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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

L'eau de la Samaritaine et la grâce

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Prédication prononcée le 19 avril 2015, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

 

Le récit de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine tourne autour de la question de l’eau. Evidemment ce que dit Jésus est à prendre au sens allégorique, personne n’imagine jamais le contraire. L’eau que promet Jésus permettant de ne plus avoir soif, et donc de n’avoir plus besoin de puiser n’est pas de l’eau matérielle. Jésus ne propose pas un miracle pour éviter aux ménagères d’avoir à chercher de l’eau à un puits, ce qu’offre Jésus est, bien sûr, des bienfaits d’ordre spirituel.

Là c’est évident, mais il est pourtant certains chrétiens qui attendent une aide matérielle et concrète de la part de Dieu dans le monde. Pourtant quand Jésus promet de donner la lumière, c’est un don qui ne se mesure pas en kilowatts, c’est une lumière intérieure, et sans doute en est-il de même pour les guérisons promises, plus spirituelles que physiques.

L’eau offerte par le Christ n’est donc pas matérielle, elle a un sens symbolique, et ce sens, dans la Bible, c’est celui de la grâce, de la bénédiction de Dieu et de sa présence. Il faut en effet se souvenir que pour un peuple qui vit dans le désert, l’eau, c’est véritablement la vie. Il suffit d’avoir vu comment un désert, sec, aride, rocailleux peut, après une pluie, en quelques heures verdir, fleurir et devenir comme un pâturage frais et accueillant pour comprendre l’image de ce que peut apporter la présence de Dieu dans une vie, ou encore avoir vu comment une source dans un désert peut être, pour le voyageur assoiffé, une joie extraordinaire, pouvant même lui sauver la vie, et comment il suffit d’un peu d’eau dans l’aridité pour que puisse naître un jardin plein de fleurs, d’ombrage et de vie. L’eau pour des peuples habitués au désert, c’est donc non seulement la vie, mais aussi le symbole de ce qui peut apporter la fécondité. La présence de Dieu dans une vie est comme cela, pouvant transformer une vie aride, stérile et dure dans une vie de bien être et de fécondité.

Ce qui est remarquable, c’est que l’eau, comme la grâce de Dieu ne change pas le terrain sur lequel elle est donnée. La pluie ne fait que permettre aux graines se trouvant dans le sol de se développer. Et quand on affirme par le geste du baptême que la grâce de Dieu est donnée à un enfant, ce n’est pas pour le transformer de force en chrétien modèle, mais pour dire que cette présence de Dieu peut lui permettre de se réaliser, de déployer le meilleur qui est en lui pour que sa vie devienne bonne et féconde pour lui et pour le monde.

C’est bien de cela qu’il s’agit donc dans les propos de Jésus sur l’eau et la source, mais habituellement, le dialogue est vu comme un quiproquo entre la Samaritaine et Jésus, comme si Jésus parlait spirituellement, et la femme ne comprenant rien restait dans le registre purement matériel en prenant tout au pied de la lettre. Ainsi en particulier, quand Jésus lui dit : « Si tu savais qui est celui qui te dit « donne moi à boire », tu lui aurais toi même demandé... et celui qui boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif », et la femme répond, « donne moi de cette eau que je n’aie plus besoin d’aller puiser ».

On s’amuse donc habituellement de la naïveté de la Samaritaine, ce qui fait que ses propos n’ont pas de grand sens pour nous. Le seul intérêt de la bêtise des réponses de la Samaritaine serait alors non pas de nous divertir à ses dépens, mais de montrer que, bien qu’elle soit lente à comprendre, pourtant, elle arrivera à la foi et à découvrir le salut qui est en Jésus Christ. C’est rassurant pour nous qui ne comprenons pas toujours tout bien non plus !

