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Les signes d'une nouvelle relation à Dieu

L'entretien de Jésus avec Nicodème (Jean 3:1:13)

Prédication prononcée le 17 octobre 2021, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot

Des signes

L’entretien de Jésus avec Nicodème a quelque chose de particulier en ce que, là, Jésus répond à une question qui ne lui est pas posée. Dans le texte on lit un : « Jésus répondit », or il n’y a, apparemment, aucune question dans l’intervention de Nicodème qui précède. Il doit pourtant bien y en avoir une ! Pour la trouver, il faut regarder d’un peu plus près ce que Nicodème dit à Jésus et de quelle manière il se présente à lui.

Tout d’abord, il nous est dit que Nicodème était « un chef parmi les pharisiens », il était donc un expert de la tradition juive, un expert de la Torah, cela nous indique qu’il connaît parfaitement la Bible ainsi que la tradition rabbinique et qu’il fonctionne dans un certain type de mode de réflexion, de langage que Jésus connaissait et maîtrisait aussi, ayant eu, nous dit-on, sans doute la même formation. Or c’est dans ce contexte que ce qui est présenté comme une affirmation au départ, voire comme une sorte de flatterie de la part de Nicodème à l’égard de Jésus, est en fait un questionnement essentiel.

Nicodème lui-même est déjà un questionnement en soi : son prénom signifie « celui qui dirige le peuple », qui « gouverne », avec ce jeu de mot possible en ce que nikein en grec peut signifier « dominer » « diriger », mais aussi « vaincre », voire « oppresser ». Nikodème a donc un nom qui déjà pose question : est-ce qu’il dirige, ou est-ce qu’il opprime. Pour nous de même est toujours la question de savoir de quel côté notre vie se tourne, pour le bien, ou le moins bien, le meilleur, ou le pire. Nicodème s’adresse à Jésus comme « Rabbi », « didascalos », donc comme un enseignant, détenteur d’une science qu’il peut connaître, on peut penser que Nicodème attend de cet enseignement qu’il l’aide à aller du bon côté.

Et puis il lui dit : « nous savons que personne ne peut faire les signes que tu fais si Dieu n’est avec lui ». Voilà de quoi il s’agit : il est question de « signes ». Et c’est bien le mot « signe » (« semeion » en grec) que l’on trouve là comme dans tout l’évangile de Jean, et non « miracle » comme mettent malheureusement nombre de traductions. Or tout signe, en tant que tel est, en soi, une question. Il faut savoir ce qu’il signifie, ce qu’il indique. Donc Nicodème reconnaît dans les actes de Jésus des signes, et il attend qu’il en enseigne le sens.

Or dans le début de l’évangile de Jean, il nous est dit explicitement qu’il y a deux signes. Le premier est lors des noces à Cana quand Jésus change l’eau en vin (Jean 2:1-11), et le deuxième est la guérison du fils d’un serviteur royal (Jean 4:46-54). Ce sont les deux signes principaux qui sont ainsi numérotés, et il y a en plus quelques petits signes divers. Or les « signes » dans la tradition juive, et dans la Bible, ne sont pas n’importe quoi. On trouve le mot dans l’Ancien Testament dans des circonstances très particulières.

Les signes de l’Ancien Testament

La première occurrence du mot signe dans la Bible (et les rabbins disent que la première occurrence d’un mot dans la Bible en donne le sens principal), c’est lors de la création du monde, quand Dieu crée les luminaires pour qu’ils soient des signes indiquant le jour et la nuit (Gen. 1:14). Cela n’est pas hors de notre propos puisqu’en effet, il nous est dit que Nicodème vient « la nuit ». Et donc, ce qu’il attend, c’est un signe permettant de discerner la lumière. Pour pouvoir trouver la lumière même dans la ténèbre. Or, dès le début de l’évangile de Jean, dans le prologue, il est déjà question de lumière et de ténèbre : « la lumière brille dans la ténèbre » (Jean 1:5), et le problème n’est pas qu’elle n’ait pas brillé, mais que les gens ne l’ont pas reconnue, qu’ils n’ont pas vu les signes permettant de distinguer la lumière. Ainsi, Nicodème est dans le noir, il voit des signes et il attend de ces signes qu’ils soient en mesure de lui indiquer la lumière, pour qu’il puisse la voir et s’y attacher en s’extirpant de la nuit de l’épreuve, du doute, ou de l’obscurantisme.

