu compliqué, et comprendre cette parabole en dehors de son contexte, qui est celui des paraboles du règne, du royaume de Dieu est impensable. En effet Jésus ne parle ici ni des vertus de la virginité, ni de la manière d’organiser une cérémonie de mariage. Il parle de Dieu et de notre relation à lui. Rappelons-nous que l’image des noces est celle par excellence de l’alliance de Dieu avec son peuple. C’est bien ainsi que nous pouvons l’entendre. Et surtout n’oublions pas que cette histoire est une parabole, une comparaison mais qui est toujours plus complexe, car dans une parabole, il y a toujours quelque chose qui coince, qui nous échappe, et c’est tout l’intérêt. La parabole est un langage (aujourd’hui nous sommes plus dans l’explication scientifique, ou psychologique, et nous avons quelque perdu ce langage) qui a pour fonction de nous faire réfléchir, de ne pas nous installer dans le confort, de nous bousculer, et au final de changer notre regard sur notre monde. Il est probable que le décentrement, le détour par « le royaume des cieux », nous permet d’habiter mieux notre ici-bas.

 

En premier, remettons dans le contexte de l’Évangile, qui est celui de l’attente, le maitre tarde à venir : «Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. » (Mt 24,36) La communauté qui reçoit cet Évangile est dans cette attente, ils ont cru longtemps que le retour du Christ était imminent. Mais force est de constater que le temps passe, et il ne revient pas. Les premiers témoins, les compagnons de route sont presque tous morts, et bientôt nous n’aurons plus que le témoignage de ceux qui ont entendu les témoins, des témoignages indirects. La communauté est dans le manque et certainement dans la précarité voire la persécution, aussi c’est bien dans une perspective eschatologique, c’est-à-dire la perspective de la fin des temps que cette parabole est énoncée. Et ce qui nous semble épouvantable est en réalité pour celui qui la reçoit d’une bonne nouvelle, d’une incitation à veiller parce qu’Il va venir. Alors soyons avisés. Ne nous laissons pas aller. Il en va de notre parabole un peu comme de cet autre récit que Jésus énonce dans le sermon sur la montagne qui nous invite à construire sur le roc (Mt 7,24-29). D’ailleurs se sont les mêmes termes qui sont employés « avisé » et « fou ». Le contexte est un peu différent, il s’agit de l’interprétation de la loi par Jésus, mais il peut également nous éclairer. Car qui est le sage ? Qui est le fou ? Et bien l’homme avisé est celui qui construit sa maison sur le roc, c’est celui qui entend les paroles du Jésus et les met en pratique. Être avisé, intelligent c’est mettre en pratique la parole, l’enseignement de Jésus. Être insensé c’est se contenter de les entendre, ou de crier à l’instar des vierges folles : « Seigneur, Seigneur ». « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” Qu’on entrera dans le royaume des cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » avait déjà alerté Jésus au début de sa vie publique » (Mt7,21).

 

Cela signifierait que cette attente doit se vivre de manière positive, participative. Car les sages, ou plutôt les avisées ne font pas rien en attendant, elles éclairent. Elles font exactement ce que le Jésus demande : « vous êtes la lumière du monde » (Mt5,14), il faut donc avoir de l’huile pour mettre dans notre lampe. Alors oui, certes je peux entendre cela, mais il reste tout même un problème de taille : pourquoi donc il n’y a pas de partage ; et même ce non partage est encouragé puisque l’époux laisse entrer les égoïstes et claque la porte au nez des autres. Mais il ne faut pas lire les paraboles à partir de notre morale de notre sagesse. Car, justement ce sont des paraboles. Alors finalement ici nous sommes invités à une attente qui nous engage, nous « sommes la lumière du monde ». Dans le monde du début de notre ère cela pouvait avoir des vertus pédagogiques de mettre en garde, de menacer. Aujourd’hui nous serions plus enclins à un discours de responsabilisation. Mais ce qu’il faut bien entendre c’est cette responsabilité que nous avons dans notre monde ici-bas, dès maintenant. Certes, nous ne connaissons ni le jour ni l’heure, et d’ailleurs peu importe, même si nous ne sommes plus du tout dans la perspective d’un retour imminent, et même d’un retour tout court, il faut entendre l’appel éthique et urgent adressé à chacune, chacun d’entre nous. Aujourd’hui être chrétien.ne c’est vivre une tension entre un déjà-là et un pas encore. Dieu est déjà présent dans le monde, mais il n’est pas encore accueilli par tous et partout (et même très mal par nous, par moi). Donc nous avons une mission, celle de témoigner, de briller, et cela avant tout par notre éthique.

 

Mais bon cela reste tout de même un peu choquant !!! Car, l’éthique des cinq avisées n’est justement pas « éthiquement correcte ». Eh bien oui la fonction de la parabole, c’est aussi de nous envoyer sur des pistes où à un moment elles se fracassent sur notre logique humaine, comme pour nous amener ailleurs, pour complexifier notre pensée et notre agir. Ainsi les interprétations ne sont pas dans l’opposition, mais bien dans la complémentarité. Donc gardons cette « responsabilisation », mais tout de même nous pouvons nous interroger sur le pourquoi, pourquoi les jeunes filles avisées ne partagent-elles pas ? Et pourquoi en sont-elles apparemment récompensées ? Une des pistes pour répondre est de nous pencher sur le sens de l’huile.