Mais on peut penser que cette manière habituelle de lire le texte est injuste à l’égard de la Samaritaine qui était certainement moins bête qu’on ne pense, et injuste par rapport au texte dont chaque mot a du sens. Et bien des éléments dans le texte semblent montrer qu’elle comprend très bien et qu’elle-même entre immédiatement dans le registre du symbolique. Ainsi le dialogue ne serait pas un dialogue de sourds, mais une discussion serrée sur la manière avec laquelle on peut avoir cette grâce de Dieu représentée par l’eau.

La preuve que la Samaritaine comprend très bien, c’est ce qu’elle dit : « donne moi de l’eau ... que je n’aies plus jamais soif... et plus besoin de venir puiser. » Cela est absurde au pied de la lettre. Quiconque a vécu dans une maison sans eau courante sait que la part d’eau servant à boire représente moins de 10% du besoin total en eau. On boit par jour un ou deux litres d’eau, mais il faut à peu près 10 ou 20 litres au total pour les autres besoins : cuisine, vaisselle, toilette, lessive... Même donc si la femme n’avait plus jamais soif, elle devrait quand même aller puiser !

Et l’autre élément d’absurdité du texte dans son sens littéral, c’est cette mention du « puits de Jacob ». On peut chercher partout dans l’Ancien Testament, il n’en est jamais fait mention. Il est question d’un puits en lien avec Jacob, mais certainement pas en Samarie, chez Laban, à près de mille kilomètres de là !

Ainsi quand la Samaritaine dit qu’elle, elle puise dans « puits de Jacob », elle est certainement déjà dans le registre du spirituel : elle est dans la logique juive traditionnelle qui pense qu’il faut chercher la source de la présence de Dieu dans la tradition des patriarches. L’idée, partagée avec les pharisiens, c’est que l’Esprit de Dieu avait soufflé du temps anciens, donnant la révélation, et les commandements de Moïse, mais que maintenant, il fallait aller puiser dans les ressources des patriarches pour aller y chercher une bénédiction lointaine et profonde en obéissant aux commandements. La Samaritaine avait donc une vision héroïque de la religion où il fallait faire des efforts pour gagner la bénédiction, par un travail, une pratique constante.
Jésus lui, propose une autre approche : c’est lui qui est la source de l’eau vive, et cette eau vive de la bénédiction, il n’y a pas à la gagner à la sueur de son front, mais il suffit de la demander pour la recevoir. Jésus enseigne qu’il est lui-même la source de cette présence divine, et qu’il n’y a qu’à trouver en lui ce but ultime de la vie que la femme cherchait par des pratiques fastidieuses. Il lui dit que si elle savait qui il était réellement (le fils de Dieu), elle pourrait lui demander, et lui la comblerait, par grâce, d’amour et de bénédiction. Elle le comprend et lui demande cette grâce qui peut la libérer d’une vision fastidieuse d’une religion toute fondée sur la morale.

« Es tu plus grand que Jacob ? » demande-t-elle alors, c’est-à-dire, peux-tu, toi, donner une nouvelle bénédiction comme Jacob l’avait fait ? Peux-tu toi prétendre donner une nouvelle alliance ? C’est toute la question du messianisme de Jésus et du « Nouveau Testament ». Et dit-elle : « tu n’as rien pour puiser et ce puits est profond », elle exprime alors son doute : la bénédiction de Dieu, ce n’est pas quelque chose de facile à avoir... et elle a du mal à croire que Jésus puisse l’offrir sans demander des tas de pratiques, rites, observances qui seraient les outils de la grâce.

Encore dans sa logique de l’importance de la pratique d’une tradition, elle demande alors s’il est mieux d’adorer Dieu à Garizim comme les Samaritains, ou à Jérusalem comme les autres juifs, mais Jésus lui confirme que cela n’a aucune importance, puisqu’il prêche une religion de l’esprit : l’essentiel, c’est d’adorer Dieu dans son cœur, « en esprit et en vérité ».