Ensuite, dans l’Ancien Testament, le mot « signe » revient constamment lorsqu’il est question d’une alliance de Dieu avec son peuple. Il y a d’abord l’arc-en-ciel, signe de l’alliance avec Noé ; puis la circoncision, signe de l’alliance avec Abraham ; et ensuite Moïse avec le don de la Loi au Sinaï. Nicodème reconnaissant là des signes importants venant de Dieu est en droit de se demander s’il n’y aurait pas une nouvelle alliance qui se profilerait. Mais alors laquelle, et dans quelles modalités ? Quel nouvelle relation Dieu veut-il instaurer avec son peuple ? Voilà la question !

Ensuite on retrouve tout plein de signes concernent Moïse. Moïse fait des signes avec son bâton, et en particulier les 10 plaies d’Egypte, signes donnés pour inviter le pharaon, à libérer ce peuple. Et justement, lui qui est un niko-demos, un oppresseur de peuple à devenir gouverneur de peuple, qu’il devienne autre chose qu’un dominateur, pour être un dirigeant respectueux. Ainsi les pharisiens qui dirigent le peuple religieux sont invités à donner une religion au peuple qui ne soit pas une religion d’asservissement, mais de libération et de liberté.

Les signes des plaies d’Egypte

Ces signes donnés au pharaon sont les plaies d’Egypte, épisodes terrifiants, négatifs, montrant que si on n’obéit pas à la volonté de Dieu, il s’ensuit des tas ce problèmes dont finalement la mort des premiers nés, donc l’impossibilité de transmettre la vie.

Le premier signe des plaies d’Egypte est l’eau transformé en sang. C’est intéressant parce que le lien entre le sang et le vin est permanent dans la Bible et que l’on pense au dernier repas de Jésus quand il tend la coupe de vin en disant, « ceci est mon sang ». Or, précisément le premier signe de Jésus, est de transformer l’eau en vin. Parallèle parfait de Moïse qui avait transformé l’eau du Nil en sang. C’est donc le même signe... Mais qui n’est plus pour terrifier, culpabiliser et menacer, mais pour donner la joie, la fête et célébrer la relation d’amour.

Quant au dernier signe, la dixième des plaies d’Egypte, c’est la mort de tous les premiers nés, et dans notre évangile, Jésus fait un deuxième signe, qui est du même ordre, mais à l’envers : il sauve la vie d’un enfant. Jésus reprend les signes de Moïse, mais en les inversant, ils ne sont plus pour la mort mais pour la vie, plus pour la menace, mais pour la grâce.

Encore qu’on pourrait dire que, certes, dans la dixième plaie, les enfants des juifs ne meurent pas, il suffisait de sacrifier l’agneau pascal, de prendre le sang pour en badigeonner les linteaux des portes. Le signe que donne Jésus va beaucoup plus loin : il n’y a plus besoin de sacrifice, et la vie n’est plus donnée aux seuls juifs, membres du peuple élu, mais au fils de ce serviteur royal qui était certainement un païen. Le salut s’ouvre à l’universel, et la religion est débarrassée de toute notion de sacrifice quelle qu’elle soit.

Voilà les signes de Jésus. Et Nicodème, en bon connaisseur de l’Ecriture ne peut que voir le parallèle avec l’histoire de Moïse. Il voit qu’il y a quelque chose de nouveau et que ces signes sont suffisamment importants pour qu’ils aient une signification théologique, instaurant une nouvelle alliance de la part de Dieu, pour sortir des ténèbres et aller vers la lumière.

Signe de l’alliance, et nouvelle naissance.

Mais il y a un autre signe, le premier qui est indiqué dans l’Exode avant même les plaies d’Egypte. Dieu dit en effet à Moïse au buisson ardent : « Je suis avec toi ; et voici quel sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir d’Égypte le peuple, vous rendrez un culte à Dieu sur cette montagne. » (Exode 3:12). Un signe qui est comme une promesse, quelque chose à attendre. Certainement que Nicodème a reconnu les signes précédents parallèles à ceux de Moïse, il voit que ces signes sont des signes qui vont dans le sens de la libération, de la joie et de la vie, mais pour aller où ? Il attend ce signe futur qui est celui d’un nouveau mode de relation à Dieu dans une alliance. Mais laquelle ? Voilà encore la question implicite de Nicodème : quelle nouvelle alliance devons-nous attendre ? Un nouveau Sinaï ? Une nouvelle Loi ?