 

Qu’est-ce que cette huile ? On a tant écrit sur le sujet, ce qui est sûr, c’est que cette huile est profondément positive. D’ailleurs l’huile avant d’avoir une valeur symbolique a des vertus alimentaires, thérapeutiques, cosmétiques, tout ce qu’il faut pour nous donner une vie belle et bonne.

 

Elle est aussi celle de l’onction, elle signifie la bénédiction de Dieu. Tu oins d'huile ma tête, Et ma coupe déborde. (Psaume 23). En fait l’huile c’est un peu tout cela : L’amour, la bonté la tendresse de Dieu : la grâce de Dieu. L’huile avec la lampe c’est la Parole de Dieu pour moi : « Ta Parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier » (Ps 119,105). Peut-on partager cela ? Évidemment non. Et si les jeunes filles avisées refusent de partager cela ne signifie pas qu’elles ne veulent pas, mais qu’elles ne peuvent pas ! Chacun doit faire son expérience. Finalement les vierges avisées font un cadeau à celles qui réclament, elles leurs laissent la possibilité de faire leur expérience. Découvrir l’amour et de la grâce de Dieu pour moi, je ne peux l’emprunter à ma voisine. Et puis en refusant de partager ce qui d’ailleurs est impartageable, cela nous rend aussi libre : enfin libre de parler, de témoigner pour soi-même sans possibilité d’utiliser l’huile de la copine, personne ne pensera pour moi ni ne décidera pour moi. Alors oui il y a des choses que l’on ne peut partager, on ne peut qu’inviter à aller chercher. Allez et vous trouverez…. Cette fois-ci les portes se ferment, mais il y aura d’autres occasions, alors soyez prêtes. Et cette lecture est une vraie bonne nouvelle, si la lecture « classique » nous sensibilise à la responsabilité, celle-ci nous annonce l’amour de Dieu pour chacune d’entre nous et notre liberté de la recevoir.

 

Mais là encore il y a quelque chose qui coince, car les avisées, sont tout de même un peu rusées, d’ailleurs c’est ainsi que l’on qualifie le serpent de la Genèse, car elles envoient leur copines non pas chercher (la quête positive qui permet d’accueillir) mais acheter, histoire peut-être de ne pas leur simplifier la tâche, parce qu’elles veulent garder leurs prérogatives. Mais elles n’ont pas compris que la grâce est infinie, pas besoin de barrer la route aux autres, il y en a pour tous. Et s’il y a bien une chose qui ne peut en aucun cas s’acheter c’est la grâce. Et, le paradoxe de la bonne nouvelle dans tout cela c’est que malgré leur ruse, elles entrent dans la salle des noces. Alors faisons un pas de plus, et pour conclure revenons au toute début de notre histoire. « Alors, le royaume des cieux sera comme ces dix vierges », pas uniquement les cinq avisées, mais les dix : et bien le règne englobe les dix, les avisées comme les folles, comme pour nous dire que le règne de Dieu contient et la sagesse et la folie. On peut entendre qu’il n’est pas question ici d’une histoire d’élus ou de réprouvés, dans un monde à venir, mais bien ce qui en chacun de nous est sagesse, intelligence ou folie. Et, le règne de Dieu n’est-il pas en nous, en moi ? Dieu qui vient à ma rencontre jusque dans mes coins sombres, ma faiblesse et mes limites pour m’apporter la saveur, l’odeur de son huile vivifiante et m’offrir la douceur de sa lumière et cela c’est à proclamer sans modération.

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Matthieu 25

1Alors le règne des cieux sera comme ces dix vierges qui avaient pris leurs lampes pour aller au-devant du marié. 2Cinq d'entre elles étaient folles, et les cinq autres étaient avisées. 3Les folles, en prenant leur lampe, n'avaient pas pris d'huile avec elles ; 4mais celles qui étaient avisées avaient pris, avec leur lampe, de l'huile dans un récipient. 5Comme le marié tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent. 6Au milieu de la nuit, il y eut un cri : « Voici le marié, sortez à sa rencontre ! » 7Alors toutes ces vierges se réveillèrent et préparèrent leurs lampes. 8Les folles dirent à celles qui étaient avisées : « Donnez-nous de votre huile, nos lampes s'éteignent ! » 9Celles qui étaient avisées répondirent : « Il n'y en aurait jamais assez pour nous et pour vous ; allez plutôt vous en acheter chez ceux qui en vendent ! » 10Pendant qu'elles allaient en acheter, le marié arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. 11Plus tard, les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : « Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! » 12Mais il répondit : « Amen, je vous le dis, je ne vous connais pas. » 13Veillez donc, puisque vous ne connaissez ni le jour, ni l'heure.

Matt. 25:1-13