Et elle comprendra définitivement quand Jésus lui dira qu’ayant eu 5 maris, elle vit avec un homme qui n’est pas son mari. Dans la symbolique biblique, le « 5 » renvoie évidemment au Pentateuque, les 5 premiers livres de la Bible, qui sont les seuls reconnus par les Samaritains, et que finalement, loin d’être totalement fidèle à la Loi, elle vit dans une espère d’adultère spirituel, n’adorant plus vraiment le Dieu vivant. Sa conversion n’est donc pas une lubie, impressionnée qu’elle aurait pu être par un Jésus agissant comme une voyante devinant sa situation familiale, mais une vraie prise de conscience des vérités profondes de la religion et de la foi, une nouvelle voie spirituelle que lui ouvre Jésus qu’elle reconnaît comme le Messie.


Et puis on peut regarder plus en profondeur le cheminement spirituel que Jésus va lui faire suivre pour parvenir à sa conversion.

Tout d’abord, c’est Jésus qui lui demande «  donne moi à boire ». Cela peut sembler curieux que ce soit Jésus, la source même, qui lui demande à boire. Mais cela correspond à quelque chose de très important, il faut comprendre que pour entrer dans une juste relation à Dieu, il faut se demander d’abord ce que l’on peut donner soi-même à Dieu, au monde, ou aux autres. Jésus évite ainsi toute relation infantilisante à Dieu de qui on attendrait tout, et à qui on pourrait demander sans cesse un peu n’importe quoi. Avant même de savoir si on a la foi ou non en Dieu, il faut comprendre que l’on peut soi-même faire quelque chose pour les autres, et prendre part à une œuvre créatrice. Or ce que Jésus lui demande, c’est précisément ce dont elle a besoin, et ce n’est pas un hasard, nous devons chercher à donner au monde ce que nous attendons nous-mêmes de Dieu. Nous voudrions que Dieu donne l’amour, la paix, l’espérance, la joie, c’est alors donc d’abord ce que nous devons essayer de donner à notre mesure. Et peut-être précisément que c’est en essayant de donner de l’amour, ou de la joie, que nous découvrirons que nous avons besoin d’une source de ces grâces pour les offrir. C’est en essayant de donner la lumière que nous serons en mesure de chercher la vraie lumière en Dieu.

Puis dans la deuxième étape, Jésus lui dit ce qui lui manque et qu’il faut essayer d’acquérir : « si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit donne moi à boire... ». C’est donc la connaissance, de Dieu, et du Christ. Cela n’est pas très à la mode aujourd’hui où nous voudrions avoir tout sans peine et directement, mais donc il faut avancer dans la connaissance. Il faut apprendre à connaître Dieu, le Christ, lire l’Evangile, la Bible, s’intéresser à la théologie même, qui est la science de Dieu, cela nous permet d’avoir une foi plus juste, de savoir où chercher, et de ne pas se tromper d’espérance. C’est même sans doute un remède essentiel au manque de foi si jamais on le déplore pour soi, il faut travailler à développer sa connaissance de Dieu et du Christ.

La femme elle même doute de la méthode : « tu n’as rien à puiser et le puits est profond d’où aurais tu cette eau vive ? Es tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits et qui en a bu lui-même ainsi que ses fils et ses troupeaux ? ». Ce que dit Jésus est incroyable, dans le contexte de la Bible, comment cet homme pourrait-il donner autant que toute la religion traditionnelle, et tous ses outils de rites et de pratiques ? Nous aussi, avons tendance parfois à mépriser Jésus et les évangiles, nous pensons les connaître suffisamment, cela semble peu pour changer nos vies, mais l’expérience montre à quel point il y a en Christ dans l’Evangile une source jaillissante. Ce qu’enseigne Jésus, c’est une religion pure, simple toute dépouillée, sans rites, gestes religieux ou observances, juste centrée sur le Christ.