La réponse de Jésus va être autre chose que ce qu’attendait probablement Nicodème, il va aller dans une logique toute différente. Le pauvre Nicodème va alors très rapidement perdre pied et se trouver exclu du dialogue que Jésus finira tout seul. C’est l’histoire de la nouvelle naissance. Jésus sort radicalement de la notion d’obéissance, d’une religion d’observance, du respect d’un code moral, pour arriver à quelque chose de beaucoup plus profond qui est une refondation de l’être. Non plus l’exigence d’une pratique, mais un changement en profondeur de l’intérieur de l’homme.

On pourrait être tenté de parler de conversion du cœur. Parce qu’en effet, on dit souvent que Jésus a remplacé l’obéissance à la Loi par une théologie de la conversion : plutôt que d’imposer des actes, des bonnes œuvres, il faut que l’être intérieur se convertisse pour se retourner vers Dieu. C’est juste, mais les mots de conversion (ἐπιστροφή) ou de repentance (μετάνοια) sont totalement absents de l’évangile de Jean, ils ne se trouvent que dans les synoptiques (Matthieu, Marc et Luc). Jean n’est pas dans une logique de la conversion, mais de la nouvelle naissance, ce qui est différent, il ne s’agit pas de changer son état d’esprit, mais de fonder toute sa vie sur autre chose. La question est de savoir ce que l’on prend comme source fondamentale de son être. Par sa naissance matérielle on tient sa vie physique de sa mère. Jésus, lui, sort déjà de l’idée d’une alliance génétique, de l’appartenance à un peuple, comme y était habitué Nicodème en bon juif, où l’on est du peuple élu par son ascendance généalogique. Pour Jésus, chacun doit se faire lui-même enfant de Dieu en naissant de Dieu, et non pas enfant du peuple, ou enfant de l’alliance. Aujourd’hui encore, l’acte par lequel un enfant arrive à la maturité dans le judaïsme est la bar mitzva, (fils du commandement), on indique par là qu’il est fils de la Loi. Jésus change radicalement pour dire : « vous n’êtes pas fils du commandement, mais vous êtes appelé à être fils de Dieu, ou plutôt fils de l’Esprit ». Cela veut dire que nous sommes invités à fonder, à refonder notre être, le recentrer sur une base différente de celle du « monde » au sens de l’évangile de Jean, c’est-à-dire le monde des ambitions terrestres et des désirs matériels. Refonder sa vie sur l’Esprit et sur la nature même de l’Esprit qui est représentée par ces fruits listés par Paul en Gal. 5:22 : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi.

Cette découverte me remet personnellement en cause : il y a 30 ans presque jour pour jour, ma consécration comme pasteur au service de l’Evangile du Christ a été célébrée dans ce temple de l’Etoile. J’ai alors prêché pour dire ce qui était l’essentiel de ma foi. Et j’ai alors présenté la foi comme une sorte de luxe existentiel : je peux vivre sans la foi, et certains le font, mais elle ajoute à ma vie quelque chose de merveilleux, d’extraordinaire qui lui permet d’accéder au-delà d’elle-même. Le pasteur O. qui avait présidé la cérémonie m’avait critiqué en me disant : « tu fais de la foi quelque chose comme une cerise sur le gâteau ». Je ne veux pas renier entièrement ce que j’avais dit, mais néanmoins, aujourd’hui j’exprimerais les choses autrement : la foi n’est pas la cerise sur le gâteau, mais elle doit être le gâteau même sur lequel je pose la cerise de ma vie.

Ainsi donc, il faut naître d’en haut, naître de nouveau, naître d’Esprit, naître de Dieu, et le vrai culte qui est demandé n’est plus un culte d’obéissance ou d’observance, mais simplement un culte de régénérescence profonde de l’Etre. Jésus dit cela, Nicodème commence par ne pas comprendre parce qu’il reste dans une logique génétique : « faut-il entrer une deuxième fois dans le ventre de sa mère pour naître de nouveau », et non, ce n’est pas ça du tout, c’est totalement spirituel, et c’est justement naître d’esprit et non de la chair.