Et cette « source » qu’est le Christ est mieux que tous les « puits »  de l’Ancien Testament qui n’étaient en fait que des citernes, simples fosses conservant une eau ancienne dans laquelle on devait puiser. La croyance juive était que l’esprit avait cessé de souffler, et que donc il fallait retourner puiser dans les anciennes révélations et être fidèle aux anciennes lois. Jésus, lui, prétend que par lui l’esprit se remet à souffler, une nouvelle révélation est en route, et une nouvelle source d’eau vive est disponible, il suffit d’y boire gratuitement une eau fraîche et pure, infiniment meilleure que l’ancienne eau croupissante d’un traditionalisme tourné vers le passé.

« Jésus répondit : quiconque boit de cette eau (puits de Jacob) aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soir, et leau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle »... C’est ce que peut expérimenter celui qui vient au Christ, la présence du Christ ne donne pas simplement une connaissance, mais elle transforme la personne de l’intérieur, la religion n’est plus une pratique, mais une transformation intime, il n’est plus question d’une eau extérieure pour survivre, mais d’une source interne au plus profond de l’être. Et chacun peut ainsi de plus devenir une source pour les autres.

La femme dit alors : « Donne moi cette eau, Seigneur, que je n’aie plus jamais soif (de bénédiction) ». Elle ne ressent pas encore tout à fait cela en plénitude, mais elle la désire de tout son cœur, et c’est cela la clé, en désirant cette bénédiction, elle s’ouvre à elle, et se met en position de la recevoir.

Ensuite, on ne sait pas exactement ce qu’elle va découvrir ou expérimenter, le texte ne le dit pas très précisément, et c’est sans doute mieux, parce que chaque expérience est personnelle et différente. Mais elle va découvrir quelque chose de suffisamment important pour qu’elle veuille le partager avec les autres : « J’ai trouvé un homme qui m’a parlé de moi et m’a dit ce que j’ai fait. » Ce qu’elle a trouvé, c’est un message qui parle d’elle, qui la touche personnellement. Et c’est ainsi l’Evangile, un texte qui parle de celui qui le lit et qui donne un sens à sa vie. Et c’est ainsi aussi qu’il faut lire ce texte, en se disant sans cesse : « ce texte parle de moi ici et maintenant », et trouver en quoi et comment.


Le Christ ainsi est une source de vie qui change notre vie et fait de nous à notre tour une source. Il nous rend libre, pas dans la dépendance d’une secte ou religion qui dicte ce qu’il faut faire. Mais en Christ nous avons toute la bénédiction dont nous avons besoin, nous pouvons être comblés en lui, sans besoin de rien d’autre. Il nous comble d’espérance, de bénédiction, pour aujourd’hui et pour toujours

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Jean 4:5-29

Or il fallait qu’il traverse la Samarie. Il arriva donc dans une ville de Samarie nommée Sychar, près du champ que Jacob avait donné à Joseph, son fils. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus fatigué du voyage, était assis au bord du puits. C’était environ la sixième heure.

Une femme de Samarie vint puiser de l’eau. Jésus lui dit : Donne-moi à boire. Car ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres. La femme samaritaine lui dit : Comment toi qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? – Les Juifs, en effet, n’ont pas de relations avec les Samaritains. – Jésus lui répondit : Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire ! c’est toi qui lui aurais demandé (à boire), et il t’aurait donné de l’eau vive. Seigneur, lui dit-elle, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; d’où aurais-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. Va, lui dit-il, appelle ton mari et reviens ici. La femme répondit : Je n’ai pas de mari. Jésus lui dit : Tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit vrai. Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne ; et vous dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem. Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. La femme lui dit : Je sais que le Messie vient – celui qu’on appelle Christ. Quand il sera venu, il nous annoncera tout. Jésus lui dit : Je le suis, moi qui te parle.

Alors arrivèrent ses disciples, qui furent étonnés de ce qu’il parlait avec une femme. Toutefois, aucun ne dit : Que demandes-tu ? ou : De quoi parles-tu avec elle ? La femme laissa donc sa cruche, s’en alla dans la ville et dit aux gens : Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ; ne serait-ce pas le Christ ?

Jean 4:5-29