L’expérience de l’Esprit

Jésus dit ensuite une parole très mystérieuse : « si je vous dis les choses terrestres déjà vous ne comprenez rien, comment comprendrez-vous quand je vous parlerai des choses célestes ? ». Et cela peut correspondre à une objection possible : oui, fonder sa vie sur le Christ, sur l’Esprit, renaître d’en haut et de nouveau, mettre l’Esprit comme fondement, base de son existence, d’accord, mais en fait, qu’est-ce que l’Esprit, qu’est-ce que Dieu ? Jésus répond en substance que c’est compliqué, qu’on peut comprendre en gros ce que veut dire fonder sa vie sur Dieu ou l’expérience du Saint Esprit, prendre pour source de son existence non pas ses désirs terrestres mais tout ce qui est de l’ordre de l’Esprit et qu’alors on peut vivre et s’approcher du Royaume. Mais maintenant, parler de Dieu ou du saint Esprit, c’est compliqué. Jésus renonce à nous expliquer clairement ce qu’est Dieu (ou l’Esprit, puisque Dieu et l’Esprit sont la même réalité, une seule et même personne). Il dit ainsi : « l’esprit souffle où il veut, on ne sait ni d’où il vient, ni où il va, mais on entend sa voix »... On ne sait pas très bien ce qu’est Dieu, mais on entend sa voix, on entend sa parole, et cette voix est celle de la parole du Christ qui me transforme, et donc c’est celle de mon expérience personnelle.

Si l’on est plus ou moins mystique, on peut avoir cette expérience de la présence de Dieu, de l’amour de Dieu, d’une grandeur infinie qui nous dépasse, qui nous, qui nous accueille et qui nous aime. Si vous n’êtes pas mystique, vous pouvez avoir l’expérience d’entendre sa voix comme il dit, de la parole.

Celui qui n’est pas mystique par tempérament, peut au moins faire l’expérience d’« entendre sa voix », d’être confronté à sa parole. Or cette parole de Dieu, pour Jean, elle s’est incarnée en Jésus Christ. Chacun peut expérimenter la grandeur de la parole du Christ, l’Evangile, ce texte unique, infini, le plus grand, le plus beau, le plu profond de l’humanité, le plus lu, le plus commenté, le plus édité depuis que l’homme est homme. Ce texte de l’Evangile peut me dire quelque chose qui me bouleverse et sur lequel je veux fonder mon existence. Ainsi, faute de bien savoir ce qu’est Dieu d’un point de théologique ou philosophique, j’ai au moins cette parole, ce Christ lui-même auquel je peux m’attacher. La foi peut être christocentrique en laissant de côté la question de Dieu, pourquoi pas ! Christ est celui qui vient d’en haut, qui vient vers nous. Je ne sais pas d’où il vient, je ne sais pas où il va, quelle est sa nature réelle, mais le Christ frôle mon existence, il la touche par son amour, par sa parole, par son intelligence, par son message, et cela produit en moi un effet indéniable. Donc peu importe même que Dieu existe ou pas, laissez-moi ma foi ! Peu importe que Dieu soit ceci ou cela, que Jésus ait telle ou telle nature divine ou humaine, laissez-moi l’Evangile, cette parole de vie, cette parole de paix qui est tout le sens de ma vie.

Ainsi en est-il de quiconque est né d’en haut et qui entend cette voix, et qui du coup participe à cette réalité de l’Esprit de venir d’on ne sait où et d’aller on ne sait où. Cel,a pas dans le sens où sa vie serait perdue ou absurde, mais dans le sens où cette vie s’attacherait à un au-delà plus grand que nous, au-delà du visible, une dimension nouvelle que l’intelligence ne peut saisir, qui nous surplombe, qui nous transcende, et qui dépasse toutes ces choses que sont le temps, les épreuves, que sont la mort et la maladie. Il y a là quelque chose qui vient d’ailleurs et qui me mène ailleurs dans un au-delà que je ne comprends pas peut-être entièrement, mais que je saisis et dans lequel je veux mettre toute ma foi.

Louis Pernot

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Jean 3:1-13

1Il y avait parmi les Pharisiens un chef des Juifs, nommé Nicodème ; 2il vint de nuit auprès de Jésus et lui dit : Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de la part de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est avec lui. 3Jésus lui répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu. 4Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? 5Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. 7Ne t’étonne pas que je t’aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. 8Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l’Esprit. 9Nicodème reprit la parole : Comment cela peut-il se faire ? 10Jésus lui répondit : Tu es le docteur d’Israël, et tu ne sais pas cela ! 11En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ; et vous ne recevez pas notre témoignage. 12Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes ? 13Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme

Jean 3:1-13